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Partant du leitmotiv « innover pour mieux performer », les deux coauteurs de Gestion de l’innovation offrent au lecteur les clés pour mieux décrypter son environnement de travail et améliorer ses pratiques de management des projets d’innovation. La démarche qu’ils proposent se divise en deux étapes, d’abord comprendre le processus de l’innovation en première partie du livre (quatre chapitres) pour, par la suite, mieux le piloter en deuxième partie (quatre chapitres). Le tout s’appuie sur une reconnaissance du caractère complexe, voire paradoxal du processus d’innovation qu’ils utilisent de manière constructive en présentant les différentes problématiques inhérentes à la gestion de l’innovation. Les auteurs définissent les connaissances accumulées à ce jour et souvent les modélisent, et illustrent leurs propos à l’aide d’exemples issus de cas réels dans 135 encadrés qui en facilitent la compréhension. Le livre s’adresse d’abord et avant tout à une clientèle universitaire, mais peut présenter un certain intérêt pour les décideurs et acteurs concernés par les projets d’innovation.

Qu’est-ce que l’innovation ? Le premier chapitre répond à cette question par un survol des différentes typologies de l’innovation : la nature de l’innovation de prestation, de procédé ou d’organisation ; les degrés d’innovation, de rupture ou de continuité, radicale ou incrémentale ; et le dilemme exploitation versus exploration. La seconde partie du chapitre présente le processus en tant que passage de l’idée à des produits, des services ou des procédés exploités sur le marché. Ce passage est à la fois séquentiel (recherche-développement-industrialisation-commercialisation) et interactif, c’est-à-dire un mouvement de va-et-vient entre partenaires, un transfert d’information menant peu à peu à la stabilisation de l’innovation. Mais peut-on véritablement différencier innovation de développement technologique ? Le chapitre deux aborde les cycles schumpétériens, les révolutions industrielles et les systèmes techniques. À travers les exemples tels ceux de la carte à puce, de l’imprimante 3D, des SMS et du DVD, le lecteur découvre les concepts de cycle de vie et de compétition entre technologies. Parce que la compétition technologique s’avère à la fois risquée et incertaine, la capacité d’adaptation de l’entreprise et sa vitesse de réaction sont souvent décisives.

La stratégie d’innovation détermine pourquoi, quand, quoi, comment et avec qui innover en vue de développer un avantage concurrentiel et le maintenir. Elle constitue le chemin que se trace l’organisation pour constamment améliorer sa performance. La théorie de l’avantage concurrentiel de Porter (1985) inspire donc la première section du chapitre trois. Ce positionnement concurrentiel de l’entreprise est également tributaire du temps ; face à une innovation, l’entreprise doit-elle viser la position de leader ou de suiveur ? L’effort de R&D doit supporter la position visée tout autant que le niveau d’aversion au risque. S’appuyant entre autres sur les recherches de Clark, de Fugimoto, de Stalk et de Wheelwright, les auteurs en arrivent à la conclusion qu’innover en rafale constitue « la » capacité clé que doit rechercher toute entreprise, qu’elle s’inspire de l’approche classique ou évolutionniste, qu’elle soit basée sur les ressources et compétences ou sur les capacités dynamiques. Si les investissements en innovation sont liés à leur rentabilité, la rente dépend quant à elle de la diffusion et de la protection de l’innovation, thèmes abordés au quatrième chapitre. Les théories classiques et sociologiques de diffusion de l’innovation sont visitées et critiquées. Suit un survol des moyens disponibles pour protéger l’innovation : marques, dessins et modèles, droits d’auteur, enveloppes Soleau, cahiers de laboratoire et brevets. Mais faut-il selon les mots des auteurs « laisser le loup entrer dans la bergerie » ? L’objectif visé est de bien doser les efforts de diffusion et de protection, de mobiliser un collectif de partenaires susceptibles de faciliter la réalisation du projet d’innovation tout en protégeant les intérêts particuliers de l’entreprise. Ce chapitre complète la première partie du livre consacrée à l’approfondissement du concept d’innovation.

Dans la deuxième partie, les auteurs abordent le pilotage du processus d’innovation. Ce dernier débute par des activités de R&D qui s’appuient sur un cadre organisationnel propice, regroupant des acteurs internes et externes eux-mêmes créatifs. L’investissement massif en R&D n’offre cependant pas une garantie de rentabilité, ce que démontrent d’ailleurs les problèmes qu’a encourus Ford au cours de la dernière décennie. Le chapitre cinq aborde les modèles fermés (développement interne par la fonction R&D), collaboratifs (accords de coopération, alliances technologiques) et ouverts (ouverture du silo de la R&D) d’organisation de la R&D. À toute fin pratique, l’innovation est un acte collectif. Innover mobilise un ensemble d’acteurs que l’on doit organiser et structurer, sujet du sixième chapitre. Premier paradoxe : la structure, frein à l’innovation ! Maintenir un niveau adéquat de spécialisation et d’autonomie de la fonction R&D tout en coordonnant l’ensemble des fonctions de l’entreprise pose un dilemme que doit résoudre le gestionnaire du projet. L’organisation se doit de développer son ambidextrie, cette capacité d’exploiter et d’explorer simultanément. Qui plus est, elle doit mettre en place des équipes d’innovation souvent multi localisées et spécifiques à chaque projet et recourir à un gestionnaire de projet pour assurer la coordination de tous ces acteurs et de toutes ces activités.

Et si l’avantage concurrentiel a longtemps été l’objectif visé, de nos jours, il se détériore tellement rapidement que l’entreprise innovatrice doit davantage miser sur sa flexibilité et sa capacité d’apprentissage. Le chapitre sept approfondit la « fabrication de l’innovation », les processus favorisant et facilitant le passage de l’idée à l’innovation et à l’apprentissage et aux leviers comportementaux que le management peut actionner pour mettre en place une entreprise agile, flexible et apprenante. L’une des pistes explorées est celle du « project-based view » qui reconnaît le projet et le portefeuille de projets comme bases d’analyse et d’action de la stratégie. L’apprentissage organisationnel à boucle simple ou double constitue la seconde piste proposée par les auteurs. La troisième comprend les leviers comportementaux favorables à l’innovation, à savoir le soutien de la créativité, l’entretien de la réciprocité ou des échanges et le développement de l’intrapreneuriat. Mais le développement fulgurant des TIC contribue à amenuiser les frontières de la firme de sorte que, outre l’intrapreneuriat, l’entreprise moderne participe à un réseau interorganisationnel d’innovation, collectif qu’elle se doit d’orchestrer, objet du huitième et dernier chapitre. Ces réseaux d’innovation nécessitent des modes de coordination tels la confiance, le contrôle et la coopétition et forment de véritables écosystèmes d’affaires. Ces écosystèmes sont parfois localisés et donc territoriaux (pensons à la Silicon Valley) ou virtuels ; ils regroupent alors une communauté partageant un même pôle de compétitivité. Voilà qui complète la seconde partie du livre, le pilotage du processus d’innovation.

Le livre de Loilier et Tellier couvre bien, à notre avis, le grand thème de la gestion de l’innovation, et ceci en français. Loin d’être normatif ou prescriptif, il s’appuie sur la littérature en innovation et décrit très succinctement l’état des connaissances actuelles et lorsque ceci est possible, les critiques que l’on en a faites. Les références sont nombreuses (plus de 800 articles) et s’y ajoute une bibliographie commentée de manuels français en management de l’innovation et un glossaire. Les nombreux exemples qu’il contient en rendent la lecture intéressante et facilement compréhensible de sorte que le livre convient très adéquatement pour l’enseignement au baccalauréat et même à la maîtrise si l’on y ajoute la lecture de quelques articles-clés permettant de mieux apprécier toute la complexité de la pensée des auteurs qui ont inspiré ces théories ou modèles qui constituent les fondements de la gestion de l’innovation.