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Beaucoup de choses ont été dites sur l’écrasante influence de l’armée dans certains systèmes politiques africains et singulièrement dans l’imposante littérature traitant de l’instabilité (Bebler 1973 ; Marshall 2005 ; Souaré 2007). En revanche, un motif de préoccupation serait la rareté des documents relatifs au rôle que joue l’armée dans le maintien de la paix. Se distinguant souvent par sa capacité à peser sur la politique interne, l’armée dispose de moyens de projection limités à l’extérieur dans des missions de paix conventionnelles. Ainsi l’Afrique du Sud figure-t-elle parmi les rares pays du continent dont l’action dans ce type d’opérations fait l’objet d’une littérature abondante (Bertaud 2006 ; Erasmus et Uys 2012 ; Jordaan et Esterhuyse 2000 ; Heinecken et Ferreira 2012a ; Kagwanja 2009 ; Kruys 2009 ; Lauseig 2000 ; Montesh et Basdeo 2012 ; Neethling 2003 et 2012 ; Southall 2006 ; Mills 2011 ; Vines 2010 ; Visser 2012). De la même manière, ce pays, membre du brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) depuis 2011, se distingue dans les travaux considérables ayant trait aux débats relatifs aux puissances émergentes, par la quantité de la documentation portant sur ses rapports avec son environnement régional, à savoir l’Afrique. Ces constats nous amènent à nous interroger sur son rôle dans le maintien de la paix, domaine dans lequel l'Afrique du Sud s’est hissée parmi les pays en tête de créneau, après s’y être introduite à la fin des années 1990. Le travail ne sera pas aisé, étant donné la trajectoire particulière de ce pays dont la politique internationale oscille, de surcroît, entre changements et continuités selon les gouvernements (Landsberg 2012).

Pour mieux cerner les forces et les faiblesses de l’Afrique du Sud dans les opérations de paix, nous mettons à profit le concept de soft power. L’Afrique du Sud fait partie des puissances émergentes disposant des attributs de la puissance au sens classique du terme. Le réalisme et le libéralisme, les deux théories dominantes des Relations internationales, trouvent dans cette catégorie d’États leurs principaux éléments d’analyse. Mais nous ne retenons ici que la puissance douce – un des concepts clés du libéralisme –, et cela, pour plusieurs raisons. La première serait liée au regain d’intérêt que suscite le soft power. Un deuxième facteur tient à l’héritage des relations agressives entre le régime d’apartheid et le reste de l’Afrique australe, qui fait que toute stratégie à tendance menaçante risque de faire resurgir ce passé (Jordaan et Esterhuyse 2000 ; Smith 2012). La troisième raison, qui est une conséquence de ce constat, réside dans l’érection, par Pretoria, du soft power comme pilier de sa politique internationale ; ce qui explique l’absence de stratégies coercitives dans ses relations extérieures, mis à part l’intervention militaire au Lesotho en 1998 (Smith 2012).

Le soft power, dont on attribue la paternité à Joseph Nye (2002 : 233-234), est ce qui permet à un État « d’obtenir ce qu’il veut, parce que d’autres pays veulent le suivre, admirant ses valeurs, imitant son exemple ou aspirant à son niveau de prospérité et d’ouverture ». À la différence des autres pays du continent, l’Afrique du Sud peut prétendre au titre d’exemple, autant par la démocratie, les valeurs, le style de leadership que par le niveau de prospérité. Mais l’influence à laquelle elle aspire est plus politique que culturelle. De ce point de vue, nous privilégions la dimension politico-diplomatique du soft power, qui renvoie à « l’influence des institutions politiques et au style de leadership dans la dynamique internationale d’un État » (Sindjoun 2002 : 204-205). En Afrique, cela se traduit sous forme de manipulation (réussie) du panafricanisme ou de la démocratisation, ou encore d’incarnation du statut de porte-parole du continent (Sindjoun 2002 : 204-205). Du côté de l’Afrique du Sud, le leadership se manifeste, entre autres, à travers la promotion de la « Renaissance africaine » et la mobilisation de la façon pacifique dont le pays a négocié sa transition, à partir des valeurs et des principes pour lesquels l’anc (African National Congress ou Congrès national africain) s’était battu (Sidiropoulos 2012 : 114). La démarche vise à rompre avec les pratiques déstabilisatrices du régime d’apartheid, mais aussi à rendre le leadership ainsi que la défense de ses intérêts plus fluides. À cette fin, la South African National Defence Force (sandf) est intégrée dans une stratégie de « défense non offensive » (Jordaan et Esterhuyse 2000) et de maintien de la paix. En ce qui concerne ce dernier domaine, son action se concentre principalement en Afrique, continent dont le destin est inextricablement lié à celui de l’Afrique du Sud.

D’ailleurs, le Livre blanc sur la participation sud-africaine dans les missions de maintien de la paix[1] a insisté sur cette interdépendance. Celle-ci transparaît également dans plusieurs autres documents, dont les plans stratégiques du ministère des Relations internationales et de la Coopération (Department of International Relations and Cooperation – dirco, auparavant Department of Foreign Affairs – dfa 2011), la South African Defence Review 2012 du Department of Defence (DoD 2012) ainsi que dans les discours et déclarations du gouvernement en matière de politique étrangère. Jacob Zuma, l’actuel président, l’a rappelé en 2009 lors de la célébration du 10e anniversaire de la participation de la sandf aux opérations de paix : « Notre pays ne peut survivre en vase clos, son développement économique et sa sécurité sont liés à la stabilité du continent. Par conséquent, la sandf continuera à être déployée dans des opérations de paix pour aider au renforcement de la démocratie dans un certain nombre de pays[2] ». Mais l’Afrique du Sud joue-t-elle un rôle correspondant à son statut de puissance africaine et émergente ? Ce pays est bel et bien une puissance, au sens classique du terme. Sur le plan économique et financier, aucun autre pays d’Afrique ne possède d’aussi grandes capacités. Son produit intérieur brut (pib) représente 25 % de celui du continent (Besada et al. 2013 : 3). L’Afrique du Sud dispose aussi de l’armée la mieux équipée, la plus organisée et la plus professionnelle de toute l’Afrique.

Sous la présidence de Nelson Mandela, la démocratie et les droits de l’homme furent l’épine dorsale de la politique étrangère sud-africaine. Cependant, depuis l’époque de Mbeki, la politique africaine de l’Afrique du Sud semble mettre davantage en avant ses intérêts, parfois au détriment de l’engagement moral et constructif. Comment un tel glissement se manifeste-t-il dans le maintien de la paix ? Pour y répondre, le document se focalise, dans un premier temps, sur l’étude des tenants et aboutissants des engagements de l’Afrique du Sud dans le maintien de la paix. Dans un second temps, sont étudiées les limites de cette participation ainsi que les évolutions récentes, lesquelles semblent s’éloigner de temps à autre des principes qui ont fait la réputation de ce pays.

I – Tenants et aboutissants d’un engagement

Après le démantèlement du régime d’apartheid en Afrique du Sud, il y avait, de la part de la communauté internationale, une grande attente à ce que ce pays se déploie au premier rang dans les opérations de paix. En dépit de nombreuses sollicitations, Pretoria a fait prévaloir une certaine prudence. Le président Nelson Mandela privilégia la reconstruction et le développement sur le plan intérieur, et les missions de médiation à l’extérieur, d’autant plus que l’armée sud-africaine n’avait pas encore l’expérience et l’équipement adéquats pour participer à des opérations devenues plus nombreuses, plus complexes et plus risquées. La contribution de l’Afrique du Sud au maintien de la paix ne commença réellement qu’en 1999.

A — Les tenants d’un engagement

Jusqu’au début des années 1990, l’Afrique du Sud se servait du hard power que représentaient la South African Defence Force (sadf) et les services de renseignement et de police, contre la majorité noire et comme instruments de déstabilisation en Afrique australe. Le changement de régime intervenu en 1994 a permis l’intégration du soft power dans sa politique extérieure. Mais le maintien de la paix ne sera investi qu’à partir de 1998, autant pour défendre l’intérêt national que pour améliorer l’image du pays. Toutefois, les quatre présidents qui se sont succédé à la tête de la nouvelle Afrique du Sud – Nelson Mandela (9 mai 1994 – 14 juin 1999), Thabo Mbeki (14 juin 1999 – 25 septembre 2008), Kgalema Motlanthe (25 septembre 2008 – 9 mai 2009) et Jacob Zuma (depuis mai 2009) – n’ont pas tous eu la même attitude à l’égard du maintien de la paix. Certes, en matière de soft power, la première rupture eut lieu sous Mandela, qui mit en oeuvre une politique étrangère reposant sur quatre piliers : la démocratie et les droits de l’homme, le respect du droit international à travers le règlement pacifique des conflits, le développement économique ainsi qu’un intérêt particulier pour l’Afrique (Mandela 1993 : 87).

En matière de défense et de sécurité, s’est également opéré un changement profond formulé dans le Livre blanc sur la politique de défense et de sécurité de 1996. Les priorités de la sandf y sont clairement déclinées : la réduction de ses effectifs et l’intégration, la protection de l’intégrité territoriale et de l’indépendance du pays, l’appui à la police dans des activités de maintien de l’ordre (DoD 1996). La sandf pouvait participer à des opérations de maintien de la paix, de manière exceptionnelle et à certaines conditions : l’approbation du Parlement sud-africain, un mandat et des objectifs clairs, des critères réalistes pour mettre fin à l’opération, l’autorisation du Conseil de sécurité des Nations Unies, mais aussi de la Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community – sadc) (pour les missions en Afrique australe) et de l’Organisation de l’unité africaine (oua) (dod 1996 : 21-25). Mais cette diplomatie a très vite montré ses limites. Prise de court par la détérioration rapide de la situation au Lesotho, l’Afrique du Sud a été amenée à intervenir militairement dans ce pays le 22 septembre 1998, sans l’aval ni du Conseil de sécurité des Nations Unies ni de l’oua (Massey 2003 : 130-136).

Le livre blanc sur la participation sud-africaine aux missions de paix du 21 octobre 1998 a sans doute été influencé par cette opération menée un mois plus tôt (Santho 2000). Tout en confirmant les grands axes de la politique étrangère sous Mandela, il prévoit l’engagement de l’Afrique du Sud dans les opérations de maintien et de consolidation de la paix (dfa 1998 : 21). Cette évolution a été animée par la « Renaissance africaine », mobilisée de manière efficace dans la politique internationale de Thabo Mbeki (Sindjoun et Vannesson 2000 : 917). Ce n’est donc pas un hasard si le pays a déployé, sous sa présidence, la politique extérieure la plus dynamique et connu sa première ainsi que son plus grand nombre de participations à des opérations de paix (quatorze). Au nom de la « Renaissance africaine », l’Afrique du Sud affiche également sa volonté de favoriser la démocratie et la bonne gouvernance, la gestion des problèmes du continent par des Africains et la fin des zones réservées en faisant particulièrement allusion aux anciennes puissances coloniales. Par ailleurs, le pays s’est également illustré dans la création du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (New Partnership for Africa’s Developmentnepad), ainsi que dans la restructuration des organisations africaines, dont il avait été exclu du temps de l’apartheid (sadc, oua qui deviendra Union africaine en 2002[3]). L’ua et la sadc ont ensuite réalisé des progrès notables dans le maintien de la paix. L’Afrique du Sud fait aujourd’hui partie de trois organisations internationales qui travaillent au maintien de la paix (onu, ua et sadc) (Jackson 2001 : 325-326). La contribution sud-africaine trouve des prolongements dans la brigade régionale en attente de la sadc destinée à ce type d’opérations, de même que dans des actions de soutien à des États ou à des organisations internationales. Les grandes lignes de la politique internationale de Mbeki ont été reprises par ses successeurs, Motlanthe et Zuma (Landsberg 2012). On ne peut aborder le rôle de l’Afrique du Sud dans le maintien de la paix sans rappeler la volonté qu’elle a de porter la voix de l’Afrique et de se hisser en passerelle entre cette dernière et le reste du monde (Games 2012 : 2). Ces aspirations prennent pied dans une approche qui accorde la priorité à l’« Agenda africain » (Dube 2013 : 2). Les initiatives de maintien de la paix visent à transformer l’image de l’Afrique, mais aussi à légitimer la position de l’Afrique du Sud comme acteur incontournable sur la scène africaine (Le Pere 2006), et son aspiration au statut de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies.

B — Les aboutissants d’un engagement

À la différence de la plupart des pays en développement, la participation de l’Afrique du Sud aux opérations de paix est très récente, puisqu’elle a commencé en septembre 1999, lorsque le colonel Hans Swart fut dépêché en tant qu’agent de liaison au sein de la Mission d’observation des Nations Unies au Congo (monuc). En 2009, au moment de sa dixième année de contribution à ce type de missions, la sandf disposait de 2 739 soldats (Vines 2010). De septembre 1999 à 2010, l’Afrique du Sud a participé à quatorze missions (DefenceWeb 2010), toutes déployées durant la présidence de Thabo Mbeki et sur le continent africain, à l’exception de la Mission des Nations Unies au Népal (minunep). Neuf d’entre elles ont été menées dans un cadre multilatéral.

Tableau 1

Participations sud-africaines aux opérations multilatérales de maintien de la paix

Participations sud-africaines aux opérations multilatérales de maintien de la paix
Source : Department of Defence (DoD), South African Soldier, septembre 2009.

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Toujours en ce qui concerne la participation au maintien de la paix, l’Afrique du Sud peut s’investir au sein d’organisations africaines ou dans le cadre d’accords de coopération bilatéraux, comme le montre le tableau ci-dessous.

Tableau 2

Les opérations bilatérales engageant l’Afrique du Sud

Les opérations bilatérales engageant l’Afrique du Sud
Source : Department of Defence (DoD), South African Soldier, septembre 2009.

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Rappelons d'abord le rôle important que les missions de maintien de la paix jouent dans les transitions postconflits. Les plus concluantes sont réalisées après la signature d’accords de paix solides, comme ceux qui ont porté la réconciliation au Burundi et en République démocratique du Congo (rdc). Ces derniers ont été établis par l’Afrique du Sud. Ce pays est aussi l’un des premiers à avoir envoyé des troupes au Burundi, lorsque personne ne voulait y aller (dod 2009 : 9) en raison de la poursuite des hostilités. Les unités de la South African Protection Support Detachment (sapsd) ont été déployées en novembre 2001 pour protéger 150 Burundais appartenant à l’élite politique et militaire, qui venaient de rentrer d’exil (Neethling 2012 : 478). Elles seront ensuite intégrées à la miab – la première opération de l’ua –, puis dans l’onub. Ces différentes forces ont largement contribué à la réussite de la transition burundaise (Bentley et Southall 2005).

L’Afrique du Sud a également été le principal artisan de l’accord global et inclusif qui a servi de base à la réconciliation congolaise. Après avoir tenu les puissances occidentales à l’écart du dialogue inter-congolais, Pretoria réalise qu’un accord ne saurait se passer de la communauté internationale. L’intervention internationale prévue dans l’accord sera matérialisée par la création du Comité international d’accompagnement à la transition, dont la monuc sera le bras armé. En 2003, l’Afrique du Sud fournissait 3,5 % de cette force, le concours africain le plus important, qui témoigne de sa volonté d’endosser « un rôle sur le terrain et de rattraper son retard dans sa contribution à une mission où elle n’avait jusqu’alors engagé que de l’argent et des mots » (Bertaud 2006 : 76). Toutefois, l’onu est restée l’intervenant majeur en rdc. Au Soudan, l’Afrique du Sud a contribué aux deux missions de l’Union africaine (muas i et muas ii), ainsi qu’à la première force hybride onu-ua (Mission des Nations Unies et de l’Union africaine au Darfour) mise sur pied le 1er janvier 2008. D’ailleurs, elle y poursuit son action par l’intermédiaire de l’ancien président Mbeki, principal médiateur entre le Soudan et le Soudan du Sud. Bien que mandaté par l’ua, celui-ci est appuyé par son pays, qui a mis des experts à sa disposition, en plus d’abriter l’un des bureaux de la médiation à Pretoria (l’autre étant installé à Khartoum).

Par ailleurs, le maintien de la paix s’appuie de plus en plus sur des activités de consolidation : observation d’élections, désarmement, démobilisation et réinsertion (ddr) ; réforme du secteur de la sécurité (rss), etc. La sandf a investi ces domaines en divers endroits : assistance électorale au Burundi et aux Comores ; ddr au Burundi, en rdc et en Côte d’Ivoire, rss au Burundi et en rdc, etc. L’Afrique du Sud compte également sur le South African Police Service (saps – Services de police sud-africaine). Le saps a réalisé sa première mission au Soudan, où il a été déployé entre février et mars 2005 pour superviser les services de sécurité et aider à la mise en place d’un système de police communautaire. Ce sont là autant de moyens d’influence mis en oeuvre dans le maintien et la consolidation de la paix.

II – Les limites d’un engagement

Depuis 2011, l’Afrique du Sud fait partie du brics, ce club de pays dont l’émergence a considérablement marqué la scène internationale ces dix dernières années. Cependant, dans le maintien de la paix, elle présente beaucoup de faiblesses capacitaires et semble défendre ses intérêts par des initiatives qui s’éloignent du modèle de démocratie et de résolution des conflits qu’elle veut faire prévaloir.

A — Une puissance limitée

L’Afrique du Sud est la première puissance africaine. Son intégration au brics est indicatrice de tout l’avantage qu’elle tire de son influence sur la scène internationale (Chiroro 2012 : 1). Mais, du point de vue de ses ressources (voir le tableau ci-dessous), il est clair qu’elle ne peut « prétendre au statut de puissance de premier rang au même titre que la Chine ou l’Inde » (Sidiropoulos 2012 : 112).

Tableau 3

Comparaison entre les pays du brics (état en 2011)

Comparaison entre les pays du brics (état en 2011)
Source : Compilation de données de la Banque mondiale et du sipri, sipriMilitary Expenditure Database 2011.

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La contribution croissante des pays émergents dans les opérations de paix fait aussi partie des évolutions du système international. En tout cas, avec d’autres pays en développement, ils en sont les principaux acteurs de terrain. Finalement, le système onusien de maintien de la paix semble s’articuler autour d’une répartition disproportionnelle des risques : pendant que les puissances occidentales (et le Japon) privilégient les appuis logistiques et financiers, les autres fournissent la « chair à canon » (Novosseloff 2008 : 265). Cela vaut d’autant plus pour l'Afrique, car la plupart des missions qui s’y déroulent relèvent du chapitre vii de la Charte des Nations Unies (Heinecken et Ferreira 2012c : 51). Pour les pays émergents, le maintien de la paix est devenu un lieu d’exercice du soft power. Le déploiement de troupes permet de nouer ou de resserrer les liens avec des pays en difficulté, pour préserver ou accéder à des enjeux stratégiques ou économiques.

Tableau 4

Les vingt plus grands fournisseurs de personnel militaire et policier aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies, janvier 2014

Les vingt plus grands fournisseurs de personnel militaire et policier aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies, janvier 2014
Source : un Department of Peacekeeping Operations, « Ranking of Military and Police Contributions to UN Operations », 31 janvier 2014.

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Au 31 janvier 2014, l’Afrique du Sud se plaçait, parmi les pays africains contributeurs de troupes dans les opérations de l’onu, à la huitième place derrière l’Éthiopie, le Nigeria, le Rwanda, le Ghana, le Sénégal, l’Égypte et la Tanzanie[4]. Ce pays n’est-il pas en train de reproduire, vis-à-vis du reste de l’Afrique, l’attitude des grandes puissances occidentales, consistant à financer le maintien de la paix et à laisser au monde en développement le soin de déployer des troupes ? Outre la contribution au budget de l’ua à hauteur de 15 % depuis 2006 (Vines 2010 : 59), l’Afrique du Sud représente le pilier du Fonds de la paix de l’Union (Aning et al. 2004 : 9). Elle tient ainsi en bonne partie les cordons de la bourse de l’effort africain en matière de paix et de sécurité. Dans le même temps, on constate que le Rwanda, un État pauvre, déploie deux fois plus de troupes qu’elle. Par ailleurs, absente de la mission délicate de l’Union africaine en Somalie (African Mission in Somalia – amisom) qui engage l’Ouganda, le Burundi, le Kenya, Djibouti et la Sierra Leone, l’Afrique du Sud ne participe que dans trois (monusco, minuad, Mission des Nations Unies au Soudan du Sud – minuss) des sept opérations de paix de l’onu en Afrique. Ces écarts de participation par rapport à des pays beaucoup plus faibles rendent problématique la légitimité de son aspiration au statut d’acteur responsable au niveau mondial – et pas suffisamment dans son environnement régional. Plus récemment, l’Afrique du Sud a décidé, avec le Malawi et la Tanzanie, de mobiliser les 3 069 soldats de la brigade d’intervention créée par la résolution 2098 (28 mars 2013) pour neutraliser les groupes armés qui sévissent à l’est de la rdc[5]. Mais, au lieu de déployer des troupes supplémentaires, Pretoria se contente de changer le rôle de ses contingents déjà en place en rdc (Roux 2013). L’armée sud-africaine est-elle à la hauteur des attentes en matière de maintien de la paix ?

Ressources financières et matérielles : comment se porte la sandf ?

La sandf a 20 ans en 2014 et un peu plus d’un siècle, si l’on se réfère à la loi à l’origine de la sadf, son prédécesseur sous l’apartheid. De ce point de vue, elle a la même longévité que l’anc – le plus vieux parti politique du continent – qui assure la destinée de l’Afrique du Sud depuis la fin de l’apartheid (Visser 2012 : 18). La sandf est forte de 74 596 soldats (Van der Waag et Visser 2012 : 2), un effectif bien en deçà de celui de la sadf qui comptait 178 000 hommes dans les années 1980 (Darbon 1987 : 48), et comparativement faible par rapport aux armées des pays africains aspirant au statut de puissance[6]. Elle est sans commune mesure avec ces dernières, tant en termes d’équipement, d’entraînement que de commandement (Sindjoun et Vannesson 2000 : 931). De plus, l’Afrique du Sud bénéficie de forces de projection incomparables en Afrique (Le Roux et Boshoff 2005) et fait partie des rares pays du continent qui disposent d’usines d’armes et de munitions (bad 2008 : 42) ainsi que de capacités d’exportation dans ces domaines (grip 2009 : 11). Sur le papier, cela ne fait aucun doute, l’Afrique du Sud possède un dispositif militaire impressionnant (Neethling 2003 : 95). Mais qu’en est-il concrètement sur le théâtre des opérations de paix ?

Comme il a déjà été dit, en dépit de ses ressources l’Afrique du Sud n’a pas contribué au maintien de la paix durant la présidence de Mandela. La réduction des inégalités, l’intégration de l’armée et la confiance en la démocratie comme facteur de paix l’ont amenée à réduire le budget de la défense, dont les dépenses sont consacrées à l’achat de matériels militaires traditionnels (Neethling 2012 : 473). Par conséquent, la sandf ne s’est pas équipée pour le maintien de la paix (Mills 2011 : 5-6). Mais un tournant s’enclenche avec le Livre blancsur la participation au maintien de la paix (1998). Dès lors, celui-ci est ouvert à la sandf. En 2004, près de 3 000 soldats sud-africains sont déployés au Burundi et en rdc (Aning et al. 2004 : 9). Des ressources financières conséquentes devaient donc être investies. C’est dans cette perspective que le programme de défense 2004-2007 prévoit d’accroître les capacités de la sandf. De 2,65 milliards de dollars en 2004, les dépenses militaires sud-africaines sont portées à 4 milliards en 2007 et à 4,6 milliards en 2011 (sipri 2011).

Cependant, depuis 1994, deux problèmes majeurs se posent. D’une part, malgré une augmentation de son budget, la sandf demeure sous-financée, alors que ses missions se multiplient et se complexifient (Heitman 2013). D’autre part, elle se dote de matériels sophistiqués sans un personnel suffisamment formé pour s’en servir, ou pas assez adaptés pour permettre la flexibilité dont elle a pourtant besoin dans le maintien de la paix, tout comme dans ses actions d’appui à d’autres ministères (Mills 2011 : 7-10). Les troupes de maintien de la paix se heurtent parfois à des groupes armés ; d’où la nécessité de s’appuyer sur des patrouilles mobiles bien équipées. Or, que ce soit au Burundi, en rdc ou au Soudan, les équipements utilisés par l’armée sud-africaine se sont révélés non opérationnels, faute d’entretien (Heinecken et Ferreira 2012a ; Olivier 2008 ; Pandrup 2007). Plus encore, l’expérience congolaise a montré qu’en matière d’équipement ses troupes ne valent pas mieux que celles des autres pays africains (Vines 2010 : 61). Pour sa part, Pierre Olivier (2008), un officier de la sandf, rapporte à quel point, en l’absence de véhicules blindés, les soldats sud-africains de la minuad ont été exposés aux forces rebelles.

L’Afrique est un continent – c'est vaste, et les conditions géographiques et climatiques peuvent y être extrêmement difficiles par endroits. Les initiatives de maintien de la paix sont encore plus laborieuses, puisqu’elles se déroulent essentiellement au sol (Heinecken et Ferreira 2012b : 42). Or, dans les sociétés d’accueil, les infrastructures sont inexistantes, détruites par la guerre ou mal entretenues. Dans les situations où la mise en place d’infrastructures s’impose comme un préalable au maintien de la paix, les troupes sud-africaines se rendent compte parfois qu’elles ne sont pas assez équipées (Heinecken et Ferreira 2012b : 40). De tels contextes exigent également des moyens aériens flexibles, qui deviennent essentiels autant pour le transport, la surveillance que pour le retrait des troupes lorsqu’elles se sentent en difficulté au sol. Mais la South African Air Force (SAAF), quoique relativement bien outillée, doit faire face à un déficit de financement.

Pourtant, l’une des premières décisions du gouvernement de l’Afrique du Sud post-apartheid a été de doter la sandf de nouveaux équipements (navires de guerre et avions de combat), avec un « contrat d’armement » de cinq milliards de dollars conclu en 1999. Mais ce contrat s’inscrivait en porte-à-faux avec les préoccupations de la majorité des Sud-Africains (Crawford-Browne 2010 : 329), d’autant plus que le pays n’était pas exposé à une menace militaire. Plus étonnant encore, le programme a débouché sur le plus grand scandale de corruption après-apartheid, connu sous le nom d’« Arms Deal ». Selon la haute hiérarchie militaire, les coûts de l’accord sur les armes ont paralysé financièrement la Force de défense nationale[7] et compromis le renforcement du personnel qui devait faire fonctionner l’équipement[8]. La sandf traîne encore ce manquement et doit composer avec un déficit de compétences, de pilotes et de personnel de maintenance (Mills 2011 : 17). Par exemple, entre 2001 et 2009, sur les 122 postes d’ingénieurs vacants, seuls 52 ont été pourvus ; 763 techniciens ont occupé les 1 630 postes disponibles et 237 pilotes les 369 postes proposés (Wessels 2012 : 242). Ce n’est pas tout. Récemment, la saaf a été contrainte de réduire ses heures de vol pour des raisons financières (DefenceWeb 2013). Dans le même temps, on a assisté à une extension de ses interventions : contrôler une superficie maritime de 340 000 km2, surveiller les frontières terrestres (4 471 km) et aériennes (76 600 km)[9], veiller sur le Parc national Kruger (contre le braconnage) et sur les îles Marion et Prince-Édouard.

Santé et discipline : comment va l’armée sud-africaine ?

La manière dont les troupes se comportent sur les théâtres d’opérations a un impact sur la société d’accueil, sur l’activité de maintien de la paix, sur l’image du pays d’origine ainsi que sur celle de l’organisation internationale mandataire. Leurs mauvaises conduites auront des conséquences à tous ces niveaux. Il existe une littérature importante sur les dérives des Casques bleus en mission (Allred 2006 ; Andreas 2008 ; Csáky 2008). Il n’est pas question d’y revenir longuement. Il convient toutefois de rappeler certaines d’entre elles qui ont été commises par les troupes sud-africaines.

Mais, d’abord, précisons à quel point la sandf demeure à l’image de la société sud-africaine, autant en termes de forces que de travers. D’un côté, la sandf reflète la diversité raciale et culturelle de l’Afrique du Sud (Erasmus et Uys 2012 : 108). De l’autre, elle est traversée par les problèmes qui font que la vie quotidienne de la plupart des Sud-Africains s’avère un véritable cauchemar : viols, violence, criminalité (Montesh et Basdeo 2012). De temps à autre, ses troupes de maintien de la paix expriment ces travers. En effet, sur bien des théâtres d’opérations sous l’égide des Nations Unies, la sandf a été citée dans des écarts de conduite : ivresse, bagarres publiques, agressions sexuelles, meurtres (Kagwanja 2009 ; Kruys 2009). Rien qu’au Burundi, entre 2002 et 2008, elle a enregistré 400 cas de délits et 264 cas de dérives disciplinaires ainsi que des centaines de procès en rdc (Kruys 2009 : 6). Ces faits ont pour conséquence d’éroder une des composantes du soft power, celle qui consiste à « gagner les coeurs et les esprits » à travers le maintien de la paix.

Une autre source de préoccupation serait liée au taux de prévalence du sida. On estime aujourd’hui à 23 % la proportion de soldats sud-africains qui sont séropositifs (ccr 2012 : 2). Cette situation a un certain nombre de conséquences : un fort taux de mortalité, un problème de compétences et de commandement lorsque les hauts gradés sont touchés, un effort financier considérable pour garder les éléments touchés ou pour en former d’autres, de la difficulté à déployer des troupes importantes ou de procéder à des rotations. Plus fondamentalement, ce sont l’efficacité et le prestige des forces de défense qui sont en cause (ccr 2009 : 16). Le comportement des soldats sud-africains peut favoriser le développement du vih-sida. En rdc, par exemple, certains d’entre eux ont eu des rapports sexuels avec de jeunes filles moyennant de la nourriture ou des jouets (Holt et Hughes 2004). Dans une étude plus récente menée par Lindy Heinecken et Rialize Ferreira (2012c : 54), un des répondants à l’enquête (membre de la sandf) se disait choqué par la manière dont des femmes congolaises vendaient leur corps à des soldats congolais et sud-africains. Ces questions de moeurs ont tendance à altérer l’image et l’influence de l’Afrique du Sud, déjà mises à mal par l’opinion critiquant la façon dont elle défend ses intérêts en soutenant des régimes non démocratiques.

B — La démocratie et les droits de l’homme en souffrance ?

Sous la présidence de Nelson Mandela, la politique étrangère de l’Afrique du Sud était articulée principalement autour de la promotion de la démocratie et des droits de l’homme (Mandela 1993). Ce positionnement idéaliste pouvait-il durer longtemps ? Ce qui est sûr, c’est qu’à la fin de sa présidence en 1999, et même bien avant, les ambitions de l’Afrique du Sud autour de ces valeurs avaient considérablement diminué (Jordaan 2010). Ce qui est nouveau, relève Eduard Jordaan (2010 : 86), c’est la vitesse avec laquelle ce pays, en s’appuyant sur un discours anti-impérialiste, est passé de défenseur des droits de l’homme au statut de protecteur de dirigeants qui violent constamment les droits. En tout cas, les engagements moraux cèdent le pas à une approche « au cas par cas » (Sidiropoulos 2012 : 114). Cela demeure perceptible, ne serait-ce qu’à travers les nombreuses controverses auxquelles l’Afrique du Sud a participé, notamment lors de ses passages au Conseil de sécurité des Nations Unies en tant que membre non permanent (2007-2008, 2011-2012) : opposition à la condamnation des violations des droits de l’homme au Zimbabwe, au Myanmar et en Biélorussie ; obstruction au blocage des avoirs appartenant au régime libyen déchu et refus de reconnaître le Conseil national de la transition libyenne (Besada et al. 2013 : 10) ; refus d’octroyer un visa de séjour au dalaï-lama, etc. Ces faits ont été interprétés comme autant d’indicateurs de mépris flagrants des droits de l’homme.

Par ailleurs, la « quiet diplomacy » ou « diplomatie silencieuse » (Landsberg 2004) mise en oeuvre au Zimbabwe est aussi très critiquée. La crise zimbabwéenne met particulièrement en cause le régime de Robert Mugabe et ses déficiences en matière de gestion. Celles-ci correspondent pourtant à tous les types de comportements autoritaires – injustice, répression, refus d’accepter les règles de la compétition politique – contre lesquels s’insurge l’Afrique du Sud post-apartheid. Sa réticence à impulser des changements majeurs, alors qu’elle en a les moyens, a terni sa réputation de championne de la démocratie (Johnson 2009 : 362) et de pays engagé de manière constructive dans le règlement des conflits (Phimister et Raftopoulos 2004).

Le dynamisme des puissances émergentes en Afrique n’est pas sans influencer ce glissement. L’Afrique du Sud a pu jouer le rôle de « gendarme de l’Afrique » tant qu’elle récoltait des avantages économiques à la hauteur de son engagement. Mais rien n’est moins sûr maintenant. Mis à part le Burundi, les pays qui ont accueilli le plus grand nombre de troupes de la sandf sont la rdc et le Soudan, des États riches en ressources naturelles. Ces engagements ont des retombées économiques. En 2004, Pretoria et Kinshasa ont mis en place la Grande Commission mixte, riche de plus de trente accords de coopération. Au Soudan, les investissements sud-africains sont passés de 5 millions de dollars à 48 millions de dollars entre 2000 et 2006 (Vines 2010 : 57). Globalement, l’Afrique du Sud continue d’élargir son espace de progression économique sur le continent. Cependant, elle est en difficulté en raison de la concurrence des puissances émergentes, la Chine principalement (Jenkins 2012). De plus, l’Afrique du Sud doit faire face à de nombreuses lacunes sur le plan intérieur : mauvaise qualité des services publics et des infrastructures, sida, pauvreté, chômage, inégalités, etc. Ces phénomènes sont autant de sujets d’inquiétudes, renforcés par la crise économique et financière. On estime à un million le nombre d’emplois perdus dans ce pays entre 2008 et 2009 (Chiroro 2012 : 9). Bref, un échantillon de logiques défavorables qui pousse Pretoria vers davantage de réalisme.

Certes, la politique africaine de l’Afrique du Sud accorde toujours une place à la démocratie et aux droits de l’homme. L’Afrique n’a pas besoin de criminels, et encore moins de gangsters au pouvoir (Mbeki 1998 : 297). Pourtant, dans certaines situations, l’Afrique du Sud soutient ceux qu’elle met en accusation. En 2000, elle avait pris position contre la victoire de Laurent Gbagbo à l’issue des élections « calamiteuses », en demandant la tenue d’un nouveau scrutin. Or, pour diverses raisons au moins aussi idéologiques qu’économiques, elle se manifeste ensuite comme le principal soutien de ce dernier aujourd’hui à La Haye. Le même scénario s’est produit avec la République centrafricaine. En effet, après avoir condamné le coup d’État ayant porté François Bozizé au pouvoir en 2003, l’Afrique du Sud a ensuite établi des accords de coopération militaire avec Bangui en 2007 (pour une période de cinq ans). Exception faite des experts envoyés en Côte d’Ivoire entre 2005 et 2006 pour soutenir le processus de désarmement, la sandf n’était jamais allée aussi loin sur le continent dans le cadre d’un accord bilatéral. Pour la première fois, des troupes sont envoyées sur cette base, dans un pays non membre de la sadc, très éloigné des préoccupations de nombreux Sud-Africains et qui ne représente pas un enjeu stratégique pour Pretoria (Hengari 2013). Lâché par la France, l’ancienne puissance coloniale, (et par le Tchad), Bozizé a pu compter jusqu’au dernier moment sur l’Afrique du Sud, qui l’a défendu sans succès et au prix de lourdes pertes en mars 2013 (treize morts) – les plus lourdes subies depuis la fin de l’apartheid. En soutenant à bout de bras le « régime vacillant et dictatorial de François Bozizé » (Mail & Guardian 2013a), le pouvoir de Jacob Zuma aurait cherché à protéger des intérêts politico-affairistes dans un pays riche en ressources minières (Mail & Guardian 2013b).

L’action sud-africaine en rca s’inscrit dans un cadre plus global de renforcement des capacités des armées africaines, en vue d’une gouvernance démocratique du secteur de la sécurité. Ce qui est en cause, c’est la manière dont ce type de projets est réalisé sur le continent (Hengari 2013). L’Afrique du Sud a tendance à appuyer de manière systématique des présidents mal élus ou autoritaires (Joseph Kabila, François Bozizé, Laurent Gbagbo, feu Mouammar Kadhafi, Robert Mugabe, etc.). En procédant ainsi, elle donne l’impression d’avoir un faible pour les hommes forts (Didier et al. 2013), et ne se distingue en rien de la Chine et de la Russie (Bohler-Muller 2012), qui ont une « piteuse performance » en matière de démocratie et de droits humains (Hermet 2008 : 287).

Conclusion

À la différence de la plupart des pays africains, l’Afrique du Sud s’est engagée tardivement dans le maintien de la paix. Mais, très rapidement, elle est devenue un acteur incontournable. C’est le continent africain qui a accueilli sa première et sa plus importante contribution ainsi que son plus grand nombre de participations au maintien de la paix. Cela s’explique par l’inextricable liaison entre l’Afrique du Sud et le reste de l’Afrique. Même si ce pays avait envie de se tourner principalement vers d’autres parties du monde, il ne le pourrait pas en raison de l’intégration de son économie dans l’économie africaine. L’Afrique du Sud a donc intérêt à assumer plus de responsabilités dans la gestion et le règlement des conflits. Davantage de soutien devrait être apporté aux dynamiques sous-régionales et régionales.

L’Afrique du Sud a consolidé sa position de puissance ; cela ne fait plus aucun doute. Toutefois, dans ses relations avec la plupart des pays africains, tout comme en ce qui concerne le maintien de la paix, elle est encore en apprentissage. De plus, son armée, bien que plus prestigieuse sur le papier, est en sous-effectif, sous-financée, mal équipée et indisciplinée. Autant de faiblesses qui sont en distorsion avec le voeu sud-africain d’africaniser la gestion des conflits. Finalement, son implication dans le maintien de la paix oscille entre engagement constructif et Realpolitik. La meilleure illustration est le soutien systématique destiné aux leaders qui naviguent à contre-courant des principes de l’anc, seulement parce qu’ils furent des appuis à celui-ci contre l’apartheid ou que leurs pays offrent des avantages économiques ou stratégiques. Cette stratégie pourrait saper le prestige international auquel le gouvernement sud-africain tient encore, si l’on se réfère à cette déclaration de Jacob Zuma : « Dans un contexte de mondialisation où l’information circule comme du feu et fait l’objet de mauvaises interprétations, notre diplomatie ne peut se permettre de négliger l’opinion publique » (City Press 2013).