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1. Introduction et problématique

La transition de l’école secondaire vers l’enseignement universitaire des élèves issus des francophonies minoritaires canadiennes est problématique à certains égards. En effet, cette question est liée à l’enjeu central que constitue l’accès à l’éducation de langue française, considéré comme l’un des moyens privilégiés d’assurer la reproduction et le développement de la langue et de la culture d’expression française dans ces communautés (Comité sénatorial permanent des langues officielles, 2005, p. 13). C’est pourquoi depuis l’intégration du droit à l’instruction dans la langue de la minorité à la Constitution canadienne en 1982, les communautés francophones à travers le Canada se sont mobilisées pour implanter un système scolaire francophone couvrant l’enseignement primaire et secondaire dans chacune des provinces. Toutefois, l’accès à l’enseignement postsecondaire n’est pas garanti par la Charte, et les établissements qui offrent des programmes d’études collégiales et universitaires en français demeurent encore limités, sinon éloignés géographiquement des communautés francophones (Beaudin et Landry, 2003 ; Castonguay, 2005 ; Beaudin, Ferron et Savoie, 2007). Les étudiants désireux de prolonger leurs études en français au-delà du niveau secondaire doivent donc souvent effectuer une migration intra ou interprovinciale vers des institutions de langue française, avec les coûts de tout genre et les autres ressources que cette transition scolaire et géographique nécessite (Frenette, 2002, 2003 ; Garneau et Comtois, 2009 ; McMullen, 2004).

Dans cet article, nous nous intéressons à la situation particulière des francophones du Nouveau-Brunswick. Comment s’effectue la transition des élèves francophones du Nouveau-Brunswick vers l’enseignement universitaire ? Notre question de recherche est formulée ici provisoirement, car nous avons cherché, à chacune des étapes de l’enquête, à nous dégager des approches théoriques de type causaliste qui tendent à expliquer les phénomènes sociaux, ici le passage de l’enseignement secondaire à l’université, à partir d’un contexte déterminant unique et uniformisant. Ces approches, le plus souvent quantitatives comme nous le verrons, privilégient l’analyse surplombante d’un élément dominant de détermination sociale et tentent rarement, par conséquent, d’identifier les processus d’interaction multiples qui influent sur ce moment de la carrière scolaire. Si elles ont l’avantage de mettre au jour des tendances générales, elles ont toutefois pour inconvénient de ne pas prendre en compte les représentations et les stratégies des élèves et de leur famille. Dans notre recherche, nous avons plutôt privilégié une analyse microscopique (Sawicki, 2000) afin d’appréhender cette transition non pas comme une succession figée d’étapes soumises aux mêmes déterminants structurels, mais comme un processus au cours duquel les étudiants s’inscrivent dans de multiples situations sociales et transigent constamment avec une pluralité d’autres acteurs sociaux avec lesquels ils sont en relation d’interdépendance : les parents, le groupe de pairs, les enseignants, les conseillers d’orientation, etc. La transition vers l’université a donc été analysée en recourant au concept de carrière scolaire, lequel renvoie à un processus inscrit dans la durée et construit dans un jeu d’influences réciproques entre les conditions objectives dans lesquelles les étudiants se trouvent et le sens donné à leur expérience scolaire (Bloomer et Hodkinson, 2000).

Précisons d’entrée de jeu que notre propos ne consiste pas à dévaluer la construction de théories à portée générale, à partir par exemple d’outils statistiques, au profit des enquêtes empruntant une échelle microscopique. Notre posture consiste plutôt à affirmer, avec d’autres (Lahire, 1996 ; Revel, 1996), que la réalité sociale fait toujours l’objet d’une construction de la part des chercheurs, que cette construction se fait à partir d’échelles d’observation plus ou moins micro ou macroscopique, et que chaque échelle a des effets de connaissance qui lui sont propres. Nous présenterons d’abord notre positionnement théorique et épistémologique, de même que nous développerons un peu plus avant le concept de carrière scolaire. Cela nous permettra de voir en quoi notre approche peut non pas remplacer, mais offrir un autre angle de vue que celui proposé par des enquêtes macroscopiques portant sur les transitions à l’université des étudiants issus de contextes francophones minoritaires. Cette première étape nous permettra également de reformuler de manière plus explicite notre question de recherche. Nous décrirons ensuite brièvement les opérations méthodologiques empruntées. Dans la partie suivante, nous présenterons les résultats de nos analyses. Nous dégagerons d’abord quelques points de convergence, pour l’ensemble des répondants, en ce qui a trait à leur expérience étudiante, pour ensuite exposer trois portraits de carrière construits de manière inductive. Enfin, pour compléter, une discussion sur les effets conjugués des processus d’orientation scolaire et des stratégies institutionnelles de rétention géographique des étudiants sur les carrières scolaires des jeunes issus des francophonies minoritaires du Nouveau-Brunswick sera présentée.

2. Contexte théorique

2.1 La transition vers les études supérieures des élèves issus des minorités francophones

Pour répondre à la question de recherche énoncée plus haut, deux approches théoriques peuvent spontanément être pressenties. La première renvoie à la problématique classique des inégalités sociales face à l’école. La seconde approche fait référence au maintien du fait français en contexte minoritaire et renvoie à la question de l’identité culturelle et linguistique. Voyons comment ces deux perspectives ont été traitées dans les études sur les minorités francophones canadiennes.

2.1.1 Les inégalités sociales face à l’école

Une première perspective pour l’étude des transitions de l’école secondaire à l’université implique que l’on accorde une grande importance à l’origine sociale des élèves. Selon le modèle de l’école reproductrice (Bourdieu et Passeron, 1970), par exemple, la transition à l’université des étudiants francophones du Nouveau-Brunswick pourrait être analysée sous l’angle des mécanismes par lesquels l’école légitime et reproduit les inégalités sociales, en dépit d’une massification de l’accès aux études supérieures dans cette province. En empruntant le modèle de l’individualisme méthodologique (Boudon, 1973), on chercherait a contrario à expliquer les inégalités d’accès et de réussite à l’université à partir des choix rationnels des élèves néo-brunswickois et de leur famille, choix qui sont, tout compte fait, fortement associés à la position dans la structure sociale. En dépit de leurs divergences, ces perspectives classiques en sociologie de l’éducation ont en commun d’accorder une large attention, chacune à leur manière, aux classes sociales. Davantage théorisées en sociologie de l’éducation française, ces approches en termes d’inégalités de classe se retrouvent dans quelques travaux sur la francophonie minoritaire ontarienne, principalement dans le but de remettre en question la légitimité des idéologies véhiculées par l’école (Heller, 2002). La plupart du temps, toutefois, on s’intéresse aux élèves dits en difficulté, sans que les capitaux culturel et social (Bourdieu, 1979, 1980) de la famille ne soient directement mis en cause (Bélanger, 1999 ; Bélanger et Wilson, 2000). Aucune enquête auprès d’élèves francophones en situation minoritaire ne s’est intéressée, à notre connaissance, à la transition à l’université par le biais de la position dans la structure sociale. Bien que nous ne souscrivions pas à une approche qui ferait de la classe sociale le déterminant ultime des carrières scolaires, comme nous le verrons, la catégorie socioéconomique des parents demande à notre avis à être davantage explorée dans l’étude des transitions scolaires des élèves issus des francophonies minoritaires canadiennes.

2.1.2 La question de l’identité culturelle et linguistique

Un second angle d’approche possible de la transition vers les études supérieures renvoie à la question de l’identité culturelle et linguistique. Ici, la transition vers les études postsecondaires des élèves francophones néo-brunswickois serait analysée, comme cela a déjà été fait dans d’autres contextes minoritaires canadiens, sous l’angle du choix linguistique intentionnel (Allard, Landry et Deveau, 2009) ou avéré (Churchill, Frenette et Quazi, 1985 ; Frenette et Quazi, 1990). Ce type d’enquête emprunte souvent des méthodes statistiques et souligne, in fine, les insuffisances de l’offre de formations universitaires en français en contexte minoritaire. De fait, comme nous l’avons indiqué en introduction, bien que des droits scolaires garantissant l’instruction dans la langue de la minorité soient bel et bien enchâssés dans la Constitution canadienne, ceux-là ne s’appliquent pas à l’enseignement postsecondaire (Pilote et Magnan, 2008). L’offre de programmes d’enseignement supérieur en français dans des provinces où les francophones sont de surcroît minoritaires démographiquement – tel qu’au Nouveau-Brunswick – est par conséquent restreinte. Aussi de nombreuses recherches montrent-elles que bon nombre d’étudiants francophones doivent quitter leur milieu d’origine s’ils désirent poursuivre des études dans leur langue maternelle (Beaudin et Landry, 2003 ; Beaudin, Ferron et Savoie, 2007 ; Castonguay, 2005 ; Churchill, 2005 ; Fédération des jeunes Canadiens français, 1991 ; Frenette, 2002, 2003 ; McMullen, 2004). Cela dit, bien que la mobilité pour études puisse être liée à des contraintes objectives, elle peut aussi être vue comme une opportunité de vivre de nouvelles expériences et de développer son autonomie. En effet, les résultats d’une enquête quantitative menée auprès d’étudiants francophones en situation minoritaire ont révélé que si étudier en français était le motif le plus fréquemment mentionné pour expliquer leur mobilité, il est suivi de près par la non-disponibilité du programme d’études à proximité du lieu de résidence, de même que par l’attrait de la ville d’études et le désir d’autonomie (Pilote et Richard, 2012). La mobilité pour étude serait donc le résultat de l’articulation entre des contraintes structurelles et des motivations personnelles plurielles, d’où l’importance de prendre en compte les représentations sociales.

2.2 La prise en compte des représentations sociales

Que l’approche de la transition des élèves néo-brunswickois soit centrée sur les classes sociales ou sur l’offre de programmes de formation en français en contexte minoritaire, les deux points de vue tendent, en fin de compte, à proposer un modèle d’explication unique du passage de l’école secondaire à l’université, dans une perspective causaliste et surplombante. La première approche présente des limites pour comprendre les carrière scolaires de réussite d’étudiants pourtant issus des milieux les plus défavorisés ou encore les échecs ou les difficultés majeures rencontrées par ceux issus des classes moyennes et supérieures (Lahire, 1995). La seconde, quant à elle, ne permet pas d’explorer la carrière scolaire d’étudiants qui poursuivent des études universitaires en français dans leur région ni celle des étudiants qui sont partis sans s’être sentis contraints de le faire, c’est-à-dire pour d’autres raisons, par exemple d’ordre personnel, qu’un manque de programmes de formation en français. Or, derrière un même comportement peut se trouver une multitude de sens. Les travaux de Lamoureux (2007) dans le contexte francophone ontarien, par exemple, montrent bien que le choix d’un programme de formation en anglais n’est pas systématiquement le signe d’un renoncement à son identité franco-ontarienne. En effet, des étudiants optent pour un programme d’études en anglais tout en restant soucieux de maintenir leurs compétences en français ou de participer à la vie de la communauté francophone. Ne pas s’attarder aux représentations et au sens donnés par les acteurs sociaux à leur vécu risquerait de nous faire perdre tout un segment de la réalité essentiel à la compréhension de leurs comportements.

2.3 La prise en compte de l’action institutionnelle et politique

Étudier le passage des élèves de l’école secondaire à l’université en privilégiant un contexte unique de détermination, comme tendent à le faire les approches privilégiant l’angle des inégalités sociales ou celui de l’identité culturelle et linguistique en lien avec une offre limitée de formations en français, néglige également la prise en compte des effets des politiques publiques en matière d’éducation et des règles internes aux institutions d’enseignement. Ces éléments sont pourtant d’autant plus prégnants que la fonction d’intégration économique de l’université, le désengagement financier des États, les idéologies de la performativité (Dandurand et Ollivier, 1991) et de la rationalité instrumentale se sont renforcés ces dernières années (Doray et Maroy, 2008). Les réformes ainsi mises en oeuvre ne sont pas sans effets sur les étudiants. Des recherches réalisées sur les migrations pour la poursuite d’études universitaires montrent, entre autres, que les dispositifs de rétention et d’attractivité mis en place par les universités, dans ce contexte de forte compétitivité, agissent grandement sur les flux étudiants (Garneau, 2008 ; Garneau et Comtois, 2009). D’autres travaux, tels que ceux de Trottier (1986) ou de Farmer et Bélanger (2007), mettent en lumière la gestion des différences en salle de classe ainsi que les processus de sélection et d’orientation ayant cours au niveau de l’établissement scolaire. Lorsqu’on postule a priori qu’un contexte de détermination prévaut dans l’étude des transitions à l’université, ou lorsqu’on privilégie les explications causalistes dans une perspective quantitative, on n’est pas en mesure de saisir les processus multiples qui se jouent aussi à ce niveau intermédiaire.

2.4 Les approches interactionnistes

Le souci central à la source de nos analyses a donc été de nous éloigner d’une construction de l’objet qui tende à déterminer des corrélations unidirectionnelles 1) entre la position des élèves et de leur famille dans la structure sociale et les transitions à l’université ; 2) ou entre un environnement local caractérisé par une offre limitée de formations universitaires en français et les transitions. Nous rompons ainsi avec toute approche hypothético-déductive qui postule qu’un contexte principal – homogène et uniforme – influence les carrières scolaires des étudiants.

A contrario, notre approche théorique est issue de la sociologie interactionniste et propose d’étudier les parcours scolaires au moment du passage à l’université en empruntant le concept de carrière. La carrière scolaire se définit ainsi comme un processus interactionnel entre les divers acteurs sociaux qui gravitent autour du monde universitaire, et réfère ici plus spécifiquement à la période concernant les études universitaires. Il est un alliage de dimensions à la fois objectives et subjectives, les différentes identités sociales conférées par autrui agissant sur la manière dont l’étudiant se définit subjectivement, et vice versa (Goffman, 1968 ; Becker, 1985 ; Darmon, 2008). Cela dit, ce n’est pas parce que nous avons arrêté notre choix sur une focale d’observation qui tienne compte d’une hétérogénéité de facteurs que nous avons été réduites à une analyse descriptive. Les portraits de carrière que nous avons construits par induction permettent de proposer des modèles d’interprétation à portée générative, et ce, malgré leur niveau microscopique (Gribaudi, 1996 ; Rosental, 1996). Dit autrement, notre posture ne consiste pas à nous enfermer dans l’opposition déterminisme/agentivité ou quantitative/qualitative. Elle propose d’en sortir en montrant que même en privilégiant une analyse au plus près du vécu des individus, il est possible de documenter  par le bas  des facteurs de détermination des parcours, voire d’identifier des paramètres intermédiaires qui viennent canaliser les effets des grands déterminants structurels que sont la classe sociale et l’offre de programmes en français (Rosental, 2002).

À partir de ce positionnement théorique, notre questionnement peut maintenant être reformulé de manière plus précise : Quels sont les portraits de carrière scolaire des étudiants néo-brunswickois au cours de leur transition vers les études universitaires ? Quelles configurations spécifiques de facteurs de détermination sociale chacun de ces portraits donne-t-il à voir ? Nous posons l’hypothèse que les carrières sont multiples et faites d’un entrelacs de facteurs de détermination de niveaux micro, méso et macrosociaux à la fois : les origines sociales des étudiants et de leur famille, l’offre locale de programmes de formation en français, les mesures de rétention et d’attractivité des universités, ainsi que les relations d’interdépendance des étudiants et les ressources sociales qui en découlent et y prennent sens. Cette approche est largement inspirée de celle de Lahire (1995) lorsqu’il dresse des tableaux de famille d’élèves de milieux populaires. Selon Lahire (1995, p. 37), en effet, les individus sont des êtres sociaux pris dans des relations d’interdépendance, occupant des places dans des réseaux de relations d’interdépendance et, du même coup, possédant des capitaux ou des ressources liés à ces places ainsi qu’à leur socialisation antérieure au sein de configurations sociales. Cet intérêt porté aux relations d’interdépendance permet de poser l’hypothèse plus spécifique que les transitions vers l’université ne sont pas entièrement déterminées par des facteurs structurels tels que le statut socioéconomique et l’offre locale de formations dans la langue maternelle, mais qu’elles sont modulées par d’autres facteurs d’ordre méso et microsociaux qui peuvent d’ailleurs, parfois, n’avoir rien à voir avec le monde scolaire et les ambitions professionnelles (Abbott, 2007).

3. Méthodologie

Comme nous l’avons vu, la question de la transition à l’université des élèves francophones du Nouveau-Brunswick étant intrinsèquement imbriquée à celle du rapport à l’espace géographique, il nous est vite apparu que nous allions perdre des éléments essentiels à l’intelligibilité du phénomène si nous limitions notre enquête aux étudiants encore inscrits à leur programme de premier cycle. En effet, ce critère de recrutement ne nous permettait pas de saisir le rôle de cette transition dans la durée. La focalisation de notre attention sur la transition du secondaire à l’université en train de se faire prévenait l’observation de ce à quoi elle pouvait potentiellement aboutir en termes de carrière scolaire. En outre, ce critère nous empêchait de saisir l’ampleur que pouvait prendre, pour certains, la transition interprovinciale, plus courante lors des passages au deuxième et au troisième cycles. De fait, pour certains étudiants rencontrés, la réelle transition était moins scolaire que migratoire. Ignorer les transitions ultérieures nous aurait donc conduites à privilégier les transitions scolaires aux transitions migratoires, pourtant entièrement constitutives du problème social. Aussi avons-nous fait le choix d’étudier également les transitions, à l’université, des étudiants inscrits en deuxième et troisième cycles, de même que leurs transitions aux cycles supérieurs. Conformément à notre approche qualitative et inductive, qui suppose de partir de la réalité empirique dans une démarche d’agrégation et de comparaison (Darmon, 2008), ce choix méthodologique nous permettait de faire ressortir des tendances communes aux trois cycles d’études ainsi qu’un modèle d’interprétation général du phénomène, contrairement à une approche qui les aurait différenciés avant confrontation à l’empirie.

L’analyse proposée ici s’appuie sur des entretiens biographiques réalisés auprès de 40 étudiants universitaires francophones du Nouveau-Brunswick. Ils ont été recrutés à l’aide d’un appel à volontaires qui leur est parvenu par le biais d’un courriel transmis directement par l’université. Plus spécifiquement, tous les étudiants rencontrés devaient avoir fait leurs études secondaires en français et vivaient toujours avec leurs parents (ou l’un de leurs parents) au Nouveau-Brunswick au moment d’effectuer leur transition vers un établissement d’enseignement postsecondaire. Au-delà de ces caractéristiques communes, et en conformité avec la méthode d’échantillonnage privilégiée en recherche qualitative, le recrutement a été effectué en suivant le critère de la diversification intragroupe, plus exactement au regard de la filière de formation, du niveau d’études, du genre et de l’université d’accueil (Bertaux, 2010 ; Glaser et Strauss, 2012/1967 ; Pires, 1997). Cette diversification a permis d’atteindre un degré de saturation empirique suffisant quant à l’émergence d’éléments nouveaux à travers les récits.

3.1 Sujets

Les 40 étudiants néo-brunswickois de notre enquête (24 femmes et 16 hommes) sont âgés entre 18 et 28 ans. S’ils sont majoritairement inscrits au premier cycle universitaire (26 font des études de baccalauréat), dix sont à la maîtrise et quatre font des études de doctorat. Sept d’entre eux ont arrêté leurs études pendant au moins un an : cinq, avant leur entrée à l’université et deux, entre le baccalauréat et la maîtrise. Les domaines d’études sont plutôt diversifiés : sciences de la nature et de la santé (8), sciences humaines et sociales (8), éducation (7), génie et informatique (7), lettres et arts (4), administration (3), droit (2) et journalisme (1). Du point de vue des origines sociales, 10 de nos répondants néo-brunswickois sont des étudiants universitaires de première génération, c’est-à-dire que leurs parents ont, au plus, un diplôme d’études secondaires (Doray, 2008). En revanche, huit étudiants ont au moins un de leurs parents qui détient un diplôme d’études collégiales, alors que les 22 autres ont au moins un de leurs parents qui a réalisé des études universitaires. Lorsque nous considérons la catégorie socioprofessionnelle (Desrosières et Thévenot, 2000 ; Langlois, 2003) la plus élevée des parents, six étudiants proviennent d’une famille d’ouvriers ; trois, ont des parents entrepreneurs ; neuf étudiants sont d’une famille d’employés, 11 ont des parents de professions intermédiaires (position entre des emplois d’exécution et des postes de cadres, comme les enseignants, les infirmiers et les travailleurs sociaux) et 11 proviennent d’une famille de cadres supérieurs et de professions libérales. En d’autres termes, un peu plus de la moitié de notre échantillon provient d’une famille dont au moins un des parents a fait des études universitaires et occupe les positions supérieures de la nomenclature des professions.

En ce qui concerne le parcours migratoire de ces étudiants, trois étudient à l’Université d’Ottawa. En outre, 14 étudient à l’Université Laval et 23 à l’Université de Moncton (incluant les campus d’Edmundston et de Shippagan). Seules trois étudiantes sur les 40, toutes originaires de Moncton, n’ont jamais migré dans le cadre de leurs études universitaires. Vingt-neuf étudiants, en revanche, ont effectué une migration pour études à l’intérieur de la province du Nouveau-Brunswick. Précisons à cet effet que si les campus d’Edmundston et de Shippagan permettent d’amorcer plusieurs programmes d’études, mis à part quelques programmes ciblés, un déplacement vers le campus de Moncton est généralement requis pour les compléter.

3.2 Instrumentation

Le guide d’entretien, en conformité avec la méthode des récits de vie (Bertaux, 2010) qui a été la nôtre, cherchait moins à poser des questions précises qu’à veiller à ce que les cinq grands thèmes suivants soient couverts par l’étudiant lors de la mise en récit de son histoire : 1) grandir et vivre dans un milieu francophone minoritaire ; 2) la carrière universitaire ; 3) la carrière de mobilité ; 4) l’identification culturelle, sociale et politique ; et 5) les représentations de son avenir personnel et collectif. Les récits de vie étaient complétés par un questionnaire permettant d’avoir accès aux données de type sociodémographique.

3.3 Déroulement de la collecte des données

Les entretiens ont été menés en 2008-2009 par les professeurs membres de l’équipe ainsi que leurs assistants de recherche. Les entretiens avaient généralement lieu dans une salle de l’université où était inscrit l’étudiant. Pour chaque répondant, une fiche de synthèse rassemblant les éléments clés du parcours scolaire était réalisée par l’intervieweur quelques heures après, pour faciliter le travail de mémoire. Ces fiches de synthèse ont permis aux membres de l’équipe d’amorcer le travail d’analyse.

3.4 Considérations éthiques

Un certificat d’approbation a été obtenu du Comité d’éthique en recherche de chacune des universités de rattachement des professeurs membres de l’équipe. À la suite d’un appel de volontaires, les chercheurs ou leurs assistants de recherche ont rencontré individuellement les personnes intéressées afin de leur expliquer le déroulement de la recherche. Tous les participants ont accepté de signer un formulaire de consentement de manière libre et éclairée et ont donné leur accord pour la publication des résultats. Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits intégralement. Les verbatim et les questionnaires sociodémographiques ont été identifiés à l’aide d’une codification (comprenant un pseudonyme) connue uniquement des chercheurs de l’équipe afin d’assurer l’anonymat des répondants. Les résultats de la recherche ont été transmis aux participants qui en ont fait la demande sous la forme d’un résumé écrit.

3.5 Méthode d’analyse des résultats

Tous les entretiens ont été traités au moyen d’un logiciel d’analyse qualitative (QDA miner). Plutôt qu’une analyse thématique transversale qui aurait eu pour effet de décontextualiser les données, nous avons opté pour une analyse entretien par entretien (Blanchet et Gotman, 2006) de façon à dégager la cohérence de chaque parcours dans ses caractéristiques distinctives. Une attention particulière a été apportée aux paramètres qui sont entrés en ligne de compte dans le choix du programme d’études, de l’établissement, de la langue de formation, en lien avec les motivations à partir ou rester dans la région ou province d’origine. Ces paramètres renvoyaient essentiellement aux relations avec les acteurs scolaires (enseignants, conseillers d’orientation), avec la famille (dont le degré d’accompagnement scolaire des parents ou d’autres membres de la famille), avec le groupe de pairs et le/la petit(e) ami(e) le cas échéant, ainsi qu’aux ressources détenues de par ce réseau d’interrelations. Les paramètres étaient analysés non pas uniquement dans leur dimension objective, c’est-à-dire repérable par les chercheurs, mais en tenant compte de la signification qu’ils prenaient pour les étudiants eux-mêmes.

Trois portraits de carrière ont émergé des données empiriques. Nous avons ensuite classifié les étudiants dans chacun de ces portraits en fonction de celui qui semblait le plus caractéristique de leur vécu. Une fois constitués, les portraits sont devenus les parties d’un tableau de pensée, d’une typologie au sens de Weber (1965, p. 185), pouvant servir d’outil d’analyse. Ils permettaient en effet de retourner aux entretiens afin de reconnaître des facteurs sociaux structurants d’une part, et d’identifier les moments où s’opère un changement de carrière chez un même étudiant, d’autre part (Pilote et Garneau, 2011). Aussi les étudiants peuvent-ils s’inscrire dans plus d’une carrière au cours de leur parcours de formation universitaire. Dit autrement, les portraits peuvent correspondre à l’ensemble d’une transition vers l’université comme à une partie seulement du parcours. In fine, ils qualifient moins les étudiants que les pratiques.

4. Résultats

Si, au regard de la description de notre échantillon, on peut d’ores et déjà apprécier le caractère hétéroclite des vécus scolaires, on peut néanmoins souligner quelques traits communs à l’ensemble des répondants néo-brunswickois. Il ne faut toutefois pas s’y tromper : les transitions vers l’université renvoient bel et bien à des vécus différenciés, que nous présentons par la suite.

4.1 Quelques points de convergence

Trois traits communs se dégagent de l’expérience migratoire et scolaire de nos 40 répondants. Le premier concerne le désir de poursuivre des études universitaires. Sauf quelques rares exceptions, les étudiants avaient toujours envisagé d’aller à l’université (Benoît, Université Laval, 2e cycle en sciences de la nature et de la santé et certificat en journalisme), comme si c’était une étape qui s’imposait naturellement dans une vie. Le second trait commun renvoie à la langue d’études. En début de parcours universitaire, les étudiants ne semblent pas considérer la possibilité d’étudier dans une autre langue que le français. Une université ou un programme d’études en français se présente comme une évidence soit pour des raisons pratiques – Moi je préfère en français parce que ça va plus vite, personnellement (Sophie, Université de Moncton, 1er cycle en droit) –, soit pour des raisons de performance scolaire – Mais aussi, il y a ce besoin-là de performer, ça fait partie de moi, donc j’avais peur que si j’allais en anglais… (Patrick, Université de Moncton, 2e cycle en sciences de la nature et de la santé), soit encore pour des raisons identitaires, le maintien du français en situation minoritaire étant important pour eux. Cela dit, au fur et à mesure qu’ils avancent dans leur parcours universitaire et que l’entrée sur le marché du travail approche, quelques-uns se tournent vers l’anglais dans le but de favoriser leur insertion professionnelle future. Enfin, le troisième trait commun à l’expérience des étudiants néo-brunswickois rencontrés est que même lorsqu’ils partent étudier à l’extérieur de la province, la très grande majorité passe d’abord par une scolarisation au sein d’une université du Nouveau-Brunswick. En effet, sur les 18 étudiants qui ont connu au moins une migration interprovinciale dans le cadre de leurs études, seuls trois étudiants n’ont pas d’abord fréquenté un établissement d’enseignement supérieur du Nouveau-Brunswick. Le fait que ces trois étudiants se soient dirigés vers l’Université d’Ottawa et qu’aucun n’ait opté pour un établissement du Québec (pourtant plus près géographiquement) suggère que l’exigence d’une année d’études préalable en guise de mise à niveau pour les étudiants qui n’ont pas été scolarisés dans les cégeps peut avoir un effet dissuasif. Mais cette explication n’est pas la seule : les élèves ont été encouragés par nombre d’enseignants, de conseillers d’orientation et de parents, chacun à leur manière, à opter pour l’établissement d’enseignement supérieur le plus près, du moins pour les premières années de scolarisation universitaire :

[Mes parents] ont présenté un argument qui était intelligent. Ils ont abordé la question en disant : « Tu vas partir de la maison, tu vas habiter seule en résidence ou en appartement », donc c’est une adaptation qui est liée à ça, en termes de nourriture, de lavage et de ménage. En plus, c’est une adaptation à l’université…

Martine, Université Laval, 3e cycle en sciences de la nature et de la santé

Certains répondants, principalement ceux qui étudient à l’extérieur du Nouveau-Brunswick, se plaignent d’ailleurs ouvertement des lacunes dans l’information qui leur a été transmise à l’école secondaire lorsqu’est venu le moment de faire leur choix de programme et leurs demandes d’admission dans les universités. Maintenant qu’elle sait, après un baccalauréat en sciences politiques à l’Université d’Ottawa, que l’administration publique est un domaine existant, Julie regrette de ne pas avoir eu plus d’informations sur les programmes de premier cycle non dispensés à l’Université de Moncton :

À l’école, les orienteurs, je pense qu’ils ont juste leur paye si tu vas à l’Université de Moncton ! […] Tellement, tu sais… Comme, on lui [le conseiller d’orientation] a parlé de l’Université d’Ottawa, je suis allée voir, puis : « Ouais, c’est bien… Mets l’Université de Moncton ». J’étais comme : « Bien, tu peux-tu me l’expliquer, c’est quoi ? » Ils m’ont donné le « package » de cours, là, l’annuaire

Julie, Université d’Ottawa, 1er cycle en sciences humaines et sociales

Jean-Luc et Florence déplorent également un manque d’information sur les programmes offerts dans les autres provinces, en plus de souligner le processus de sélection/orientation scolaire qui semble avoir cours à l’école secondaire, notamment auprès des étudiants qui montrent de fortes aptitudes en sciences :

J’ai remarqué que les orienteurs sont poussés à envoyer les gens au campus d’Edmundston au DSS [Diplôme en sciences de la santé]. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est quand tu es bon en sciences, tu vas faire ton DSS. […] Je pense qu’il y a un certain biais parce que je n’ai jamais entendu parler des universités à Halifax et au Québec. C’est peut-être une entente interne qu’ils ont avec l’Université de Moncton

Pierre-Luc, Université Laval, 1er cycle en sciences de la nature et de la santé

Je ne savais du tout parce que j’étais bonne en tout et j’aimais pas mal tout. Comme tu étais bonne en tout, les conseillers en orientation poussaient au diplôme en sciences de la santé. C’est en ça que je m’étais inscrite. C’est pour ça que j’ai fait ma première année à Shippagan parce que c’est la place qui est recommandée à l’Université de Moncton pour faire son DSS… […] Ce qui m’a poussée à changer en psychologie, je ne sais pas. J’ai juste pris un bottin des cours et en le regardant, il y avait ça qui m’avait intéressée

Florence, Université de Moncton, 1er cycle en sciences humaines et sociales

Nous reviendrons plus loin sur ce processus de sélection scolaire, c’est-à-dire d’assignation des étudiants à des filières spécifiques sur la base de leurs performances scolaires (Trottier, 1986, p. 90 ; Hallinan, 2010, p. 347). Pour l’heure, retenons qu’en dépit de ces points en commun – désir de poursuivre des études universitaires, volonté d’étudier en français, passage de la majorité par un établissement du Nouveau-Brunswick –, les réseaux d’interdépendance des étudiants rencontrés, et donc leurs ressources, sont différenciés. Par conséquent, tous ne construisent pas le même parcours scolaire, cela même lorsqu’ils partagent des origines socioéconomiques similaires ou qu’ils sont placés devant la même offre éducationnelle locale. Voyons maintenant en quoi se distinguent plus spécifiquement les parcours scolaires des étudiants. Nous serons ainsi mieux à même, dans la discussion des résultats, d’apprécier les effets des différents facteurs qui viennent, de fait, médiatiser les grands déterminants sociaux que sont l’origine sociale et l’offre locale de programmes.

4.2 Les portraits de carrière scolaire

Trois portraits de carrière scolaire ont été dégagés des récits : la carrière d’exploration, la carrière avisée professionnellement et la carrière identitaire. Précisons que la terminologie empruntée n’a aucune vocation normative. Si une carrière est faite d’explorations multiples, par exemple, c’est notamment parce que les étudiants correspondants considèrent eux-mêmes être ou avoir été indécis quant à leur projet d’études et leurs aspirations professionnelles. En outre, certaines des personnes ayant une carrière ou un tronçon de carrière d’exploration ne considèrent pas que cela a été négatif dans leur parcours. De même, des étudiants à la carrière avisée professionnellement peuvent dire ressentir énormément de stress quant à leur réussite et à leur insertion professionnelle futures.

4.2.1 La carrière d’exploration

Sur les 40 étudiants néo-brunswickois rencontrés, 15 présentent une carrière marquée par l’exploration professionnelle (11 sont à l’Université de Moncton et 4 à l’Université Laval). Ce qui caractérise leur expérience, c’est que malgré la certitude qu’ils iraient à l’Université, ils n’arrivaient pas à choisir dans quel programme de formation s’inscrire au moment de quitter le secondaire : Je ne savais pas trop ce que je voulais faire… (Simon, Université de Moncton, 1er cycle en génie et informatique). Trois des sept étudiants qui ont marqué un arrêt d’études pendant au moins un an dans leur parcours scolaire ont développé une carrière d’exploration. Par exemple, Michel (Université de Moncton, 1er cycle en administration) passe un an, après son secondaire, à travailler dans une usine à Ottawa, où il s’était finalement arrêté, parce qu’il y a rencontré sa petite amie, alors qu’il partait initialement en voyage dans l’Ouest canadien. Après cette expérience de travail ardu, il décide d’entreprendre des études collégiales, qu’il arrête au bout d’un trimestre, démotivé par le programme. Ce n’est qu’après d’autres expériences de travail pénibles qu’il décide de reprendre des études collégiales. Après de nombreux allers et retours entre le Nouveau-Brunswick, l’Ontario et la Colombie-Britannique, il entreprend finalement un baccalauréat au campus de Shippagan. De son côté, Anthony (Université de Moncton, 1er cycle en administration) commence des études de baccalauréat en administration aussitôt son diplôme d’études secondaires en poche, non sans nous avouer : Je ne sais pas pourquoi je le faisais… Également peu emballé par le domaine d’études et déçu par l’université, notamment à la suite de complications administratives, il interrompt ses études pour travailler dans l’entreprise de son père avant d’entreprendre une technique en environnement dans un collège communautaire de son milieu d’origine. À nouveau déçu par le peu de débouchés offerts par son programme, il lorgne de plus en plus du côté de la boucherie de son père et décide de changer pour des études collégiales en commerce qu’il fait à temps partiel, dans l’espoir d’avoir un jour sa propre entreprise.

Avec ou sans arrêt du parcours scolaire, les choix qui s’imposent lorsqu’on se dirige vers l’université – choix d’un programme de formation, d’un établissement d’enseignement supérieur, d’une langue et d’une ville ou province – ont été faits par les répondants qui présentent une carrière d’exploration dans une sorte d’urgence, sans que les ressources parfois nécessaires à la réalisation de leur projet d’études n’aient pu être accumulées et mobilisées. Ici, le choix du programme de formation se fait moins en fonction des champs d’intérêt et des aptitudes de l’étudiant qu’au regard d’autres considérations telles que la langue de formation, l’offre éducationnelle locale, la proximité de la maison familiale, le fait de faire comme ses amis ou de suivre son ou sa petite amie. Parmi les quatre étudiants dont la carrière est exploratoire et qui se trouvent à l’Université Laval, les relations ont joué un rôle primordial dans leur décision de quitter le Nouveau-Brunswick, parfois aux dépens d’une préparation adéquate du projet d’études qui les a faits rencontrer certains problèmes d’administration et d’adaptation. Katie (Université Laval, 1er cycle en éducation) – qui dit : Je ne voulais pas être loin de mon chum pendant six ans – n’a pas pu s’inscrire comme elle le souhaitait au baccalauréat en travail social de l’Université Laval en raison de mauvaises informations transmises par les personnes responsables du programme. En plus d’avoir peu de ressources financières – Je n’avais pas ramassé d’argent. Quand je suis arrivée à Québec, j’ai été obligée de faire une demande à la caisse populaire pour un prêt – elle passera quelques mois hors du monde universitaire, dans une ville où elle n’avait que son petit ami, à vraiment [se] remettre en question.

Plusieurs des étudiants dont la carrière est exploratoire se sont réorientés en cours de route et ont effectué un ou plus d’un changement de programme. Certains connaissent des échecs scolaires, d’autres, comme Marcel (Université de Moncton, 1er cycle en lettres et arts) qui abandonne ses études secondaires en cours de route pour devenir pompiste, réintègrent l’école plus tard. Certains, à travers ces explorations, peuvent développer un sens d’identité professionnelle et découvrir une orientation conforme à leurs aspirations. Mais pour d’autres, ces changements, échecs, arrêts et retours, se sont accompagnés d’une perte de temps et de ressources. Marcel avoue d’ailleurs que ses difficultés financières sont actuellement la plus grosse menace au succès de son retour aux études. D’autres ressentent une certaine pression sociale et personnelle à trouver enfin leur voie, ce qui accroît leur stress et les fait choisir un programme dans l’urgence. Cet extrait de Julianne évoque de manière exemplaire cette situation :

Ça a été un pile ou face, quasiment. Je me questionnais et j’en parlais avec mon copain. Il m’a dit : « Tu n’as jamais pensé à aller en éducation ? Il me semble que tu serais bonne avec les enfants. » J’ai dit « Ok, c’est ce que je vais faire. » […] Je me suis dit : « Mes parents vont être découragés, si je ne fais rien. Moi aussi, dans le fond. » Alors je me suis dit : « Je vais aller essayer ça. »

Julianne, Université Laval, 1er cycle en éducation

Les étudiants dont la carrière est plutôt exploratoire sont généralement inscrits au 1er cycle, quatre sont de première génération et la majeure partie a des parents employés ou entrepreneurs. Ce qui les caractérise le mieux, a contrario des étudiants ayant développé les deux autres types de carrière, c’est le peu d’accompagnement des parents au cours de la scolarité. Aux dires des étudiants, les études postsecondaires font pourtant généralement l’objet d’une valorisation dans leur famille. Seulement, il semble que certains parents ne disposent pas des capitaux suffisants pour connaître et comprendre l’offre éducationnelle. Pour d’autres, la scolarité et l’orientation professionnelle semblent être considérées comme l’affaire de l’étudiant, jugé autonome, ainsi que de l’institution, principalement par le biais de ses enseignants et de ses conseillers d’orientation.

4.2.2 La carrière avisée professionnellement

Seize étudiants, dont deux à l’Université d’Ottawa, six à l’Université Laval et huit à l’Université de Moncton, correspondent à la carrière avisée professionnellement, c’est-à-dire que les personnes dont la carrière scolaire correspond à ce type étaient avisées, très informées en ce qui concernait leur avenir professionnel. Contrairement à la situation dépeinte précédemment, les étudiants qui construisent une carrière avisée avaient depuis l’enfance une idée relativement précise de la profession qu’ils souhaitaient exercer un jour : Quand j’étais jeune, je voulais être artificier, puis faire des feux d’artifice, c’est pour ça que la chimie m’a toujours intéressé… (Laurent, Université de Moncton, 1er cycle en sciences de la nature et de la santé).

Moi, c’était décidé dès que j’avais 11 ans ! Heu, quand j’avais, même quand… que je commençais à faire de la, quand je gardais les enfants, t’sais 11, 12 ans, tout l’argent c’était dans un compte dédié pour, heu, mes études universitaires. Et pis je me bottais le derrière « en maudit » pour bien faire à l’école, pour « pogner » les bourses, j’étais excessivement dédiée, c’était proche épeurant

Émilienne, Université de Moncton, 2e cycle en sciences de la nature et de la santé

Si des facteurs extrascolaires tels que le désir de suivre sa petite amie ou de quitter la maison familiale pour voler de ses propres ailes peuvent aussi influencer ici les choix des étudiants, notamment en matière de lieu d’études, ils ne les déterminent pas entièrement. Les décisions sont toujours prises à l’aune de leurs aspirations professionnelles. Très peu de coups de tête caractérisent les carrières avisées. Les étudiants savent où ils s’en vont. Et si toutefois un imprévu survenait, ils ont des compétences (ils réussissent souvent très bien à l’école) et un répertoire de ressources qui leur permettent de faire des choix judicieux au regard de leur projet de formation/profession.

Sept répondants dont la carrière est avisée professionnellement sont de niveaux maîtrise et doctorat, et trois sont de première génération. En revanche, 10 sur les 16 ont des parents de professions intermédiaires ou de cadres supérieurs et professions libérales. Les ressources et les dispositions à mobiliser celles-ci sont donc largement tributaires, ici, du milieu social d’origine, comme Gaston, qui suit à la lettre les conseils de son père, professeur à l’université : Mon père était déjà venu à l’Université Laval et il m’a dit que l’enseignement allait être mieux, alors j’ai choisi Laval (Gaston, Université Laval, 1er cycle en sciences humaines et sociales). Néanmoins, pour les étudiants moins privilégiés socialement, la présence et les encouragements continus des parents, la rencontre d’une personne-clef servant de guide dans leurs choix et le fait d’être d’excellents élèves leur permettent de s’organiser et de prévenir des obstacles d’ordre financier ou administratif. Ainsi, tous les élèves de milieux populaires ne s’inscrivent pas forcément dans une carrière d’exploration. Leur carrière peut s’apparenter plutôt à des portraits qui ne sont pas marqués par les tâtonnements, selon leurs ressources personnelles et les liens significatifs qu’ils développent au cours de leur parcours.

4.2.3 La carrière identitaire

Neuf autres répondants ont développé une carrière identitaire, c’est-à-dire un projet de formation profondément articulé à leur identité, qu’elle soit culturelle, sociale ou sexuelle. Cinq d’entre eux étudient à l’extérieur de la province. Ils sont répartis à peu près équitablement entre les trois cycles universitaires. Magalie (Université Laval, 3e cycle en sciences de la nature et de la santé), par exemple, se spécialise sur les espèces d’oiseaux que l’on trouve en Acadie, comme si le terroir était ancré en elle. Aussi, malgré qu’à des fins de spécialisation elle ait dû partir à l’Université Laval, son but est de retourner vivre et travailler dans les Maritimes afin de sensibiliser les jeunes Acadiens à leur environnement faunique. Louis (Université Laval, 1er cycle en sciences de la nature et de la santé), également à l’Université Laval, rêve de retourner dans sa région pour y fonder la première faculté de pharmacie au Nouveau-Brunswick, tandis qu’Andrée (Université de Moncton, 1er cycle en droit) aspire à offrir des services juridiques aux francophones de sa région. Léa (Université de Moncton, 2e cycle en lettres et arts), très sensible aux effets pernicieux d’une représentation folklorisante de l’identité acadienne, veut enseigner la littérature française aux élèves francophones et anglophones de sa région afin de leur apprendre l’amour de la langue française dans toutes ses variations. Samuel (établissement confidentiel, 3e cycle en éducation) se sentant triplement minoritaire – issu d’une minorité linguistique (francophone), d’une minorité sexuelle (homosexuel) et d’une minorité sociale (fils d’ouvrier étudiant au doctorat) – poursuit l’objectif, en étudiant au doctorat en éducation, d’encourager ces jeunes étudiants qui proviennent de milieux défavorisés et de les aider à gravir, comme lui, les échelons de la société.

Ces étudiants se construisent entièrement à travers leurs études, de telle sorte que, tout comme les étudiants dont la carrière est avisée professionnellement, ils présentent d’importantes capacités anticipatrices et savent mobiliser les ressources financières, sociales et culturelles nécessaires afin de parvenir à leurs fins. Si la plupart sont issus d’un milieu familial privilégié (six sur neuf ont des parents dont la profession correspond aux professions intermédiaires ou cadres supérieurs), il n’empêche que trois d’entre eux proviennent de familles dont les parents sont très faiblement scolarisés et dotés de peu de ressources économiques. La mère de Samuel, chef de famille monoparentale, reçoit des prestations d’aide sociale et les pères de Carolanne (Université d’Ottawa, 2e cycle en sciences de la nature et de la santé) et de Léa (Université de Moncton, 2e cycle en lettres et arts) sont tous deux camionneurs. Dans le cas de Samuel, c’est la volonté de se sortir d’un milieu dysfonctionnel qui le pousse à réussir ses études. Pour Carolanne et Léa, les études, les livres et le savoir au sens large étaient hautement valorisés au sein de leur famille : Chez nous, c’était vraiment, vraiment valorisé, mon père puis mon grand-père lisaient énormément (Léa). Leur projet de formation prenant racine au plus profond d’eux-mêmes, ils sont incités à déployer toutes les compétences et ressources permettant de le réaliser, même dans des conditions matérielles parfois difficiles.

5. Discussion des résultats

Comment comprendre ces trois portraits de parcours transitionnels vers l’université ? Après avoir distribué les répondants dans chacun des portraits en fonction de celui qui leur était le plus apparenté, nous avons cherché à identifier les caractéristiques sociales qu’ils avaient en commun de manière à repérer les facteurs sociaux qui concourent à la production de chacune des carrières. Il s’avère que les étudiants dont la carrière est avisée ou identitaire, issus le plus souvent d’un milieu familial privilégié en termes de capital culturel, social et économique, apparaissent beaucoup moins contraints par l’offre éducationnelle locale et par les actions des différents professionnels de l’éducation qui mènent vers une certaine sélection scolaire et orientation migratoire. Le plus important, pour ces étudiants, est de réaliser leurs aspirations scolaires et professionnelles. Ils font montre de détermination pour arriver à leurs fins, parfois dans l’adversité, lorsque des acteurs institutionnels les encouragent à prioriser un programme de premier cycle offert dans leur région.

5.1 L’influence relative du statut socioéconomique

Cela dit, d’autres ressorts de l’action que la seule catégorie socioéconomique d’appartenance ont été identifiés comme facteur de détermination des transitions. Les élèves qui, en dépit d’origines sociales modestes, ont bénéficié d’encouragements scolaires à la maison ou ont vu leur origine sociale comme un milieu dont il fallait se sortir, s’ils étaient performants à l’école de surcroît, ont pu développer une carrière avisée ou identitaire. Soulignons d’ailleurs que les parents francophones en situation minoritaire sont nombreux à souhaiter que leur enfant accède à l’université : les élèves de 12e année estiment à près de 60 % que leurs parents ont de telles attentes à leur égard (Allard et al., 2009). Si ces jeunes sont susceptibles d’avoir reçu des encouragements de leurs parents à poursuivre des études universitaires, tous ne bénéficient pas des mêmes conditions, puisque les résultats de recherche d’Allard et de ses collègues révèlent que 10 % des élèves de 12e année dans une école francophone en situation minoritaire croient que leurs parents n’espèrent qu’un diplôme d’études secondaires pour eux. Fait étonnant, les élèves se représentent les attentes de leurs enseignants, de leurs conseillers d’orientation et de leurs amis dans des proportions similaires à celles de leurs parents (Allard et al., 2009). Cela contribue à amplifier le poids de ces représentations, qui peuvent autant réchauffer que refroidir leurs aspirations, dans leurs choix d’orientation. Les effets des déterminants structurels tels que la classe sociale peuvent ainsi être filtrés par d’autres facteurs d’ordre scolaire – tels que les résultats obtenus lors des études secondaires – ou relationnels – comme lorsqu’un élève bénéficie des encouragements et des conseils privilégiés d’un enseignant.

Par opposition, des étudiants font des choix en fonction principalement des informations qui leur sont transmises par les différents professionnels de leur école. Il s’agit notamment des étudiants qui ne savent pas vers quel programme s’orienter à l’université, de ceux dont les parents n’accompagnent pas de près leur enfant dans leur projet d’études (parce qu’ils ne se sentent pas assez outillés ou parce qu’ils lui accordent son autonomie), de ceux qui se sentent fortement attachés à leur famille ou à un/une petite amie de la région, de même que de ceux qui disposent de peu de capital économique pour oser envisager un départ de la région. Le cas de Charles (Université d’Ottawa, 3e cycle en sciences humaines et sociales) est exemplaire à ce titre. Bien que son parcours scolaire corresponde à la carrière avisée professionnellement, il a néanmoins traversé une période initiale dont les caractéristiques se rapprochaient plutôt du modèle de la carrière d’exploration. Cet étudiant disait n’avoir aucun intérêt pour les sciences, ça c’est sûr, dans un contexte où elles sont pourtant fortement conseillées aux bons élèves. Il a ainsi changé, à tous les trimestres, de programme pendant ses deux premières années d’études à l’Université de Moncton. De plus, il était alors en couple avec une jeune fille qui tenait à demeurer dans sa région d’origine et il avait l’offre alléchante (bien qu’il n’en avait pas l’envie) de reprendre l’entreprise commerciale locale de son oncle. Tous ces facteurs semblaient agir contre son intérêt pourtant premier, celui de l’histoire. C’est sa rupture avec sa petite amie qui fait bifurquer sa carrière : il assume alors pleinement sa passion pour l’histoire et se décide à partir à l’Université d’Ottawa, là où se trouvent les archives sur lesquelles il souhaite travailler.

5.2 Services d’orientation et offre de programmes en français : une double contrainte ?

Nos analyses viennent confirmer des résultats d’une recherche menée par McMullen (2004) : la faiblesse des offres locales de formation postsecondaire en français est un incitatif à la migration pour de nombreux étudiants. Pour d’autres, ce contexte pourrait les conduire à étudier en anglais afin de rester dans leur région d’origine (Allard et al., 2009 ; Lamoureux, 2007). Cela dit, les opportunités locales ne semblent pas avoir le même effet sur tous les étudiants. La pluralité des réalités observées nous invite en effet à interroger d’autres éléments, notamment les ressources consacrées à l’orientation dans les écoles du Nouveau-Brunswick. Il semblerait, aux dires mêmes de nos répondants, que des étudiants n’aient pas été orientés vers les programmes qui correspondaient le mieux à leurs intérêts et compétences. Cela pourrait être dû, si l’on en croit un mémoire déposé par l’Association francophone des conseillères et des conseillers en orientation du Nouveau-Brunswick, à des coupures associées au programme Excellence en éducation du début des années 90 qui a enlevé à toute une génération de jeunes néo-brunswickois le support de Conseillers en orientation (Association francophone des conseillères et des conseillers en orientation du Nouveau-Brunswick, 2007,  p. 1). Qui plus est, ces résultats nous invitent à observer de plus près le mandat du personnel des écoles du Nouveau-Brunswick. Se peut-il que ce mandat soit, comme le prétendent certains de nos répondants, de faire la promotion des établissements postsecondaires de la province ? Cette conclusion viendrait confirmer ce qu’a observé Lamoureux (2007, 2009) dans sa recherche ethnographique auprès d’étudiants franco-ontariens, le personnel de l’école lui ayant confié faire prioritairement la promotion des établissements postsecondaires de langue française et bilingue. Si cela s’avérait vérifié au Nouveau-Brunswick, certains étudiants francophones seraient doublement contraints dans leurs choix de programme et d’établissement : par un manque de ressources professionnelles consacrées à l’orientation d’une part, et par un manque de programmes locaux de langue française (ou d’informations sur les programmes en anglais et des autres provinces), d’autre part. Pour peu qu’ils soient, en plus, faiblement accompagnés par leur famille et entourés d’un groupe de pairs qui se trouvent dans des conditions sociales similaires, ils sont alors susceptibles de s’inscrire plus ou moins durablement dans une carrière d’exploration.

5.3 Le choix de carrière : un entrelacement de facteurs

Dans le rapport de la Commission sur l’école francophone publié en 2009, le président recommande au ministre de l’Éducation du Nouveau-Brunswick de diversifier les parcours de formation au nom de la réussite des élèves :

Les programmes scolaires doivent élargir les possibilités, autant pour les jeunes doués que pour ceux qui ont des difficultés d’apprentissage. L’école doit éveiller le désir d’apprendre en offrant plus de choix et une plus grande diversité des parcours

Commission sur l’école francophone, 2009, p. 10

Les résultats de notre enquête vont dans le sens de cette recommandation, dans la mesure où un plus large éventail de programmes locaux de formation serait plus susceptible de répondre aux aspirations et compétences multiples des étudiants qui sont, de fait, des plus variées. Les élèves évolueraient ainsi dans un cadre moins étroit qui leur permettrait d’actualiser pleinement leurs aptitudes. Toutefois, à la lumière de nos analyses, cette condition objective d’une offre éducationnelle locale qui ne serait pas assez variée n’a pas le même effet sur tous les étudiants en fonction des ressources dont ils ont hérité de leur famille, de celles qu’ils ont accumulées au fur et à mesure de leur parcours de formation, de leur groupe de pairs ou de leurs relations affectives. L’offre éducationnelle constitue un contexte défavorable pour les uns et un contexte favorable pour les autres. Pour ceux, comme Charles, qui souhaitent rester auprès de leur petite amie et qui ne sont pas encouragés par l’institution à se diriger vers leur domaine d’intérêt parce que celui-là ne correspond pas à la voie royale des bons élèves, le choix de carrière se fait plus ou moins douloureusement parmi les programmes offerts localement, avec pour risques des changements de programme, des arrêts et retours aux études, voire la perte de temps et de ressources. Pour d’autres, comme c’est le cas de Pierre-Luc, qui a développé une carrière avisée, les mécanismes scolaires qui ont orienté ce bon élève vers le diplôme en science de la santé n’ont pas gêné son parcours, puisqu’il avait déjà un intérêt pour la médecine. Pour d’autres enfin, comme Valérie, il était clair, de toute façon, qu’elle allait partir pour ne pas faire comme les autres. En d’autres termes, les élèves qui sont accompagnés de près et encouragés par leurs parents, ceux dont les intérêts convergent avec l’offre locale de programmes de formation et ceux qui ont un projet scolaire et professionnel défini relativement précocement, sont moins susceptibles d’être défavorablement influencés par l’offre éducationnelle limitée de la région et les processus de sélection ayant cours à l’école.

6. Conclusion

Cette recherche avait pour but de saisir la multiplicité des relations d’interdépendance qui entrent dans la construction des carrières scolaires des étudiants francophones néo-brunswickois lors de leur transition à l’université. Elle posait l’hypothèse que les facteurs de détermination sociale fréquemment empruntés pour étudier cette transition, celui des inégalités sociales (en sociologie de l’éducation classique) et celui de la question culturelle et linguistique (en sociologie des francophonies minoritaires canadiennes), ne permettaient pas de saisir la complexité des processus entrant dans la fabrication des transitions.

Grâce à une approche interactionniste et à la focale microscopique empruntée, nous avons pu délimiter trois portraits de carrière scolaire (d’exploration, avisée professionnellement et identitaire), chacun mettant au jour une configuration singulière de facteurs microsociaux (relations et négociations avec autrui), mésosociaux (services d’orientation, mesures de rétention/recrutement) et macrosociaux (statut socioéconomique, rareté des programmes en français) qui influent sur les parcours des étudiants francophones du Nouveau-Brunswick au moment de leur transition à l’université. Nous avons pu ainsi observer que l’offre locale de formations et les origines sociales des étudiants sont deux facteurs de détermination structurels qui agissent bel et bien sur les transitions vers l’université ainsi que sur la suite de la carrière scolaire, mais de manière différenciée selon les intérêts personnels et professionnels, le groupe de pairs et les relations affectives, l’accompagnement effectif des parents (qui n’est pas un donné automatique de l’origine socioéconomique) et les motivations profondes liées à l’histoire personnelle de l’étudiant. Les portraits peuvent ainsi informer les pratiques, nous avisant par exemple qu’il ne suffit pas de diversifier l’offre locale de programmes de formation en français si l’on veut éviter que des étudiants ne s’inscrivent dans une carrière d’exploration et la perte potentielle de ressources. Il faut également tenir compte, peut-être au niveau de l’intervention des conseillers d’orientation, d’autres facteurs qui caractérisent ce type de carrière (étudiants en début de scolarisation universitaire, accompagnement peu marqué des parents, forte influence des pairs, moindre capital culturel).

Plus encore, nos analyses nous ont permis d’émettre l’hypothèse que des processus scolaires de sélection, de niveau mésosocial, semblent intervenir en amont de l’entrée à l’université. Ces derniers demandent à être scrutés plus en profondeur dans des recherches de type ethnographique. Une telle analyse permettrait de comprendre comment ils se donnent à voir en situation, et favoriserait l’appréhension des interactions qui se jouent concrètement entre les élèves et le personnel des écoles secondaires francophones du Nouveau-Brunswick au moment de choisir le programme d’études et l’établissement postsecondaire. Nous pouvons d’ores et déjà poser comme hypothèse que là où l’offre de formations postsecondaires en français est relativement restreinte, les processus d’orientation scolaire peuvent être une contrainte supplémentaire aux choix de programmes et de professions des étudiants. De fait, si les processus d’orientation conduisent à une rétention géographique, cela se fait peut-être au détriment des intérêts et compétences des étudiants, et éventuellement de leur réussite scolaire et professionnelle.