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Dans cet ouvrage volumineux de plus de 1 100 pages, les deux auteurs ne se fixent pas, de façon explicite, d’objectifs précis. L’introduction générale qui devrait en aviser le lecteur constitue, en réalité, le premier chapitre du livre (61 p.). Elle fournit, en effet, l’historique et plante les décors conceptuel et théorique de la sous-discipline du droit international public. Pour connaître les objectifs des deux auteurs, l’on ne peut que les déduire de la lecture générale du livre : proposer une encyclopédie de la genèse et de l’évolution théorique et empirique du droit international public jusqu’au début du 21e siècle.

Composé de 18 chapitres en plus de l’introduction générale, l’ouvrage se penche sur l’évolution de la « coutume internationale » et d’autres éléments et facteurs historiques constituant les principales sources du droit international. Ce sont ces éléments qui se développent, graduellement, en un corpus de traités internationaux « conventionnels », qui sont l’épine dorsale du droit international.

Les deux auteurs commencent par définir l’objet de la discipline : il s’agit de « l’ensemble des normes juridiques qui régissent les relations internationales » (p. 1), c’est-à-dire les relations entre les États souverains. S’ils font remonter les origines du droit international public à l’émergence de l’État moderne et mentionnent quelques définitions qui reflètent cette origine, ils se montrent bien « progressistes » dans leur entendement qui reconnaît d’auteurs sujets et acteurs des relations internationales autres que les États, comme les organisations internationales. En effet, de nos jours, des organisations internationales, comme l’Organisation des Nations Unies (onu), l’Union africaine et l’Union européenne, signent des accords – comme les accords de siège – et des traités avec les États-nations de la même façon que ces derniers s’engagent avec leurs semblables, notamment en ce qui concerne les droits et immunités accordés à leur personnel expatrié dans les pays hôtes. Ces mêmes organisations internationales sont, de surcroît, devenues des architectes du droit international, dans la mesure où elles proposent les textes de conventions qu’elles font adopter par leurs États membres pour faire avancer certaines normes et en deviennent même les dépositaires de leurs instruments de ratification.

Comment sommes-nous passés de l’étape de « coutumes » à celle d’un corpus « conventionnel/contractuel » ? L’ouvrage montre que le corpus du droit international public s’est développé à travers la formalisation d’un certain nombre de coutumes, c’est-à-dire des pratiques, qui ont satisfait à deux critères, l’un matériel, l’autre psychologique. Le matériel consisterait dans la répétition prolongée et constante de la pratique par les acteurs du droit (les États, dans ce cas), alors que le psychologique résiderait dans la croyance, par les acteurs du droit, dans le caractère « obligatoire » de cette pratique (p. 66). Beaucoup des pratiques de courtoisie et d’immunité diplomatique ont leurs origines dans les coutumes, car les États voudraient qu’un certain nombre de leurs représentants qui se trouvent en dehors de leur territoire national soient traités d’une manière particulière. Ils réservent le même traitement aux représentants similaires d’autres États, et cette réciprocité se généralise et s’enracine à tel point que les États déplorent tout manquement à cette pratique.

L’établissement de l’élément psychologique peut, cependant, s’avérer difficile dans certains cas. Comment peut-on établir la croyance dans le caractère obligatoire par l’abstention négative d’un État, sans être certain que l’attitude adoptée par cet État de s’abstenir d’un fait quelconque était motivée par « la conscience d’un devoir de s’abstenir » ? Ainsi, il paraît important de légiférer, autant que possible, sur les pratiques coutumières en adoptant des textes explicites qui clarifient leurs contours, d’où l’évolution vers la codification de la coutume internationale comme mesure importante dans la systématisation du droit international (p. 86). Le rôle de la Commission du droit international, créée sous l’égide de l’onu en novembre 1947, s’avère très important à cet égard.

Toutefois, malgré ces évolutions, la question d’arbitrage du droit international demeure posée. En effet, les États en étant les principaux créateurs, et en l’absence d’organes internationaux supérieurs à eux sur le plan universel, se pose la question de comment se faire justice lorsqu’un État s’estime victime de la violation d’un aspect du droit international. Certes, les États disposent de mesures de représailles, un droit qu’ils peuvent exercer individuellement ou collectivement avec leurs alliés. Le plus souvent, cependant, ces mesures s’avèrent inefficaces lorsque le responsable de la violation est un État puissant et la victime un pays pauvre, faible et sans alliés également puissants. Cet état des choses tend à confirmer la suprématie des postulats réalistes sur ceux, libéraux, des théories des relations internationales.

Je voudrais ici faire une petite remarque qui n’enlèvera guère à la qualité de l’ouvrage : il s’agit de son apparent penchant trop occidental au chapitre 14 portant sur le recours [légitime] à la force armée. Pour aborder cette question, les deux auteurs s’intéressent, à juste titre, aux opérations de maintien de la paix de l’onu. Différents exemples sont ainsi cités pour l’illustrer. Mon observation porte sur le choix de la seule autre organisation internationale à laquelle s’intéressent les auteurs : l’otan. Cette organisation est certainement une structure formidable de la défense collective dans le monde. Cependant, puisque les auteurs s’intéressent, dans le chapitre suivant, au rôle des organisations africaines et interaméricaines dans la protection des droits humains (p.763-764), ils auraient dû se rappeler que la toute première organisation régionale à intervenir collectivement dans un État membre, et ce, d’une façon jugée conforme au droit international était la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (cedeao), qui est intervenue au Liberia (1991) puis en Sierre Leone, près d’une décennie avant la première intervention controversée de l’otan au Kosovo en 1999. Certains dirigeants de l’otan se sont d’ailleurs efforcés de justifier cette intervention en se référant à celle de la cedeao au Liberia.

Quoi qu’il en soit, cet ouvrage s’avérera une référence utile dans la bibliothèque de tout étudiant ou praticien du droit international, des relations internationales et des différents sous-champs de la science politique de façon générale.