Corps de l’article

Les articles qui composent l’ouvrage dirigé par Armony et Rousseau sont issus, en grande partie, des travaux présentés à l’occasion du colloque international « La reconnaissance de l’égalité et de la différence. Regards transnationaux sur la démocratisation », tenu à l’Université Laval en novembre 2009. S’inscrivant dans le cadre de la littérature qui traite de sociologie et d’anthropologie politique, des mouvements sociaux et des processus de démocratisation en Amérique latine, l’ouvrage aborde ces questions sous l’angle du lien entre l’indigénéité et la politique, les défis de la participation citoyenne et la reconnaissance constitutionnelle de la plurinationalité.

Les directeurs de l’ouvrage rappellent avec justesse que, durant la vague de transition à la démocratie qu’a connue la région au cours des années 1980, la vision proposée était celle de la nation homogène. Cependant, cette perspective est aujourd’hui remise en question. La domination et la discrimination dont souffrent les peuples autochtones de la région demeurent importantes, et ce n’est que par le biais de lois et de programmes sociaux ou par l’enseignement des langues autochtones que ces problèmes trouveront solution.

Malgré toutes les avancées récentes, telles que la croissance économique et les efforts consentis par les gouvernements progressistes d’Amérique latine en vue de mieux répartir la richesse, la région demeure l’endroit au monde où les inégalités sont les plus fortes.

Si ces injustices structurelles doivent un jour être corrigées, il est avancé que cela dépendra en grande partie de la voie que traceront les nombreuses expériences et innovations issues de la citoyenneté à l’échelle locale, des mouvements sociaux, de la participation directe ainsi que de la reconstruction et de la réappropriation des principes de la démocratie de la part des acteurs eux-mêmes.

Ainsi, les contributeurs de l’ouvrage cherchent à comprendre comment et pourquoi et avec quel type de résultat les individus constituent, à partir de leur environnement géographique, historique, politique, économique et social, et de leur propre subjectivité, des acteurs collectifs ayant leurs motivations, objectifs et stratégies.

L’ouvrage se divise en quatre parties. La première se consacre aux liens qui existent entre l’indigénéité et la politique, en traitant par exemple de la construction sociale des peuples autochtones. La deuxième partie aborde également la problématique de l’indigénéité, mais dans une optique de participation citoyenne. La troisième porte sur la participation locale et la démocratisation. Enfin, la quatrième partie, la plus intéressante à nos yeux, se concentre sur la Bolivie, sur son plurinationalisme et sur les transformations institutionnelles que connaît ce pays. L’ouvrage présente également des études de cas portant sur le Mexique, le Brésil, le Guatemala et le Pérou.

Le chapitre de Jorge Komadina Rimassa est particulièrement pertinent, car il propose une réflexion sur le caractère démocratique de la nouvelle constitution bolivienne de 2009. Ainsi, l’auteur se demande si la Bolivie a abandonné le paradigme « national-républicain » lors des changements constitutionnels survenus récemment. Il décrit le processus bolivien comme étant plutôt un changement social qui se déploie dans une logique d’hybridation et non de rupture avec le régime libéral précédent ; un régime dans lequel se juxtaposent et se complètent les traditions politiques représentatives, démocratiques, républicaines et communautaires.

Dans les faits, l’expérience bolivienne lui fait dire que les dispositions de la démocratie participative se sont articulées aisément avec les institutions libérales et représentatives classiques déjà en place. Cette observation est importante, selon lui, parce que la démocratie participative et la démocratie représentative sont généralement comprises comme étant des systèmes politiques paradigmatiques mutuellement exclusifs.

Le chapitre rédigé par Manuel De la Fuente complète bien celui de Komadina, car il porte sur les luttes régionales, les peuples autochtones et les processus de décentralisation et d’autonomisation récemment mis en oeuvre en Bolivie par la nouvelle Constitution et par la loi portant sur les autonomies et la décentralisation.

Bien que les revendications et les luttes pour une meilleure distribution du pouvoir entre le gouvernement central et les régions soient présentes depuis les débuts de la république bolivienne, De la Fuente constate que les dispositions du nouveau régime en faveur d’une plus grande autonomie à l’échelle des départements, des régions, des autochtones et des paysans ne sont pas suffisamment claires. Il subsisterait des ambiguïtés quant à l’attribution des compétences et des fonds nécessaires pour que les gouvernements autonomes assument leurs responsabilités. L’auteur recommande enfin plus de flexibilité, d’ouverture d’esprit, de dialogue et de volonté de faire des compromis en regard du processus « autonomiste » de la part de tous les acteurs concernés.

Les contributeurs de l’ouvrage avaient pour objectif avoué de proposer une perspective inédite et cohérente, par l’entremise d’études de cas originales, d’approches innovatrices et d’une préoccupation sociologique commune quant à la nouvelle réalité qui se déroule devant leurs yeux. Le pari est partiellement réussi. Les auteurs retiennent avec justesse l’influence que peuvent exercer les éléments de structure sur le comportement des acteurs. Cependant, ils négligent l’importance de prendre en considération les facteurs extérieurs et l’influence que ceux-ci peuvent exercer sur le comportement des acteurs internes dans un contexte de consolidation d’un régime démocratique.

L’ouvrage est d’actualité et il est bien documenté. Il s’adresse à tout universitaire ou étudiant intéressé notamment par les questions des mouvements autochtones et de la démocratie participative en Amérique latine.