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Cet ouvrage, véritable somme, issu d’une thèse récompensée par un prix décerné par la Ville de Lyon, s’imposait depuis que l’on assiste à une recrudescence des conflits armés non internationaux (cani), sur fond de guerres asymétriques et autres insurrections. La raison en est simple. Les exactions, atteintes aux droits de l’homme, non-respect du droit des conflits armés sont déjà visibles dans les conflits classiques. Dans le cas des conflits armés non internationaux, le paysage est encore plus complexe et l’absence de réglementation solide aboutit à l’absence de définition des « combattants » et des « civils ». Moyens et méthodes de guerre ne sont pas réglementés et l’absence de statut de combattant dans les cani va compromettre l’efficacité du droit international humanitaire. Et que dire de la participation de civils aux hostilités, celle des mercenaires et des enfants soldats ?

L’auteur pose un dilemme fondamental : l’absence de statut de combattant dans ces conflits particuliers pourrait-elle compromettre le respect du droit international humanitaire (dih), dès lors que les groupes armés ne s’y sentiront pas obligés, ne seront pas juridiquement « récompensés » ? Il est vrai que les États répugnent à donner aux combattants rebelles le statut de belligérant et, in fine, le statut de prisonnier de guerre s’ils devaient en être. Une façon d’indiquer que ces États ne souhaitent pas encourager la rébellion. Or, cela ne dissuade en rien les actes d’insurrection, au contraire. Reste que, pour l’auteur, « les États n’adopteront jamais une convention internationale qui aurait pour but de les priver de toutes les prérogatives de souveraineté en période d’insurrection armée ».

Aussi, Gérard Aivo tente d’expliciter la complexité de la problématique de cet entre-deux entre civils et insurgés. Qui bénéficie, finalement, de ce statut de combattant ? Réponse complexe et délicate, d’autant que la distinction entre civils et militaires, civils engagés, insurgés en uniforme, civils comme boucliers humains, « civils protégés », « civils momentanément combattants de gré ou de force » devient particulièrement difficile. Les lacunes du droit international en matière de cani aboutissent à des conséquences sérieuses en matière de protection des belligérants « non statutaires ».

L’auteur aborde successivement la conception classique de la qualité de combattant, puis son évolution par le principe de distinction entre « civils » et « combattants ». Il tentera, par la suite, de proposer une clarification et un renforcement, qu’il estime nécessaires, de la protection des personnes participant directement aux hostilités et des non-combattants dans les conflits armés non internationaux.

Il termine sa démonstration en proposant un « rapprochement » entre les protocoles i et ii afin, d’une part, de jouir d’un statut « par analogie » et, d’autre part, de mettre en avant la solution des accords spéciaux et de l’amnistie.

Nous retiendrons ses développements autour des conséquences insatisfaisantes de l’attribution ou non du statut de combattant aux insurgés et de la nécessité de mieux préciser la notion de « participation directe aux hostilités ». En outre, l’auteur pose le problème de l’interprétation par trop large des États qui peuvent refuser de voir appliquer le droit pour des troubles intérieurs et des tensions internes avérées et intenses. Dans tous les cas, si la prise de conscience désastreuse des guerres civiles russe et espagnole a poussé à la réglementation, certes modeste et lente, du droit des conflits armés non internationaux à travers le protocole additionnel ii des conventions de Genève, de toute évidence ces règles restent insuffisantes en ampleur et en contenu, en comparaison de ce que l’on a codifié autour des conflits internationaux.

Aujourd’hui, la situation des droits de l’homme dans les zones « de non-droit » est particulièrement préoccupante. Il faut donc envisager une réadaptation du droit international humanitaire qui doit offrir davantage de normes et de règles pour circonscrire autant que faire se peut les conséquences des conflits armés non internationaux, le parent pauvre du droit.

Dans le champ des conflits armés internes de haute intensité – là où la souveraineté de l’État est déjà, de fait, compromise, Gérard Aivo nous propose le statut spécial de « combattant irrégulier légal » qui pourrait être protégé par une amnistie obligatoire et automatique à la condition pour les insurgés de respecter le droit humanitaire en général et le principe de distinction en particulier. Il insiste sur le caractère évolutif du droit international humanitaire et la responsabilité des États à l’améliorer ; y compris par la prise de responsabilité, les rappels d’obligation et la pédagogie sensibilisatrice auprès des parties concernées dans les cani : groupes armés, populations locales et formateurs en droit des conflits armés.

Certes, cet ouvrage particulièrement interpellant repose sur une lecture juridique du droit international humanitaire et du statut du combattant « à géométrie variable » qui peut se heurter au principe de réalité tactico-opérationnelle avec la non-distinction entre les belligérants organisée par les « insurgés » eux-mêmes pour « pousser à la faute », entraîner des dommages collatéraux, provoquer les opinions publiques à travers les médias pour forcer le retrait des forces dites régulières. Bref, tout ce qui fonde la guerre asymétrique, celle du « faible » face au « fort ».

Riche d’une bibliographie imposante, d’un index des plus utiles, avec un texte offrant en notes de bas de page bien des exemples concrets, Le statut de combattant dans les conflits armés non internationaux peut être considéré comme une référence en cette matière des plus controversées juridiquement, mais aussi politiquement et doctrinalement. Les terribles événements en Syrie en sont les exemples les plus parlants.