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1. Introduction et problématique

Dans l’ensemble des écoles primaires et secondaires publiques de l’île de Montréal, plus de la moitié des élèves inscrits sont issus de l’immigration depuis le début des années 2000, ce qui inclut les élèves nés à l’étranger, ceux nés au Québec de parents nés à l’étranger et ceux nés au Québec dont un seul parent est né à l’étranger (Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal, 2007). Notons que les élèves de première génération sont nés à l’étranger, alors que ceux de deuxième génération sont nés au Canada et ont au moins un de leurs parents qui est immigrant ou dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais. Quant à la troisième génération, elle est formée d’élèves dont l’origine immigrante est de plus de deux générations et qui sont considérés comme des non-immigrants. Les écoles québécoises, particulièrement à Montréal, se sont donc engagées dans un processus continu d’adaptation systémique à la diversité depuis plus d’une vingtaine d’années afin de faciliter l’intégration scolaire des élèves issus de l’immigration (McAndrew, 2001 ; McAndrew et Audet, 2010). En effet, selon plusieurs études, l’expérience sociale et scolaire des jeunes issus de l’immigration ou réfugiés serait à la fois semblable et différente de celles des autres élèves. S’ils passent, comme les autres, d’un cycle à l’autre en vivant un stress scolaire et d’importantes transformations physiques, psychologiques et cognitives, ils sont aussi soumis à un stress d’acculturation et d’adaptation linguistique, cognitif, psychopédagogique et psychosocial (Berry, Phinney, Sam, et Vedder, 2006 ; Hohl et Kanouté, 2011 ; Kanouté et Lafortune, 2011 ; Kanouté, Vatz-Laaroussi, Rachédi et Tchimou, 2008 ; Steinbach, 2007 ; Suarez-Orosco et Carhill, 2008). Ils doivent, en effet, développer de nouveaux repères culturels, vivre souvent des deuils de séparation avec la famille ou les amis restés au pays d’origine, s’adapter à un système social et scolaire inconnu dans une langue souvent différente de leur langue maternelle, être performants à l’école et se faire accepter par de nouveaux amis. Des conditions socioéconomiques difficiles et des déclassements professionnels peuvent s’ajouter aux difficultés d’adaptation culturelle rencontrées par le jeune et les membres de la famille. Ils ont souvent perdu, à des degrés variables, leur capital social au cours du projet migratoire, en laissant derrière eux ceux qui leur fournissaient un soutien, une identité, un sentiment d’appartenance et un statut social ou professionnel. Ces jeunes peuvent aussi accumuler un retard scolaire et des déclassements scolaires à leur arrivée, en raison, entre autres, des écarts entre les systèmes scolaires du pays d’origine et du pays d’accueil ou des années sans scolarisation (demandeurs d’asile ou réfugiés, accès à l’éducation limité dans le pays d’origine). De plus, par leur appartenance à un groupe minorisé ou racialisé dans la société d’accueil, ils endossent les stigmates et discriminations vécus par leur communauté (Lafortune, 2012 ; Ogbu et Simmons, 1998 ; Potvin, M., Eid, P. et Venel N. (dir.) 2007). Le type de rapport avec la société d’accueil lié à l’histoire a donc un impact sur leur expérience et leur réussite scolaires.

Bien que plusieurs chercheurs critiques affirment que la jeunesse dominée, de milieux défavorisés ou issue des groupes minoritaires, se sent généralement exclue du système scolaire capitaliste (Dei, 2003 ; McMahon et Portelli, 2012), les études ne sont pas si nombreuses à tenir compte de la perspective du jeune, de son engagement vis-à-vis de l’école et de ses apprentissages et de la manière dont il pourrait en rendre compte (Magnan, Pilote et Vidal, 2014, p. 15). Selon ces derniers auteurs, mêmes les études ethnographiques et centrées sur  le sens que l’élève donne à son expérience scolaire voient souvent l’engagement des élèves envers l’école sous un angle très normatif, comme une simple forme d’implication dans les activités.

Parmi les travaux prenant en compte la voix des jeunes issus de l’immigration et leur regard sur l’école, une étude sur les différentes collaborations écoles-familles immigrante (Kanouté et al., 2008 ; Vatz Laaroussi, Rachédi et Kanouté, 2008) a montré, à l’instar d’autres recherches canadiennes (Sweet, Anisef et Walters, 2008), que les jeunes issus de l’immigration et leurs parents accordent une signification très stratégique et marchande à l’école et à la réussite scolaire. Donnant aussi la parole aux autres acteurs (parents, enseignants), la recherche a permis d’éclairer les attentes scolaires très et, parfois, trop élevées des parents immigrants envers leurs enfants dans certaines communautés, et les perceptions des enseignants à cet égard, qui parlaient de pression, de surenchère à la réussite, et qui s’inquiétaient de l’effet boomerang des risques de démotiver certains d’entre eux en ayant des attentes parfois irréalistes à leur endroit (Vatz Laaroussi, Rachédi et Kanouté, 2008, p. 33).

D’autres études ont mis en évidence le regard critique des élèves des minorités sur les différents facteurs institutionnels ou systémiques, liés aux services, aux règles ou aux pratiques scolaires peu adaptés, de même que sur les attitudes des enseignants et les rapports d’inclusion et exclusion dans les rapports entre élèves (Dei, 2003 ; Livingstone, 2010 ; Potvin, 2007 ; Potvin et Leclercq, 2010). Les jeunes mentionnent, entre autres, des retards accumulés en raison de leur passage en classe d’accueil (Steinbach, 2010) ou en cheminement particulier, des méthodes pédagogiques peu adaptées ou certains diagnostics, déclassements ou reclassements effectués par l’école, qui relèveraient d’un certain racisme institutionnel ou des enseignants et d’une faible évaluation et prise en compte de leurs besoins. Plusieurs jeunes ont aussi mis en évidence l’absence de considération pour la culture jeune dans l’apprentissage (le slam, le hip hop, les médias sociaux), la rareté des modèles d’enseignants issus des minorités et la faible participation des élèves aux décisions concernant le curriculum, les activités ou les règlements de l’école (Livingstone, 2010). Par ailleurs, la vaste consultation auprès des jeunes des minorités visibles et des acteurs scolaires sur le profilage racial et la discrimination systémique de la Commission des droits de la personne a révélé des constats troublants faits par les jeunes et les acteurs scolaires quant aux règles ou pratiques institutionnelles, d’apparence neutre, qui ont des effets préjudiciables sur le parcours scolaire des jeunes des minorités (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, 2011). Les jeunes Noirs ont déclaré être victimes de plus de surveillance et de sanctions disciplinaires et d’une moindre gradation dans les sanctions, de plus de signalements à la Direction de la protection de la jeunesse par les écoles, d’être plus souvent classés dans les classes spéciales, avec un code EHDAA (élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage), de subir des tests de diagnostic et de classement peu adaptés et qui induisent des biais, d’être plus souvent orientés vers le secteur des adultes pour finir leur secondaire, d’avoir moins de soutien et d’être l’objet d’attentes moins élevées de la part des enseignants. Le rapport note par ailleurs que ces pratiques ont forcément des répercussions sur la motivation, l’estime de soi, l’échec et l’abandon, le climat d’appartenance et de justice à l’école, ainsi que sur d’autres enjeux reliés à la construction identitaire et, en particulier, à l’harmonisation de l’intersection des identités ainsi qu’à la capacité de ces jeunes de se projeter dans la société québécoise (Potvin, 2007).

D’autres études canadiennes menées avec des jeunes des minorités avaient aussi relevé le caractère problématique de ces pratiques liées à la discipline (sanctions plus sévères envers les Noirs), au classement (tracking), aux épreuves uniformes (high-stakes testing) (Lucas, 2001 ; Mehana et Reynolds, 2004 ; Potvin et Leclercq, 2010), à l’acting white (agir comme les Blancs), à l’absence de monitoring, de soutien ou de suivi pour répondre aux besoins des jeunes des minorités, des immigrants et des réfugiés (Gillborn, Ladson-Billings et Taylor, 2009), de même qu’à la surévaluation (over-policing) ou à la sous-évaluation (under-protecting) de leurs problèmes ou difficultés scolaires (Kushnick, 1999), qui ont pour effet de diriger ces jeunes vers des classes spécifiques ou des voies d’évitement à cause de biais culturels ou linguistiques dans les instruments d’évaluation ou lors des jugements professionnels (Brown-Jeffy et Cooper, 2011). À cet égard, plusieurs travaux adoptant une perspective critique ont montré comment les jeunes font preuve de résistance face aux divers processus structurels et institutionnels de domination et de pouvoir (culturel et social) qui les marginalisent et affectent leur expérience scolaire (Delgado et Stefanic, 1993 ; Nieto, 2009 ; Potvin, 1997 ; Solomon, 1996, 2002). L’Enquête sur la diversité ethnique de Statistique Canada (2002 ; Reitz et Banerjee, 2007) et plusieurs études qualitatives québécoises qui ont questionné les jeunes (Mossière et Le Gall, 2012 ; Potvin, 2007 ; Livingstone, 2010) ont révélé que les jeunes de certaines minorités visibles, notamment ceux de 2e génération, ont un sentiment de victimisation plus fort face à la discrimination que la première génération, de même qu’une appartenance plus faible envers le Canada, des attentes plus grandes quant à l’égalité sociale et au respect de leurs droits, et des tensions identitaires parfois difficiles à harmoniser. L’étude déjà ancienne de Laperrière (1989, 1989-1991), menée auprès d’adolescents sur la construction des relations interethniques dans deux écoles montréalaises, avaient aussi indiqué l’incidence du racisme perçu par les jeunes des minorités visibles dans la construction de leur identité et de leurs stratégies d’intégration. L’auteure relevait, dans leur discours, un isolement ethnique progressif d’un cycle à l’autre au cours de leur scolarisation et l’existence de frontières ethniques.

Or, comment les jeunes issus de l’immigration qui fréquentent l’école primaire ou secondaire en milieux pluriethniques et défavorisés à Montréal analysent-ils leur propre expérience socioscolaire et les facteurs et acteurs qui l’influencent ? Quels sont les principaux thèmes qui les mobilisent et qu’ils font émerger lorsqu’ils discutent ensemble de leur adaptation sociale au Québec, de la socialisation à l’école ou de leur parcours scolaire ? Selon eux, quels sont les facteurs positifs ou négatifs les plus significatifs de cette expérience, en termes cognitif, affectif et social ? Les élèves donnent-ils un sens plutôt normatif à leur propre expérience socioscolaire, un sens stratégique et instrumental ou un sens éthique et plutôt critique ? Existe-t-il ou non des différences dans les discours des jeunes ? Si, oui, en fonction de quels facteurs ?

Cette petite étude très exploratoire, menée en 2008-2009, a visé à répondre à ces questions. Volet d’une recherche plus large sur l’intégration scolaire et sociale des jeunes d’origine immigrée à Montréal (Bilodeau et al., 2010), elle s’est intéressée à l’expérience scolaire et sociale d’élèves issus de l’immigration, de première génération (ayant immigré) et de deuxième génération (nés au Canada), à travers la voix et le regard de trois groupes de réflexion et d’analyse (un par école), composés de 7 à 9 jeunes chacun (24 jeunes au total), l’un dans une école primaire, un autre dans une école secondaire de premier cycle et un dernier dans une école secondaire de second cycle d’un quartier pluriethnique et défavorisé de Montréal (Potvin, Audet, Carignan, Bilodeau et Deshaies, 2010). Notre but était de saisir l’autoanalyse que font les jeunes, entre pairs, des facteurs sociaux, migratoires, culturels et scolaires les plus significatifs de leur propre expérience socioscolaire, individuelle et collective afin de documenter les processus à l’oeuvre dans leur expérience.

Au lieu d’adopter une perspective positiviste sur les jeunes issus de l’immigration en contexte scolaire, en abordant leur expérience sous l’angle des difficultés qu’ils rencontrent du point de vue du système ou des statistiques de cheminement et de réussite, nous avons laissé les jeunes analyser leur situation et formuler le sens qu’ils donnent à leur expérience. Dans un très grand nombre de recherches menées avec/sur les jeunes, ceux-ci sont souvent instrumentalisés, et il est rare qu’ils occupent à la fois les rôles de sujets/objets, partenaires et analystes ou co-chercheurs (Delgado, 2006). L’approche adoptée, la sociologie de l’expérience, rejoint les perspectives critiques, transformatives, démocratiques, participatives et ethnographiques, qui positionnent les jeunes comme sujets réflexifs et acteurs de transformation de leur école (Delgado, 2006 ; Giroux, 1983). À travers la démarche de l’intervention sociologique (Touraine, 1978), notre approche leur permet d’autoanalyser leur expérience, les facteurs et les logiques qui la traversent, et de valider, avec les chercheurs, les résultats de l’analyse. Si François Dubet est le chercheur qui a le plus utilisé cette démarche auprès des jeunes, notamment pour étudier ce qui se passe dans la boîte noire qu’est l’école à partir de la voix et du regard des élèves, il n’en demeure pas moins que l’intervention sociologique et la sociologie de l’expérience restent peu connues à l’extérieur de l’espace intellectuel francophone et, en dehors, de la sociologie. Pourtant, cette perspective partage de nombreux fondements avec les courants critiques en éducation (les approches antiracistes, démocratiques, transformatives), dont la Youthparticipatory action research methodology, qui visent l’autoanalyse critique et l’empowerment des jeunes des groupes minoritaires ainsi que la coconstruction des savoirs par les chercheurs et les jeunes à travers une démarche dialogique (Delgado, 2006 ; Sutton, 2007).

Cette étude visait donc spécifiquement à mieux comprendre les processus par lesquels les jeunes construisent leur expérience scolaire au fil de leur parcours de vie, à partir des processus d’adaptation socioculturelle, liés à l’expérience migratoire des jeunes ou de leur famille, des logiques proprement scolaires et des socialisations plurielles provenant de l’interaction avec la famille, les pairs et les acteurs scolaires. L’expérience sociale et scolaire est un travail du sujet qui construit son unité à partir des différentes dimensions de sa vie (Dubet, 1994) et des différentes formes d’appartenances aux divers systèmes d’action qu’il traverse au cours de sa vie (Dubar, 2010). L’école, comme espace de rencontre et d’articulation des autres formes de socialisation, est ici abordée sous l’angle de l’interprétation subjective qu’en font les jeunes issus de l’immigration. Nous nous penchons donc sur la boîte noire que représentent ces acteurs de l’école afin de questionner les dynamiques, les relations, l’insertion et le type d’acteur que fabrique l’école […], ce qui requiert de se placer du point de vue des élèves et pas seulement du point de vue des fonctions du système (Duru-Bellat et Van-Zanten, 1999, p. 9).

2. Contexte théorique

2.1 L’expérience, une combinaison de processus sociologiques

La perspective adoptée, celle de la sociologie de l’expérience (Dubet, 1994), s’inscrit dans une approche constructiviste qui postule que l’individu est un produit et un producteur du social et vice versa (Corcuff, 1995). Cette approche repose sur une articulation entre conceptions interactionniste et holiste de l’activité sociale. Sur les perspectives interactionnistes, Morissette, Guignon et Demazière (2011, p. 1) soulignent que le regard interactionniste considère le monde social comme une entité processuelle, en composition et en recomposition continues à travers les interactions entre acteurs, les interprétations croisées qui organisent les échanges et les ajustements qui en résultent. La société est une interdépendance et une action mutuelle, et l’analyse interactionniste porte prioritairement sur les points de vue des acteurs, et plus encore sur les croisements de ces points de vue. Se situant à la frontière de la sociologie compréhensive, de la phénoménologie sociale et des perspectives critiques en sociologie de l’éducation (Giroux, 1983), l’approche constructiviste suppose que l’élève est un acteur qui possède des compétences et la capacité de donner sens à sa propre histoire, en construisant ses choix, stratégies et résistances en fonction de ses relations sociales et des situations vécues au quotidien :

… parce que l’expérience la plus individuelle reste socialement construite dans le jeu des relations aux autres et des rapports sociaux, elle doit être saisie dans ses relations à travers l’activité d’un groupe qui témoigne d’une condition commune et socialement située

Dubet et Martucelli, 1996, p. 50

La sociologie de l’expérience est centrée sur les façons dont l’individu compose avec des logiques sociales hétérogènes. L’expérience relie système et acteur, puisque l’acteur n’agit pas dans le vide, mais construit son expérience à partir d’éléments objectifs, de mécanismes et de processus sociaux et historiques. Elle est une combinaison subjective et microsociologique d’éléments objectifs, une combinatoire des logiques analytiques par laquelle l’acteur met en jeu une définition de lui-même, de la nature de son rapport à autrui et de l’enjeu de la relation (Dubet, 1994, p. 112).

L’expérience dans ses dimensions scolaire et sociale s’appréhende donc en termes de processus sociologiques où s’entrecroisent les pratiques des acteurs en interaction et les logiques d’un système, combinant à la fois des dimensions subjectives, d’identité et de sens donné par les acteurs eux-mêmes et des éléments liés aux structures et aux processus institutionnels qui contribuent à réduire ou à accroître les obstacles et les opportunités des acteurs. Par exemple, l’expérience proprement scolaire participe à la construction de l’identité des élèves. Par le biais des messages véhiculés par l’institution (et la société) sur la valeur de l’éducation et sur la valeur scolaire de chaque élève, ces derniers sont amenés à porter un jugement critique sur l’école et sur eux-mêmes, à s’autoévaluer et à évaluer les autres acteurs scolaire ou encore à développer des attitudes de rejet, de retrait ou de motivation face à l’école (Barrère, 1997).

En tant qu’objet d’analyse, l’expérience renvoie donc à :

…une combinaison de logiques d’action, logiques qui lient l’acteur à chacune des dimensions d’un système. L’acteur est tenu d’articuler des logiques d’action différentes, et c’est la dynamique engendrée par cette activité qui constitue la subjectivité de l’acteur et sa réflexivité

Dubet, 1994, p. 105

Ces logiques ou processus sociologiques sont de trois ordres, qui s’articulent souvent, mais qui renvoient à des significations différentes de l’école et de l’expérience socioscolaire d’un jeune (Dubet, 1994) :

  1. Une logique normative d’intégration (à des groupes, à la classe, à la société, etc.), à travers des normes et des rôles sociaux intériorisés par les élèves et véhiculés par la famille, l’école, la société (code de vie, valorisation des diplômes, conformisme social, définition du bon élève, etc.).

  2. Un processus de compétition scolaire ou logique stratégique de défense de ses intérêts sur un marché scolaire (les résultats, les filières, les meilleures écoles, les diplômes…).

  3. Une logique critique, de résistance, de construction éthique du sujet, arbitrée par des enjeux moraux et civiques (vocation, liberté de conscience, réalisation de soi) et par une subjectivation ou distance critique face aux normes/rôles prescrits et aux stratégies sur un marché, faisant appel à des principes de vérité et d’authenticité (apprendre pour se cultiver, pour être heureux, etc.). À ce sujet, Dubet et Martucelli (1998) ont observé dans leur recherche que la subjectivation caractérise davantage l’expérience scolaire des meilleurs élèves, qui ont développé une aptitude à mettre à distance les jugements de l’institution, alors que ce serait l’inverse pour les élèves en échec, qui ont moins d’estime subjective indépendante des jugements scolaires.

L’expression des logiques d’action dans le discours des jeunes constitue autant de sens différents donnés par les jeunes à leur propre expérience individuelle et collective, sociale et scolaire. L’expérience socioscolaire des jeunes, qui fait écho aux mondes de la famille, des amis et des acteurs scolaires, comporte donc plusieurs dimensions traversées par des logiques d’action parfois en tension les unes avec les autres. Par exemple, le projet de l’élève (par rapport à l’élaboration de son futur statut d’adulte et à l’utilité de ses études) peut s’opposer au métier d’élève tel que prescrit, qui s’exprime souvent sur un mode purement normatif ou stratégique ou encore aux relations affectives qu’il peut développer avec les professeurs ou les élèves. Il peut les articuler harmonieusement ou non.

Le discours de l’acteur est donc toujours construit à partir des situations objectives ou des déterminants sociaux (notamment ceux de l’école : normes, pratiques, structures) et du sens qu’il en donne à travers sa subjectivité. En tant qu’activité subjective, le discours et l’interprétation que fait le jeune de son expérience est un travail d’articulation de ces différentes logiques sociologiques : le sujet définit une situation du point de vue des normes ou de ses intérêts ou intentions (qui inclut toujours une série de choix potentiels) et d’un point de vue critique, parce que l’acteur la juge, la justifie, l’explique en la mettant à distance et en faisant appel à des principes de vérité et d’authenticité pour lui donner sens (Dubet, 1994). C’est ce travail des sujets qui a fait l’objet de notre recherche.

2.2 Nos objectifs

Notre objectif de recherche était de saisir les modes de construction d’une expérience socioscolaire chez trois groupes de jeunes d’âges différents, presque tous issus de l’immigration (voir méthodologie), afin d’en dégager les logiques d’action à partir des situations sociales et des relations sociales qu’ils vivent au quotidien et qui sont liées au passé, au présent et au futur de ces individus : processus migratoire et adaptation de leur famille, vécu scolaire lié aux fonctions d’instruction, de socialisation et de qualification de l’école. Nous voulions donc saisir comment ces jeunes, réunis en groupes de discussion et d’analyse, donnent sens et analysent leur propre expérience socioscolaire, en laissant émerger, de manière inductive et au fil des discussions, les facteurs qu’ils jugent positifs ou négatifs de leur expérience, et en identifiant avec les participants les types de situations, de problèmes, d’acteurs, d’enjeux, de relations sociales. Les jeunes ont donc évalué eux-mêmes l’importance et la signification de ces situations, problèmes ou enjeux. Quelques questions générales visant à faire démarrer les débats se sont articulées autour de grands thèmes : processus migratoire et adaptation/intégration du jeune et de sa famille au Québec, scolarisation et socialisation (participation et relations sociales) à l’école. Les jeunes ont donc mené une autoanalyse des facteurs les plus significatifs et des processus ou logiques d’action (normative, stratégique, éthique/de subjectivation) qui les sous-tendent et ont validé les résultats des chercheurs.

Dans l’espace limité de cet article, nous relevons seulement quelques-uns de ces résultats par groupe et pour l’ensemble des trois groupes de discussion.

3. Méthodologie et déroulement

Notre démarche méthodologique vise à donner la parole aux élèves et à saisir les logiques de leur expérience dans la complexité des discours et des relations qui se nouent dans un groupe de jeunes amenés à réfléchir et à débattre sur ce qu’ils vivent à l’école. L’approche est donc qualitative et inductive. Elle entend faire émerger de leur discours les facteurs positifs ou négatifs les plus significatifs de leur expérience autour de trois axes thématiques – le processus migratoire et l’adaptation/intégration sociale du jeune et de sa famille, la scolarisation et la socialisation (participation et relations sociales) à l’école – facteurs qu’ils analysent pour en fixer la centralité. Elle s’inspire de l’intervention sociologique, qui est la mise en oeuvre pratique d’une démarche théorique, celle de la sociologie de l’action (Touraine, 1978), au fondement de la sociologie de l’expérience (Dubet, 1994). Cette démarche place les rapports sociaux au centre de l’analyse et rejoint, à plusieurs égards, la tradition ethnométhodologique (Coulon, 1993). L’intervention sociologique a été appliquée, entre autres, à l’étude de l’expérience socioscolaire d’élèves et d’enseignants en France (Dubet et Martucelli, 1996) et à celle de deux générations d’origine haïtienne au Québec (Potvin 2007).

Cette méthode qualitative appréhende l’expérience sociale de façon dynamique à partir des débats dans un groupe d’analyse, des interactions qui en construisent les conduites et des rapports sociaux qui la constituent. Les groupes, d’une dizaine de participants, doivent accepter de s’engager dans un processus nécessitant plusieurs rencontres et de se prêter à une autoanalyse collective de leur expérience socioscolaire et de ses problèmes, enjeux et modalités.

Sur plusieurs semaines, nous avons donc observé et questionné les élèves afin de décrire et de comprendre comment ils construisent leur expérience de l’école, de même que les relations qu’ils nouent avec les adultes, les professeurs, les pairs ou les parents. Nous voulions saisir, dans leurs discours et leurs conduites, comment ils définissent l’école et comment ils y vivent au quotidien : est-ce avant tout (ou en même temps), pour eux, un espace de socialisation pour s’épanouir dans leur vie juvénile ? Un lieu d’apprentissage pour avoir un travail et devenir quelqu’un ? Une institution qui fabrique des sujets conformes aux normes sociales et scolaires ? Un espace où naissent des projets multiples ? Un lieu d’égalité ou d’inégalités, d’inclusion ou d’exclusion ?

Par ailleurs, dans cette méthode, les chercheurs ne se limitent pas à animer la discussion ; ils proposent aussi des hypothèses qu’ils testent avec les groupes, une analyse qu’ils ramènent au groupe pour la travailler ensemble. Les chercheurs tiennent leur propre Journal de bord afin d’analyser, après chaque rencontre, les thématiques et les positions des acteurs, qui se cristallisent au fil des débats. Par ailleurs, chaque groupe de jeunes exerce une autoanalyse de son expérience avec le(s) chercheur(s) et construit une distance par rapport à lui-même.

La première étape de la démarche consiste à ouvrir la discussion de groupe sur un thème, puis de revenir, sous forme de débats, sur chacun des thèmes qui ont émergé au fil des rencontres du groupe afin de cerner plus distinctement les positions des participants et leur stabilité. La deuxième étape consiste en la présentation, par les chercheurs, de leurs hypothèses et raisonnements d’ensemble sur les facteurs les plus dominants dans le discours des jeunes dans chaque groupe et sur les logiques de l’expérience du groupe afin que le groupe travaille ces hypothèses et en dégage ou non la pertinence et la validation. Le groupe produit ainsi son autoanalyse. La méthode exige que la reconstitution théorique de l’expérience soit validée par les sujets comme fondement de sa vraisemblance, puisqu’il s’agit d’un processus collectif de réflexion et d’analyse. Cette procédure a été appliquée lors de la dernière rencontre avec chaque groupe, mais en respectant le langage et la capacité réflexive et d’abstraction des jeunes selon leur âge (10-11 ans, 12 à 14 ans, et 15-18 ans).

Dans cette perspective, l’expérience de ces jeunes n’est pas l’effet d’une situation objective ni d’un problème. Elle renvoie, certes, à une situation, mais aussi à une capacité de définir cette situation du point de vue des intérêts ou de la subjectivité des acteurs. Elle n’est jamais totalement imposée, car elle inclut toujours une série de choix potentiels ou effectifs et un travail de subjectivation ou de résistance critique. La situation identifiée par le groupe ne peut se définir indépendamment du sens attribué par le groupe. Lors d’une intervention, les acteurs expliquent leur expérience, ses enjeux, ses modalités. La méthode de l’intervention sociologique étudie donc des acteurs dans leur capacité de produire des orientations normatives, des stratégies ou des résistances, donc d’être partie prenante des rapports sociaux. Le groupe n’est pas centré sur lui-même, mais se considère comme partie prenante, voire représentatif d’un groupe, d’une situation, d’une action, voire d’un conflit plus large.

À la demande des jeunes, la méthode a été modifiée car, habituellement, l’intervention sociologique reproduit en laboratoire des interactions sociales réelles avec les figures significatives de leurs relations au quotidien (des interlocuteurs sont généralement invités : enseignants, directeur, policiers, etc.). Or, les jeunes n’ont pas voulu en inviter parce qu’ils ne désiraient pas les mêler à leurs affaires ou se sentir jugés.

3.1 Sujets

La collecte des données auprès des sujets s’est effectuée de décembre 2007 à juin 2008. Trois groupes d’analyse (un par école) ont été formés avec des élèves volontaires rencontrés à plusieurs reprises chacun (une fois par mois) pendant l’année scolaire 2007-2008. Entre décembre 2007 et mai 2008, sept rencontres de discussion et d’analyse ont eu lieu avec les élèves à l’école primaire, six à l’école secondaire de 1er cycle et seulement quatre à l’école secondaire de 2e cycle, en raison de la constitution tardive du groupe et de l’annulation d’une rencontre. Chaque groupe a été formé dans une école différente du quartier de Bordeaux-Cartierville à Montréal, et ils étaient d’ordres scolaires différents : au 3e cycle du primaire, au 1er cycle et au 2e cycle du secondaire. Nous avons favorisé ces cycles en raison de la capacité réflexive des jeunes de 11 à 18 ans. Dans chaque école, nous avons rencontré en entrevue quelques informateurs clés, afin de saisir leurs perceptions des dynamiques et problématiques propres à leur établissement scolaire : directeurs, enseignants, intervenants communautaire-scolaire, conseillers pédagogiques. Ces écoles se caractérisent par une forte diversité ethnique des élèves, une certaine défavorisation économique des familles et un taux élevé d’immigrants récents.

Nous avons recueilli les réflexions de 24 jeunes, divisés en trois groupes d’analyse, sur un ensemble de thèmes relatifs à la scolarisation, à la socialisation et à leur trajectoire sociale (voir 3.2). Près de la moitié des jeunes étaient nés au Québec (huit de deuxième génération et deux non-immigrants) surtout dans le groupe du primaire, et l’autre moitié, à l’étranger (14/24 de première génération). Les deux jeunes non-immigrants qui ont participé (l’un au primaire, l’autre au premier cycle du secondaire) étaient nettement minoritaires dans ces trois écoles. Ces derniers ont souvent été absents des séances et ont peu parlé durant les discussions ; il a donc été difficile de faire état de leur discours et de soulever des points de comparaison. Les discussions qui ont beaucoup porté sur l’expérience migratoire les interpelaient peu, mais ils se disaient habitués à vivre dans la diversité et se sentaient à l’aise avec leurs camarades issus de l’immigration dans les groupes de discussion. Les origines ethniques des élèves ou de leurs parents étaient variées : libanaise, syrienne, turque, algérienne, marocaine, camerounaise, afghane, roumaine, brésilienne, guinéenne, indienne, québécoise. Neuf avaient fréquenté une classe d’accueil et neuf étaient au Québec depuis moins de cinq ans. Les filles étaient plus nombreuses (15/24).

3.2 Instrumentation

Le canevas d’animation des échanges s’articulait autour de thèmes très généraux (adaptation/intégration sociale, scolarisation et socialisation à l’école), ce qui laissait toute la place à l’émergence de nombreux thèmes au fil des débats, autour des situations qui étaient propres aux jeunes et qu’ils jugeaient significatives dans leur expérience au quotidien. Ils servaient d’ouverture aux débats et de relances, et ont donc été abordés de façon variable et propre à chaque groupe. Sous le thème général de l’adaptation/intégration sociale, les jeunes ont abordé, par exemple, la question des parcours migratoire et familial, les circonstances de départ du pays d’origine, la perception du pays d’origine/de celui des parents, l’adaptation de la famille (élargie) et des parents, leur réseau social (les amis et l’amour), la langue, les voyages et activités, la vie de quartier et leurs perceptions de la société d’accueil et de l’identité personnelle, sociale ou culturelle (appartenance ethnique, nationale). Sous le thème général de la scolarisation avant et après l’immigration et de la socialisation à l’école, ils ont discuté de la performance scolaire, des retards et déclassements dus à la migration, du séjour en classe d’accueil, de leur âge à l’arrivée, de l’environnement scolaire, des changements d’école et de pays, des matières et activités préférées, de leurs implication et projets futurs, des relations interethniques à l’école (dont le port du voile et les frontières linguistiques), des rapports significatifs avec leurs parents, la famille élargie et les intervenants scolaires, les autres jeunes, les amis, ainsi que des relations entre garçons et filles.

En abordant ces thèmes ou en les faisant émerger, les jeunes ont mis en perspective les facteurs socioscolaires qu’ils jugeaient les plus significatifs de leur expérience sociale et scolaire actuelle et passée, individuelle et collective, et les ont analysés avec les chercheurs, puis validés. C’est ce que nous mettons en perspective.

3.3 Méthode d’analyse des données

La méthode a fonctionné avec une équipe de trois chercheurs, qui étaient parfois en position d’animateurs, parfois en position d’analystes. Après chaque rencontre, les chercheurs confrontaient leurs analyses entre eux, les consignaient dans un journal de bord et préparaient la rencontre suivante. Chaque séance de discussion avec les élèves revenait sur la rencontre précédente, afin d’approfondir les thèmes abordés par le groupe et de stabiliser les positions qui se dégageaient de l’ensemble de leurs propos. Les chercheurs proposaient des hypothèses qu’ils testaient avec les groupes lors des deux dernières séances. L’analyse interne des groupes se déroulait en mode continu et menait à une schématisation et à une théorisation des facteurs et des logiques de l’expérience (normative, stratégique, critique) validées par les sujets.

Les entretiens de groupe ont tous été enregistrées, retranscrits, puis traités selon une démarche classique d’analyse de contenu, sans l’aide de logiciel : analyse thématique (découpage par grands thèmes et sous-thèmes), repérage des unités de sens pertinentes dans chaque entrevue de groupe, attention portée aux dimensions émergentes (Blanchet et Gotman, 1992), articulation des différents facteurs et logiques de l’expérience tels qu’ils avaient été analysés et validés par les jeunes.

3.4 Considérations éthiques

De l’information aux participants jusqu’à l’analyse des données, les chercheurs se sont conformés aux exigences de l’éthique en recherche (consentement éclairé, signature des parents, possibilité de retrait, confidentialité, anonymat). Avec la méthode de l’intervention sociologique, les participants doivent s’approprier et valider les résultats des chercheurs pour construire leur autoanalyse collective. Les résultats ont aussi été présentés aux intervenants du milieu scolaire dans des activités de transfert depuis 2010.

4. Résultats

4.1 L’expérience des élèves du primaire

Les jeunes de ce groupe, majoritairement nés au Québec, sont de deuxième génération (six sont nés au Québec) et un seul n’est pas issu de l’immigration. Les origines ethniques sont diversifiées : Guinée, Égypte, Brésil, Liban, Turquie. Un seul d’entre eux a fréquenté une classe d’accueil au primaire et 7/8 sont des filles.

4.1.1 L’adaptation et l’intégration sociale

Leur discours sur les facteurs liés au processus migratoire et à l’intégration sociale de leur famille révèle que les parents de ces élèves étaient, en majorité, moyennement scolarisés et occupaient des emplois semi-spécialisés, sauf trois d’entre eux. Leur discours témoigne des difficultés d’intégration économique de leurs parents, soulignées par la majorité.

Sarima : Ma mère, avant, elle travaillait dans un entrepôt de vêtements. […] Mon père travaille comme livreur. Il avait un magasin de fruits et légumes et maintenant il a fermé parce que ça ne faisait pas beaucoup d’argent et tout. Maintenant […] il prend des livraisons de fruits et légumes, il va dans le marché.

Elianne : Ma mère elle travaille dans un restaurant et mon père, il travaillait. Je ne sais pas moi non plus très bien c’est quoi, mais maintenant il ne travaille plus.

Fatima : Ma mère travaille dans un grand magasin, dans un centre d’achats. C’est la fin de semaine et les autres jours, elle est dans un bureau de crédit de lunettes. […] elle n’a pas fait ce qu’elle voulait. […] Mon père, il fait n’importe quoi.

Yamina : Ma mère, elle n’est pas ici. […] Elle est partie au Liban pour travailler.

Chercheure : Depuis longtemps ?

Yamina : Je ne sais pas, trois semaines. [Mon père] Il étudie pour être dentiste. Parce qu’il doit refaire ses diplômes.

Dans l’ensemble, leur discours montre une forte empreinte de la culture d’origine des parents sur la définition de leur identité personnelle et de leurs appartenances, peu importe leur génération. Plusieurs parents entretiennent aussi un discours ambivalent quant à la réussite de leur projet migratoire et contradictoire sur le retour au pays, que la plupart des jeunes estime peu probable, voire mythique. Aucun élève ne s’identifie à la culture québécoise. Ils se disent Canadiens ou Montréalais, écoutent la même musique et les mêmes émissions que les autres jeunes québécois, mais tiennent à se distinguer. Pour eux, les Québécois parlent le français québécois, sont trop tournés vers le passé et peu intéressés à la réalité des autres pays. La discussion qui émerge sur l’appartenance culturelle a une forte composante émotive, car elle est surtout rattachée à l’identité familiale, plus forte à cet âge et plus forte aussi chez la plupart des familles immigrantes en raison du processus migratoire (Vatz-Laaroussi et al., 2008). Parlant des jeunes issus de l’immigration dans leur groupe d’amis, l’un des élèves est persuadé que la majorité des personnes aiment plus le pays de leurs parents que le pays où ils sont nés. Trois élèves soutiennent fermement qu’elles aimeraient vivre dans le pays d’origine de leurs parents, où les jeunes vont en vacances, pour voir la famille et s’amuser, ce qui peut contribuer à leur donner un caractère idyllique et exotique.

Les élèves qualifient clairement le microcosome de leur école et de leur quartier : le quartier est arabe, … il y a des cours d’arabe aussi à l’école… ; … la directrice est arabe… ; Moi, dans mes amis, il y a plus d’Arabes, il n’y a que x et moi qui n’est pas arabe ; Les seules personnes qui ne sont pas arabes, (cinq noms), tout le monde parle arabe. Mais certains disent qu’ils ne sont pas influencés par les différences culturelles dans le choix des amis(es). Pourtant, ils soutiennent presque tous qu’ils n’épouseraient pas un Québécois francophone de vieille souche. On peut supposer un effet du conformisme groupal, lié à la méthode et à l’âge des élèves, mais aussi une survalorisation de l’origine ethnique parentale.

4.1.2 La scolarisation et la socialisation

Si certains proviennent de familles à faibles revenus, d’autres disent que leurs parents surinvestissent dans l’éducation de leurs enfants, générant un stress chez ces derniers sans toujours leur offrir le soutien scolaire nécessaire. Le discours de ces jeunes du primaire indique qu’ils respectent le conformisme de l’école, intériorisent les normes attendues par les parents et les acteurs scolaires (le code de vie est un repère important dans la discussion) et endossent bien leur métier d’élève. L’école leur apparaît comme un ensemble de règles et de normes, parfois injustes (lorsque les adultes ne les respectent pas) et comme un espace de relations et de concurrence où ils développent des stratégies à la fois pour réussir scolairement, mais aussi socialement, et s’assurer un avenir.

Les pairs exercent, à cet âge, une pression sur les jeunes pour qu’ils se conforment au groupe (le thème de la relation avec les pairs et les amis[es] a représenté à lui seul 40 % du temps de discussion, toutes séances confondues). Toutefois, ce conformisme juvénile s’appuie moins, dans ses critères d’inclusion ou d’exclusion, sur l’origine ethnique ou nationale ou sur la langue maternelle utilisée dans la cour d’école que sur le respect des règles de l’école ou, encore plus, sur les règles de l’amitié : loyauté, solidarité, garder un secret… La capacité subjective de se distancier de manière critique des adultes en est à ses débuts, mais certains jeunes constatent, avec un regard critique, un écart entre les normes et les conduites réelles des adultes (incluant leurs enseignants), qui se doivent, selon eux, d’agir comme modèles. Plusieurs exemples du quotidien scolaire émergent lors d’une séance de discussion : Les profs ont droit de mâcher de la gomme, mais pas les élèves (Sarima) ; il y a des enseignants qui donnent le mauvais exemple : ils disent qu’on n’a pas le droit de porter des trucs mini, mais ils ne respectent pas ça.  Dans le code de vie, c’est écrit (Yamina).

Les jeunes développent leur propre distance critique et conduite éthique pour contourner des règles scolaires jugées trop sévères ou injustes. Par exemple, s’ils comprennent la nécessité du règlement qui les oblige à parler français à l’école, ils estiment que c’est parfaitement justifiable à l’intérieur des classes, mais exagéré dans la cour de récréation. Pour contourner ce règlement et pour respecter les consignes de discipline, les élèves se passent parfois des billets dans les classes pour s’exprimer dans leur langue maternelle.

En ce qui concerne la vie communautaire à l’école, les activités scolaires et parascolaires apparaissent nombreuses et centrales dans le discours des jeunes ; elles semblent même déterminer le choix de l’école secondaire pour certains. Elles font partie de la vie juvénile. Pour eux, les apprentissages ne sont pas seulement cognitifs, car ils disent développer leur personnalité, leurs talents, leur conduite en société, leur engagement, leur motivation et leur sentiment d’appartenance envers l’école à travers les activités scolaires. Les activités sont associées à des moments de détente et de plaisir, à une liberté d’expression et d’action (On a le droit de parler), à la découverte, à l’affirmation de soi et au congé de cours.

Par contre, ils reprochent à l’école et aux enseignants de décider pour l’ensemble des élèves et de ne pas tenir compte de l’avis du conseil d’élèves. Ils ne se sentent pas mobilisés ou impliqués comme acteurs de l’école et témoignent d’une certaine aliénation à cet égard. Ils reprochent aussi à l’école d’utiliser les activités et sorties comme des objets de sanction ou de punition, puisqu’ils en sont privés lorsque leur classe est en retard sur le programme pédagogique.

Lorsqu’ils discutent des avantages et des désavantages de l’école, les jeunes mentionnent, parmi les avantages, différents facteurs reliés à la vie juvénile et à leur futur travail : voir ses amis chaque jour, avoir un bon curriculum vitae, les professeurs qui sont gentils, une bonne directrice, de bons amis, des gens de diverses origines, le conseil d’élèves, les activités parascolaires et les activités spéciales (comme les visites de joueurs professionnels de hockey et de soccer, qui donnent du prestige à l’école).

Quant aux désavantages, ils sont souvent liés aux difficultés d’apprentissages, aux matières jugées inutiles, aux comportements déviants qui entraînent des punitions ou des sanctions, aux conflits entre les jeunes, aux professeurs méchants ou trop sévères, qui humilient certains élèves devant leurs camarades, aux mauvaises notes et au fait de se lever tôt.

Leurs conduites préadolescentes ressemblent à celles de tous les jeunes du même groupe d’âge. Soumis aux attentes des parents, ils apprennent aussi à se définir une personnalité propre et à régler leurs comportements et attitudes à travers les pairs et les best friends, en prenant leurs distances envers leurs parents, de moins en moins perçus comme des confidents. Si ces jeunes, presque tous de deuxième génération, se définissent largement par l’origine nationale de leur parents, ils baignent dans une diversité sociale et des repères culturels multiples (bilinguisme ou multilinguisme, pays des parents, milieux sociaux différents) qui constituent visiblement des facteurs positifs, voire des atouts alimentant leur capital culturel et agissant comme facteurs de résilience.

4.2 L’expérience des jeunes du premier cycle du secondaire

Dans ce groupe, cinq jeunes sont de première génération et sont arrivés depuis moins de cinq ans, et quatre sont de deuxième génération ou plus. Six élèves sur neuf sont des garçons. Les origines sont variées : afghane, syrienne, marocaine, libanaise, guinéenne, québécoise. Ils ont entre 12 et 15 ans et quatre ont été en classe d’accueil. Aucun n’a connu de retard scolaire majeur. Les élèves font tous partie du même cours de français, sauf un, mais ils ont peu de contacts entre eux en dehors de ce cours.

4.2.1 L’adaptation sociale

Les jeunes parlent du processus d’adaptation au Canada, et six d’entre eux affirment que leurs parents ont eu des difficultés à leur arrivée. Leurs parents auraient connu une chute sociale et auraient exprimé leurs frustrations de ne pas avoir obtenu un emploi à la hauteur de leurs compétences. Les jeunes comparent les conditions de travail actuelles de leurs parents avec celles qu’ils avaient dans le pays d’origine. La déqualification aurait surtout affecté les pères des élèves : deux jeunes parlent de la non-reconnaissance des diplômes de leur père, qui a dû recommencer ses études après avoir immigré ; ne pouvant pas exercer son métier de journaliste et de comptable, il a trouvé un travail moins valorisant au Québec (chauffeur de taxi, travail d’informatique). Un seul soutient que sa mère a connu une déqualification : Ma mère, quand elle était dans son pays d’origine, elle faisait des études pour devenir infirmière. Après, elle est venue ici, elle a dû recommencer et elle est maintenant aide-infirmière (Abib).

Issus davantage de la première génération, ils n’endossent pas le mythe du retour des parents. Plusieurs mentionnent que leurs parents souhaiteraient retourner dans leur pays d’origine après les études des enfants, mais un seul jeune parle de son désir d’y retourner. Deux autres se disent fortement attachés à leur pays d’adoption ; certains envisagent des projets d’avenir possibles, comme le mariage avec des Québécois. Une seule élève exprime à plusieurs reprises son souhait de s’établir aux États-Unis. Les deux élèves réfugiés dans ce groupe, qui ont vécu des situations traumatisantes, ne veulent pas retourner dans leur pays d’origine. Ils disent avoir parlé ouvertement pour la première fois de cette expérience avec leurs camarades de classe dans le cadre de ce groupe de réflexion.

Lorsque les jeunes parlent de leur identité culturelle, ils soulèvent quatre facteurs qui la définissent : la langue (la maîtrise des mots, l’accent), les papiers de citoyenneté, le regard des autres et le territoire de naissance et de résidence. En vertu de ces critères, trois jeunes disent se sentir différents en tant qu’immigrants, sans pour autant s’identifier totalement à la culture de leurs parents. Très peu de jeunes se définissent exclusivement par l’origine nationale de leurs parents et ils se disent volontiers Québécois, contrairement au groupe du primaire (en majorité de 2e génération). Ils se sentent davantage Québécois lorsqu’ils vont dans le pays d’origine des parents ou à l’étranger, voire dans d’autres provinces canadiennes ; plus Arabes devant leurs amis de même origine ou qui partagent la même langue maternelle et plus immigrants devant certains enseignants. À l’école, et selon les interlocuteurs, leur identité navigue d’un pôle identitaire à l’autre. Ils les endossent selon les contextes et les relations qu’ils entretiennent avec les amis, les enseignants, les parents, etc.

4.2.2. La scolarisation et la socialisation

À l’instar du groupe d’élèves du primaire, ces jeunes du 1er cycle du secondaire se disent stressés par les notes. Les pratiques d’évaluation des enseignants et les attentes de performance scolaire des parents constituent des facteurs de stress importants. Ces attentes sont généralement reliées au projet d’immigration des parents : … ils vérifient vraiment tout, ils s’assurent que tout est correct, parce que, comme ils disent, on n’est pas venus ici pour rien (Sayad).

Trois jeunes pensent que les matières les plus valorisées par leurs parents et la société – français, anglais, mathématiques et sciences – sont stratégiquement importantes pour la poursuite de leurs études et de leur carrière, mais ne sont pas les matières préférées de la grande majorité des élèves du groupe, qui aiment l’histoire, la musique et l’éducation physique. Dans leur appréciation de l’importance des matières, le déclin et la naissance des passions sont directement liés aux résultats scolaires. Les élèves du groupe aiment les matières dans lesquelles ils réussissent mais se désintéressent des autres. Cependant, en bons élèves, ils sont aussi davantage soucieux d’efficacité et de stratégie que du contenu proprement culturel des études. Ils ont une conscience critique de cet écart entre leur goût personnel envers les matières peu valorisées et l’investissement stratégique qu’ils doivent faire envers les matières valorisées scolairement et socialement.

S’ils semblent tous assez bien endosser leur métier d’élève, ils se sentent peu interpellés et impliqués dans et par leur école. Ils regrettent l’absence de lieu d’échanges et de responsabilisation des élèves. Ils disent se sentir gérés par les adultes plutôt que traités en acteurs de leur école.

Les jeunes croient que leurs parents voient l’école essentiellement comme un levier de réussite, comme un lieu d’apprentissage de la discipline, mais pas comme un lieu de socialisation. Plusieurs jeunes soutiennent que leurs parents n’accordent pas d’emblée leur confiance aux professeurs, critiquent souvent les attitudes et comportements des intervenants scolaires et craignent les fréquentations de leurs enfants. Eux-mêmes portent un regard plus critique que les jeunes du primaire à l’égard des adultes de l’école, qu’ils trouvent parfois injustes ou inégalitaires dans leurs relations avec les élèves de certaines minorités. L’origine ethnique ou la langue maternelle joueraient parfois comme critères différentiels dans leurs relations avec des enseignants, mais ne seraient pas des facteurs d’inclusion ou d’exclusion dans leurs relations avec les autres élèves. Au fil des rencontres, les jeunes parlent avec émotivité de quelques interactions négatives avec les enseignants :

Layla : Il y a des profs qui punissent juste les Arabes, il y en a d’autres qui punissent juste les Noirs… ;

Amina : Les personnes qui ne sont pas Arabes, comme les Québécois, les Latinos, ils ne les punissent pas, mais c’est eux qui crient et quand les Arabes ouvrent leur bouche, tout de suite ils sont punis.

Les élèves critiquent aussi les gestes d’autorité jugés injustes, irrespectueux ou trop fréquents de certains intervenants, surtout lorsqu’un adulte empêche un jeune de s’exprimer ou de s’expliquer :

Abdul : Les profs ne nous croient jamais. Ils nous disent : les élèves sont des menteurs, on ne les croit pas.

Sayad : Comme hier, exemple, il y a eu un problème dans la classe. Après la dame qui est responsable des retenues est venue dans la classe. Elle a pris les deux élèves. Il y avait un élève qui n’avait rien fait, l’autre faisait juste l’énerver. Nous, on a essayé de défendre l’élève et elle ne nous a pas écoutés. C’est une injustice. Elle n’a même pas voulu savoir c’était quoi l’histoire, elle nous a dit que si on essaie encore de le défendre, on aurait une retenue.

Ces jeunes pensent que l’effort fourni par les élèves est directement lié à une perception positive de leurs professeurs. Pour les élèves, les professeurs ne sont pas des confidents ni des modèles, mais la relation avec l’enseignant constitue pour eux un élément important de la motivation, de l’intérêt pour une matière ou du découragement scolaire. Selon eux, la bonne relation pédagogique est de nature égalitaire et suppose un respect mutuel et un équilibre des sentiments. L’expérience subjective des élèves face à l’enseignant influence significativement leurs résultats scolaires et leur voeu d’orientation.

4.3 L’expérience des élèves du deuxième cycle du secondaire

Les élèves rencontrés à cette école sont âgés de 15 à 18 ans (deux garçons et cinq filles), d’origines variées (indienne, laotienne, syrienne, algérienne, roumaine, camerounaise et grecque), dont quatre arrivés depuis moins de cinq ans, un depuis dix ans et deux nés au Québec de parents immigrants.

4.3.1 L’adaptation sociale

Lorsque les jeunes parlent de leur parcours migratoire, certains relatent les conditions de départ et d’arrivée de leur famille, les séparations plus ou moins prolongées et les difficultés d’adaptation à l’arrivée, pendant des mois, voire des années. Une des élèves raconte le départ précipité de sa famille du pays d’origine, il y a une dizaine d’années, en raison des pressions sociales et religieuses liées à la guerre civile : vente de tous les biens, errance de la famille à travers plusieurs pays, détour de quelques semaines par un pays et, finalement, obtention des papiers nécessaires à l’immigration au Canada. L’élève explique les difficultés rencontrées au cours de cette errance : incompréhension linguistique, habitudes alimentaires différentes, faim, peur, incertitude.

Une autre élève explique avec beaucoup d’émotions la situation traumatisante qu’elle a vécue, ayant perdu ses parents pendant la guerre qui a toujours cours dans son pays d’origine. Elle a été parrainée par sa tante avec qui elle vit au Québec. Une autre relate la vie difficile de ses parents dans son pays d’origine : pauvres et mariés très jeunes, ils avaient déjà rompu les liens avec leurs familles respectives avant de quitter leur pays. Elle parle des souvenirs qu’elle a de sa ville natale et de son école secondaire, où sa mère travaillait, qu’elle confond avec les souvenirs de sa mère et de ses amies restées au pays. Elle énumère les longues étapes franchies par ses parents pour devenir des immigrants reçus.

La question du retour au pays d’origine suscite peu d’enthousiasme. Pour une élève, ce serait un retour en arrière, alors que pour une autre, orpheline et d’arrivée récente, son avenir ne serait pas ici, car elle semble encore traumatisée par son départ. De manière générale, ces élèves disent aimer le Québec, estimant qu’ils s’y sont bien adaptés et qu’ils possèdent des atouts (comme la maîtrise de plusieurs langues) qui facilitent leur intégration, actuelle et future.

Les jeunes avouent, toutefois, que leurs parents exercent une pression, directe ou indirecte, pour réaliser leur propre rêve. Une jeune mentionne : … Moi je veux réaliser mon rêve pour eux, pour qu’ils soient contents… En fait je veux réaliser leur rêve… (Manu)

Ce groupe parle plus spontanément d’enjeux sociaux, politiques et religieux, notamment des problèmes de leur école, dont la toxicomanie, répandue dans les deux écoles secondaires du quartier, problèmes qui ne sont pas toujours associés à la pauvreté. Ils parlent aussi de leur quartier et affirment qu’il ne mérite pas sa mauvaise réputation, qui est indûment associé à la violence et à la criminalité : Moi je trouve que le quartier est vraiment calme et un des meilleurs quartiers à Montréal. Trop calme, trop sécuritaire (David).

La discussion porte aussi sur leurs craintes à l’égard de la question nationale au Québec et à ses répercussions. Ils se disent Québécois lorsqu’ils sont avec des gens des autres provinces ou avec des personnes de leur pays d’origine, puisqu’ils sont à la fois d’ici et de là-bas. Ils naviguent aisément entre ces univers et ne se sentent pas anomiques ou en conflit. Toutefois, ils pensent qu’un immigrant devient pleinement Québécois après la troisième génération.

La question de la religion a émergé spontanément et presque à chaque rencontre et a généré plusieurs échanges passionnés entre les jeunes. Le port du voile est au centre des discussions. Une jeune portant le hijab parle d’une confrontation vécue dans un milieu de travail, et une autre jeune du groupe insiste pour lui faire l’historique du mouvement féministe. À la suite de ce débat, l’élève musulmane avoue qu’une confusion s’est installée dans sa tête sur le port du voile et qu’elle a remis en question son goût de rester au Québec. Au cours des autres rencontres, l’échange porte principalement sur la liberté de choisir de le porter. L’élève musulmane raconte que sa famille a quitté son pays d’origine à cause de la montée de l’intégrisme qui obligeait sa mère à porter le voile contre son gré. Mais au Québec, c’est une habitude et un choix fait sciemment, selon elle.

Ils abordent aussi la perte des valeurs morales qui affecte particulièrement les jeunes, ce qui conduit à des crimes et incivilités. Ils voient de grandes différences dans les comportements, notamment en ce qui concerne les rapports hommes- femmes.

4.3.2. La scolarisation et la socialisation

Ces élèves défendent clairement les valeurs de l’école. Ils participent à la vie associative et sont presque tous membres du conseil d’élèves. Par cette implication, les jeunes s’estiment responsables et reconnus par les autorités de l’école et par leurs pairs. Ils adhèrent fortement à une représentation de la réussite centrée sur la responsabilité et l’effort individuel et se définissent, dans cette perspective, comme sujets actifs et acteurs de leur propre condition. Leurs réussites, échecs et insertion scolaires sont rarement attribués à d’autres acteurs qu’eux-mêmes. Ils s’estiment toutefois redevables envers leurs parents, qui ont traversé diverses épreuves dans leur parcours migratoire. Leurs parents exerceraient une pression directe ou indirecte sur eux afin qu’ils réalisent leurs propres rêves.

Elisa : … par rapport aux études, des fois, les parents, ils mettent trop de pression sur leurs enfants. Des fois, ils demandent trop et ils ne réalisent pas que leurs enfants font énormément d’efforts pour avoir un 80 %. L’enfant est super content d’avoir 80 % mais pour le parent, c’est 95 %. Je trouve que c’est trop demander. Les parents ils veulent que les enfants, ils aient un bon avenir, qu’ils soient heureux dans la vie… Ce n’est pas toujours avoir 100 %, c’est aussi dans la manière de penser. Ça aussi, c’est de l’intelligence

Ces jeunes estiment avoir parfaitement intégré leur métier d’élèves, mais expriment une distance critique face aux valeurs marchandes et à la compétition sociale. Un seul jeune du groupe a pour objectif de faire de l’argent, alors que les autres souhaitent se réaliser et être heureux dans leurs études et leur emploi. Ils ne s’estiment pas dominés par les circonstances externes et sont conscients de leur pouvoir d’agir.

Par contre, ils parlent de leur arrivée dans le système scolaire québécois avec beaucoup d’émotion. Ils se sont sentis déclassés à leur arrivée parce qu’ils ne parlaient pas la langue, et les tests effectués leur auraient fait perdre une année scolaire, selon deux jeunes du groupe. La non-reconnaissance de leur juste valeur a été vécue comme un choc lors des tests, puisqu’ils n’ont pas pu montrer leurs compétences et connaissances réelles, acquises dans leur pays d’origine. Les jeunes se rappellent les événements et les facteurs qui les ont particulièrement affectés, dont le moment du test :

Juliet : C’est en octobre que je suis venue ici, donc je revenais des vacances et je n’ai rien révisé. Quand je suis venue ici, je ne savais plus rien en maths. J’avais oublié… 

… ou encore les différences culturelles ou linguistiques :

Raela : J’ai échoué à cause de quoi : en arabe on écrit de droite à gauche, toutes les équations, j’ai fait le contraire. Nous on utilise complètement d’autres lettres, le X et Y, ce n’est pas la même chose… »

David : Moi je n’ai pas bien fait mon examen parce qu’ici, il y a une virgule et dans le système anglais, c’est un point. Et quand j’ai vu dans l’examen des virgules, je pensais que ça faisait comme en anglais. Quand il y avait une multiplication, je n’ai pas fait de décimale. Quand M. a corrigé, il a dit : tu n’es pas capable de faire une question de secondaire 1.

Raela : On avait l’air stupide ! 

Par contre, ils ne se voient pas comme des êtres carencés ou cumulant des handicaps scolaires ou sociaux en raison d’un apprentissage tardif du français ou de retards dus aux écarts entre le système scolaire du pays d’accueil et celui du pays d’origine. Au contraire, ils disent avoir une vie normale, se sentir bien intégrés à l’école et engagés dans ce qu’ils font, réussir ce qu’ils entreprennent et bénéficier d’un soutien parental constant.

L’origine ethnique ou la langue maternelle des jeunes de ce groupe est rarement au centre de leur expérience scolaire ou sociale, dans leurs rapports avec leurs pairs et les intervenants scolaires. Elles ne semblent pas agir comme critères d’inclusion ou d’exclusion. Par contre, le port du hijab chez une participante a révélé toute l’importance du regard des pairs dans la définition de l’identité personnelle, car des discussions sur le choix et le non-choix sont revenues de manière récurrente lors des séances dans ce groupe.

5. Discussion

En comparant les discours et analyses menées par les jeunes dans chacun des groupes, on constate des similitudes et des différences quant aux facteurs (positifs ou négatifs) significatifs les plus récurrents qui affectent l’intégration sociale, la scolarisation ou la socialisation, d’une part, et quant aux logiques (normative, stratégique et éthique) qui se dégagent au fil des rencontres et du processus d’analyse au sein de chaque groupe, d’autre part. Nous tentons ici de résumer la combinaison des facteurs et des logiques qui imprègnent l’analyse validée par les jeunes eux-mêmes.

5.1 Des obstacles à l’intégration des familles

Lors de la dernière séance au sein de chaque groupe, les jeunes issus de l’immigration (mais pas les non-immigrants) ont reconnu qu’ils vivent une expérience semblable sur plusieurs aspects liés au processus migratoires de leur famille. Parmi les similitudes, notons, sur le plan de l’intégration sociale, qu’ils reconnaissent avoir vécu des situations sociales et familiales difficiles liées aux parcours migratoires (davantage pour les réfugiés et ceux ayant vécu des séparations/réunifications familiales) et menant à des difficultés matérielles. Ils ont aussi admis être exposés à des attentes et à des messages contradictoires auxquels ils doivent s’ajuster : une forte pression parentale à performer à l’école (et ensuite socialement) afin d’assurer la réussite du projet migratoire des parents (qui disent ne pas être venus au Québec pour rien) ; une forte pression des acteurs scolaires visant leur intégration à la société québécoise et, paradoxalement, un discours parental teinté de déceptions à l’égard du Québec, ce qui agit inévitablement sur l’identité et le sentiment d’appartenance des jeunes envers leur société. D’autres études ont aussi mis en évidence l’effet de cette pression parentale chez les jeunes issus de l’immigration, qui ont conscience de participer à l’effectivité du projet migratoire [des parents] en se distinguant par [leurs] résultats scolaire (Kanouté et Lafortune, 2011, p. 86).

Si une grande partie de ces jeunes estime que leurs parents ont connu une chute sociale et une déqualification en immigrant, eux-mêmes ne se sentent, toutefois, pas affectés par différents facteurs de risque (expérience scolaire négative, adaptation psychosociale fragile, retards scolaires, etc.). Au contraire : leur expérience scolaire est vécue comme une réussite. Même parmi les jeunes d’origine modeste dans leur pays d’origine, ils semblent disposer d’un capital culturel et d’un milieu familial qui les poussent vers la résilience, la performance et les projets d’avenir, parfois avec excès, parce que la réussite éducative des enfants est au coeur du projet migratoire de leurs parents. Ces élèves admettent avoir de fortes ambitions scolaires et sociales, et très peu se sentent en situation d’échec. Le processus migratoire lui-même, qui peut générer différents facteurs de risques, leur fournit un capital social et culturel élargi : ils voyagent dans le pays d’origine de leurs parents, parlent plusieurs langues et disposent de plus de modèles d’adultes significatifs. L’expérience des jeunes rencontrés est loin du portrait classique des jeunes de milieux défavorisés, les enfants de la reproduction sociale (Bourdieu et Passeron, 1970), qui voient peu d’utilité aux études et se sentent loin des valeurs de l’école (Henriot-van Zanten, 1990 ; Sweet et al., 2008).

5.2 Une forte logique normative et de performance face à l’école

On constate au sein de ces trois groupes la présence d’une logique d’intégration socioscolaire fortement marquée par l’adhésion des jeunes aux orientations normatives de l’école et aux promesses d’intégration et de mobilité sociales associées à la diplomation, peu importe la génération et l’origine ethnique. Ces jeunes ont, dans l’ensemble, bien intégré les normes et l’utilité sociale de l’école, et ils tiennent des discours très lucides à l’égard des règles de sélectivité qui y règnent. S’ils partagent, pour la plupart, des situations sociales parfois difficiles pour leurs parents, ils ne constituent pas des jeunes à risque de marginalisation ou d’abandon scolaires, leurs parents ayant des attentes très élevées pour eux. Aucun ne se retrouve en situation de grands retards ou d’échecs scolaires précoces et répétés, et leur diplomation au secteur régulier paraît assurée. Les jeunes issus de l’immigration disent subir un véritable stress face aux études en raison du culte de la performance de leurs parents, symbole de la réussite du projet migratoire, mais pas les deux jeunes non-immigrants.

Parmi les différences intergroupes, on constate que les jeunes du groupe du premier cycle du secondaire, d’arrivée récente, étaient moins engagés dans les activités de l’école et avaient un faible sentiment d’appartenance envers leur école, alors que les jeunes du groupe du 2e cycle du secondaire, aussi d’arrivée récente, appartenaient presque tous au Conseil d’élèves, ce qui peut expliquer leur forte adhésion envers l’école. Les jeunes du 1er cycle du secondaire connaissaient moins les activités et les intervenants impliqués dans leur milieu, étaient plus critiques face aux attitudes des enseignants et intervenants (qui n’écoutent pas les jeunes et ne seraient pas démocratiques) et trouvaient le climat de l’école (et du quartier) plus insécurisant que les jeunes des autres groupes. La durée de séjour au Québec, la durée de fréquentation d’une école et l’implication active du jeune expliquent, en partie, le degré de connaissance de la culture de cette école par un élève. De plus, la transition entre le primaire et le secondaire au début de l’adolescence, qui place le jeune dans un environnement plus fragmenté et anonyme au moment même où ses besoins d’écoute et de reconnaissance dans son identité propre sont les plus forts, peut expliquer leur faible engagement scolaire et leur faible sentiment d’appartenance envers leur école. Les deux autres groupes estimaient qu’ils étaient beaucoup impliqués dans le processus décisionnel et organisationnel lié aux activités scolaires ou parascolaires, et qu’ils avaient développé des compétences et des relations significatives avec les adultes de leur école.

5.3 Des écarts culturels à considérer

Si les jeunes souscrivent, à première vue, aux objectifs formels de l’institution scolaire, l’école demeure, pour quelques-uns, un monde culturel distinct du monde familial ou social. Cet écart est plus prégnant chez le groupe du 2e cycle du secondaire, tous d’arrivée récente. Cependant, la grande majorité des jeunes des trois groupes jouent avec cet écart de manière stratégique afin de conserver leur position de médiateur, entre les deux mondes dans lesquels ils naviguent avec une relative aisance. Seule une jeune portant le hijab semblait vivre cet écart comme un facteur de stress et d’anomie, mais aucun d’entre eux ne conflictualisait les deux mondes.

Par contre, l’analyse faite par les jeunes de ces trois écoles montre l’absence de frontières ethniques ou linguistiques rigides ou très conflictuelles entre les groupes à l’école. Les frontières linguistiques et ethniques, sans être cristallisées ou conflictuelles dans leur école, étaient plus significatives comme facteurs d’inclusion et d’exclusion pour le groupe du primaire que pour les deux autres.

5.4 Des variations de l’expérience scolaire selon l’âge

Sur le plan diachronique, l’expérience scolaire se transforme au fil du temps, sous l’influence de l’âge et de la compétition propre au système scolaire, qui s’accentue au secondaire et qui transforme le rapport subjectif envers les études. Les thèmes de discussions ont varié en fonction de l’âge et des significations qu’ils attribuent à l’école.

Ainsi, les jeunes du primaire (10-12 ans) accordent une plus grande importance aux règles scolaires liées au métier d’élève : code de vie, assiduité, résultats, bon comportement. Ils ont moins de distance critique à l’égard des valeurs familiales et de la pression parentale quant aux études, de même qu’à l’égard des pairs sur lesquels ils arriment leurs comportements.

Les jeunes du secondaire, malgré une réflexivité plus grande, jouent avec aisance leur métier d’élève, en ayant bien intégré les attentes exercées par leurs parents et par l’école. Mais leur démarche est plus personnelle, car ils veulent réussir pour eux-mêmes. Même si les plus âgés (15-19 ans) ont fortement intériorisé les normes et les règles de leur école, la tension est faible entre les logiques normative et instrumentale, ces jeunes ayant une capacité réflexive bien marquée : ils assument leur opinion critique face aux valeurs qu’ils n’endossent pas et affirment leur individualité.

5.5. Des nuances selon la génération et le parcours migratoire

L’appartenance à la première ou à la deuxième génération semble être un facteur important de variation de l’expérience, mais les différences dans les discours des jeunes sont à considérer avec prudence, car les trois groupes n’avaient pas une représentation équilibrée des deux générations ni des parcours de jeunes réfugiés. La plupart des jeunes de deuxième génération étaient dans le groupe de l’école primaire, une période au cours de laquelle la logique normative prédomine et où les enjeux liés à la construction de l’identité sont moins sensibles qu’à l’adolescence. Le groupe du primaire exprime une forte appartenance à l’identité familiale (confondue avec l’appartenance nationale des parents) et idéalise fortement le pays d’origine des parents. Les jeunes des deux autres groupes du secondaire plus âgés, d’arrivée récente et de première génération, se définissent plus volontiers comme Québécois et voient la société québécoise comme un ensemble d’opportunités nouvelles qui leur permettra de prendre leur place. Par contre, tous les jeunes se disaient redevables envers leurs parents pour les sacrifices faits en immigrant.

5.6 La combinaison des logiques de l’expérience

Les logiques qui se dégagent des discours des jeunes ne convergent pas toutes ; elles se répartissent au long d’une hiérarchie allant d’une forte maîtrise de normes scolaires à un sentiment parfois d’aliénation, parfois d’injustice, lorsque les règles prescrites par l’école ne sont pas respectées par les adultes. Même si pour ces jeunes, la socialisation et la formation de soi se réalisent pleinement dans l’école, l’institution exerce tout de même, selon certains, de fortes pressions, dont celle de la performance et de la peur de déchoir. À cet égard, toutefois, le discours est différent chez les jeunes ayant fui un pays en guerre par rapport à ceux dont la famille a volontairement immigré. Les quatre jeunes réfugiés témoignent d’une distance critique plus grande à l’égard des règles de la compétition scolaire : ils conçoivent peu l’école comme un marché où ils doivent performer. Contrairement aux jeunes de deuxième génération, leur scolarité au Québec n’est pas perçue comme un droit acquis, mais comme un privilège leur offrant des opportunités pour se réaliser. Le rapport à l’école varie donc selon l’expérience migratoire des jeunes.

Enfin, sur le plan de leur construction comme sujet, les discours des jeunes expriment une certaine prise de distance à l’égard du statut d’immigrant. Ils ne se perçoivent pas comme des jeunes ayant cumulé des handicaps scolaires et sociaux en raison d’un apprentissage tardif du français, de différences culturelles ou de retards et déclassements attribués aux écarts entre systèmes scolaires. Au contraire, ils estiment, dans l’ensemble, avoir une vie pleine d’opportunités et disposer de plusieurs atouts (multilinguisme, voyages, réseau social transnational) et d’un bon soutien parental, même lorsque les parents sont peu scolarisés.

5.7 Les limites de cette étude

Les jeunes ont reconnu avec les chercheurs les limites associées à cette méthode dont, notamment, l’effet de groupe sur les opinions de chacun et qui ne sont pas toujours atténuées par la présence des chercheurs, la difficulté de tout dévoiler devant les autres et celle d’obtenir les perceptions de tous les jeunes dans des discussions à 10 personnes. Certains sont moins intervenus que d’autres. Cela a été le cas des deux jeunes non-immigrants qui se sentaient souvent peu concernés par les thèmes émergeant de la discussion, mais qui se disaient habitués d’en entendre parler, parce qu’ils sont minoritaires à leur école. Puisque les tours de parole étaient libres, certains jeunes ont donc pris davantage la parole que d’autres, et les problématiques liées à l’immigration ont largement occupé l’espace.

De plus, cette méthode s’applique difficilement avec des enfants de moins de 14 ans, qui n’ont pas pleinement développé leur capacité réflexive et de distanciation critique face aux adultes et qui peuvent plus difficilement jouer le rôle d’analystes de leur propre expérience. Il s’agit également d’une méthode lourde, exigeante en termes logistiques, qui nécessite la présence constante des participants et de plusieurs chercheurs à chaque séance et tout au long du processus.

6. Conclusion

Dans cette étude, des jeunes majoritairement issus de l’immigration dans trois écoles d’un quartier défavorisé à Montréal ont été invités à participer à une démarche d’analyse de leur propre expérience socioscolaire, en utilisant la méthode de l’intervention sociologique (Touraine, 1978). Ils ont donc dressé des constats quant aux facteurs et aux processus reliés à deux dimensions étroitement imbriquées dans leur expérience : adaptation  et intégration sociale, scolarisation et socialisation à l’école.

Le premier constat issu des analyses faites par les jeunes eux-mêmes est qu’en dépit des obstacles rencontrés dans les processus d’adaptation et d’intégration familiales, les jeunes des trois groupes partagent une expérience socioscolaire marquée par une forte adhésion aux normes et promesses d’intégration sociale associées à l’école, qui fait partie du projet migratoire de leur famille. De plus, même si plusieurs ont des parents faiblement scolarisés, l’école n’est pas perçue comme un espace de stigmatisation et d’exclusion, mais comme un lieu d’inclusion, d’apprentissage pour obtenir un travail et devenir quelqu’un, selon leurs termes, et comme un espace de socialisation pour s’épanouir dans leur vie juvénile et se réaliser socialement. Entre l’univers de la famille, celui des pairs et les normes de l’école, ces jeunes disent avoir développé une certaine distance critique à l’égard de chaque univers, tout en y naviguant sans trop de conflits. La quasi-totalité des jeunes des trois groupes a admis faire un usage stratégique de cette distanciation, comme facteur de protection contre la forte pression parentale (de réussite scolaire) ou certaines normes ou pratiques scolaires sur lesquelles les jeunes arrivés plus tardivement, dans le groupe des plus vieux (15-19 ans), posent un regard critique (marginalisation des élèves des classes d’accueil, déclassement à l’arrivée...).

Le discours des jeunes témoigne des différents facteurs liés à l’expérience migratoire et, entre autres, au capital social et culturel des familles, qui jouent dans l’intégration sociale, la scolarisation et la socialisation. Dans leur analyse, les jeunes ont mis en évidence des logiques d’action qui varient selon les rapports sociaux qu’ils entretiennent avec les différents acteurs de l’école (entre élèves, avec les enseignants...) et l’articulation de leurs différents pôles identitaires (Allen, 2007 ; Potvin, 2007).

Ainsi, les jeunes du groupe de l’école primaire, du fait de leur jeune âge (10-12 ans), ont moins de distance critique face à l’identité, aux valeurs de la famille, à la pression parentale pour réussir et à la pression de leurs pairs, sur lesquels ils arriment souvent leurs comportements. À cet âge, ils sont pris entre différents messages normatifs ou stratégiques  pour construire leur personnalité. Les jeunes de ce groupe, presque tous de deuxième génération, expriment une plus forte appartenance à l’identité familiale (qu’ils associent à l’appartenance nationale ou ethnique des parents) et idéalisent plus fortement le pays d’origine des parents que les deux autres groupes composés d’élèves plus âgés. Les deux autres groupes dans deux écoles secondaires distinctes plus âgés (13-14 ans et 15-19 ans), d’arrivée plus récente et de première génération, se définissent plus volontiers comme Québécois et voient la société québécoise comme un ensemble d’opportunités nouvelles qui leur permettra de prendre leur place. Ces jeunes prennent leurs distances de la famille et leur démarche face à l’école est plus personnelle : ils veulent réussir pour eux-mêmes. Les plus âgés (15-19 ans) font preuve d’une capacité réflexive et d’une capacité d’action encore plus marquées : ils assument leur opinion critique face à certaines valeurs sociales ou morales qu’ils n’endossent pas et s’affirment de manière plus authentique dans leur individualité.

Malgré les limites liées à la méthode de l’intervention sociologique (effets de groupe, âge des jeunes du primaire, capacité critique réduite), l’analyse effectuée par et avec les jeunes de ces trois groupes montre comment les jeunes définissent leur expérience scolaire à travers les relations entretenues à l’école, leurs besoins d’adaptation à l’arrivée, de prise en compte de leur expérience migratoire, et leurs besoins identitaires et scolaires. L’analyse qu’ils font de leur expérience constitue en soi un apport précieux pour les autres acteurs de l’école.