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Cet ouvrage[1] est issu de l’atelier de recherche « Se protéger de l’avenir : la problématique sociale du risque et de la vulnérabilité en perspective historique (Canada-Europe, 18e-21e siècles) », qui s’est tenu à Montréal en mai 2009, lui-même préparé par un séminaire annuel lancé en 2006.

Une solide introduction ouvre le volume, organisé en trois parties. La première traite des dangers dans les sociétés préindustrielles et de leurs modes de traitement – plus variés et complexes qu’on le dit parfois – à travers trois grands domaines (l’inondation, la mort et le droit familial, la police et la sécurité). La deuxième partie est consacrée à « l’invention de l’accident » par la société industrielle. La troisième et dernière partie est consacrée à diverses formes de la problématique sécuritaire (sécurité publique, police, délinquance, etc.), suivie d’une vigoureuse conclusion.

La première partie – « Domestiquer l’aléa » –, consacrée aux 16e et 17e siècles, est sans doute celle qui se préoccupe le plus du « péché entre tous irrémissible : l’anachronisme » (Febvre), vite commis quand il s’agit d’explorer au passé la notion de risque. Récusant les jugements trop globaux de certains sociologues tels que Beck et Giddens, les auteurs ont à coeur de montrer que l’absence de la notion de risque entendue comme catégorie générale n’empêche aucunement tel ou tel groupe social, telle ou telle institution d’anticiper événements fâcheux, accidents ou catastrophes, individuels comme collectifs. L’hypothèse de sociétés bloquées dans un fatalisme saturé de sens religieux (les sociétés d’Ancien Régime, sociétés « de la catastrophe ») auxquelles succéderaient d’autres sociétés en quête de maîtrise de leur destin (les sociétés industrielles, sociétés « du risque ») ne tient tout simplement pas.

La deuxième partie – « Mutualiser les fléaux » –, davantage consacrée au 19e siècle, analyse l’émergence de processus collectifs de traitement de certains aléas. Les différents contextes étudiés illustrent la grande diversité des situations, mais également la difficulté, pour les auteurs, à manier le terme de risque. Il est en effet difficile de résister aux habitudes contemporaines consistant à qualifier de « risque » certaines menaces, réelles ou supposées (la pauvreté et la maladie, les sirops calmants destinés aux enfants, l’accident industriel, l’inondation, etc.). Ce (quasi) trait culturel, in fine objectiviste, n’est-il pas susceptible d’introduire un certain effet d’écran dans l’appréhension de formes sociales passées, dont les fondements peuvent parfois différer grandement des nôtres? L’usage du mot risque comme concept quasi universel ne pourrait-il biaiser l’appréhension d’univers mentaux éloignés du nôtre?

Cette remarque s’étend également à la troisième partie – « La fabrique de la civilité » –, consacrée au « péril criminel ». Les auteurs affrontent ici des difficultés de plusieurs ordres. D’une part, l’ambivalence de l’objet même, le « fait » criminel et son commentaire étant étroitement imbriqués et, d’autre part, la tentation de recourir à la notion de risque pour décrire des phénomènes sociaux que leurs contemporains ont qualifiés autrement. En effet, s’il est parfois légitime d’évoquer une véritable « mise en risque » (au sens assurantiel du terme) des faits dits criminels, dans d’autres cas le recours au même terme laisse penser que c’est l’auteur lui-même qui « met en risque » son objet, et ce, de façon évidemment plus discutable.

Au final, et malgré quelques regrets qui portent sur la difficulté bien réelle à « tenir » d’une main assez ferme la notion de risque, ces textes stimulants et souvent synthétiques constituent un apport indispensable à la nécessaire critique d’approches sociologiques globales, trop peu solides dans leur appréhension du temps long et dont l’histoire, discipline symétrique de l’ethnologie, révèle au fond la faible réflexivité.