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Au moment où le Canada se charge d’entraîner les soldats de l’armée afghane, Patrick James propose au lecteur intéressé par la politique étrangère canadienne (pec) ou par l’étude du Canada un tour d’horizon des engagements internationaux du Canada en matière de sécurité depuis le 11 septembre 2001. Il suggère que ces différentes obligations auraient non seulement changé la perception du Canada sur la scène internationale, mais également – en profondeur – l’identité canadienne. Les Canadiens ne formeraient plus cette société prônant le maintien de la paix, mais une société plus disposée à utiliser la force militaire. James est l’un des tenants de l’idée de rupture dans le débat qui a cours sur les transformations de l’orientation de la pec depuis le 11 septembre 2001.

Pour démontrer ce changement identitaire, James mobilise les postulats des perspectives réaliste, libérale, constructiviste, de la politique gouvernementale (bureaucratique) et de la politique interne. Ces grandes approches théoriques se sont souvent construites en opposition l’une à l’autre. Elles sont utilisées afin de fournir des explications présentées de manière complémentaire par James. Il est donc parfois difficile de savoir si l’une des explications prend le pas sur les autres selon le cas de la politique de sécurité internationale du Canada analysé. De plus, cet amalgame d’approches aurait pu donner un regard systématique. Cependant, la discussion théorique qui en résulte reste brève et sommaire, placée méthodiquement à la fin des chapitres.

À partir de ce choix théorique, James passe en revue l’ensemble des enjeux animant les relations canado-américaines sur le plan sécuritaire ainsi que les interventions militaires du Canada à l’étranger. Les deux premiers chapitres portent sur l’entrée en guerre et la prolongation de la mission du Canada en Afghanistan. Le raisonnement mettant en lumière la décision du Canada d’aller en Afghanistan auprès des États-Unis est convaincant, bien articulé et fait une synthèse de la littérature sur cette question. Le chapitre consacré à la prolongation et à la transformation de la mission canadienne en Afghanistan est également satisfaisant, même si l’argumentaire ressemble plus à une revue de la littérature sur la question qu’à une analyse originale.

La démonstration de la proposition centrale du chapitre 4, le chapitre clé du livre, nous apparaît problématique, voire exagérée. Le changement de l’identité canadienne serait principalement dû à un seul facteur endogène. Celui-ci résulterait de la première expérience de combat du Canada depuis la guerre de Corée qu’est l’Afghanistan. En tenant compte des éléments explicatifs de James, nous aurions pu soutenir que cette intervention serait plutôt le reflet d’un changement qui s’effectue avant tout à l’intérieur de la société canadienne. D’ailleurs, le regard porté par James sur la politique nationale du Canada nous apparaît superficiel et caricatural.

Notre appréhension de l’analyse sur les relations canado-américaines de James va dans le même sens. Peut-on réellement penser que le Canada considère les États-Unis comme un adversaire à part entière ? C’est ce que James semble nous laisser croire par moments malgré certaines continuités pouvant illustrer le contraire. Il est également difficile de concevoir que cette nouvelle identité nuise aux relations canado-américaines en matière de sécurité. Par exemple, rien n’indique véritablement qu’il y ait une escalade du conflit dans l’Arctique entre le Canada et les États-Unis. Dans une autre optique, une confusion s’installe à plusieurs reprises entre la description du contexte international et les éléments factuels qui constituent les différents dossiers sécuritaires dans les relations transfrontalières entre le Canada et les États-Unis.

En somme, il nous apparaît excessif que la transformation après-11-Septembre du Canada soit considérée ultimement comme une bonne chose parce que ce dernier aurait entraîné le Canada vers un engagement international plus équilibré auprès de ses alliés et des pratiques effectives (p. 137). La relation qui peut exister entre un engagement militaire et l’influence internationale qui en découlerait reste encore aujourd’hui ambiguë. De même, le Canada peut-il réellement continuer de s’engager davantage dans des interventions militaires sans remise en question ? De plus, James n’apporte pas de recommandations pouvant être appliquées aux problèmes qu’il a soulignés à propos de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la politique étrangère canadienne. Le type de texte choisi semble pourtant le permettre.

En guise de conclusion, la contribution de James aux débats de la pec doit être discutée. Tout d’abord, l'auteur semble bien maîtriser la tension qui existe entre les postulats de base découlant de la littérature dans laquelle il souhaite s’inscrire. L’entreprise de faire une première synthèse de l’ensemble de ces événements complexes peut être à la fois la contribution et la faiblesse du travail de James. D’une part, les cas analysés ont souvent des dynamiques qui leur sont propres et qui sont peu ou pas discutées par l’auteur. D’autre part, le choix d’utiliser un ensemble théorique considéré souvent comme incommensurable joue également en défaveur de la démonstration de James. En résumé, cette évaluation ne convainc pas un observateur plus aguerri de la politique étrangère canadienne. Néanmoins, essayer de dégager une appréhension d’ensemble comme l’a fait James pour la pec sur le plan sécuritaire reste un défi de taille qui doit être tôt ou tard entrepris afin de comprendre et d’évaluer la politique canadienne.