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Plusieurs études internationales ont signalé l’influence positive des organismes communautaires en santé mentale (OCSM) sur leurs usagers. Les OCSM contribuent au rétablissement en développant la confiance en soi (Davidson, Chinman, Sells et Rowe, 2006 ; Lewis, Hopper et Healion, 2012 ; Segal, Silverman et Temkin, 2011). Ils permettent la constitution d’un réseau social (Hardiman et Segal, 2003) et l’acquisition de nouvelles aptitudes (Brown, 2009). Ils accroissent le pouvoir de la personne d’agir sur son environnement social et de mieux défendre ses droits (Swarbrick, Schmidt et Pratt, 2009) et réduisent la stigmatisation et l’auto-stigmatisation (S. P. Segal, Silverman et Temkin, 2013 ; Solomon, 2004). Très accessibles, les OCSM rejoignent des personnes n’utilisant pas les services du réseau public ou n’y ayant pas accès (Goering et al., 2006 ; Segal, Hardiman et Hodges, 2002a). L’utilisation des services du réseau public serait plus judicieuse et plus satisfaisante (Hodges, Markward, Keele et Evans, 2003 ; Segal, Hardiman et Hodges, 2002b), et les hospitalisations moins fréquentes chez les personnes priorisant les OCSM (Burti et al., 2005). Des symptômes psychiatriques et psychologiques diminués et une qualité de vie améliorée sont d’autres facteurs positifs associés à l’utilisation des services des OSCM (Davidson et al., 1999).

En 2012-2013, on dénombrait 412 OCSM subventionnés par le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS, 2013a), offrant des services tels que l’aide aux usagers ou à leurs proches, le traitement et le suivi dans la communauté, les activités de réadaptation, l’hébergement, l’intégration au travail et aux études, la défense des droits, l’information, l’écoute téléphonique, l’intervention de crise ainsi que la prévention du suicide. Les OCSM ont aussi progressivement établi des relations avec les établissements du réseau public. Malgré cela, leurs approches et pratiques demeurent peu connues et trop peu utilisées de la part des professionnels du réseau public. Ainsi, une étude récente a montré que 94 % des omnipraticiens consultés n’avaient aucun contact avec les OCSM (Fleury, Bamvita, Tremblay et Lesage, 2010).

Depuis l’implantation du Plan d’action (PASM) 2005-2010, le système de santé mentale québécois connaît des transformations majeures visant à consolider les soins primaires et à mieux intégrer les services. Bien que le PASM 2005-2010 mette l’accent sur le rehaussement des services pour les personnes ayant des troubles mentaux modérés ou courants, celles aux prises avec des troubles mentaux graves ne sont pas délaissées. Pour cette dernière clientèle, le PASM 2005-2010 proposait ainsi le développement de services tels que le suivi d’intensité variable, ainsi que les services de crise, d’hébergement autonome avec soutien et d’intégration au travail et aux études (MSSS, 2005). Ces derniers services sont souvent offerts par des OCSM. Le PASM 2005-2010 prévoyait également qu’au moins 10 % du budget global en santé mentale serait octroyé aux OCSM. Finalement, des modalités spécifiques ont été établies afin de faciliter la collaboration des OCSM avec les CSSS. Dans ce contexte, le rôle actuel des OCSM ainsi que l’influence du PASM 2005-2010 sur leur pratique et leurs relations interorganisationnelles méritent d’être davantage documentés.

Cet article vise à : 1) tracer l’historique et la place des OCSM ainsi que leurs valeurs et pratiques spécifiques et 2) étudier l’influence de la réforme issue du PASM 2005-2010 sur leur fonctionnement et leurs relations avec le réseau public. En conclusion, des recommandations sont émises afin d’accroître les capacités des organismes communautaires à répondre adéquatement aux besoins des personnes ayant des troubles mentaux.

Méthodologie

Sur le plan méthodologique, notre article est basé sur des sources écrites produites par les principaux regroupements provinciaux et régionaux d’OCSM, sur des entrevues avec des acteurs clés du réseau communautaire, et sur les résultats de travaux antérieurs réalisés par notre équipe et portant sur les relations interorganisationnelles des OCSM (Fleury, Grenier, Bamvita, Wallot et Perreault, 2012 ; Grenier et Fleury, 2009 ; Grenier, Fleury, Imboua et Ngui, 2013). Les mémoires présentés par les principaux regroupements provinciaux (n = 5) et régionaux (n = 7) d’OCSM lors des Consultations nationales pour l’évaluation du PASM en 2010, leurs rapports d’activités ainsi que leurs bulletins d’information des années 2009-2013 ont été les principales sources écrites utilisées en vue d’analyser l’influence de la réforme sur les OCSM. Des entrevues individuelles ou de groupe auprès d’acteurs clés du réseau communautaire (n = 12) réalisées en 2013 et dans le cadre d’études antérieures portant respectivement sur l’état de situation sur la santé mentale au Québec (Fleury et Grenier, 2012) et sur l’itinérance et la santé mentale (Fleury, Vallée, Hurtubise et Grenier, 2010) ont permis de compléter l’information issue de la documentation.

Historique des OCSM au Québec

Le réseau communautaire québécois est constitué de plusieurs générations successives d’OCSM, chacune construite dans un contexte particulier (Favreau, 2009). Avant 1960, un mouvement issu des États-Unis allait jouer un rôle important en santé mentale au Canada et au Québec : fondé en 1918 par un ancien psychiatrisé, le mouvement d’hygiène mentale visait à réformer les traitements offerts aux personnes souffrant de troubles mentaux (Grenier, 1990). Le Canada a été le second pays à se doter d’un comité national d’hygiène mentale, lequel devint en 1948 l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM). En 1955, la division québécoise de l’ACSM vit le jour. Outre ses activités de promotion et de prévention de la santé mentale, l’ACSM, ainsi que ses filiales régionales ont participé à la fondation de plusieurs OCSM.

Les années 1970 seront une période de grande effervescence et de contestation (Jetté, 2008). Elles verront l’apparition des premiers organismes de défense des droits en santé mentale. Inspirés des « survivors américains » et du mouvement antipsychiatrique (Nelson, Janzen, Trainor et Ochocka, 2008), ces OCSM centrent leur discours sur la critique des traitements psychiatriques et de la défense des droits des personnes hospitalisées involontairement (RRASMQ, 2011). Ils mettent aussi l’accent sur la répartition équitable des richesses, le droit pour tous à l’éducation, au travail, au logement et à un revenu équitable ainsi qu’à l’acquisition du pouvoir d’agir individuel et collectif des personnes ayant des troubles mentaux (Nelson, Janzen, Trainor et Ochocka, 2008). Dans les années 1970 également apparaît un autre courant d’OCSM qui, en opposition au modèle biomédical et hospitalo-centriste dominant en psychiatrie, va chercher à « traiter ailleurs et autrement » par la création de pratiques innovantes en santé mentale, et ce, dans des ressources de « taille humaine » situées dans la communauté (RRASMQ, 2009). De ce courant sont issus les premiers OCSM offrant du traitement dans la communauté, les premiers groupes d’entraide ainsi que les premiers OCSM offrant un milieu de vie. À l’instar des groupes de défense des droits, ces ressources se caractérisent par leur implication sociale et politique. En 1983, ces deux courants se sont regroupés pour créer le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ, 2009).

Le début de la décennie 1980 est caractérisé par une crise économique et une remise en question de l’État-providence (Fleury et Grenier, 2004). Cette période marque le début d’une reconnaissance des OCSM par le MSSS (Lamoureux, 1994 ; White, 1993), des fonds étant consacrés à leur déploiement (White et Mercier, 1991). Les OCSM facilitant le désengorgement des urgences hospitalières ou la réinsertion dans la communauté (centres de crise, ressources d’hébergement) sont alors privilégiés (Fleury et Grenier, 2004). L’adoption en 1989 de la Politique de la santé mentale puis la reconnaissance officielle en 1991 des OCSM par l’adoption du projet de loi 120 favoriseront ensuite leur prolifération. Dans le cadre d’une étude portant sur 352 OCSM dont la date de fondation était connue, Grenier et Fleury (2009) ont indiqué que 31 % d’entre eux avaient été fondés entre 1982 et 1988, et 45 % entre 1989 et 1998. Plusieurs de ces OCSM ont été fondés non pas en opposition ou en alternative au réseau public de santé mentale, mais sur la base d’une complémentarité avec ce dernier.

Typologie des OCSM

Les OCSM peuvent être classifiés de diverses façons selon les auteurs. Ainsi, se basant sur la place occupée respectivement par les usagers et les professionnels dans l’administration et la distribution des soins, Godstrom et collaborateurs (Goldstrom et al., 2006) identifiaient trois types d’OCSM : 1) les groupes d’entraide (self-help groups), constitués exclusivement d’usagers ; 2) les organismes de défense des droits, impliquant à la fois des usagers et des professionnels ; et 3) les organismes de services (consumer-operated services), dont l’aide est offerte surtout par des intervenants professionnels. Au Québec, la grande majorité des OCSM (ex. ceux offrant du traitement et du suivi dans la communauté, un milieu de vie, du logement, de l’intégration au travail, etc.) peuvent être définis comme étant des organismes de services. Pour sa part, Emerick (Emerick, 1990) distinguait également trois types d’OCSM, mais en fonction de leur idéologie et de leurs relations avec le réseau public : 1) les radicaux, engagés socialement, et en opposition avec le modèle bio-psychiatrique dominant ; 2) les conservateurs, ne s’intéressant qu’au traitement individuel des troubles mentaux et qui collaborent facilement avec le réseau public et 3) les modérés, se situant à mi-chemin entre les deux précédents types. Si l’on peut relier au premier groupe les ressources alternatives et les groupes de défense des droits, la grande majorité des OCSM québécois peuvent être considérés comme étant modérés. La plupart d’entre eux prônent la nécessité de transformer la société dans leur discours, mais centrent leur pratique surtout sur la satisfaction des besoins de leurs usagers (Roberge et White, 2000).

Pour leur part, Grenier et Fleury (2009) ont réparti les organismes communautaires en neuf types en fonction de leurs objectifs et de la population desservie : 1) les organismes de promotion de la santé mentale (population générale) ; 2) les centres de crise, d’écoute et de prévention du suicide (population générale et ensemble des troubles mentaux) ; 3) les groupes d’aide aux familles et aux proches ; 4) les groupes offrant un milieu de vie (ex. : centres de jour ou de soir) ; 5) les groupes d’entraide ; 6) les ressources d’hébergement (traitement et/ou soutien) ; 7) les organismes de suivi dans la communauté ; 8) les organismes d’intégration au travail ; et 9) les groupes de défense des droits. Les cinq derniers types desservent surtout la population ayant des troubles mentaux graves. Si cette classification est propice à des fins d’analyse, la réalité est cependant plus complexe. En effet, les organismes créés avant les années 1980 ont souvent plusieurs mandats différents (ex : hébergement, milieu de vie, entraide, défense des droits) et offrent une gamme de services très diversifiée (Grenier et Fleury, 2009).

Territoires couverts par les OCSM et financement

Sur les 412 OCSM financés par le MSSS en 2012-2013, 202 (49 %) étaient situés dans les régions de Montréal (n = 104 ; 25 %), de la Montérégie (n = 56 ; 14 %) et de la Capitale-Nationale (n = 42 ; 10 %). Concernant le territoire couvert, les groupes d’entraide et les organismes offrant un milieu de vie couvraient généralement un seul territoire de CSSS. Les organismes d’intégration au travail, ceux offrant de l’aide aux familles et aux proches ainsi que les centres de crise et d’écoute, ont surtout un mandat sous-régional. Chaque groupe de défense des droits couvre toute une région, tandis que les autres types d’OCSM possèdent des mandats locaux ou semi-régionaux de façon équivalente (Grenier et Fleury, 2009). Finalement, d’importants écarts existent entre les OCSM en ce qui a trait à leur financement étatique. Les groupes d’entraide sont les moins nantis, certains recevant moins de 10,00 $, contre 2,6 millions de dollars pour un centre de crise (MSSS, 2013b).

Modalités de pratique des OCSM

Indépendamment de leur taille, mandat ou idéologie, les OCSM se distinguent des institutions publiques par un ensemble de caractéristiques. Tout d’abord, leurs interventions se basent moins sur le diagnostic que sur la situation globale de la personne :

Au-delà du diagnostic, la personne a une histoire qui tisse la trame de sa situation présente. Son discours est marqué d’empreintes : la famille, la situation économique, la profession, son orientation sexuelle, sa condition sociale, sa spiritualité, ses valeurs. Toutes ces données vont nous permettre d’avoir une vue d’ensemble de la personne et des forces autant que de ses difficultés.

Boutet et Veilleux, 2007, p. 7

Pour les OCSM, les troubles ne se réduisent pas à un déséquilibre biochimique nécessitant une élimination rapide par la médication. Au contraire, « la désorganisation émotionnelle et comportementale, la perte de contrôle de soi et du monde qui nous entoure, la déroute constitue une expérience riche d’enseignements si on prend la peine de s’y attarder, si on lui cherche du sens » (Vaillancourt, 2013). L’usager est ainsi invité à exprimer ses problèmes avec des pairs ayant connu des expériences similaires, créant ainsi un sentiment d’appartenance :

Voyez comme on a là toute une richesse, tout un bassin de savoirs. Tout un groupe de personnes en quête de réponses, de mieux-être, lesquelles, chacune à leur manière, cherche, réfléchit, s’intériorise, s’informe, se questionne et questionne, puis partage ce qu’elle en a retenu avec les autres. Chacun devenant une sorte de spécialiste de sa situation, de ses états. Et un peu aussi connaissant de la situation des autres. À travers le partage, nous découvrons que nous ne sommes pas seuls à vivre ces états dits étranges. Nous nous reconnaissons. Nous appartenons à une « famille ». Tout à coup, on est « normal » ! Au moins dans ce groupe… ce qui est déjà beaucoup… en fait, à ce stade-là, on est comme monsieur et madame tout le monde qui s’identifie à son clan familial, à sa famille, à son groupe d’amis, à son groupe professionnel… Ne plus se sentir seul face au monde fait déjà une différence. On se sent déjà mieux.

Vaillancourt, 2013, p. 3

L’appropriation du pouvoir d’agir est également au coeur de la pratique des OCSM. L’usager est invité à s’impliquer dans les décisions concernant son traitement et les services utilisés. Ainsi, par la gestion autonome de la médication, la personne apprend progressivement à se renseigner sur les effets des médicaments prescrits, à décider si elle veut continuer d’en prendre et à s’informer des solutions de rechange possibles (Rodriguez et Richard, 2011). L’usager est aussi appelé à s’impliquer dans l’organisme (assemblée générale, conseil d’administration, etc.). Cette participation à la vie démocratique lui permettra plus tard de se responsabiliser, d’exprimer ses besoins et de faire respecter ses droits dans la communauté (Boutet et Veilleux, 2007).

Une autre caractéristique propre aux OCSM est la volonté d’établir des rapports plus égalitaires entre la personne souffrante et l’intervenant professionnel (Nelson, Janzen, Trainor et Ochocka, 2008). Ainsi, afin d’éviter que l’intervenant se place dans une situation de supériorité relativement à l’usager, certains organismes offrant du suivi dans la communauté privilégient ainsi les rencontres à l’extérieur de leurs bureaux :

… pour nous, le suivi dans la communauté, ça se fait à 100 % dans la communauté. Nous, c’est comme ça. […] On va toujours dans le milieu de vie de la personne, parce que c’est riche d’informations, parce que ça ne met pas de barrière entre « le professionnel », l’intervenant et le pauvre demandeur. On tente d’égaliser le plus possible et tout ça.

Gagné, 2009

Finalement, les OCSM se caractérisent par leur ancrage dans la communauté. Créés afin de répondre spécifiquement aux besoins de leur milieu, les OCSM peuvent facilement établir des contacts avec les ressources intersectorielles (école, municipalité, etc.), ce qui réduit la stigmatisation des personnes ayant des troubles mentaux et facilite leur réinsertion sociale (Théoret, 2013).

Les OCSM soutiennent ainsi le rétablissement des personnes dans leur globalité, en offrant des services répondant à l’ensemble de leurs besoins psychosociaux. Leur approche innovatrice a permis l’émergence de services maintenant reconnus par le réseau public. Ainsi, les premiers organismes à offrir au Québec, au début de l’année, un programme du suivi communautaire d’intensité variable ont été des OCSM (Gélinas, 2009).

Regroupements des OCSM

Les OCSM se réunissent dans plusieurs regroupements provinciaux en fonction de leur affinité idéologique et/ou de leur mandat particulier. Les plus importants sont : 1) le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec, englobant 84 OCSM, principalement des organismes offrant un milieu de vie, des groupes d’entraide, des ressources offrant du traitement dans la communauté et de l’hébergement ; 2) la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale, regroupant 38 OCSM (Forest, 2011) ; 3) l’Association des groupes d’intervention en défense de droits en santé mentale du Québec, rassemblant 25 OCSM, soit les groupes régionaux, ainsi que quelques groupes d’entraide locaux ayant un mandat de promotion-vigilance (AGIDD-SMQ, 2010) ; 4) l’Association des centres d’écoute téléphonique du Québec, regroupant 24 membres ; et 5) le Regroupement des services communautaires d’intervention de crise du Québec, incluant 19 centres de crise.

Les OCSM n’ont pas encore réussi jusqu’ici à se regrouper nationalement. Cependant, presque tous participent aux activités de leur regroupement régional respectif, lequel participe souvent à des tables de concertation régionales d’organismes communautaires (TROC) incluant les regroupements des autres programmes de santé (santé physique, femmes, etc.). Plusieurs OCSM participent également à des regroupements consacrés à d’autres problématiques que la santé mentale, comme le Réseau Solidarité Itinérance du Québec (RSIQ). Par ailleurs, en 2012, trois regroupements régionaux (Québec, Montréal et Mauricie/Centre-du-Québec), ont mis sur pied le Réseau communautaire en santé mentale (COSME), un projet visant à rejoindre tous les OCSM, à faire reconnaître leur expertise auprès des décideurs et à encourager le développement d’approches et de pratiques innovantes (ROBSM-04, 2013). Les regroupements de la Montérégie et de l’Outaouais ont rallié depuis le COSME, lequel tente présentement de se doter d’un statut juridique.

Impact de la réforme sur la dynamique des OCSM

Le Plan d’action en santé mentale (PASM) 2005-2010 a provoqué des critiques de la part des OCSM, qui ont vu dans celui-ci l’avènement d’importants changements dans l’organisation des services de santé mentale susceptibles de modifier le fonctionnement des OCSM de même que leur relation avec le réseau public.

La question du financement est l’une des principales sources de mécontentement. Bien que le financement global alloué par le Programme de soutien aux organismes communautaires ait connu une hausse constante, les budgets offerts ont été divisés par un nombre de plus en plus élevé d’OCSM (Jetté, 2008). De plus, le programme de santé mentale a souvent été perçu comme privilégié par rapport à d’autres programmes qui ont depuis obtenu une plus grande part du budget offert.

Dans le PASM 2005-2010, le MSSS disait souhaiter que le financement global des OCSM corresponde à au moins 10 % des dépenses globales du programme de santé mentale (MSSS, 2005). Or, dans son rapport de 2012, le Commissaire à la santé et au bien-être signalait que ce pourcentage n’était toujours pas atteint en 2010-2011 dans sept régions du Québec : Capitale-Nationale (9,1 %), Mauricie et Centre-du-Québec (8,6 %), Bas-Saint-Laurent (8,4 %), Lanaudière (7,7 %), Montréal (6,9 %), Estrie (6,0 %) et Laurentides (5,9 %) (CSBE, 2012). De plus, le financement des OCSM n’équivalait qu’à seulement 8,8 % de l’enveloppe budgétaire consacrée à la santé mentale en 2010-2011 contre 9,4 % en 2005-2006 (CSBE, 2012 ; Fleury et Grenier, 2012).

Ce sous-financement entrave sérieusement le fonctionnement des OCSM. Non seulement ils ne peuvent développer leurs services afin de répondre adéquatement aux demandes d’aide accrues, mais certains d’entre eux se voient contraints à réduire leur nombre de lits, d’employés, d’heures de services ou même de fermer durant certaines périodes de l’année (CSBE, 2012 ; RACOR, 2013 ; RESICQ, 2011). C’est le cas des centres de crise, bien que le PASM 2005-2010 avait parmi ses objectifs d’« offrir des services d’intervention de crise 24 heures/7 jours à toute la population » (MSSS, 2005, p. 29). De même, les groupes d’entraide et les centres de jour demeurent largement sous-financés bien que le rétablissement soit l’une des priorités de la réforme amorcée par le PASM 2005-2010 (AGIR, 2010). L’embauche et le maintien d’un personnel qualifié et professionnalisé nécessitent des dépenses supplémentaires que les OCSM ont de la difficulté à offrir en raison de leurs ressources financières limitées (RESICQ, 2011), d’où des pertes de qualité et, d’expertises importantes souvent au profit du réseau public (RRNISMQ, 2004).

Le sous-financement afflige d’autant plus les OCSM que la réforme actuelle met de l’avant le transfert de la population ayant des troubles mentaux graves dont la condition s’est rétablie des hôpitaux vers les CSSS. Or, les équipes de première ligne responsables de la prise en charge de cette clientèle ne sont pas encore complètement constituées dans plusieurs régions du Québec (Fleury et Grenier, 2012). Cela provoque de plus grandes difficultés d’accès aux services de santé mentale susceptibles d’accroître les cas de « portes tournantes » (RACOR, 2013) et d’utilisation des services d’urgence chez les usagers ayant perdu contact avec les intervenants qui assuraient précédemment leur suivi (CSBE, 2010 ; RACOR, 2013).

Par ailleurs, le financement étatique impose aux OCSM des contraintes et des obligations (Jetté, 2008). Tout d’abord, les responsables des OCSM doivent passer une grande partie de leur temps à la rédaction de demandes de subventions et de rapports d’activités, et à des réunions qui réduisent le temps consacré aux usagers (Nelson, Janzen, Trainor et Ochocka, 2008). De plus et surtout, les subventions gouvernementales attribuées dans le cadre d’ententes de services obligent les OCSM à modeler leurs activités selon des philosophies d’intervention, des méthodes de travail et un mode de fonctionnement imposés et évalués par le réseau public et qui sont parfois en opposition avec leurs valeurs (Duval, Fontaine, Fournier, Garon et René, 2005 ; RACOR, 2013) : « même si on lui donne 3 500 $ pour héberger quelqu’un avec une équipe qui va faire du suivi, c’est une remise en question du soutien communautaire qu’ils font dans leurs propres ressources » (Latulippe, 2010).

Les ententes de services auraient ainsi conduit à une institutionnalisation de plusieurs ressources : « Les organismes qui s’embarquent dans des ententes de services avec le CSSS deviennent…, c’est plus ou moins un statut de ressource intermédiaire, légalement parlant » (Latulippe, 2010, p. 13). La crainte de perdre leur autonomie, de se voir réduits au titre de sous-traitants des établissements publics, et de se voir imposer « des ‘‘meilleures pratiques’’ et outils ‘‘d’évaluation’’ dans le cadre des projets cliniques et des nouveaux réseaux de services » (Théoret, 2013, p. 5) explique la méfiance des OCSM relativement à la formalisation de leurs rapports avec le réseau public. Nos études antérieures (Fleury, Grenier, Bamvita, Wallot et Perreault, 2012 ; Grenier, Fleury, Imboua et Ngui, 2013) ont montré que la signature d’ententes de services est associée à la taille du budget, les OSCM les plus nantis étant les plus susceptibles d’établir des rapports égalitaires avec les établissements du réseau public.

La réforme actuelle soulèverait aussi des enjeux de gouvernance, selon les OCSM. Les anciennes structures de concertation auraient été dépossédées de tout pouvoir véritable et désertées, les décisions étant maintenant prises sans consultation par l’Agence régionale et les directeurs d’établissement (AGIR, 2010 ; Théoret, 2013). La réforme actuelle représenterait un recul des OCSM au chapitre de la reconnaissance de leur expertise :

On est loin de l’époque où le milieu communautaire était considéré comme un partenaire à part égale [sic], qu’il avait son mot à dire et qu’il avait une certaine emprise sur le cours des choses. Devant cet était de fait, nous avons la désagréable impression d’être pris pour acquis, malgré l’apport inestimable que le milieu communautaire a insufflé au champ de la santé mentale, à Québec, selon plusieurs observateurs.

AGIR, 2010, p. 12

La reconnaissance de l’expertise des différents partenaires est reconnue comme une condition indispensable à l’établissement de relations partenariales (Gray et Wood, 1991). Par ailleurs, la participation à des tables de concertation augmente le transfert de références entre les OCSM et les établissements du réseau public (Fleury, Grenier, Bamvita, Wallot et Perreault, 2012), ce qui favorise une prise en charge plus continue et globale des usagers.

La réforme a finalement entraîné d’importants déplacements de personnes parmi les intervenants et personnels-cadres des établissements publics. Pour les OCSM, dont les relations interorganisationnelles sont surtout de type informel (Grenier et Fleury, 2009), ces départs et déplacements ont eu pour conséquence une rupture de contact avec le réseau public (RACOR, 2013). Cela amène des échanges d’information moins fréquents entre les réseaux communautaire et public, des diminutions dans les références entre organismes, ainsi que des dédoublements de services (RACOR, 2013), ce qui est peu propice à la création des réseaux locaux de services, pourtant au coeur des enjeux de la réforme. Finalement, les OCSM ayant des mandats régionaux ou sous-régionaux doivent s’adapter aux pratiques souvent très différentes des CSSS avec qui ils doivent collaborer.

Conclusions et recommandations

Malgré la place qu’ils occupent dans la dispensation des services, les OCSM perçoivent ainsi un certain recul quant à la reconnaissance de leur expertise par le réseau public depuis la mise en place du PASM 2005-2010. Diverses recommandations pourraient cependant permettre aux OCSM de répondre plus adéquatement aux besoins de la population qu’ils desservent sans porter atteinte à leur autonomie. Dans un premier temps, il importe d’offrir aux OCSM les moyens financiers leur permettant de jouer pleinement leur rôle dans le cadre d’une réforme visant la consolidation des soins primaires et le rétablissement des personnes ayant des troubles mentaux (CSBE, 2012), ce financement s’accompagnant d’une reddition de comptes. Les groupes d’entraide, les plus démunis financièrement, devraient être priorisés, compte tenu de leur importance dans la création d’un réseau social, le rétablissement et l’acquisition du pouvoir d’agir des personnes (Vaillancourt, 2013). De plus, étant donné que les troubles mentaux sont généralement associés à différents problèmes sociaux (pauvreté, faible scolarisation, stigmatisation, etc.), il serait nécessaire d’augmenter le financement des ressources offrant de la réadaptation psychosociale, de l’accès aux études et de la réintégration au travail (Théoret, 2013). Par ailleurs, en raison des actuelles contraintes budgétaires, il serait pertinent pour les OCSM de rechercher d’autres sources de financement afin de maintenir et développer leurs services. En outre, afin d’éviter les dédoublements de services, certains, comme l’intervention de crise, pourraient être accordés strictement au réseau communautaire. Par ailleurs, la reconnaissance de la nécessité d’une pluralité d’approches permettrait à la fois de donner un véritable choix à la personne ayant des troubles mentaux et d’encourager le développement de pratiques innovantes et alternatives au traitement pharmacologique chez les OCSM (COSME, 2013). Dans son dernier rapport, le Commissaire à la santé et au bien-être a amené une recommandation en ce sens en suggérant un accès équitable pour tous à des services de psychothérapie (CSBE, 2012), services qu’offrent déjà certains OCSM. Un plus grand soutien de la part des professionnels du réseau public, qu’il s’agisse des services spécialisés (psychiatres) ou de la première ligne (omnipraticiens, psychologues, etc.), faciliterait en outre le travail des OCSM. Finalement, la reconstitution de tables de concertation décisionnelles permettrait de rétablir les liens entre les réseaux communautaires et publics.