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Le titre de l’ouvrage d’Archat-Tatah, Ce que l’école fait avec le cinéma, annonce très justement le projet ambitieux de l’auteure de décrire les conditions réelles et souhaitées d’une intégration du cinéma dans les curricula et les pratiques scolaires en France. La première partie, de nature théorique, conceptualise les enjeux de la scolarisation du cinéma dans une perspective sociale, culturelle, historique, sémiotique et didactique (modes d’enseignement et d’apprentissage). Cette recherche finement documentée apporte des éclaircissements sur les enjeux langagiers, cognitifs et subjectifs des apprentissages en oeuvre dans le processus de scolarisation du cinéma ainsi que des éléments de réponse concernant les savoirs, les pratiques, les activités, les outils susceptibles de favoriser ce processus.

Archat-Tatah souligne les obstacles à la scolarisation du cinéma qu’elle attribue principalement à la variabilité du degré de distance entre le milieu socioculturel des élèves et la culture légitimée par l’école. L’auteure rappelle le caractère ambigu du cinéma dans le curriculum scolaire qui entraîne par conséquent des pratiques pédagogiques hétérogènes difficiles à saisir fondées sur des initiatives individuelles des enseignants. De plus, les prescriptions ministérielles défendent une approche pluridisciplinaire de l’éducation au cinéma dans laquelle le film n’est pas considéré comme un objet d’enseignement. Pour contrer ces obstacles, l’auteure défend une approche constructiviste fondée sur le sens, les formes et les techniques cinématographiques ainsi que sur l’activité subjective du spectateur élève. La dimension de l’élève comme sujet spectateur susceptible de produire des émotions ou des affects apparaît fondamentale.

La deuxième partie vise à appuyer les affirmations théoriques de l’auteure sur un matériau empirique à travers deux recherches exploratoires, l’une au primaire, l’autre au collège lors des trois premières années du secondaire. Les situations observées dans cette recherche montrent que les mises en forme scolaires du cinéma engagent des activités réflexives, des modes de pensée et des savoirs fortement littéraciés. Ce sont les élèves les plus distanciés des postures scolaires qui subissent le plus directement les conséquences inégalitaires du décalage entre culture populaire et savante. Le cadre didactique ainsi que la façon dont le cinéma est ancré dans une discipline jouent ainsi une part importante.

La recherche d’Archat-Tatah permet de faire ressortir les défis de l’école à scolariser le cinéma, propose des moyens et met en garde contre l’absence de prise en compte des inégalités sociales. De plus, elle propose des pistes fort utiles pour l’élaboration d’une didactique filmique qui tienne compte de l’ensemble des enjeux liés à la scolarisation du cinéma. L’auteure devrait toutefois prévenir d’emblée les lecteurs que ce travail s’inscrit moins dans une perspective de prescription didactique que dans la volonté de construire et de partager des outils pour l’action et la formation. Or le choix de ne pas proposer un cadre didactique à l’intégration du cinéma à l’école diminue le potentiel de cette recherche à définir ce que l’école devrait faire du cinéma…