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XIVes Rencontres du Riuess : l’économie sociale et solidaire en coopération

Les XIVes Rencontres du Réseau interuniversitaire de l’économie sociale et solidaire (Riuess) se sont tenues à l’université Lille-1 du 21 au 23 mai 2014 sur le thème de l’économie sociale et solidaire en coopérations. Ce retour dans le Nord-Pas-de-Calais, quatorze ans après l’émergence du réseau en 2001 à l’université de Valenciennes, associait pour l’organisation des rencontres l’Institut du développement et de la prospective (IDP) et le Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé) de Lille-1. Le Riuess réunit maintenant vingt-six universités développant formations et recherches en ESS. Les rencontres de Lille ont accueilli plus de 280 acteurs et chercheurs de ce champ.

Ces trois journées ont été l’occasion de penser la coopération, autrement dit les normes de réciprocité, les règles de démocratie, les agencements entre les acteurs, etc., d’une manière située. Une fois le principe de coopération en effet énoncé, il reste à le confronter aux réalités des politiques et des pratiques dans le domaine. Ce fut là toute notre ambition.

Yves Vaillancourt, sociologue de l’université de Québec à Montréal (Uqam), nous a rappelé la nécessaire déconstruction des termes : « Il y a des concepts qui s’affadissent lorsqu’ils deviennent à la mode », évoquait-il à propos de la « co-construction » comme modalité de coopération entre acteurs. Mais ne nous y trompons pas : l’injonction à la concurrence et à la compétitivité s’impose tant dans la littérature économique standard que dans le débat public et dans les sociétés contemporaines comme une évidence. C’est la raison pour laquelle Loïc Blondiaux, politologue à l’université de Paris-1, suggérait que les acteurs économiques et sociaux sont de facto de plus en plus démunis de compétences de coopération, bien plus que de compétences de mise en concurrence dont ils sont (et dont nous sommes) abreuvés dès l’école primaire. Cette suggestion ouvrait alors notre appétence pour une réflexion sur les différents états de la coopération.

Grâce à la soixantaine de communications réalisées dans les dix-huit ateliers, auxquelles s’ajoutent une trentaine d’interventions en tables rondes, ce sont ces coopérations potentielles et en acte entre acteurs de types différents qui ont été explorées au fil des journées : coopérations au sein des structures mêmes de l’ESS ; entre acteurs de l’ESS, citoyens, chercheurs et enseignants ; entre acteurs de l’ESS ; entre acteurs de l’ESS et mouvements sociaux ; et, enfin, entre l’ESS et les pouvoirs publics. Le concept de coopération abordé à ces multiples niveaux et selon ses multiples contenus (co-construction, coordination, concertation, partenariat, dialogue social, etc.) demande toutefois à être clarifié et mis en perspective avec d’autres notions proches.

De manière générale, au niveau individuel, la propension à la coopération dépend du type de rationalité qui sera allouée aux agents. Dans le cadre d’une rationalité instrumentale maximisatrice – celle qui nourrit les principaux modèles des économistes standards –, c’est l’optimisation du bien-être individuel qui est recherchée. Les agents peuvent, le cas échéant, coopérer, mais à la condition qu’ils aient un intérêt individuel à le faire. Evidemment, pour des raisons et des fondements variés, il est intéressant de se demander si les agents peuvent avoir une inclinaison non calculatrice à coopérer. Les travaux présentés montrent au contraire que des épistémologies différentes insistent sur la nature partenariale de l’économie (voir les travaux de Dewey, par exemple). D’un point de vue plus macro, les coopérations peuvent être pensées comme des processus qui établissent des règles, des normes et des institutions, qui cherchent de nouveaux agencements entre les acteurs, qui leur permettent de construire la confiance, qui organisent des décisions de façon démocratique [1], etc. De manière plus procédurale encore, on pourra considérer que la coopération est ce projet idéal de coordination entre acteurs hétérogènes, projet jamais tout à fait atteint, modèle jamais totalement achevé, toujours en mouvement. C’est ce qui rend la « dynamique » des coopérations entre acteurs économiques, politiques et sociaux sur un territoire aussi riche de perspectives.

De nombreuses expériences analysées

A titre transitoire (un ouvrage devrait suivre dans quelques mois), ces rencontres, riches, ont permis de donner à voir les très nombreuses et diverses expériences de coopération qui ont été rapportées, déconstruites, analysées : ce fut le cas avec les conditions de la prise d’initiative solidaire ; la démocratie entre les membres des coopératives, Scop ou coopératives d’activité et d’emploi ; les relations professionnelles et les mutations des pratiques managériales dans le secteur de l’hébergement des personnes âgées ; les coopérations territorialisées et les nouvelles régulations dans le « secteur social » ; les chambres régionales de l’économie sociale (et solidaire) comme outil de coopération entre acteurs ou de « lobbying » ; le comité consultatif de l’économie sociale et solidaire en Ille-et-Vilaine, nouvel espace d’interpellation démocratique ; la construction politique d’un territoire de l’ESS, le pays Terres de Lorraine ; les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) ; les coopérations entre société civile et acteurs publics pour l’émergence d’une politique foncière locale ; les coopérations induites par des paiements pour services hydriques en Bolivie ; le lien entre tourisme et économie sociale au Québec ; la reconfiguration des relations entre Etat et associations dans la Tunisie révolutionnaire ; l’entrepreneuriat social en France ; les relations entre l’ESS, les entreprises à but lucratif et la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ; les ONG, les entreprises sociales et le social business dans le cas du Cambodge ; la Danone community, Laiterie du berger au Sénégal ; la recherche partenariale et participative ; les apports des recherches-actions ; l’engagement d’experts aux côtés d’acteurs ; les réseaux de chercheurs, la citoyenneté et l’éthique du développement solidaire et durable ; les rapports entre éducation populaire et formations universitaires ; la co-construction des savoirs et de référentiels diplômants ; les innovations pédagogiques coopératives de l’enseignement supérieur dans l’ESS ; la formation et la professionnalisation par la recherche ; la gestion de projet en master en liaison avec les acteurs de l’ESS [2]

Sans prétendre à l’exhaustivité, quelques réflexions transversales peuvent être esquissées. D’abord, d’un point de vue sémantique, la coopération est polysémique et est parfois comparée ou substituée à la mutualisation, à la réciprocité, au partenariat, etc. De même, il y a certainement un intérêt à opérer un distinguo entre co-construction et co-production (Vaillancourt) ; l’« interaction » ne porte pas la même charge symbolique que celle de « dialogue » lorsqu’il s’agit de caractériser la coopération (Larqué).

Ensuite, d’un point de vue théorique, si elle peut comme perspective idéale ou stylisée être considérée comme la participation d’individus égaux à des relations de réciprocités symétriques (comme historiquement dans les coopératives), la coopération associe de plus en plus une pluralité d’acteurs au sein de l’ESS, voire même avec les entreprises privées lucratives, avec les pouvoirs publics, avec les mouvements sociaux, avec l’enseignement et la recherche. La symétrie est discutée, et la nature des relations, interrogée. L’idée dialectique de rapports de force dans la coopération doit alors pouvoir émerger et peut, sous certaines conditions, être féconde.

Au final, ce colloque peut être considéré comme un « livre ouvert de l’ESS en coopérations », c’est-à-dire qu’une sorte de grammaire des coopérations y a été énoncée. On entend par là un espace qui enregistre et débat « les usages que les individus reprennent ou inventent pour donner sens à ce qu’ils font dans le cadre d’une activité pratique donnée » [3].

Laurent Gardin (IDP, université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis) et Florence Jany-Catrice (Clersé, université Lille-1)

Les archives historiques de l’Amsab-IHS à Gand

L’Amsab-Institut d’histoire sociale (IHS) à Gand (Belgique) est sans conteste l’un des plus importants dépositaires d’archives d’organisations ou de sociétés du secteur de l’économie sociale. Il fut créé en 1980 par le Parti socialiste belge (PSB) de l’époque, en tant que centre d’archives à portée politique pure. Rapidement, son champ d’action s’élargit pour embrasser toutes les organisations du pilier socialiste, regroupant ainsi des archives syndicales, de mutualités et de coopératives. Au cours de cette dernière décennie, l’Amsab-IHS s’est développé, jusqu’à devenir le centre de conservation du patrimoine des mouvements militants sur les plans social, humanitaire et écologique. Il rassemble et conserve les patrimoines mobilier et immatériel relatifs à des thèmes aussi divers que le travail, le socialisme, le communisme, l’émancipation sociale, la pauvreté, l’écologie, l’axe Nord-Sud, la migration, les droits de l’homme, la question du genre, le mouvement LGBT, la paix ou encore le libéralisme. L’Amsab-IHS met ce patrimoine en valeur et gère les relations avec le public, en concertation avec la large communauté du patrimoine qui en reconnaît la valeur sociale. Non seulement l’Amsab-IHS stimule et facilite la recherche scientifique, mais il est également un interlocuteur reconnu au sein de cette sphère scientifique nationale et internationale. En tant que centre de recherche et d’expertise, l’organisation déploie une maîtrise qu’elle veille à transmettre au public intéressé et à partager avec des institutions partenaires à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de la Belgique.

L’essentiel des archives en rapport avec l’économie sociale est constitué d’archives de coopératives. L’Amsab-IHS possède des fonds d’archives émanant de diverses fédérations de coopératives socialistes, notamment ceux de la Fédération des sociétés coopératives belge (FSCB), de l’Office coopératif belge (OCB), de la Société générale coopérative (SGC ; Algemene Coöperatieve Vennootschap), ainsi que de la Fédération des coopératives belges (Febecoop ; Federatie der Belgische Coöperaties). Quoique l’on doive déplorer des pertes consécutives à la vente ou au transfert de parties du patrimoine « bâti », les diverses fédérations ont constitué de volumineuses archives, dont la majeure partie provient de la période de l’après-guerre. Celles de la FSCB (1901-1956), de la SGC et de l’OCB (1909-1992) sont en libre accès, dans le respect de la législation en matière de conservation des archives et du respect de la vie privée. Celles de la Febecoop (1971-…) n’ont pas encore été complètement traitées à ce jour et ne sont donc pas consultables, sauf requête argumentée. Nous disposons de documents d’archives rédigés dans les deux langues, sans que l’on puisse toutefois parler d’un bilinguisme total, car jusque dans les années 50 (à partir desquelles le néerlandais fut plus usité) toutes les organisations nationales faisaient un usage exclusif de la langue française.

L’Amsab-IHS abrite également des archives (partielles) de quelques autres coopératives nationales. Il s’agit surtout de coopératives de consommation chargées à l’origine de la distribution de pain et de charbon, mais qui proposeront bien vite une large gamme de produits par le biais de magasins, de cafés (maisons du peuple) et de pharmacies. Elles disposaient également de salles de fête et de projection. On y trouve aussi des archives émanant de coopératives de production, surtout des imprimeries. Pendant les difficiles années 70, la gestion de certaines coopératives fut reprise par les fédérations nationales. Citons à cet égard la maison du peuple (devenue Coop Bruxelles) ou encore l’Union des coopérateurs borains (UCB, devenue par la suite Semel Quaregnon), par le biais desquelles leurs archives sont venues compléter celles de la SGC. D’autres archives furent transférées indépendamment ou trouvées au sein de conglomérats d’archives des sections locales de l’Action commune socialiste, souvent conservées au sein des différentes maisons du peuple. La liste est relativement hétérogène. L’Amsab-IHS gère les archives d’une vingtaine de coopératives issues de toutes les provinces, à l’exception de celles du Limbourg, de Luxembourg et de Namur. La liste est trop longue pour pouvoir en rendre compte de façon détaillée. Par ailleurs, nous trouvons dans certains fonds des documents de sections de l’Action commune socialiste et du Parti socialiste belge (PSB), également issus de coopératives locales. Même en l’absence d’archives, le journal de la plupart des coopératives locales de Flandre a été conservé (journal qui portait souvent le même nom que la coopérative). Il est à noter que la plupart des documents ont été rédigés dans la langue de la région d’activité de la coopérative, même s’il n’est pas rare de trouver des documents en français au sein d’archives de nombreuses coopératives flamandes, le français étant en effet la langue la plus usitée dans les fédérations, et ce jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale.

Les archives de Maurice Dequenne (1972-1977) constituent des pièces d’exception. Celui-ci, membre du personnel de la Febecoop, fut chargé de la liquidation des coopératives wallonnes et reprit, à ce titre, la mission de la Société nationale de gestion coopérative (Naco, 1930-1972), dont les archives sont également conservées à l’Amsab-IHS. Au sein des archives de précurseurs du mouvement coopératif socialiste (celles d’Edward Anseele sr., d’Henriëtte d’Hollander-de Backer ou encore d’Adolf et Jozef de Backer), on trouve souvent des documents précieux pour les chercheurs, mais absents des archives des coopératives où ces pionniers exercèrent leur activité.

En marge de la SCG et de la Febecoop, un certain nombre de coopératives « nationales » étaient et sont encore actives dans des domaines variés. Nous pensons avant tout à la banque coopérative d’épargne Codep (1935-1995) et à son prédécesseur le Comptoir de dépôts et de prêts (CDP), à l’organisation soeur Fidu-Coop (1942-1990), la fiduciaire du mouvement coopératif. Mentionnons encore les sociétés Belgistim (1936-1950), Intercobel (1945-1965) et Soccom (1936-1939). Certaines sont comptées parmi le mouvement coopératif, bien qu’elles soient des sociétés anonymes par leur forme juridique. Cela vaut également pour la Banque belge du travail (BBT) et son successeur la Société belge d’intérêts industriels et financiers (SBIIF), moteur des coopératives socialistes sans en être une elle-même.

Les archives de la Ligue nationale des coopératrices belges (LNC ; Koöperatieve Vrouwenbeweging, KVB) sont considérables, mais seule une petite partie de celles-ci sont aujourd’hui mises à disposition.

Cette organisation disposait également de sections régionales et locales, dont la Gentse Koöperatieve Vrouwenbond De Samenwerkster (1960-1992) est incontestablement la plus connue. Les archives de la société d’assurances Prévoyance sociale et de ses sociétés soeurs (1919-1982) sont également conservées et administrées par l’Amsab-IHS.

Enfin, n’oublions pas les organisations qui se concentrent sur l’éducation coopérative ou la promotion des pensées coopératives, notamment après la liquidation de la FSCB. Ainsi, les archives du Centre d’études coopératives (1945-1968), de l’Office national de la coopération à l’école (1954-1967) et des Propagateurs de la coopération (1925-1983) y sont consultables. Quant au Beste Boek (1951-1968), une centrale d’achat de livres au sein du pilier socialiste, il jouit d’une moins grande renommée.

Quelques coopératives étaient actives dans le cadre de la construction, de l’achat et de la location de logements, comme le Goede Werkmanswoning à Gand (1925-1996) et la Oostvlaamse Huurderscoöperatie (1950-1982). Ces exemples furent suivis dans les années 70 et 80 par des coopératives au profil politique moins circonscrit, comme le Huurdersvereniging Gewestelijke Samenwerkende Maatschappij voor Huisvesting Leuven (1984-1992).

Nous constatons donc que ce ne sont pas uniquement les coopératives issues de l’aile socialiste classique qui ont confié leurs archives à l’Amsab-IHS. De nouvelles coopératives également, comme la banque coopérative NewB, ou des organisations actives dans une perspective plutôt écologique dans le secteur de l’économie sociale, comme Mens & Milieuvriendelijk Ondernemen (1989-2000) ou Wilfried De Vlieghere (1980-1995), nous ont déjà transféré leurs archives (numérisées). Les archives récentes sont souvent unilingues, car il s’agit en majeure partie d’organisations et de mouvements actifs en Flandre uniquement.

Martijn Vandenbroucke
(Texte traduit du néerlandais par Paule Verbruggen.)

Le mouvement coopératif au sommet du B20 : une reconnaissance inédite

Lors de la survenance de la crise financière de 2008, les gouvernements ont décidé, pour faire face aux risques majeurs, d’instaurer un lieu de concertation plus large que le seul G7 composé des pays les plus développés. Les sommets de Washington (novembre 2008), de Londres (avril 2009) et de Pittsburg (septembre 2009) ont fait émerger un début de gouvernance de la planète financière en donnant une impulsion afin de créer un nouveau cadre de régulation de l’activité financière.

Le pire ayant été écarté dans le monde financier et la crise financière s’étant transformée en crise économique, les gouvernements du G20 ont souhaité élargir leur champ de vision au secteur du commerce international et de l’industrie. En conséquence, lors du sommet de Toronto (juin 2010), le gouvernement canadien a pris l’initiative de convier, en avant sommet, des dirigeants de grande entreprise pour échanger avec eux sur l’état des lieux et les mesures à adopter. De là est issue la création du Business 20 (B20).

Cette initiative sera poursuivie lors du G20 de Cannes (novembre 2011) par la Corée, mais prendra une dimension plus institutionnelle. Ce sommet se tenant quelques jours après le lancement de l’Année internationale des coopératives au siège de l’ONU, à New York, le mouvement coopératif international avait engagé des démarches pour accéder à l’enceinte du B20. Forts du slogan de l’année internationale, « Les coopératives, des entreprises pour construire un monde meilleur », les dirigeants du mouvement coopératif international pensaient en effet pouvoir apporter une vision différente de celle du big business. Les démarches bien engagées avec le gouvernement ne furent pas couronnées de succès auprès du Medef, qui avait été chargé d’organiser cette rencontre. Les tentatives renouvelées vis-à-vis du Mexique et de la Russie ne furent pas plus fructueuses.

Les choses ont pris un tour nouveau grâce à la présidence australienne du G20. Compte tenu de l’objectif retenu (accroître de deux points la croissance collective des pays membres du G20 d’ici à 2018), le gouvernement australien a décidé de largement ouvrir le comité d’organisation à ces différents opérateurs économiques. A ce titre, il a décidé d’inclure le docteur Andrew Crane, PDG de la coopérative céréalière australienne CBH. Celui-ci a ainsi pu faire valoir la place occupée par les coopératives dans la vie économique mondiale : 1 milliard d’individus sont coopérateurs dans le monde.

Une recommandation discrète, mais sans précédent

Eu égard au tropisme mondialiste de cette enceinte et aux thèmes retenus par le gouvernement australien (financement de la croissance, développement du commerce mondial, développement des infrastructures et des ressources humaines), il n’était pas facile de faire reconnaître la place des coopératives. Une avancée a néanmoins pu être réalisée : incluse dans les recommandations finales du B20 destiné au G20 du mois de novembre 2014, figure une référence directe au secteur coopératif et mutuel. Bien que discrète, celle-ci précise que « la mutualisation des organisations d’infrastructure et de ressources peut présenter des opportunités ». Par cette référence, les recommandations du B20 soutiennent dorénavant le potentiel du secteur coopératif pour les gouvernements qui cherchent à sortir des actifs du domaine public.

Fidèles à leur engagement « pour le bien des membres », les coopératives et les mutuelles ont prouvé qu’elles étaient d’excellents gardiens de la chaîne d’approvisionnement, de l’énergie et de l’infrastructure en général. Il est en effet important de faire reconnaître qu’afin de parvenir à des effets positifs pour l’économie et les populations le développement des infrastructures ne se réduit pas aux seuls grands projets.

Pour les coopératives agricoles : espoirs à l’international, menaces nationales

Avec une progression de 3,3 %, c’est le secteur agroalimentaire qui a le plus porté les exportations dans la balance commerciale 2013 de la France. Les coopératives agricoles doivent saisir le développement de l’alimentation mondiale comme relais de croissance, s’affranchir des contraintes liées à la distribution dans le pays et améliorer la rentabilité : ce sont les raisons qui poussent les coopératives à partir à la conquête des marchés mondiaux. Il est nécessaire de rechercher des sources de croissance externe et il faut lever les barrières culturelles, politiques et économiques à l’export.

Le nombre de barrières dites non tarifaires a explosé depuis la crise financière mondiale. Six cents nouvelles barrières de restriction du commerce dans le monde entier ont émergé depuis 2008, augmentées par neuf cents barrières commerciales « camouflées ».

Les treize recommandations faites par la délégation coopérative au B20 ont porté sur la réduction de ces barrières tarifaires et de la bureaucratie dans le commerce. Tout ce qui diminue le temps de douane, réduit l’administratif ou pré-approuve les transits des biens économise de l’argent dans la chaîne d’approvisionnement pour les coopératives.

La future Exposition universelle de Milan, intitulée « Nourrir le monde », devrait être une autre occasion pour les coopératives agricoles de valoriser leur rôle.

Par ailleurs, les représentants des coopératives australiennes participant à la réunion de Sydney n’ont pas manqué de faire remarquer la volonté du gouvernement libéral actuel de réduire la place des coopératives et des mutuelles.

Dans le même temps, le gouvernement libéral japonais, dirigé par Enzo Abe, a décidé de remettre en cause la place et le rôle des coopératives agricoles dans son pays, ce qui a conduit le mouvement coopératif japonais à demander l’assistance du mouvement coopératif mondial.

La responsabilité sociale entrepreneuriale, grande absente à l’agenda

La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est un concept dans lequel les entreprises intègrent les questions sociales et environnementales au même titre que les questions économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes – clients, personnel et habitants de leur lieu d’implantation. Cette approche, dite triple bilan, dépasse donc le simple souci de l’environnement, cette dernière approche s’étant montrée non durable.

Il faut remarquer que les conclusions du B20 n’ont pas laissé de place à des propositions sur le développement durable et l’engagement des entreprises dans ce domaine via la RSE. En contrepoint, il faut se réjouir du positionnement du mouvement coopératif découlant de l’adoption à la fin de l’année internationale des coopératives, en 2012, d’une déclaration pour une décennie de croissance coopérative où les coopératives se positionnent comme des constructeurs de durabilité.

Jean-Louis Bancel

Le séminaire de l’Addes sur la loi ESS

Depuis 1981, l’Association pour le développement et la promotion de l’économie sociale (Addes) a participé au mouvement des idées engagé par les responsables des entreprises de l’économie sociale qui a conduit à la loi de juillet 2014. Il lui a donc semblé légitime de prendre part aux débats avant même que les derniers arbitrages soient faits par les parlementaires.

Le 17 juin dernier, l’Addes a ainsi rassemblé quatre-vingts personnes lors d’un séminaire sur le thème « Le projet de loi relatif à l’éco- nomie sociale et solidaire : enjeux et perspectives ». Danièle Demoustier, économiste à Sciences-Po Grenoble et membre du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS), a introduit le séminaire en rappelant que ce projet de loi était l’aboutissement d’une démarche annoncée dès 2011 par Roselyne Bachelot. Fruit du travail collectif mené au sein du CSESS et inspiré par les réflexions du rapport Vercamer (2010), le processus s’est accéléré grâce au volontarisme de Benoît Hamon, alors ministre de l’ESS.

Une loi « levier » et « inclusive »

Reconnaissant la possibilité de produire et d’entreprendre autrement, cette loi est inclusive, car elle définit un périmètre ouvert aux entreprises hors des statuts juridiques canoniques mais adoptant des principes analogues comme cadre de leur fonctionnement. Pour Danièle Demoustier, les enjeux de cette loi sont importants. De fortes attentes existent de la part de la puissance publique pour développer le potentiel de l’ESS et ses emplois. La nécessité d’un changement d’échelle pour un impact plus fort, la confiance dans ses capacités d’innovation sociale pour l’invention de nouveaux modes d’action et le renforcement de sa structuration politique aux niveaux national et régional sont visés. Cette volonté d’organisation manifeste en filigrane un souci des pouvoirs publics d’encourager les entreprises à avoir des comportements conformes à leurs règles. Pour atteindre ces objectifs, la loi clarifie les formes de la commande publique et du subventionnement en même temps qu’elle diversifie les modes de financement accessibles aux entreprises de l’ESS. Elle est « un levier pour une série de processus qui devraient s’enclencher et se renforcer dans l’avenir ».

La deuxième intervention, présentée par Henry Noguès mais conçue par Isabel Gemma Fajardo, professeur de droit commercial à l’Université de Valencia, a décrit la situation en Espagne. Dès 1990, l’Etat avait créé un Institut de promotion de l’économie sociale (Infes). Un travail parlementaire engagé en 2007 a abouti à la loi du 29 mars 2011. Il s’agit aussi d’une loi inclusive. Elle intègre notamment des sociétés de travailleurs au statut spécifique et reste ouverte à des entreprises qui font référence dans leurs statuts aux principes de l’économie sociale. La structuration et la promotion de l’ES sont au coeur de la loi, avec la création d’un conseil de promotion de l’économie sociale, proche de notre CSESS et tenant compte des compétences des communautés autonomes. La mise en application de la loi (création du registre des entreprises, constitution du conseil de promotion de l’ES) a pris du retard. La loi a cependant déjà favorisé un rapprochement entre les acteurs. Le réseau de l’économie alternative et solidaire (Reas) a intégré la Confédération des entreprises de l’économie sociale (Cepes) et un accord de coopération vient d’être signé avec la plateforme du tiers-secteur qui rassemble associations d’action sociale et fondations. Le processus semble aussi se débloquer du côté du gouvernement, ce qui permet un optimisme relatif.

Le séminaire s’est achevé par une table ronde animée par Philippe Kaminski et croisant les regards de cinq acteurs engagés. Hugues Sibille, ancien délégué interministériel, s’est réjoui de voir votée cette loi après trente-cinq ans de militantisme actif. Il s’est félicité qu’elle soit inclusive, permettant ainsi aux initiatives plus récentes de l’économie solidaire et de l’entrepreneuriat social de rejoindre le mouvement. Provenant de la base, favorisant l’inscription territoriale des entreprises et ayant comme pierre d’angle les notions d’entreprendre et d’entreprise, cette loi est un progrès. Il s’est toutefois interrogé sur qui la fera vivre et sur quelle politique publique l’accompagnera.

L’ancien chef de cabinet de Benoît Hamon, Jérôme Saddier, devenu directeur général d’une mutuelle, a évoqué le formidable travail d’explication de la réalité de l’ESS qu’il a fallu entreprendre auprès des autres ministères. Le souci principal était de réaliser une loi créant véritablement du droit, et non simplement une reconnaissance formelle. Il a regretté qu’il ait été impossible d’aller plus avant sur la question d’une charte ou d’un label. L’administration de la preuve de pratiques spécifiques, sources d’utilité sociale, reste donc à l’agenda des acteurs de l’ESS. La conjoncture et les problèmes d’emploi ont imprimé leur marque au texte, mais la question du droit de reprise des salariés, en activant le débat, a renforcé la dynamique en faveur de la loi.

Une loi saluée, malgré des réserves

Chantal Chomel, directrice des affaires juridiques et fiscales à Coop de France (CoopFr), a exprimé la crainte que la loi ne soi qu’un outil de communication masquant le manque d’une véritable politique publique dans le domaine. Certains changements dans l’organigramme administratif du pays laissent même à penser que cette loi, bien française, reflète aussi un lien fort (trop ?) de l’ESS avec l’Etat. Enfin, la réalité du changement de taille des coopératives est un phénomène largement engagé, mais il s’accompagne aussi de la création de nouvelles petites coopératives qui naissent à la base (coopératives d’habitants, nouvelles filières, etc.). L’ESS est en mouvement, et il aurait fallu s’intéresser aux filiales des entreprises de l’ESS, ce que la loi ne fait pas.

Le président du Conseil national des chambres régionales d’économie sociale et solidaire (CNcress), Jean-Louis Cabrespines, a souligné le long travail nécessaire qu’il a fallu mettre en oeuvre pour dépasser la première version de la loi, qui se limitait à une description des secteurs d’activité où les entreprises de l’ESS se trouvaient, pour parvenir à l’affirmation véritable d’un mode d’entreprendre différent. Le progrès est significatif. La place de l’ESS dans les territoires est réaffirmée et sa structuration est consolidée. L’Etat a manifesté le souhait d’avoir des interlocuteurs représentatifs, mais des questions essentielles se posent et parmi elles celle de l’articulation entre les niveaux régional et national et celle d’une conjugaison compatible de l’adhésion individuelle des entreprises aux Cress avec l’existence de leur organisation fédérative et sectorielle.

La dernière intervenante, Christel Prado, est justement la présidente de l’une de ces organisations, l’Union nationale des parents d’enfants inadaptés (Unapei), qui fédère 550 associations rassemblant 60 000 familles. Elle a assumé totalement l’idée que les parents militants sont devenus par la force des choses des entrepreneurs. Elle s’est réjouie que la nouvelle loi donne l’occasion à son mouvement de prendre une place dans l’ESS sans être mutilé. Elle a en effet rappelé que, lors de la préparation de la loi sur la compensation du handicap de 2005, de fortes pressions extérieures s’étaient manifestées pour séparer les associations et les entreprises qu’elles animent. Avec ce respect de l’identité associative, la primauté du projet politique peut s’inscrire dans la gouvernance des entreprises issues de l’engagement militant. Enfin, la volonté de l’intégration des personnes en situation de handicap dans la société peut être facilitée par l’implication du mouvement dans la dynamique de l’économie sociale et solidaire.

Au cours de la matinée, trois focus sur les principales familles ont ponctué la réflexion. Arnaud Lacan (Maif) a exprimé un point de vue mutualiste, se réjouissant de l’existence de nouveaux outils, mais regrettant l’absence d’une définition du sociétaire qui marque la double qualité de l’assuré. Caroline Naett (CoopFr) s’est inquiétée que la loi ne suffise pas pour « percer la carapace administrative » et changer la culture des ministères à l’égard des coopératives. L’extension du principe de la révision coopérative est une avancée, mais une incohérence avec le guide de bonnes pratiques reste possible. Enfin, Colas Amblard (ISBL-consultant) a souligné qu’il est important que le statut associatif soit reconnu comme un mode d’entreprendre autrement, que la participation des associations à la construction des politiques publiques soit réaffirmée et que plusieurs outils permettent un développement plus sécurisé des associations.

Une matinée dense et riche par les échanges suscités, dont les actes figurent in extenso sur le site de l’Addes.

Henry Noguès, président de l’Addes