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L’ouvrage Passages migratoires expose la synthèse des travaux de recherche et de création en design qui se sont concrétisés à la suite d’un partenariat entre des universités et des communautés autochtones. Codirigé par Élisabeth Kaine, professeur de design à l’UQAC, et Élise Dubuc, professeure adjointe de muséologie à l’Université de Montréal, le livre relate le projet de recherche Design et culture matérielle : développement communautaire et cultures autochtones sous la forme de riches et multiples photographies autant des individus que de leurs oeuvres ainsi qu’en éloquents témoignages. Les travaux dans trois communautés autochtones du Québec se sont échelonnés sur cinq ans, soit entre 2004 et 2009, mais la réflexion qu’ils ont provoquée, vaste, est toujours en activité. Des personnes de tout horizon ont collaboré à la transmission de la culture autochtone par ce projet, qu’il s’agisse de muséologues, d’anthropologues, de designers, d’étudiants-chercheurs, d’artisans et artistes autochtones ou de membres des communautés participantes, dont la résultante est un projet de nouvelle muséologie. L’ouvrage et son titre en rappelle l’exposition synthèse qui a circulé de 2008 à 2010 localement dans les communautés autochtones de la province ainsi que nationalement dans différents musées canadiens.

Il s’agit, pour les chercheurs comme pour les Autochtones, de participer à la création d’une ouverture, d’un renouveau, le tout axé sur les traditions, mais aussi sur l’individualité et l’expérience de tous et chacun, ainsi que sur le design. Le dialogue, orienté vers une meilleure connaissance des enjeux dans le domaine patrimonial, enrichit le lien entre le milieu communautaire et le milieu de la recherche, entre les établissements culturels et le public, entre les Autochtones et les Allochtones ainsi qu’entre les générations. L’objectif initial de cette mobilisation est de jeter les bases d’une nouvelle muséologie qui pourrait transmettre plus efficacement les valeurs autochtones et les aspirations des communautés. En somme, la création et l’action communautaires doivent donner lieu à une certaine affirmation identitaire, ce dont témoignent les participants qui ont tous un espace biographique attitré dans l’ouvrage.

Passages migratoires nous présente tout d’abord les vingt-trois artisans ayant participé aux ateliers de création de même que les oeuvres qu’ils ont conçues. Par la suite, nous retrouvons un compte-rendu du processus débuté en 2004, soit une réflexion sur la culture, le patrimoine et la représentation de l’identité. Les ateliers ont été conçus afin de répondre aux objectifs liés au désir d’affirmation identitaire en communauté. Il s’agit avant tout de favoriser l’expression créative, culturelle et personnelle des artisans et artistes. Innover plutôt que d’entretenir les stéréotypes depuis longtemps véhiculés par les divers médias par rapport à l’image des Autochtones. S’inspirer de l’expérience et du vécu plutôt que de reproduire des objets normalement attribués à la culture autochtone. Pour y parvenir, les participants ont dû retourner à leurs racines et prendre un peu de recul lors d’un séjour de quelques journées en forêt.

Entre passé et présent et entre leur expérience et leur culture, les artisans-artistes autochtones sont parvenus à créer des produits qui transposent les éléments traditionnels dans la réalité actuelle. Ils ont ensemble réussi à révolutionner leur art en y intégrant un design plus contemporain, et ont ainsi contribué à se renouveler, à se retrouver, à se réapprendre. Pour les Autochtones, l’affirmation culturelle représente un enjeu majeur. Il est donc primordial pour eux d’abord de raviver les liens patrimoniaux, de les exprimer, de se créer leur propre identité et de la communiquer, et surtout, de se rassembler afin de mieux se définir, et ainsi développer des potentialités économiques.

La deuxième partie de l’ouvrage-catalogue expose le procédé, pour parvenir à concrétiser les objectifs visés, à savoir la conception de programmes de formation novateurs en design graphique, en design de produits et en nouvelles technologies. Un inventaire participatif a également été mis sur pied. Ces actions visaient un objectif d’empowerment, donc à donner aux participants l’autonomie et les habiletés nécessaires afin de parvenir à déterminer de quelle façon se représenter, aussi bien au niveau du contenu que de la forme.

En troisième lieu, les projets tels qu’un musée virtuel, une exposition nomade, des groupes de réflexion et de théâtre ont vu le jour notamment grâce à la Boite Rouge Vif qui innove dans le domaine du design communicationnel d’aménagement et de produits dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean et qui était fortement impliqué dans le processus. Il faut savoir que l’idée de travailler autour d’une nouvelle muséologie autochtone née au sein de l’Alliance de recherche universités-communautés Design et culture matérielle : développement communautaire et cultures autochtones est née d’une triste constatation : les Autochtones ne fréquentaient pas le Musée Shaputuan qui avait été créé à Uashat eu 1998 pour acquérir, conserver et exposer des objets témoins de la culture innue. Les Innus eux-mêmes ne s’y reconnaissaient pas, même si le musée portait le nom de Shaputuan et qu’il avait la forme d’une tente de rassemblement. Ils ne voyaient tout simplement pas comment ce musée pouvait montrer leur culture, la transmettre et éduquer les plus jeunes. Le musée en somme ne correspondait ni à leurs intérêts, ni à leurs attentes. Il était donc important de résoudre cette problématique par le soutient à des projets créatifs, initié par les Autochtones eux-mêmes.

De plus, il fallait revoir globalement les pratiques du musée. Certains exercices ont été mis sur pied afin de trouver une solution et parvenir à inventer une nouvelle muséologie. Le principal est l’inventaire participatif du patrimoine culturel communautaire, réalisé afin de déterminer quels sont les objets dignes d’importance pour les Autochtones, lesquels ont pour eux de la valeur aussi bien au point de vue personnel que culturel. Certaines expositions ont également eu lieu, et elles ont représenté, avec les activités de création, des moyens de prise de conscience, d’expression et de diffusion. Il est après tout essentiel de partager l’information recueillie, de la diffuser, comme de tout faire pour rejoindre le plus de gens possible, à la fois Autochtones ou autres. Cela afin de transmettre la culture et les traditions, et de les perpétuer à travers le temps.

En conclusion, l’ouvrage souligne l’apport des assistants de recherche puisque les liens d’amitié tissés sont une composante primordiale de l’expérience. Enfin, la collaboration entre les communautés autochtones et les universités a permis la naissance de projets ambitieux et a servi au rapprochement intergénérationnel. Une fois que le mouvement est enclenché, il est important de poursuivre sur cette lancée. Ce sont les traces laissées par cet héritage et ces actions que relate avant tout Passages migratoires.