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Dans son ouvrage ultime, La géométrie des ombres (2012), Jean-Pierre Issenhuth se pose la question : « Pourquoi, dans La clef de voûte, les vues de Vadeboncoeur sur le monde contemporain me sont-elles si étrangères ? » La réponse est quelques pages plus tôt : « Pourquoi diable parle-t-on de “réenchanter le monde” ? Il n’a jamais cessé d’être enchanté. C’est l’humanité désenchantée qui distille du vinaigre et en asperge le monde à tour de bras[2]. »

Pourtant, l’écrivain aurait eu de bonnes raisons d’être triste devant son monde à l’écologie précaire, celui-ci habitant une île, Laval, peuplée de centres commerciaux et lardée de boulevards moroses. Au contraire, c’est là, au coeur même de ces zones incertaines, plus sensible, sans doute, à ce qui se révèle dans la fragilité, qu’il voit les arbres, les animaux et tout ce qui fait de lui un écrivain du dehors. Il le dit bien : « le raton, qui n’annonce jamais son passage, est une figure plus juste du monde tel qu’il existe sans moi, et une figure non moins juste de la discrétion du monde tel qu’il existe avec moi[3] ».

Qu’est-ce qui explique que Pierre Vadeboncoeur et Jean-Pierre Issenhuth aient correspondu à partir de 1980 ? Dans ces lettres que nous publions ici pour la première fois, on sent bien sûr une admiration mutuelle, une appréciation de leurs styles respectifs, mais il y a plus. Ce n’est pas un hasard si le dernier livre d’Issenhuth a été dédié à Pierre Vadeboncoeur : l’essayiste de La ligne du risque a, lui aussi, fait l’expérience du monde, s’est sorti de lui-même, même lorsque son oeuvre s’est faite plus intimiste, introspective : « Voilà le contraire d’un spectacle intellectuel, pour lequel le discours a priorité sur l’expérience et la met entre parenthèses, la minimise, l’outrepasse ou la travestit si facilement. C’est par là que je suis attaché à Vadeboncoeur[4]. » Les deux hommes se retrouvent en des espaces analogues, où l’écologie est précaire. Laval ou le Très-Haut : les deux hommes se rencontrent parce qu’ils s’interrogent.

Pierre Vadeboncoeur a reçu le prix de la revue Études françaises en 2003 pour son essai Le pas de l’aventurier.

Jonathan Livernois

Le 13 juillet 1987

Cher ami,

Vos lettres ont l’effet, entre autres, de me réconforter, ce dont j’aurai toujours un assez grand besoin. Celle du 7, la dernière, notamment.

Contrairement à votre image de la mer et du sable, et celle du lest et du ballon […], celle du siège d’une idée et de la petite porte enfin trouvée pour y accéder me plaît beaucoup. Quand j’ai une idée au fond de la tête mais sans pouvoir encore l’apercevoir, j’éprouve qu’elle y est et je sais d’avance que dans un détour elle me sera donnée sous un angle ou sous un autre, de sorte que j’en fixerai au moins un aspect, et il s’agira d’une idée qui n’existait pas jusque-là ; autant dire, je l’aurai créée en quelque sorte, et elle sera neuve. Si ce n’est là la réalité, du moins est-ce l’illusion que j’ai. Je ne cours qu’après ces petites « découvertes » — j’entends : quant aux idées. Je fais donc effectivement des sièges, et des manoeuvres, et des sinuosités, car l’idée se cache et ne se laisse pas aisément saisir. Quand je mets la main dessus, elle est comme un objet. Cependant, à une espèce de deuxième degré, deuxième mais pour moi tout à fait principal, ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant cette idée elle-même que la beauté de l’exprimer, la beauté de la sertir dans une phrase qui serait parfaite. (Du reste, c’est la phrase qui la parachève et parfois l’accouche.) Et la beauté d’en être ému. Et d’en fixer « à jamais » l’émotion comme on fait en musique ou en n’importe quel art. Votre idée de la « petite porte » est belle, en outre, car cette expression laisse entendre, de cette porte petite, qu’elle est une porte peu accessible mais ouvrant sur le Trésor, avec un grand T.

Je suis toqué d’autre chose. Je suis toqué de la clarté. De plus en plus, avec l’âge. Je reviens ainsi à ma première formation classique. Quelquefois le problème se présente comme ceci, à la limite : exprimer clairement — si possible — l’idée cherchée (dans le même temps) tout aux confins de ma conscience. Alors, c’est un pari, et le résultat n’est rien moins qu’assuré. Dans mon livre[5], ceci se remarque surtout dans le texte intitulé L’idole et, à un degré moindre, dans celui appelé La pierre. De mes amis syndicalistes, deux ou trois, découragés, m’ont dit que ce que j’écrivais était difficile à comprendre. Je leur ai répondu, en riant mais tout à fait sincèrement, que moi-même, parfois, j’arrivais difficilement à comprendre après coup mon propre texte, par exemple L’idole, et qu’il fallait, pour y arriver, que je me concentre…

Mais tout ceci est un peu sur la forme et les moyens. Il y a bien d’autres tocades : qu’est-ce que j’essaie de toucher en écrivant (non pas qui mais quoi ?) quel est l’inconnu sensible ou l’Inconnaissable, avec quoi ou qui je veux faire contact ? Qu’est-ce que veut mon désir dans mon « art » ? Etc. Mais vous le savez aussi bien que moi puisque je le décèle dans le vôtre.

Ce que j’aime, c’est que vous vous interrogez sur ce qui ne semble pas le moins du monde intéresser la plupart des critiques. Vous cherchez dans les textes ou dans l’espace ce que vous n’avez pas déjà trouvé ou aperçu.

J’aime aussi votre formule : que ce sont mes sujets qui me choisissent, encore que ceci ne soit qu’à moitié vrai, mais vrai probablement en ce que, au-delà des sujets, il y a l’Objet qui est au fond de tout, et donc qui me commande obscurément et sans nécessité démontrable tel ou tel sujet (par ailleurs plus ou moins suggéré par le hasard), et, en ce sens, mes sujets (comme en art, encore une fois) n’ont qu’une importance secondaire et permettent un regard qui les dépasse.

Je ne suis « pas surpris que les Essais inactuels (vous) jouent des tours », et vous demandez : « Que voyez-vous donc que je ne vois pas ? » Comment répondre à cette question ? Par ceci peut-être : ce que je vois et que vous ne voyez pas (depuis mon foyer de vision), c’est ce que je ne vois pas moi-même mais que je ne cesse de viser néanmoins. Pour saisir cette phrase impossible, guidez-vous sur une chose : nous sommes en art. L’« explication » générale de mon livre — et d’autres — c’est peut-être que je suis moi-même orienté non seulement par l’inconnu connaissable, mais par l’inconnaissable même, et ce serait là l’explication de la tension qu’il y aurait dans ce livre et dans d’autres, tension soutenant recherche, tension aussi soutenant style. Le regard obstinément fixe.

Ce regard fixe c’est une facilité que j’ai : je fixe quelque chose et des idées me viennent, quelquefois avec abondance. Je voudrais bien qu’au lieu d’idées, le même regard déterminé m’offrît des vers, des choses aimées, des histoires, des drames, et alors je serais un artiste, un poète, un romancier. Mais ce n’est pas le cas.

Jolie votre expression : « Une exposition de portes ». J’aime beaucoup ça. C’est comme chez Villeneuve & Cie. Merci pour. (Je suis content de vous donner du fil à retordre. Quel critique n’a jamais dit : « Celui-ci, celui-là, me donnent du fil à retordre ! »)

Votre reconnaissant

Pierre V.

Le 8 février 1989

Cher ami,

Je suis un amateur de telles « vacheries ». J’ai hâte de lire celles qui vous font peur. C’est le signe ça : avoir peur de ce qu’on a écrit. Cela promet toujours, et cela tient ! Ne négligez de prendre aucune « résolution d’être gentil à l’avenir » puisque vous serez toujours à faire le contraire, et alors, passer par-dessus une résolution, c’est signe qu’il y a de quoi et l’effet ne rate pas. D’ailleurs la force de l’attaque est proportionnelle à celle du refoulement qu’on avait résolu. Vous avez une des plumes les plus violentes du Québec. Bravo !

J’ignore si vous aimeriez Michelet. L’histoire, la révolution… Mais vous aimeriez ceci : on y trouve, il se permet cent incorrections, et il le peut car il est la langue française. C’est éloquent, elliptique, ample, soudain, passionné, attentif, enfin tous les contraires. C’est du Bossuet accidenté, du Hugo intelligent, du Montesquieu déraisonnable, du Pascal mécréant et révolutionnaire, du Voltaire croyant, et le contraire aussi d’une littérature de Cour. C’est à peu près ce qu’il y a de plus grand avec ceux-là.

Dire que cette langue infinie s’en va chez le diable à partir de l’an 2000 !

Je voudrais bien n’avoir pas été québécois et par conséquent n’avoir pas eu à apprendre à écrire…

Pierre de Grandpré[6], je crois, disait, dans les années 50, que j’avais un style de bretteur. Mais hélas, cela est bien perdu.

Je suis maintenant très heureux d’avoir découvert un auteur.

Le numéro de février[7] n’est pas encore arrivé et j’ai hâte à celui d’avril, en particulier pour vos « folies », qui sont de si profonde raison, de raison si aiguë, avec le style à l’avenant.

Pourriez-vous me faire adresser deux ou trois exemplaires supplémentaires de février et des mois qui suivront ?

Amitiés
Pierre V.

P.-S. Vous avez de l’esprit et par la façon de cet esprit vous prouvez que vous êtes le contraire d’un bel esprit. Méchant, le contraire de méchant. Critique, en même temps ce faisant vous êtes poète.

(Voilà ce qu’on peut appeler justement un auteur.)

Le 7 février 2001

Mon cher Poilu[8],

Je reçois votre lettre et votre livre[9]. Quel plaisir. Ou plutôt quel bonheur. C’est aussi comme la France qui m’arrive. Et puis ces propos si honnêtes qui m’apprennent que vous vous êtes battu contre L’humanité improvisée[10], désespérément, sans vaincre, mais plutôt sans être vaincu. C’est l’amitié qui vous a fait soutenir cet inutile combat, puis qui vous a fait enfin abandonner quand vous teniez l’offensive et presque la victoire… L’amitié seule. Mais vous auriez abandonné de toute façon. Vous avez tenu comme un brave. Je vous aime pour cette amitié et pour un tas de qualités.

Quant à mon livre, pour sa défense, si possible, je dirais ceci : quand on rejette une époque un peu comme les chrétiens répudiaient le monde, on ne fait pas dans les distinctions et encore moins dans les nuances. Un monde dégueulasse (contre lequel vous vous protégez d’ailleurs dans votre redoute à Laval) n’empêche ni le courage, ni la bonté, que vous observez dans vos « tranchées » et opposez à ma vision.

Je ne comptais pas que l’esprit fin, libre et délicatement mesuré qui est le vôtre pourrait beaucoup souffrir le ton « prophétique » de mon discours. Il me suffit que vous ayez persévéré. Car cela, qui est en ma faveur, est tout pour moi.

Voici comment je lis déjà Rêveries : très lentement, ligne par ligne, page par page, et en revenant sur les lignes, sur les paragraphes, en autant de stations, et avec une telle attention. Car c’est lire à tout moment de l’inattendu ; vérité dans l’écriture, à chaque mot, et sensibilité par vous tout accordée à son objet, toute proche de lui. Pas une once de pose. L’objet tout le temps. Il y a une méthode pour vous lire. Vous êtes un écrivain tout à fait singulier. On mettra du temps à le reconnaître.

Merci donc, pour tout.
Mes amitiés, ainsi qu’à
Dominique, que je n’oublie pas.

Pierre Vadeboncoeur

Le 8 mars 2001

Cher ami,

Savez-vous ce qui m’arrive avec vos Rêveries ? Je m’en suis épris. Naguère, je dois vous dire, je lisais ces textes assez distraitement dans Liberté. Mais réunis et nous mettant dans la situation d’une lecture continue, c’est tout autre chose. J’y ai pris un goût tel que je les quittais chaque fois avec regret. Les choses et les personnes dont vous parlez, la réalité dont vous avez un sens extraordinaire, et un style aussi véritable qu’elle, me laisser retenir par cela était devenu pour moi un bonheur. Expérience était à chaque instant pour moi le tout de cette lecture.

Je ne vous en dis pas plus. Ce serait difficile d’ailleurs, et je craindrais votre jugement si je développais davantage. Vos pages étant la mesure même et la justesse, le commentaire risque de déraper ridiculement. En fait, il faudrait une étude. Que j’espère que l’on fera.

Amitiés. Pierre V.

P.-S. Sur votre idée de ne plus écrire ou publier, de grâce ! Vous faites bon marché de la nécessité de vos écrits, comme du prix de votre écriture et de votre conscience.

Le 14 mars 2001

Lettre no 1

Cher ami,

J’ai finalement écrit un petit quelque chose sur votre livre, une ou deux pages qui seront publiées dans le numéro d’avril d’un journal impossible auquel je collabore régulièrement, Le Couac. J’aime mieux écrire dans ça qu’au Devoir, m’y sentant plus à l’aise, ne me sentant pas obligé de me mettre en habit du dimanche. (Même si, en fait, je soigne beaucoup ce que j’écris.) (Trop)

J’espère que vous serez content. Vous verrez que je parle en convaincu.

Amitiés
Pierre Vadeboncoeur

Le Couac paraît dans la première dizaine du mois.

Le 14 mars

(no 2)

Je reçois votre lettre du 12 — et celle du 16 janvier — au moment d’aller mettre la mienne à la poste. Je décachette et me revoici. Cette référence à l’attention (David Cantin), (Weil), c’est exactement ce qu’il fallait dire. Et ce que vous ajoutez, « l’attention au monde et aux vivants, je n’en aurai jamais assez ». Vous ne savez « que penser des Rêveries ». Ce n’est pas nécessaire. Laissez-nous ça. Ce que vous dites aussi, à savoir que vous avez « essayé » d’y introduire des choses risquées, non familières à la littérature, comme j’aimerais avoir trouvé cela ! Vous ne savez que penser de votre livre, mais vous tombez absolument juste. J’ai relu mes deux pages pour Le Couac, et c’est loin d’approcher cela. Quant à Voir, c’est de l’ordure[11]. Je ne ramasse jamais cela. Vous apprendrez avec plaisir que Le Couac, malgré ses folies, ne rate pas une occasion de « descendre » cette feuille dégueulasse. On (moi) ne s’occupe pas de ça. Il ne vaut même pas la peine de canarder ce monde-là. De fait, l’articulet du Monette à mon sujet[12] ne m’avait fait ni chaud ni froid. Strictement. Rien. Pourtant je ne suis pas insensible, enfin pas tout à fait. Ménagez vos munitions.

La France est dans les tranchées.
À quel point je l’aime !
Mais, hélas, peut-être
qu’elle ne l’est plus.
Pierre V.

P.-S. Vous avez bien fait de quitter Liberté puisque d’y être ne vous était plus naturel.

J’ai abandonné aussi ma collaboration : il faut que cette publication se renouvelle.

Le 26 avril 2001

Cher Poilu,

Êtes-vous content ? Je le suis : j’ai lu le bel article de Marcotte dans L’Actualité. C’est comme si c’était pour moi, et mieux. Vous avez des partisans auxquels vous ne pensez pas. Par exemple Marie, ma femme, qui lisait naguère ces chroniques avec plaisir (un authentique plaisir) dans Liberté, me dit-elle, et qui maintenant me demande votre livre. Cela fait quatre amateurs — les trois que vous mentionnez, plus cette dernière. J’espère que vous penserez désormais plus loin que le bout de votre nez quand il s’agira pour vous de savoir si vous ne devez plus écrire. En 14, les Poilus se sont battus pour la France et donc pour sa littérature. Parfois ils se mutinaient, mais en fin de compte ils n’ont jamais lâché. Ou alors vous n’êtes pas un poilu.

Vous ai-je jamais convaincu qu’il ne m’arrive jamais de penser à la France sans émotion ?

Faites partager ma joie avec Dominique.

Pierre V.

P.-S. Vous a-t-on adressé le Couac d’avril ? Sinon je vois à vous l’envoyer moi-même.

Le 3 juin 2003

Cher ami,

[…]

Je vous remercie vous aussi pour Hopkins[13]. Je préfère de beaucoup sa poésie. Le prosateur m’ennuie un peu.

Je dois vous confesser une chose. J’ai écrit — j’ignore pourquoi — un essai à propos de Rimbaud. Imaginez ! Bravement. J’avais commencé quelque chose, puis j’ai continué. Cela paraîtra en septembre chez Fides ou Bellarmin. Marie-Andrée Lamontagne, qui est maintenant rendue là, a le manuscrit en main et s’en occupe. Mais je serai incapable de défendre cet ouvrage (qui fera soixante-quinze ou cent pages, avec beaucoup de citations de Rimbaud et d’autres poètes, dont deux ou trois Anglais).

Par les temps qui courent, j’écris nombre d’articles sur la situation internationale, la guerre, les USA. L’un d’eux vient de paraître dans l’Inconvénient. Vous me parlez de la France, de grèves, etc. Mais la France s’est extrêmement bien tenue jusqu’à la guerre d’Irak et même depuis. J’espère qu’elle ne fléchira pas maintenant, car les guerres américaines continueront, sans plus de justification.

[…]

Amitiés

Pierre Vadeboncoeur

Non daté, probablement écrit en octobre 2003

Ce petit livre sur l’aventurier a été pour moi une aventure. Je m’y étais engagé fortuitement. Puis j’ai poursuivi dans l’indépendance ma lecture de Rimbaud et hasardé chemin faisant les idées qui me venaient, non comme dans une étude mais plutôt comme on développe une partition. À des risques dont je suis très conscient. Je vous en confie le produit, humblement il faut bien dire.

Pierre Vadeboncoeur

Le 17 octobre 2003

Cher ami,

[…]

Le pas de l’aventurier ? Eh bien, l’audace gratuite du débutant pour moi. Je me suis engagé là-dedans par désoeuvrement et sans presque m’en apercevoir. C’est mon premier livre qui à mes yeux n’ait aucune nécessité et où je me suis trouvé pour ainsi dire par hasard. Il existe maintenant comme à côté de moi, ou suspendu, ou provisoire, ou passé outre. J’ai hâte de voir la réaction de ceux qui connaissent quelque chose et ne sont pas de mes amis. Je suis dans la tranchée, je les attends, un pissenlit au canon de mon arme.

Pierre V… poilu par procuration

Le 29 octobre 2003

Cher ami,

Vous êtes la première personne à qui j’aurais pensé de ne pas envoyer ce livre incertain. J’avais commencé de l’écrire par hasard et sans but, ni intention, ni besoin, ni nécessité, ni dessein, ni rien — contrairement à tous mes autres livres. Je n’ai jamais su ce que j’allais faire là.

C’est un objet quelconque à expédier à un Poilu qui est comme vous dans les tranchées, quand on n’a rien d’autre sous la main. À vingt ans, Rimbaud, qui ne veut rien savoir, décide de ne plus jamais écrire. Un autre, à quatre-vingts ans, reçoit un prix[14]… pour avoir écrit quelque chose… Mesurez l’abîme !

Je n’ai aucune idée de ce livre. Je l’ai relu mais je ne l’ai pas lu. Il m’échappe.

Pour le reste, savez-vous, tout va bien. Mais j’ai en réalité quatre-vingt-trois ans.

Amitié.
Pierre V.