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Les régions qui se forment dans l’Union européenne et surtout les régions transfrontalières semblent corriger des découpages arbitraires que les frontières étatiques ont imposés. L’ue aurait compté sur des complicités culturelles mises en veilleuse par les nationalismes officiels pour soutenir l’institution de régions et soutenir leur culture. Non seulement l’ue a atténué les nationalismes, mais elle aurait suscité des synergies oubliées. Qu’en est-il dans les faits ? C’est ce que l’auteur de ce livre tente d’établir.

Dans le premier chapitre, il distingue ce qui est héritage et ce qui est créativité dans la culture. Une eurorégion compte sur cette dernière pour se rassembler et se projeter à l’extérieur, pour se vendre et devenir plus compétitive. Mais la culture se trouve alors instrumentalisée de plusieurs manières : on l’invoque pour obtenir des subventions de l’ue, on s’en sert pour identifier un territoire ; elle devient une marque de commerce ; elle est censée contribuer au dynamisme économique d’une région en renforçant sa solidarité et sa créativité.

Le deuxième chapitre souligne la diversité des eurorégions : celles-ci se distinguent par l’objet et l’ambition de leur coopération, elles sont de taille différente, les unes se trouvent à l’intérieur d’un État, alors que d’autres sont à cheval sur plusieurs. Elles peuvent aussi changer de taille et d’ambition. Si une région est à cheval sur une ou plusieurs frontières, il faut évidemment se demander si elle peut surmonter la division qu’ont longtemps entretenue ces frontières.

Dans les deux chapitres suivants, l’auteur étudie quelques eurorégions et leurs politiques culturelles. D’abord, l’eurorégion Pyrénées-Méditerranée, qui comprend la Catalogne, les régions françaises Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, et, à un moindre titre, l’Aragon et les Baléares. Alors que les deux régions françaises cultivent surtout un patrimoine culturel et folklorique, la Catalogne affiche une grande créativité en matière culturelle, se projette sur la scène du monde économique, politique et artistique. Elle est assurée de son identité plus que les régions françaises et a bien plus de moyens. Par ailleurs, les limites de l’eurorégion de Pyrénées-Méditerranée ne coïncident pas avec celles de la culture et de la langue occitanes ou catalanes ; elles sont donc contestables. Cette eurorégion connaît cependant depuis son institution au sein de l’ue un grand nombre d’initiatives culturelles communes qui lui donnent une certaine identité.

L’auteur compare les Pyrénées-Méditerranée avec les Alpes-Méditerranée, une autre eurorégion qui chevauche la France et l’Italie, que l’histoire tantôt réunit et tantôt divisa, qui aurait donc pu être délimitée autrement, mais qui suscite aussi plusieurs initiatives culturelles contribuant à son unité.

Il est ensuite question de la région Nord-Transmanche et de celle qui est dénommée la Grande Région. Celle-ci englobe Luxembourg, Wallonie, Lorraine, Rhénanie-Palatinat et Sarre, soit un territoire s’étalant sur quatre pays. Elle a répondu à la nécessité pour l’Europe de collaborer dans l’industrie du charbon et de l’acier, ainsi que d’allier la France et l’Allemagne. Elle connaît un échange transfrontalier intense de travailleurs, mais n’a pas pour autant créé un sentiment d’appartenance chez ses habitants. Ses manifestations culturelles communes tentent de lui donner une identité.

L’eurorégion Nord-Transmanche, qui englobe Kent, Nord–Pas-de-Calais et Belgique, fut créée d’abord pour gérer le tunnel sous la Manche et les lignes ferroviaires ou les routes se greffant sur ce tunnel et pour en tirer parti. Mais elle n’a pas duré dans sa forme initiale, se redéfinissant sans le Kent autour de Lille. Ce cas pose le problème du centre de gravité et de l’extension d’une région.

L’auteur essaie de tirer des leçons de ces différentes études de cas. Quel est l’impact des initiatives culturelles sur la gouvernance et l’identité des régions ? Comment culture et promotion touristique se combinent-elles ? La construction d’une identité régionale et le positionnement de la région sur la scène extérieure vont-ils de pair ?

Perrin tire ensuite quelques conclusions. Je retiens les suivantes. Les initiatives culturelles régionales ont d’abord visé à maintenir un patrimoine, puis se sont faites plus créatives. L’ue compte plus sur la création institutionnelle que sur le marché pour développer ses régions. La culture joue un rôle important dans ce développement. Elle peut légitimer par son impact identitaire et communicationnel des politiques d’origine technocratique plus que démocratique. Les initiatives culturelles régionales contribuent à la construction européenne. Comme l’ue, les eurorégions se gouvernent par négociation, elles font coopérer des gouvernements souverains et recourent à des présidences tournantes.

Ce livre porte sur un sujet passionnant, mais de façon insatisfaisante. D’abord, il traite de quatre régions situées dans quatre parties de la France et un peu au-delà. C’est peu. Ensuite, et c’est plus grave, son langage est inutilement compliqué et obscur, son plan n’est pas visible et le lecteur se perd. Les vues historiques qui expliquent comment des territoires ont été unifiés, puis divisés, devraient être mieux mises en perspective. Par exemple, l’établissement du royaume des Burgondes, qui suit de près la chute de l’Empire romain, n’a pas le même impact sur les identités politiques ou culturelles contemporaines que la gouvernance instituée par le duché de Bourgogne au 15e siècle dans les Pays-Bas. Enfin, quelques critiques mineures : les indications sur plusieurs cartes ne sont pas lisibles, la bibliographie ne reprend pas tous les ouvrages cités et le lecteur aurait besoin d’un index reprenant les sigles utilisés dans le texte.