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Paul Ricoeur et Michel Foucault ont tour à tour fait de l’herméneutique l’objet d’une réflexion à la fois épistémologique et critique. Mais, alors que chez le premier l’herméneutique relève d’une méthode d’interprétation du soi greffée à la phénoménologie de l’homme coupable/capable, elle est davantage reléguée, chez le second, à une pratique d’assujettissement et de véridiction dont il est possible de faire la généalogie. Or, malgré cette différence cardinale, il semble que dans les deux cas, qu’il soit entendu comme pratique ritualisée ou comme discours institué, l’aveu constitue l’ouverture primordiale vers le problème de l’herméneutique.

Comment et en quel sens le problème de la confession peut-il devenir une porte d’entrée dans l’herméneutique ? Par « porte d’entrée » il faut entendre, d’une part, le problème qui conduit Paul Ricoeur au coeur de la méthode herméneutique, et, d’autre part — ce qui est moins analysé par Ricoeur lui-même —, l’émergence d’une pratique qui, historiquement, a rendu l’herméneutique possible — ou du moins, une certaine herméneutique, conçue comme technique de manifestation de la vérité du sujet. L’histoire critique de la subjectivité proposée par les dernières recherches de Michel Foucault reste sur ce point primordiale : l’herméneutique résulte selon lui de l’émergence de techniques de soi issues de la pratique pénitentielle de la confession[1].

Affirmer que l’historicité de la pratique de l’aveu n’a pas été explicitement traitée par Ricoeur peut d’abord surprendre. En effet, dès ses premiers écrits d’herméneutique, Ricoeur soutient que l’aveu est à la source du problème du double-sens qui induit la nécessité de l’interprétation. Il souligne de ce fait l’historicité de l’aveu, essentiellement en concédant que l’aveu est intimement lié à l’histoire de l’Occident. Il reconnaît entre autres l’historicité de la pratique de l’aveu dans la formulation de l’imputation morale, en différenciant notamment la contribution des Juifs et celle des Grecs dans la formation de la pénalité juridique[2].

Mais l’historicité de la pratique, en ce qu’elle est constitutive d’une relation de pouvoir, soit l’histoire du développement des techniques ayant conduit la pratique confessionnelle à orienter l’expérience politique, c’est-à-dire les « conduites » — la « gouvernementalité » — n’est jamais thématisée ni même prise en considération par Ricoeur ; ce cadre politique est en tout cas ignoré dans sa première herméneutique, et Ricoeur le dit d’ailleurs lui-même, il ne s’intéresse alors qu’au « texte », plus préoccupé par la question de la culpabilité et de son rapport à la conscience[3]. Il lui manque, pour donner une consistance politique à ce problème, une théorie du pouvoir — ou, ce que Foucault appelle une analyse des « régimes de vérité ». Certes, il serait toujours possible d’objecter que cela n’a jamais été son problème et, qu’au fond, la confession peut être historiquement analysée sans se référer au principe politique de la gouvernementalité. Il est cependant possible de soutenir, face à cette objection, qu’une telle approche du problème oblitère la prise en considération de la structuration sociale ayant mené l’aveu à devenir une pratique de la manifestation de la vérité cachée, d’abord dans la direction de conscience des premiers chrétiens, puis sous la forme d’une pratique sécularisée, comme c’est le cas pour la psychanalyse. Ce que Foucault retient et, parallèlement, ce que Ricoeur élude, c’est le principe politique de la confession, qui est, pour le dire en un mot, l’ensemble des « procédés […] par lesquels le christianisme a lié les individus à l’obligation de manifester leur vérité[4] ».

Que l’aveu soit la possibilité de faire des mythes de l’origine ou de la fin du mal un problème philosophique, ou qu’il relève plutôt d’une technique élaborée afin de servir une technologie politique des individus, il se situe, dans les deux cas, à la source de l’herméneutique. Dans cet horizon, l’herméneutique peut alors être entendue comme méthode d’interprétation de la symbolique du mal par laquelle un sujet s’avoue fautif (Ricoeur) ou comme technique d’extorsion de la parole objectivée par laquelle l’individu devient sujet de vérité (Foucault). Malgré cette divergence d’hypothèse quant à l’origine de l’herméneutique, il est possible de parler de l’aveu en termes de « processus de subjectivation » : dans les deux cas, il y a production d’un sujet dans la mesure où une reconnaissance de l’imputation morale et de la responsabilité est portée au langage.

La dialectique de la symbolique du mal

À la manière de Hegel, qui affirmait à propos du symbole qu’il est « une représentation mourante en marche vers le concept[5] », passant des formes plus archaïques aux concepts plus spéculatifs, Ricoeur reconstruit une chaîne conceptuelle formée d’un enchaînement dialectique des symboles du mal. L’aveu ne peut être historiquement compris qu’à partir de ses manifestations symboliques qui toujours s’articulent dialectiquement. C’est le principe directeur de sa reconstruction, ainsi que son originalité profonde : il ne se contente pas de formuler des idéaux-types à la manière de Mircea Éliade, envers qui il reconnaît cependant une dette certaine[6]. Ricoeur reprend le terme de « hiérophanie » cher à Eliade, afin d’insister sur la capacité du symbole à manifester une puissance cachée (sacrée) de l’être, à la fois cosmique et psychique :

C’est cette fonction du symbole comme jalon et comme guide du “devenir soi-même” qui doit être reliée et non point opposée à la fonction “cosmique” des symboles, telle qu’elle s’exprime dans les hiérophanies décrites par la phénoménologie de la religion. Cosmos et Psyché sont les deux pôles de la même “expressivité” ; je m’exprime en exprimant le monde ; j’explore ma propre sacralité en déchiffrant celle du monde[7].

Or que reste-t-il de l’aveu, une fois dégagé de ses expressions symboliques ? L’aveu, nous dit Ricoeur, c’est ultimement la « conscience jugée[8] », c’est l’expression langagière de la culpabilité sous la forme de l’auto-observation et de l’auto-accusation. Cette définition de la conscience jugée est le terminus ad quem du parcours de la symbolique, la maximalisation du rapport conscient à la faute. En ce sens, la culpabilité n’est pas exactement la faute :

La culpabilité se comprend par un double mouvement à partir des deux autres « instances » de la faute : un mouvement de rupture et une mouvement de reprise. Un mouvement de rupture qui fait émerger une instance nouvelle — l’homme coupable — et un mouvement de reprise par lequel cette expérience nouvelle se charge du symbolisme antérieur du péché et même de la souillure pour exprimer le paradoxe vers lequel pointe l’idée de faute, à savoir le concept d’un homme responsable et captif, mieux, d’un homme responsable d’être captif, bref le concept de serf-arbitre[9].

Et dans ce parcours, le terminus ad quo s’avère être la figure de la souillure, que l’on peut définir comme une sublimation de la crainte, articulée par la figure de l’infection du dehors et du symbolisme du pur et de l’impur, l’image de la tache servant ici le « schème premier du mal[10] ».

Le péché se situe pour sa part entre ces deux extrémités. Ce n’est plus une caractérisation positive, qui apparaît du dehors et touche l’homme (comme dans le cas de la souillure), mais une symbolique fondée dans la relation : d’abord dans la rupture, c’est-à-dire dans l’éloignement de Dieu, la perte de repère, l’errance, la fuite ; puis ensuite en tant que captivité, c’est-à-dire par une soumission au regard de Dieu, qui « sonde les reins et le coeur », qui fait de l’homme un être prisonnier ; ce dernier, puisqu’il ne peut se détourner de l’omniscience divine, intériorise progressivement le regard absolu pour le transformer en soupçon, en conscience de la culpabilité [11]. Le péché est donc le « moment ontologique », la situation « réelle » de l’homme devant Dieu, alors que la culpabilité est le « moment subjectif » de la faute, la reprise de cette situation réelle par la conscience[12].

Le point de départ est une phénoménologie de l’aveu. Par phénoménologie, Ricoeur entend ici une description des significations impliquées dans l’expérience, dans une expression de langage particulière : la confession. Une telle démarche implique d’abord de s’attarder aux expressions les moins cohérentes et les moins rationnelles de la confession pour ensuite s’élever aux expressions plus « conscientes », comme par exemple les métaphores du tribunal, qui relèvent d’une pratique de l’auto-observation, où le Mythos a progressivement laissé place au Logos. Nous avons alors, suivant Ricoeur, une suite dialectique de formes qui s’articulent ainsi : le mythe de la souillure est la forme la moins développée conceptuellement, la plus archaïque de la symbolique du mal, alors que la culpabilité serait l’expression la plus engagée par la « conscience scrupuleuse », mais la plus pauvre symboliquement.

Une anthropologie de la faillibilité

Maintenant que l’aveu a été défini en posant sa progression dialectique dans les formes qui vont de la souillure à la culpabilité, il s’agit de mettre en lumière l’ancrage du problème dans une anthropologie de la faillibilité, pour ensuite rappeler brièvement le mouvement qui conduit Ricoeur à quitter l’analyse anthropologique du premier tome de Finitude et culpabilité (précisément nommé L’homme faillible) vers l’herméneutique naissante déployée dans le second, La symbolique du mal.

Le concept d’aveu répond d’abord à une analyse de la finitude dans son lien dialectique à l’« infinitude ». Ricoeur est en ce sens fidèle à Kant pour qui la finitude est davantage résultat qu’origine. Pour Kant, l’homme est d’abord un être raisonnable, mais dont la sensibilité fait de lui un « être raisonnable fini ». La finitude est radicale, certes, mais elle tend à être dépassée par l’exercice de la raison. Contrairement à Heidegger et, dans un certain sens, Foucault, qui font de la finitude une donnée radicale indépassable qui doit être prise en elle-même, de manière positive, se développant sans égard au concept d’infini, Ricoeur conçoit la finitude comme une étape dans une dialectique composée de l’infini et de l’homme lui-même. Ce dernier est alors pensé comme « limitation », médiation imparfaite, fragile, « mixte » d’affirmation originaire et de négation existentielle : « L’homme, dit Ricoeur, c’est la Joie du Oui dans la tristesse du fini[13]. » La faille, dans le mot « faillibilité », c’est précisément la distance entre une médiation parfaite et une médiation imparfaite.

Le problème premier pour Ricoeur consiste à trouver une méthode afin de s’engager dans la voie de l’interprétation de la faillibilité, une donnée empirique, « anthropologique » et qui, de fait, est sujette à la description. Ce qui est véritablement susceptible de description ici, ce n’est pas le mal lui-même, par essence inexplicable, mais son « assise anthropologique ». Par assise anthropologique, il faut entendre la manifestation du mal dans les objectivations que sont les mythes ou les symboles, des confessions essentiellement articulées par des « actes de langage » que Ricoeur désigne comme « parole ». C’est ainsi que la faillibilité, indique Ricoeur, est « la condition du mal bien que le mal soit le révélateur de la faillibilité[14] ». Cela veut dire qu’il faut un lieu, une surface de réfraction ou de projection du mal, pour que la faillibilité soit enfin lisible ; en retour, la faillibilité n’est que la condition de manifestation du mal. Il y a donc, dans un premier temps, une limitation ontologique, une constitution originaire de l’homme par laquelle la possibilité de faillir se réalise (car c’est par la « fragilité de la médiation que l’homme opère dans l’objet[15] ») et, dans un second temps, une « nature humaine » dont relève cette possibilité même (la faute résultant, nous le verrons à l’instant, d’un « pouvoir de faillir »).

Résumons notre propos : c’est la condition même de la faillibilité qui sert de concept heuristique pour une telle tentative d’explicitation de la manifestation du mal, et c’est sur un plan de positivités que devra être livrée la manifestation de cette condition : « la “disproportion de soi à soi” qui caractérise l’homme est pouvoir de faillir, au sens où elle rend l’homme capable de faillir[16] ». En plaçant ainsi la faillibilité sur le plan des capacités humaines, Ricoeur dégage une première voie possible pour l’herméneutique au sein de l’anthropologie : sa fonction sera de pallier l’aporie d’une phénoménologie qui voudrait prétendre décrire uniquement ce phénomène en interprétant les formes langagière dans lesquelles se pose l’aveu du mal :

[…] [A]insi le mal, du moment même où « j’avoue » que je le pose, paraît naître de la limitation même de l’homme par la transition continue du vertige. C’est cette transition de l’innocence à la faute, découverte dans la position même du mal, qui donne au concept de faillibilité toute son équivoque profondeur ; la fragilité n’est pas seulement le « lieu », le point d’insertion du mal, ni même seulement l’« origine » à partir de laquelle l’homme déchoit ; elle est la « capacité » du mal. Dire que l’homme est faillible, c’est dire que la limitation propre à un être qui ne coïncide pas avec lui-même est la faiblesse originaire d’où le mal procède. Et pourtant le mal ne procède de cette faiblesse que parce qu’il se pose. Cet ultime paradoxe sera au centre de la symbolique du mal[17].

Ricoeur affirme que « le mal se pose » : qu’est-ce à dire ? Tout d’abord, que l’affirmation originaire de l’être (son désir d’exister) implique une négation existentielle, une négation de la finitude vécue sous la reconnaissance d’une capacité, d’un pouvoir-faire : « il n’y pas de mal être. Il n’y a que le mal-faire-par-moi[18] », affirme souvent Ricoeur. Puis, cela indique que l’explication d’une telle position du mal dans l’existence repose sur une anthropologie philosophique qui, après avoir précisé la faiblesse constitutionnelle permettant l’existence du mal, doit intégrer une méthode d’interprétation pouvant rendre compte de l’équivocité des expressions de la faute, sous peine de n’être qu’une analyse désincarnée, ignorante du fait que la représentation du mal a essentiellement lieu sur le mode de l’imaginaire, qu’elle est, bref, une répétition en imagination et en sympathie. L’élaboration d’une anthropologie philosophique passera donc nécessairement par l’intégration d’autres formes d’attestation du soi, comme le symbole[19]. Il y a, autrement dit, un écart entre finitude et imaginaire de la faute reflété par le hiatus théorique entre phénoménologie de la faillibilité et symbolique du mal. C’est pourquoi Ricoeur parle de « vertige » et de « paradoxe ». Pas étonnant du reste que nous retrouvions ici l’idée foucaldienne selon laquelle l’homme serait un « doublet empirico-transcendantal » : à la fois la condition de possibilité de son affirmation tout en étant le résultat objectivé de ce qu’il affirme, l’homme est celui qui, tout à la fois, rend le mal possible et, par l’affirmation de cette faillibilité, devient celui à qui le langage du mal impute l’acte : la faute.

Le véritable tour de force de Ricoeur reste toutefois la transposition qu’il propose de cette tension entre anthropologie et herméneutique au plan même de l’analyse des grands mythes. En choisissant de faire du mythe adamique la variation imaginative autour de laquelle se subsument tous les autres mythes de la symbolique du mal, Ricoeur vient ancrer la possibilité du mal dans sa représentation la plus anthropologique : le mythe adamique. Ce récit de l’innocence et de la « chute » dessine une origine du mal qui se confond avec l’origine de l’humanité elle-même, où le mal ne résulte pas tant de la méchanceté du coeur humain que d’un mauvais usage de la volonté libre, une « puissance de défection[20] ». Ce mythe concentre en un seul acte toute la genèse du mal sur terre : cet acte creuse l’« écart » (plutôt que la « chute », terme impropre selon Ricoeur, puisqu’il suppose d’avoir tout d’abord été élevé au-dessus de sa condition avant de tomber…) entre la « bonté de l’homme créé par Dieu » et la « méchanceté de l’homme historique ». Ce mythe est, pour le dire tout simplement, une tentative d’explication de l’universalité du mal, le premier Adam représentant l’humanité tout entière. La rationalité inhérente au mythe adamique se résume à sa tentative d’ « innocenter Dieu » et ainsi révéler l’historicité du mal, soit le fait que le mal n’est pas à l’origine des choses, mais contingent à l’apparition de l’homme sur terre : « Cette distinction du radical et de l’originaire est essentielle au caractère anthropologique du mythe adamique ; c’est elle qui fait de l’homme un commencement du mal au sein d’une création qui a déjà son commencement absolu dans l’acte créateur de Dieu[21]. » Le mythe adamique a donc pour fonction de dédoubler l’origine du mal : l’origine radicale, c’est la possibilité de la faute, du péché, alors que l’origine « originaire », c’est l’« être-bon des choses »[22]. Plus près alors de sa première anthropologie, selon laquelle l’« affirmation » est toujours première, Ricoeur réarticule cet être-bon sous le terme de « constitution originaire » :

L’essentiel du mythe de l’innocence est de donner un symbole de l’originaire qui trans-paraît dans la déchéance et la dénonce comme déchéance ; mon innocence c’est ma constitution originaire, projetée dans une histoire fantastique. Cette imagination n’a rien de scandaleux pour la philosophie ; l’imagination est un mode indispensable d’investigation du possible ; on pourrait dire que l’innocence est la variation imaginative qui fait saillir l’essence de la constitution originaire, en la faisant paraître sur une autre modalité existentielle ; alors la faillibilité se montre comme possibilité pure, sans la condition déchue à travers laquelle elle apparaît d’ordinaire[23].

Puisque la constitution originaire de l’homme (qui est affirmation et non pas négation) n’apparaît qu’à rebours, uniquement par des variations imaginatives qui procèdent du double-sens (symbole), le langage de l’aveu suppose une parole qui doit donc être reprise par la philosophie, par une répétition de l’affectivité (émotion, angoisse, peur) sur le plan de la représentation (mythe, symbole).

De ce point de vue, l’herméneutique se veut la transition épistémologique légitime du mythe à la philosophie. Mais ce passage n’est pas sans risque : le danger le plus important demeure ce qu’il serait possible de dénommer une « métalepse théorique », c’est-à-dire une confusion possible des niveaux d’analyse — notamment quant à la question de la vérité visée par une telle interprétation. Il faut pour éviter ce vice théorique des « règles de transposition » permettant d’intégrer la symbolique religieuse au discours philosophique. La difficulté est certaine, et totalement prise en considération par Ricoeur qui garde toujours en mémoire les mises en garde épistémologiques de Dilthey ; il y a présence d’un décalage certain entre la philosophie réflexive, d’ordre conceptuel et spéculatif, et la confession, qui relève du religieux. La solution de Ricoeur consiste alors à faire de l’herméneutique une modalité d’ancrage légitime de la croyance dans le discours philosophique[24].

Suivant cette annexion de la croyance au discours spéculatif, Ricoeur peut légitimement faire du récit l’expression objectivée de la subjectivité humaine, autrement dit la médiation de son décentrement, et, conséquemment, une source légitime pour la connaissance de l’homme, qui est simple par sa constitution (sa vitalité), mais double dans son humanité (dans sa participation simultanée au fini et à l’infini)[25]. L’homme est cette médiation imparfaite, déchiré entre sa finitude et son désir de transcendance, et les expressions de cette médiation imparfaite sont le symbole, le mythe, la métaphore, le récit.

Portée critique de l’herméneutique de l’aveu

Pourtant, même si l’herméneutique se veut participation — ou « accueil » du sens — l’analyse du mythe présuppose une première suspension de la naïveté propre à la croyance inhérente à toute réception participative du mythe : il est impossible d’interpréter adéquatement le mythe si l’on ne pose pas une première distanciation d’ordre méthodologique. Le problème est alors de déterminer comment il est possible de récupérer une « seconde naïveté » après la critique propre à une première démythologisation : comment est-il possible que le mythe puisse encore nous dire quelque chose sur l’être après que l’interprète a suspendu toute croyance en sa vérité ?

Bien que l’herméneutique développe un mode aléthique incluant la croyance (la « créance-en »), cette seconde naïveté n’ignore pas que c’est la démythologisation qui sert ultimement l’intention critique. En effet, la posture de Ricoeur, malgré l’élaboration d’une herméneutique cherchant la participation du sens, pourrait d’abord s’apparenter à une critique des idéologies, car l’herméneutique ne procède pas uniquement d’un intérêt pratique, mais aussi d’un intérêt émancipatoire : la première herméneutique de Ricoeur reste critique en ce que l’autoréflexion qui la supporte vise l’affranchissement du sujet à l’égard des « puissances hypostasiées » — sur ce point, l’exemple paradigmatique pour Ricoeur reste la Loi[26]. L’herméneutique relève donc aussi, quoique partiellement il est vrai, d’une volonté critique semblable à celle qui motive la généalogie de Foucault : à l’instar de la critique des sciences humaines menées par ce dernier, l’herméneutique des symboles veut briser la valeur de certains faux-savoirs, comme c’est le cas avec le concept de « péché originel », lorsqu’il est ressaisi par le savoir juridico-biologique pour expliquer quelque « monstruosité héréditaire » : il faut alors, soutient Ricoeur, combattre la réification du mal dans une supposée « nature des choses »[27].

La portée critique de l’herméneutique des symboles du mal ne s’arrête cependant pas à ce télos émancipatoire : il s’agit aussi de relever, à l’instar du travail de Hans Blumenberg, la rationalité inhérente aux symboles forgés par la confession des péchés[28], en particulier dans l’histoire du combat contre la gnose. Bien que les chrétiens aient voulu combattre l’interprétation gnostique de l’origine du mal, la théologie s’est elle-même laissée entraîner, soutient Ricoeur, par le modèle conceptuel de la gnose, en sombrant progressivement dans une interprétation manichéenne de la condition humaine. Il y aurait ainsi, au coeur du problème de la protologie et de l’eschatologie du mal, une pente « naturelle » qui conduit à l’herméneutique : « Peut-être y a-t-il dans l’expérience du mal, dans l’aveu du péché quelque chose de terrible et d’impénétrable qui fait de la gnose la tentation permanente de la pensée, un mystère d’iniquité dont le pseudo-concept de péché originel est comme le langage chiffré[29]. » Ce « mystère d’iniquité », c’est la conscience que l’homme est à la fois responsable et innocent en regard de sa faute. C’est pourquoi Ricoeur maintient que, même si l’idée du péché originel reste un faux-savoir, elle n’en est pas moins un « vrai symbole »[30]. Le péché originel est un faux-savoir parce qu’il mélange la catégorie biologique de l’héritage et la catégorie juridique de la dette ; il est en revanche un vrai-symbole parce qu’il indique le paradoxe de la constitution originaire de l’Homme : le serf-arbitre, c’est l’homme en ce qu’il est libre, mais libre du mauvais usage de sa volonté.

On peut évidemment présumer des limites à une telle herméneutique restauratrice. C’est entre autres un soupçon qui a été émis par le structuralisme, pour qui le mythe ne peut recéler aucune prétention ontologique, puisqu’il ne dit rien de la vérité, « rien qui nous instruise sur l’ordre du monde, la nature du réel, l’origine de l’homme ou sa destinée[31] ». Il n’en va cependant pas de même selon Ricoeur, pour qui la pensée symbolique est une indication. L’« indication », c’est déjà la genèse du concept de « véhémence ontologique » développé à partir de La métaphore vive : le symbole non seulement donne à penser, mais parle à propos de l’être : il vise toujours l’être. Le mythe n’est donc pas réductible à sa seule construction immanente, comme le voudrait l’analyse structurale, puisqu’il indique toujours un ordre de réalité extra-discursive.

Le mythe comporte, à l’instar du langage métaphorique, une véhémence ontologique : il veut dire l’être, et parfois même nommer Dieu. Il est connu que la transposition de la foi dans le discours philosophique a été volontairement neutralisée par Ricoeur[32], et l’on sait à quel point il a toujours tenu à maintenir un hiatus méthodologique entre religion et philosophie[33]. Il est néanmoins possible de se demander si la foi, la croyance, ou encore le mode de vérité de la créance, ne réapparaîtra pas plus tard sous la figure de l’attestation, un mode aléthique qui inclut la nécessité de la confiance (du « croire-en » propre au témoin et au lecteur par exemple). Il y a donc fort à parier — mais cette question ne sera pas abordée ici — que Ricoeur n’a pas complètement abandonné l’horizon de la foi dans le travail philosophique ; du moins, il n’a certainement pas abandonné la volonté d’une restauration de la dimension du sacré. Si la modernité, comme l’a par ailleurs soutenu Jean Grondin[34], signifie pour Ricoeur la perte du pouvoir de la hiérophanie, de la manifestation du sacré, on peut néanmoins se demander si la modernité ne représente pas aussi l’occasion de comprendre, par une généalogie des pratiques discursives, la dérive ayant conduit à la disjonction du pôle de la foi et du pôle de l’aveu. La conception de l’aveu développée par Ricoeur conduit alors l’histoire de la subjectivité à questionner l’interpénétration de la condition spirituelle avec la connaissance de soi : comment, demanderons-nous cette fois avec Foucault, la confession — qui est à la base un acte de foi — a-t-elle progressivement exclu cette dimension de la foi, pour venir faire de l’aveu une pratique « autonome », qui ne relève plus simplement de l’expression de la finitude, mais d’un régime de vérité propre au gouvernement des conduites ?

L’aveu comme « alèthurgie »

À l’opposé de l’aveu conçu comme symbolique du mal, Foucault développe une analyse de la confession articulée en termes de « véridiction ». Le cadre théorique sur lequel sera basé l’argument suivant est développé lors du cours au Collège de France de 1979-1980, intitulé Du gouvernement des vivants ainsi que pendant le cours de 1981 à Louvain, publié sous le titre Mal faire, dire vrai. La fonction de l’aveu en justice.

Cette période charnière est extrêmement importante puisqu’elle permet à Foucault de quitter progressivement son concept de savoir-pouvoir (termes jusque-là pensés ensemble dans une relation toujours coextensive), pour aborder et déployer la notion de gouvernement par la vérité. Gouvernement, ici, ne renvoie pas à l’instance décisionnelle de l’État, mais « [aux] mécanismes et [aux] procédures destinés à conduire les hommes, à diriger la conduite des hommes, à conduire la conduite des hommes[35] ». La question que pose alors Foucault est la suivante :

Comment se fait-il que, dans la culture occidentale chrétienne, le gouvernement des hommes demande de la part de ceux qui sont dirigés, en plus des actes d’obéissance et de soumission, des « actes de vérité » qui ont ceci de particulier que non seulement le sujet est requis de dire vrai, mais de dire vrai à propos de lui-même, de ses fautes, de ses désirs, de l’état de son âme, etc. ? Comment s’est formé un type de gouvernement des hommes où on n’est pas requis simplement d’obéir, mais de manifester, en l’énonçant, ce qu’on est ? [36]

Par une tentative similaire, Foucault entreprend, lors de son cours portant sur l’aveu en justice[37], de joindre le problème de la gouvernementalité des conduites à celui de la vérité que le sujet doit reconnaître à propos de lui-même. Il articule alors deux problématiques parallèles : d’abord, un problème politique, juridique et historique, qui consiste à « savoir comment l’individu se trouve lié et accepte de se lier au pouvoir qui s’exerce sur lui[38] », puis un problème entièrement philosophique, qui cherche à établir « comment les sujets sont effectivement liés dans et par les formes de véridiction où ils s’engagent[39] ». Il ne s’agit donc plus de déterminer la manière dont le sujet se trouve lié aux autres par l’obligation de se soumettre à une identité, un discours, une règle ou une norme, mais plus « subjectivement » encore, d’établir les modalités par lesquelles un sujet modifie le rapport qu’il entretient à lui-même, en se trouvant lié à un dire-vrai par lui-même énoncé, vérité qu’il doit par conséquent manifester par la procédure de l’aveu. La question est à la fois politique et philosophique, puisque le « gouvernement par la vérité » est replacé cette fois-ci dans le cadre plus large d’une histoire de la subjectivité.

Tout à fait à l’opposé de Ricoeur, qui repère l’historicité de la confession dans une dialectique qui déploie « horizontalement » les formes symboliques du mal, Foucault développe une manière plus « verticale » de concevoir l’historicité de l’aveu, puisqu’il s’agit dans son cas de « déterminer comment un mode de véridiction, de Wahrsagen [Nietzsche], a pu apparaître dans l’histoire et dans quelles conditions[40] ». La question est encore critique, mais non plus au sens d’une étude des conditions formelles d’apparition de la vérité ; elle est plutôt critique en ce qu’elle cherche à « définir dans leur pluralité les modes de véridiction, [à] rechercher les formes d’obligation par lesquelles chacun de ces modes lie le sujet du dire vrai, [à] spécifier les régions auxquelles ils s’appliquent et les domaines d’objets qu’ils font apparaître, enfin les relations, connexions, interférences qui sont établies entre eux[41] ».

Enfin, remarquons que, dans ce cadre théorique, c’est encore une fois l’herméneutique qui est mobilisée. L’émergence de l’aveu est ici encore intimement nouée à la religion, car, pour Foucault, c’est le christianisme qui a « lié l’individu à l’obligation de chercher, au fond de lui-même et en dépit de tout ce qui pourrait cacher cette vérité, un certain secret, un certain secret dont la mise au jour, dont la manifestation doit avoir, dans sa démarche vers le salut, une importance décisive[42] ». Non pas que le christianisme aurait inventé la notion de « péché » (dont l’origine, rappelle Foucault, est beaucoup plus archaïque), mais des techniques permettant de révéler la vérité du sujet en regard du péché : « Ce qui me paraît avoir été le propre du christianisme et avoir, si vous voulez, dans l’histoire de la subjectivité occidentale, fait rupture, c’est la technique, c’est le lien de vérité de soi-même à propos du péché, […] c’est plutôt la vérité de soi-même à propos du péché qui me paraît importante, plutôt que le sens du péché[43]. »

Annonçant déjà ce que le cours de 1981-1982 thématisera sous l’hypothèse d’un schisme entre spiritualité (transformation de soi dans l’obtention du salut) et « épistémologisation » de la philosophie (obtention possible de la vérité sans transformation préalable du sujet), Foucault cherche alors à décrire les modalités de liaison entre la vérité de la foi et la vérité du soi : comment, autrement dit, se sont articulées l’une sur l’autre « l’herméneutique du texte et l’herméneutique de la conscience[44] ». Cette relation reste primordiale dans le cadre de l’histoire de la subjectivité, non seulement parce qu’elle traverse le christianisme, jusqu’au protestantisme, où l’obligation de croire croise, redouble en quelque sorte l’obligation de découvrir en soi la vérité du texte et la vérité du soi, mais aussi parce que l’analyse de la confession permet d’articuler le passage d’une « spiritualité » (entendue comme transformation de soi) à une « maîtrise » du sujet. La confession est à la fois une profession de foi et un acte d’aveu ; or Foucault veut montrer que ce qu’il appelle l’herméneutique chrétienne de la chair, notamment par le biais de la pratique de l’examen de conscience, est précisément venue dissocier le pôle de la profession de foi du pôle de l’aveu, faisant de ce dernier une pratique qui relève uniquement de la purification du désir.

L’herméneutique, ici, n’a plus une fonction émancipatoire, ni même critique, comme chez Ricoeur, mais, suivant le néologisme de Foucault, « alèthurgique » : elle sert à manifester la vérité d’un sujet. Et le sujet dont il est question change lui aussi : ce n’est plus un sujet « passif » (qui subit, du « dehors », si l’on veut, les mécanisme de pouvoir — ce que Foucault nomme l’assujettissement), ni non plus simplement « actif » (qui décide consciemment, de lui-même, de se constituer comme sujet de vérité) ; le sujet répond plutôt à des fonctions : il peut être opérateur, témoin ou objet au sein d’un processus où il doit se soumettre à des obligations par lesquelles il devient agent de manifestation de la vérité[45].

C’est cette relation entre manifestation de la vérité et types d’implication du sujet qui forme dès lors la notion de « régime de vérité », à différencier du « régime de vérité » développé dans les années 70, où la formation d’un discours de connaissance vrai était toujours coextensive à une pratique de pouvoir. Comment passe-t-on — c’est la question qui doit animer une généalogie de la volonté de savoir — des actes d’obéissance et de soumission, voire de foi, à des actes de vérité indexés à la subjectivité ? Comment passe-t-on, dans le christianisme, d’une reconnaissance et d’une acceptation d’une vérité révélée (une manifestation du sacré, une hiérophanie) à une obligation de reconnaître sa vérité (une manifestation de la vérité du sujet, une alèthurgie ? Pour Foucault, cette incursion dans le domaine de la véridiction contribue à infléchir la critique historique du problème ricoeurien de la découverte du mal au coeur de la conscience, vers celui du désir et du cadre pénal.

Apories des deux conceptions de l’aveu

Ce qu’entreprend finalement Foucault dans le cadre de ces analyses, c’est un déplacement d’accent suivant l’élaboration de son histoire de la subjectivité — et tout cela demeure très nietzschéen : le « contenu de vérité » devant être reconnu par le sujet (c’est par exemple l’aveu du mal en moi, ou du mal-faire-par-moi, tel que le pense Ricoeur) est remplacé par une vérité conçue comme « force du vrai ». La vérité est alors saisie dans sa dimension essentiellement pragmatique : Foucault cherche à faire une histoire de la force du vrai, une histoire de la volonté de savoir, irréductible aux conditions de connaissance. C’est cet aspect pragmatique de l’aveu qui fonde ce que Foucault nomme son caractère paradoxal :

L’aveu entretient avec le problème de la vérité un étrange rapport. L’aveu est une étrange manière de dire vrai. En un sens, il est toujours vrai (s’il est faux, ce n’est pas un aveu). Et les conséquences qu’il a sont tout à fait différentes — et pour le locuteur, et pour le récepteur — de ce que peut être une assertion comme : le ciel est bleu. Il constitue une certaine manière de dire, un certain mode de véridiction. On sait bien que, lorsque quelqu’un énonce quelque chose, il faut distinguer énoncé et énonciation ; de la même façon, lorsque quelqu’un affirme une vérité, il faut distinguer l’assertion (vraie ou fausse) et l’acte de dire vrai, la véridiction (le Wahrsagen, comme dirait Nietzsche)[46].

L’angle d’analyse de Foucault, tout à fait légitime et fort pertinent en regard d’une histoire politique de la vérité, implique toutefois une mise entre parenthèses de toute la dimension d’imputation morale pourtant nécessaire à la description de la constitution éthique du sujet. Tout comme elle masquait la prise en considération du sujet de compréhension, la généalogie foucaldienne oblitère — c’est ce que nous montrerons ailleurs — la possibilité de penser la notion de reconnaissance, concept somme toute nécessaire lorsqu’il s’agit de décrire et de problématiser l’agir humain. Il y a ici un paradoxe assez fort : la vérité, pour la généalogie, reste une question de combat ; mais il en est de même pour la reconnaissance ! C’est une lutte qui est toujours à refaire. La reconnaissance et la vérité partagent tous les deux ce dispositif agonistique : il est donc curieux que Foucault, dont les conceptions de la vérité, du pouvoir et de la constitution de soi restent fondamentalement agonistiques, ignore complètement toute nécessité de penser la reconnaissance, d’autant plus que l’exercice du pouvoir inhérent à l’acte même de la reconnaissance reste au fondement de la constitution du soi.

C’est peut-être la volonté de Foucault de désassujettir les identités qui le conduit à refuser de tenir compte d’une théorie de la reconnaissance. Pourtant, même en tablant sur les pratiques de résistance, faire l’économie d’une telle prise en considération de l’intersubjectivité s’avère un pari risqué : comment est-il possible de concevoir la société comme une lutte incessante entre des individus — le paradigme foucaldien de la vérité et du pouvoir étant bel et bien le conflit — sans tenir compte de la reconnaissance comme ce qui motive la constitution de soi ? [47] Il est en tout cas étonnant de constater que cette dimension n’a pas été retenue par Foucault, celui-ci affirmant, à la toute fin de sa vie, qu’« il n’y [avait] pas d’instauration de la vérité sans une position essentielle de l’altérité[48] ».

D’un autre côté, l’analyse de Ricoeur semble aussi avoir ses failles : la transition de la confession au discours rationnel peut-elle se faire sans heurt, en faisant abstraction de la structuration politique entourant la pratique confessionnelle elle-même ? Il semble que l’attirance de Ricoeur pour l’élément discursif masque en effet l’exercice de gouvernementalité soutenu par la pratique pénitentielle de l’aveu. Or le paradoxe du politique, sur lequel s’est penché Ricoeur, à savoir le pouvoir de coercition nécessaire à la mise en oeuvre de la liberté, se retrouve justement être au coeur du concept de gouvernementalité : le problème que soulève Foucault repose précisément sur la prise en considération des techniques par lesquelles le sujet peut « devenir qui il est », sans perdre complètement son autonomie au sein des institutions. Il ne serait donc pas faux d’affirmer en ce sens que le sujet de la résistance foucaldienne et le serf-arbitre de Ricoeur partagent tous les deux une visée sotériologique, pensée comme transformation de soi — quoi qu’à la différence du serf-arbitre, pour qui la liberté reste à délivrer, la résistance foucaldienne ne vise jamais une libération, mais une pratique de la liberté, la transition de l’analyse du pouvoir ecclésiastique au pouvoir étatique ayant justement pour but de montrer le passage « du souci de conduire les gens au salut de l’autre monde à l’idée qu’il faut l’assurer ici-bas[49] ».

Provenant d’une même source (l’aveu), l’herméneutique se voit donc scindée en deux formes bien distinctes : ou bien elle est animée par une volonté de savoir (c’est la forme objectivante, réductrice, et en tout cas coercitive, relevée par Foucault) ; ou bien elle est animée par un désir de comprendre le mal et ses manifestations symboliques (c’est la forme participative, dite d’« accueil », bref la forme interprétative que lui donne Ricoeur).

Peut-être serait-il dès lors possible de soutenir que l’aveu peut certes être pensé comme coercition, par le biais d’un régime de vérité où le concept d’alèthurgie reste capital (c’est l’apport de Foucault), mais aussi comme mode de constitution d’un sujet conscient d’avouer, et qui, par ce geste, se constitue volontairement comme soi éthique (c’est l’apport de Ricoeur). Une ontologie historique du sujet devrait ainsi tenir compte de ces deux dimensions, sous peine de perdre de vue la « processivité » même de la subjectivation, soit ses dimensions matérielle et temporelle[50]. L’aveu est une modalité de la subjectivation ; et c’est aussi, en ce sens, une porte d’entrée dans la reconnaissance : on dira alors que la responsabilité précède la culpabilité dans l’ordre des nécessités objectives (théorique et pratique). Pour viser une compréhension plus adéquate de l’aveu dans le cadre d’une anthropologie philosophique, il manque à Foucault une véritable théorie de la reconnaissance, alors qu’il manque à Ricoeur une analyse politique des régimes de véridiction. C’est, semble-t-il, le point aveugle de leur éthique.