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Chengxin Pan s’attaque, à travers cet ouvrage, à un projet ambitieux : celui de déconstruire et de comprendre l’imaginaire occidental à propos de la Chine, véhiculé par une littérature de plus en plus abondante sur l’importance de ce pays sur la scène internationale. Précisément, l’auteur dénonce le manque d’autocritique des analystes occidentaux dans ce champ des Relations internationales. Alors que la Chine est régulièrement présentée comme un objet d’étude tangible, impartial et immuable, Chengxin Pan pointe plutôt du doigt les représentations occidentales de cette « réalité chinoise », souhaitant démontrer qu’elles sont socialement et discursivement construites. S’appuyant notamment sur une approche constructiviste, il a ainsi analysé un ensemble de données issues de la littérature anglophone portant sur la montée en puissance chinoise.

Deux thèmes récurrents et dominants dans cette littérature sont identifiés par l’auteur. Le premier, celui de la « menace chinoise », est détaillé dans trois chapitres différents. Il se réfère au développement chinois en tant qu’élément négatif, angoissant et dangereux pour la communauté internationale. En réalité, cette impression de menace serait issue d’un ensemble de pratiques discursives se focalisant principalement sur l’augmentation des capacités militaires chinoises et sur les intentions malveillantes prêtées à la Chine. Par ailleurs, l’auteur affirme que ce paradigme de la menace chinoise sert également à renforcer l’identité et l’imaginaire que l’Occident entretient à propos de lui-même. Ainsi, cette menace provenant de Chine appuierait l’image d’une nation américaine pourvoyeuse de sécurité qui, pourtant, doit faire face à de nombreux défis et ennemis. Chengxin Pan prend l’exemple de la fameuse stratégie du « collier de perles », qui consiste à placer un ensemble de bases navales chinoises de l’Asie du Sud-Est jusqu’en Afrique orientale ; cette stratégie n’est reprise dans aucun document officiel chinois, mais elle est particulièrement présente dans les publications américaines.

Le second thème, auquel l’auteur consacre un chapitre, est celui de « l’opportunité chinoise ». Dans ce cas de figure, l’interprétation de la montée en puissance chinoise se veut beaucoup plus positive, notamment sur le plan économique. La Chine serait alors perçue par l’Occident comme un vaste marché économique et financier dont la main-d’oeuvre inépuisable (et peu coûteuse) serait source de bénéfices substantiels. Pourtant, l’auteur attaque, ici encore, cette représentation de la Chine qui ne ferait que renforcer la dichotomie existant entre l’Occident et la Chine, en diffusant l’image d’une Chine passive, en attente de modernisation économique et de développement social que seuls les pays occidentaux pourraient lui apporter. L’Occident serait, par conséquent, caractérisé par sa générosité à l’égard de la nation chinoise, qui ne pourrait manifester que de la gratitude et de la bonne volonté en retour. La Chine et le monde occidental entretiendraient une relation particulière à l’intérieur de laquelle ce dernier aurait la possibilité de se positionner en tant que force positive et bienveillante sur le plan international.

La conclusion de cette étude souligne la peur et la désillusion qu’entraîne la perpétuation de ces représentations faussées de la Chine dans la littérature occidentale. De plus en plus de commentateurs américains, par exemple, notent qu’il sera difficile, voire impossible, d’amener la Chine dans le giron occidental. Il serait nécessaire, selon l’auteur, que les analystes spécialistes de la Chine s’interrogent, de manière critique, sur leurs propres conceptions de l’Occident et de la Chine. À défaut, la solution proposée par Chengxin Pan consiste à s’appuyer davantage sur la littérature et les discours chinois, afin d’entretenir un dialogue et une autoréflexion plus détaillés sur la place de la Chine sur la scène internationale.

La force de cet ouvrage réside dans la problématique même posée par l’auteur, particulièrement claire, nuancée et aussi originale. S’appuyant sur un cadre théorique fourni et détaillé, Chengxin Pan alimente une réflexion sur l’occidentalocentrisme des études en Relations internationales et interpelle le lecteur grâce à des prises de position parfois audacieuses. La richesse des références utilisées et l’importante bibliographie en fin d’ouvrage confirment une étude poussée et intéressante, qui capte également l’attention du lecteur grâce à un style d’écriture particulièrement agréable. Cependant, on ne peut que reprocher à l’auteur son manque de rigueur méthodologique dans une étude qui se veut être une démonstration de force des erreurs de la littérature occidentale. Alors que Chengxin Pan souhaite dénoncer les travers des auteurs anglophones, il n’apporte lui-même aucune base méthodologique concrète qui lui permettrait de valider ses propos. Finalement, l’auteur pèche par sa volonté excessive de placer la littérature occidentale en porte-à-faux. Dès lors, la question peut être posée : l’auteur n’entretiendrait-il pas, lui aussi, quelques représentations faussées à l’égard de l’Occident ? Néanmoins, cet ouvrage demeure une interpellation intéressante sur l’omniprésence de la littérature anglophone en Relations internationales. Les lecteurs désireux de connaître ou d’approfondir les théories non occidentales sur la montée en puissance chinoise y trouveront certainement leur compte.