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Avec l’élection d’un nouveau président en Iran et la signature d’un accord historique sur la normalisation de son programme nucléaire, l’avenir dira peut-être si l'année 2013 aura marqué le début d’une nouvelle période pour déchiffrer et expliquer la politique étrangère de ce pays. En dépit de ces événements, l’ouvrage collectif dirigé par Thomas Juneau et Sam Razavi reste pertinent et d’actualité. En fait, il répond à la complexité des relations internationales de l’Iran depuis 2001 et déboulonne les mythes ainsi que les idées reçues dont la République islamique fait trop souvent l’objet dans les débats publics. Cet ouvrage suscitera l’attention de lecteurs intéressés par les enjeux de sécurité de la région du « Moyen-Orient », par l’économie politique internationale de l’Iran, par la conduite des relations internationales contemporaines et, évidemment, de ceux qui cultivent un intérêt général pour l’analyse et l’étude de la politique étrangère.

En premier lieu, l’ouvrage de Juneau et Razavi évite deux pièges qui sont invariablement tendus aux ouvrages tirés d’une conférence : la redondance et le manque d’unité. Ces deux analystes du gouvernement canadien proposent en introduction un fil conducteur s’inscrivant dans la tradition réaliste des théories en relations internationales. Ils s’opposent de la sorte à la thèse selon laquelle l’Iran ne serait pas un État rationnel ou encore « normal » (p. 9-10), comme le discours antisioniste serait non pas un acte idéologique, mais une action calculée (p. 120-122).

Ce fil conducteur n’empêche pas pour autant les contributeurs à l’ouvrage d’adopter des perspectives qui dépassent l’orthodoxie de cette approche en décryptant la culture stratégique, les idées politiques et les relations commerciales qui dynamisent la politique iranienne. D’ailleurs, cette latitude permet de mettre en lumière ce casse-tête qu’est la politique étrangère iranienne, composée d’un ensemble de relations bilatérales incontournables (politique, économique et militaire) et de liens avec différents groupes actifs dans d’autres pays (Hezbollah, Hamas, etc.).

L’ouvrage collectif offre ainsi des lectures divergentes et complémentaires d’un même enjeu. À ce titre, le lecteur peut appréhender le programme nucléaire iranien à partir de plusieurs chapitres de l’ouvrage. Par exemple, Roshandel (p. 53) postule que l’Iran développera forcément une capacité à fabriquer des armes nucléaires à la suite de son analyse des événements qui ont forgé la culture stratégique iranienne). En contrepartie, Entessar souligne qu’il n’y a aucune preuve attestant l’existence d’un volet militaire au programme nucléaire iranien, tout en exposant la disparité sur le plan des vecteurs entre Tel-Aviv et Téhéran (p. 74-75). Entessar propose en outre une analyse de certaines figures iraniennes impliquées directement dans le dossier, contrairement à l’analyse sociohistorique, systémique, de Roshandel. Enfin, les chapitres 10 et 11, qui portent respectivement sur les relations russo-iraniennes et les relations sino-iraniennes, permettent de concevoir comment et pourquoi la Russie et la Chine joueront un rôle clé dans l’issue du dossier du programme nucléaire iranien.

Un autre aspect positif de cet ouvrage est qu’il recèle une multitude de statistiques permettant au lecteur de nourrir sa propre réflexion. À travers son analyse de la puissance iranienne et des événements qui l’influencent, Juneau brosse un tableau des capacités militaires et économiques présentes dans la région entourant la République islamique. Cela permet d’avoir une première vision d’ensemble afin de se poser d’autres questions sur les enjeux sécuritaires au Moyen-Orient. De même, les chapitres 8 à 11 fournissent des données de base à une réflexion plus approfondie sur les tenants et les aboutissants des stratégies politiques en matière économique et commerciale de la République islamique d’Iran.

Au-delà des mérites de cet ouvrage, certains éléments nous apparaissent problématiques et doivent être discutés. Tout d’abord, l’implication de l’Iran dans le conflit en Afghanistan n’est que brièvement discutée par les auteurs qui abordent le sujet. Pourtant, les faits soulevés par les différents auteurs permettent de croire que cette question aurait pu être le sujet d’un chapitre entier et permettent de comprendre davantage les problématiques régionales dans lesquelles l’Iran s’inscrit. Ensuite, bien que nous ne remettions pas en question la qualité inhérente de la proposition centrale, la conclusion de l’ouvrage ne fait pas une synthèse claire de l’ensemble des chapitres, comme l’annonce l’introduction (p. 14).

En guise de conclusion, voici les chapitres qui ont retenu notre attention et qui ont été peu discutés. La contribution de Pant sur les relations entre l’Iran et l’Inde permet de croire que l’analyse de ces dernières a été négligée vu le nombre et le type de sources utilisées. Son texte répond, selon nous, à un besoin qui sera grandissant étant donné la place de plus en plus grande que ces deux pays occupent dans les relations internationales. Enfin, la démonstration de Beeman sur les relations entre les Américains et les Iraniens nous apparaît tout aussi innovatrice, bien que cette analyse ne soit pas aussi rigoureuse sur le plan méthodologique que les autres chapitres. Finalement, plusieurs éléments nous portent à dire que cet ouvrage collectif est une réussite.