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L’essentiel des affaires faisant l’objet d’une enquête par les services du procureur de la Cour pénale internationale (cpi) (Darfour, République démocratique du Congo, République centrafricaine, Ouganda, Kenya, Côte d’Ivoire) concerne des accusés africains ; la trentaine de mandats d’arrêt lancés par la Cour visent tous des Africains ; tous les procès en cours concernent des Africains ; le premier condamné fut un Africain ; toutes les personnes détenues par la Cour sont des Africains. Dans ces conditions, il paraît difficile de ne pas supputer l’existence de quelque entreprise ayant pour but d’assujettir l’Afrique à l’emprise de la justice pénale internationale, surtout lorsque l’on sait que les États africains ne représentent guère que le tiers des États parties (Raimbaud 2012 : 334). Certains iront jusqu’à soupçonner une forme de racisme structurel. De fait, la justice pénale internationale fait désormais l’objet d’une forte résistance de la part d’une constellation d’acteurs africains, certains États parties au Statut de Rome n’hésitant pas à accueillir en grande pompe un Omar el-Béchir pourtant sous le coup d’un mandat d’arrêt international et l’Union africaine allant jusqu’à proposer la création d’une cpi… africaine.

Quelles sont les logiques de pouvoir qui se manifestent à cette occasion ? La justice n’est-elle ici que le masque d’un stratagème empruntant ses formes au colonialisme ? On mettra en avant dans un premier temps le fait que la réalité du rapport de l’Afrique à la justice pénale internationale est beaucoup plus complexe que ne le suggère une approche axée sur la domination par les grandes puissances dans la droite ligne de l’expérience coloniale (i). C’est plutôt dans un rapport de construction de l’altérité qu’il faut comprendre l’impérialisme spécifique de la justice pénale internationale, notamment à travers un processus d’universalisation/orientation du « crime africain » (ii). Enfin, on suggérera qu’il convient surtout de replacer le binôme justice pénale internationale / Afrique dans un temps long de l’introduction du droit pénal en Afrique, lequel met en évidence la manière dont la justice pénale s’inscrit dans une profonde continuité postcoloniale (iii). L’Afrique permet ainsi de réfléchir à la problématique évolutive du néocolonialisme, de l’impérialisme et du postcolonialisme, tels qu’ils s’expriment par les institutions judiciaires internationales.

I – La focalisation sur l’Afrique en question : l’importance de nuancer

A — Le biais africain de la justice pénale internationale

La concentration sur des affaires africaines ne laisse pas de poser certaines questions. Il est compréhensible que, dans un continent n’ayant que relativement récemment recouvré son indépendance, elle soit perçue comme une interférence forte avec la capacité des États africains à s’autodéterminer et à décider de leur destin. En plus de « percer le voile souverain », de s’en prendre à des chefs d’État dont les immunités sont reléguées à peu de choses, le fonctionnement même de la justice pénale internationale semble s’imposer, voire se substituer au fait souverain et même à la délibération démocratique[1]. C’est sans parler des efforts diplomatiques qui, du Soudan à l’Ouganda, seraient appelés à s’incliner devant les décisions prises à La Haye (Rodman 2009). Les amnisties et autres efforts de réconciliation, pourtant souvent parfois portés par la société civile comme les meilleures des solutions de sortie à des conflits endémiques, paraissent ainsi de plus en plus exclus par la rigidité des efforts internationaux de poursuite. En outre, une partie de la justice pénale internationale emprunte incontestablement des voies très balisées par l’histoire coloniale, comme en témoignent les affaires ayant opposé la Belgique au Congo puis au Sénégal à propos de la question de la compétence universelle[2] ou, encore, l’imbrication entre l’intervention française en Côte d’Ivoire et la mise en accusation de Laurent Gbagbo. Enfin, la participation aux institutions de la justice pénale internationale apparaît de plus en plus comme une sorte de nouveau « standard de civilisation » dont les États se détournent à leurs propres risques et qui marque l’accession au rang d’État « respectable » dans le système international.

En dehors de cette dimension proprement verticale de la justice pénale internationale se dessine une forte dimension horizontale entre États. L’association entre justice pénale internationale et fonctionnement du Conseil de sécurité fait par exemple craindre que la cpi ne devienne un instrument des grandes puissances ou, en tous les cas, de desseins supranationaux décidés à New York (Aptel 2007). Cette dimension fortement distributive, en outre, tendrait plus généralement à dédouaner d’autres puissances de toute implication dans des crimes, que le Conseil de sécurité « suspende » certaines enquêtes qui pourraient concerner certaines grandes puissances ou, plus simplement, que le Procureur fasse plus ou moins consciemment leur jeu en décidant de ne pas s’appesantir sur certaines « situations ». L’imbrication croissante entre désignation par la justice pénale internationale et recours à la force fait quant à elle craindre que, loin de servir de mécanisme de pacification au niveau international, la cpi ne vienne jeter de l’huile sur le feu de l’interventionnisme onusien sur le continent africain (Mégret 2011).

L’argument selon lequel l’Afrique est le continent qui a connu le plus de violence politique dans la dernière décennie, et donc celui vers lequel la justice pénale internationale a naturellement tourné ses attentions, n’est pas sans mérite, surtout lorsqu’on compare le continent africain avec ces autres continents fortement représentés à la cpi que sont l’Europe et l’Amérique latine. Il n’en demeure pas moins que, même à des degrés moindres, la violence politique ou militaire n’est pas absente de ces autres continents (fût-ce dans le cadre, pour l’Europe, d’une projection en Afghanistan ou en Irak), et qu’il aurait été envisageable pour le procureur de la cpi de traiter ne serait-ce que certaines de ces affaires extra-africaines. En outre, l’insistance par le procureur de la cpi sur la nécessité de se concentrer sur les principaux responsables des pires crimes semble démentie régulièrement par le choix d’accusés africains certes engagés dans des processus criminels, mais pas nécessairement parmi les pires coupables (on pense notamment à Thomas Lubanga, premier condamné par la Cour, et uniquement pour le crime de recrutement d’enfants soldats).

B — Participations et instrumentalisations africaines de la justice pénale internationale

Il demeure cependant malaisé de donner entièrement raison à cette critique de l’impérialisme de la justice pénale internationale. Premièrement – ce qui ne la disqualifie pas entièrement mais la relativise singulièrement –, celle-ci tend à émaner d’individus qui ont le plus à perdre de la justice pénale internationale, à commencer par ceux qui sont directement mis en cause par elle. Il y a là une manière d’opportunisme qui fait que la justice pénale internationale est applaudie lorsqu’elle s’adresse à d’autres, mais critiquée avec véhémence lorsqu’elle semble s’en prendre à ses propres intérêts. À l’inverse, il faut bien compter sur les opinions publiques et les sociétés civiles africaines, fortement engagées dans certains cas dans la promotion du modèle incarné par la justice pénale internationale. De fait, la justice pénale internationale a assez bien su activer une « victim constituency » (Findlay 2009), laquelle s’est à son tour fortement mobilisée pour lui apporter son appui. Enfin, il faut bien constater que les Africains sont assez largement représentés parmi le personnel des tribunaux pénaux internationaux, y compris aux plus hauts postes (juges, procureurs), ce qui implique malgré tout de relativiser l’idée d’un « complot » contre l’Afrique. Ce phénomène est sans doute à relier à celui, plus large, de la participation et même du leadership de certaines élites africaines (Desmond Tutu, Graca Machel, Olara Otunnu, Pierre Sané) dans certains projets humanitaires à vocation universelle, mais qui se trouvent de fait très tournés vers l’Afrique.

Deuxièmement, l’idée d’une domination étrangère sur le continent africain fait largement l’impasse sur l’importance de la participation africaine aux institutions de la justice pénale internationale. En 1994, c’est bien le Rwanda lui-même qui réclame fortement dans un premier temps la création d’un tribunal pénal rwandais (tpr), manière de signifier sa volonté de faire partie de cette histoire alors balbutiante de la justice pénale internationale, un génocide africain valant bien une épuration ethnique balkanique. La justice pénale s’impose alors comme le remède par excellence aux déboires de la justice transitionnelle en permettant non seulement de « dignifier » la répression d’un génocide par son internationalisation, mais d’accéder aux ressources significatives (politiques, juridiques, symboliques) de l’onu. De même, c’est bien le gouvernement de la Sierra Leone qui engage des démarches auprès du Secrétaire général afin d’aboutir à la création de la Cour spéciale pour la Sierra Leone. Enfin, la participation de nombreux États africains à la cpi (environ le quart des États parties au Statut de Rome et une grande majorité des États africains) est largement volontaire, voire enthousiaste. En atteste par exemple le fait qu’un État comme le Malawi ait préféré annuler son organisation du sommet de l’Union africaine plutôt que de devoir accueillir une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt de la cpi contre le président soudanais el-Béchir.

Sans doute cette participation a-t-elle été fortement encouragée par l’Union européenne et d’autres acteurs internationaux au gré de quelque conditionnalité, et sans doute existe-t-il toujours à ce propos un soupçon de pressions indues, d’une part, et d’intéressement plus que d’engagement de principe, d’autre part. Elle n’en répond pas moins à des considérations d’intérêt national des différents États impliqués, certes complexes mais potentiellement lisibles. À l’ère de la cpi, on peut considérer qu’un État qui devient partie au Statut de Rome se « protège » aussi d’une certaine manière contre les crimes qui pourraient être commis par d’autres États sur son territoire (y compris des États occidentaux) ; il peut également se prémunir contre des changements de gouvernement et la violence politique qui leur est associée ; dans une optique plus idéaliste, on peut même considérer qu’il se protégera contre ses propres tentations d’avoir recours à la violence politique. La justice pénale internationale permettra également parfois de faire internationalement ce qui aurait été impensable nationalement, en « exfiltrant » des affaires sensibles tout en faisant mine de ne faire que céder à la contrainte internationale. La justice pénale internationale ne serait donc pas un jeu à somme nulle et, même s’il demeure déplorable que certains autres États ne tombent pas sous la compétence de la Cour, l’Afrique n’aurait à la limite pas à se plaindre de ce qu’elle « bénéficie » d’un service public international de la justice pénale auquel elle a amplement souscrit.

Troisièmement, la pratique des États africains devenus parties au Statut de Rome atteste une capacité certaine à instrumentaliser la justice pénale internationale à leurs fins, d’une manière qui implique de relativiser l’idée d’une subordination à sens unique. On pense notamment à la manière dont l’État rwandais a, depuis 15 ans, subtilement canalisé, orienté et parfois manipulé la justice pénale internationale pour mieux asseoir sa légitimité et étendre sa domination régionale ; on pense également, et sans doute de manière encore plus spectaculaire, à la manière dont l’Ouganda déféra sa « propre » situation à la cpi, mais avec l’objectif à peine dissimulé que celle-ci ne poursuive que les crimes commis par l’Armée de résistance du Seigneur ; on pense enfin à la manière dont la reconnaissance opportune de la compétence de la cpi par la Côte d’Ivoire s’inscrit dans une stratégie pro-Ouattara en Côte d’Ivoire qui renforce le statut du chef de l’État au détriment de son ancien rival. Dans ces trois cas, la justice pénale internationale est moins « contre » l’Afrique qu’elle n’est utilisée pour départager des factions toutes engagées dans la lutte pour le monopole étatique.

Dans toutes ces hypothèses, en outre, la justice pénale internationale, trop dépendante de la coopération des États et souffrant peut-être à certains égards d’un paradoxal biais étatique, s’est empressée d’enquêter au sujet des membres de l’ancien régime ou du mouvement rebelle honni, en évitant soigneusement toute remise en cause des autorités dirigeantes. Si la cpi encourt le reproche de la sélectivité, donc, il faut bien convenir que cette sélectivité s’est souvent exercée à l’avantage, voire à l’instigation, de certains acteurs africains en place, typiquement étatiques. Et, s’agissant de gouvernements eux-mêmes impliqués dans le soutien à des mouvements rebelles au Congo (dont l’Union des patriotes congolais (upc) de Thomas Lubanga, par exemple, le premier condamné par la cpi !), sans parler des forces armées ougandaises et rwandaises elles-mêmes parmi les plus perturbatrices dans la région des Grands Lacs, il faut convenir qu’il s’agissait là d’un régime de faveur plutôt exorbitant. Le plus curieux dans cette affaire est peut-être en effet que la justice pénale internationale ait été à ce point volontiers l’obligée des desseins de Kagame, Musseveni ou Ouattara, ce qui en dit long, en définitive, sur son propre état de dépendance à l’Afrique comme terrain d’expérimentation de son projet civilisateur.

Cette instrumentalisation ne date pas d’hier : elle n’est pas sans rappeler toute une série de logiques d’insertion dans le monde par les dépendances (post)coloniales et leurs élites, mises en valeur notamment par les travaux de Jean-François Bayart, et qui relativisent beaucoup l’idée d’une colonisation opérant à sens unique sous le paradigme de l’oppression (Bayart 2006). En réalité, les États rwandais, ougandais et même sierra-léonais ont su jouer avec habileté du statut que leur conférait leur étaticité en droit international public pour s’engager dans un double mouvement de validation de leur autorité et de déligitimation de leurs ennemis intérieurs et extérieurs (même si le pari est parfois risqué et qu’il est possible de s’exposer à des retours). Le recours à la justice pénale internationale serait ainsi une forme de « stratégie de l’extraversion » par laquelle « les acteurs dominants des sociétés subsahariennes ont incliné à compenser leurs difficultés à autonomiser leur pouvoir et à intensifier l’exploitation de leurs dépendants » en « mobilisant les ressources que procurait leur rapport – éventuellement inégal – à l’environnement extérieur » (Bayart 1999 : 98). La place privilégiée des élites gouvernementales africaines en position d’autorité à l’interface entre le national et l’international leur permet de négocier l’accès aux contentieux africains dont dépend une institution comme la cpi, sans doute au prix d’une immunité de fait.

II – Le crime africain, entre universalisme et tentation orientaliste

Plus que dans une simple prolongation du projet colonial, la spécificité de la justice pénale internationale par rapport à l’Afrique serait donc plutôt à rechercher dans un rapport paradoxal au « crime africain ». Si la susceptibilité à la justice pénale internationale traduit en elle-même une certaine inscription dans l’universel, elle semble paradoxalement se payer d’une constante orientalisation.

A— Insertion du crime africain dans l’universel

L’introduction du droit pénal en Afrique à l’époque coloniale, quelles que soient ses fins répressives instrumentales et les différences de son application par rapport aux métropoles, a historiquement traduit une certaine susceptibilité du sujet africain aux « lois de la civilisation ». Elle est donc en partie fondée sur l’existence d’une capacité des Africains à distinguer le bien du mal. Le crime africain ne serait ni plus ni moins criminel que le crime européen. À ce titre, la justice pénale internationale est aussi, et sans doute paradoxalement, une manière de « désenclaver conceptuellement » l’Afrique. L’un des ressorts les plus puissants de sa mise en oeuvre est en effet son traitement « universaliste » de la violence par le biais de notions comme le crime contre l’humanité. Prise littéralement, cette notion implique bien une collectivisation de la souffrance politique, laquelle est censée affecter l’ensemble du genre humain. Même si c’est à la faveur de telles notions qu’une collectivité politique peut se voir dépossédée d’un contentieux qui, strictement, ne lui appartient désormais plus, il y a là comme une manière d’entrée dans l’histoire du monde.

En outre, la justice criminelle internationale permet de comprendre le fait africain comme non réductible à une violence tribale, inexpugnable, endémique et comme « barbare », mais un fait qui sera bien interprété selon des catégories politiques issues de la modernité. Le « paradigme légaliste » de la guerre permet, par exemple, de penser celle-ci comme violant non pas telle ou telle doctrine morale particulière (par exemple, la tradition de la guerre juste), mais bien le droit international en tant que tel, un droit s’appliquant à tous (Pendas 2007). L’interprétation du génocide rwandais, comme un projet éminemment moderne n’ayant rien à « envier » à certains égards à ces prédécesseurs que sont l’Holocauste et le génocide arménien, fait paradoxalement accéder l’Afrique à un certain panthéon de l’infamie politique. Comme le souligne Payam Akhavan, l’un des hérauts de cette vision universaliste de la justice pénale internationale, « contrairement au mythe simpliste d’une haine “tribale” primordiale, les conflits de l’ex-Yougoslavie et du Rwanda n’étaient pas l’expression d’une orgie sanguinaire ou d’inévitables cataclysmes historiques. Tous deux résultèrent d’un encouragement délibéré à la haine raciale et à la violence à travers lesquelles des démagogues sans foi ni loi et des seigneurs de guerre s’élevèrent à des positions de pouvoir absolu » (Akhavan 200 : 7). La comparaison avec l’Holocauste et l’idée d’un « nazisme tropical » est d’ailleurs omniprésente dans certains écrits (Pottier 2002 : 31-33). Paradoxale reconnaissance sans doute – qui veut que l’Afrique n’accède à la modernité que par le crime le plus atroce –, mais reconnaissance tout de même.

La justice pénale internationale s’est par ailleurs distinguée par sa construction « politique » de l’ethnicité, faisant ressortir notamment au détour de plusieurs jugements la manière dont l’appartenance ethnique avait souvent été cristallisée, renforcée et réifiée par le colonisateur, puis réinstrumentalisée à des fins de domination ou d’exploitation politiques par certaines élites postcoloniales. Des Tutsis aux Acholis en passant par les Fur, la justice pénale internationale ne sera au moins pas tombée dans le piège d’une réification réductrice des ethnies (Akhavan 2005). Elle contribue donc à renforcer plutôt qu’elle ne décrédibilise la notion selon laquelle « les ethnies ont une histoire » et que, pour reprendre une expression de Chrétien et Prunier, « l’Afrique n’est pas d’une autre planète » (Chrétien et Prunier 2003). Voilà qui est plutôt, soit dit en passant, à l’honneur des juristes internationaux, pourtant peu connus pour leur sensibilité anthropologique mais bien conseillés en la matière, il faut le dire, par un aréopage d’africanistes, d’historiens et d’autres experts à la croisée entre droit et activisme (dont l’une des plus emblématiques fut Alison Desforges). En cela, l’Afrique échappe à une conception du « mal absolu » quasi mystique et laissant peu de place à l’ingénierie ou à l’espoir politique, pour replacer au contraire les logiques génocidaires dans des pathologies politiques caractéristiques de la construction de l’État et des luttes pour la monopolisation de ses moyens. En problématisant les identités africaines, les tribunaux pénaux internationaux auront au moins évité le reproche de renforcer les logiques ethnicistes ou racialistes qui sont à la source du phénomène qu’ils prétendent combattre.

Devant les tribunaux pénaux internationaux, certains iront même jusqu’à s’élever contre une prise en compte de certaines réalités africaines, qui, si elle avait la vertu d’enraciner la justice pénale internationale dans un terreau local, pourrait aboutir à une « exoticisation » abusive. On pense notamment à la réaction à la condamnation par la Cour spéciale pour la Sierra Leone (cssl) de Kondewa au motif qu’en tant qu’homme de médecine au charisme et à l’autorité sans égal, capable de conférer aux Kamajors (des « chasseurs » traditionnels engagés dans la lutte contre le Revolutionary United Front [ruf]) une immunité contre les balles ennemies, il exerçait une responsabilité de commandement le rendant responsable des crimes commis par ses subordonnés. Cette prise en compte de la « réalité sierra-léonaise » par le procureur et la majorité de la chambre, même si elle se concentrait uniquement sur la perception subjective des pouvoirs en cause et pas leur réalité objective, encourut les foudres « modernistes » de l’un des juges sierra-léonais, le juge King, pour qui :

Cela dépasse l’entendement de penser que du fait qu’il prétendait avoir des pouvoirs occultes, sur la base extravagante de ses prouesses mystiques, Kondewa pourrait être conçu comme un « commandant » au sens d’une relation supérieur/subordonné. Sans même s’attarder à remarquer la nouveauté d’un tel constat, la majorité de la Chambre d’appel, pour la première fois dans l’histoire du droit pénal international, a conclu qu’un homme juju ou sorcier de brousse sierra-leonais, pratiquant des gris gris, n’ayant jamais été un soldat ou même été impliqué dans des combats, et qui n’était qu’un fermier et un soi-disant herbaliste, qui ne s’était même pas approché d’un service militaire (il n’était jamais allé au front lui-même) pouvait être considéré comme étant le commandant de ses subordonnés dans un conflit de brousse et de guerilla en Sierra Leone, du seul fait de ses pouvoirs superstitieux, mystiques, et autrement surnaturels et fantasmés !... À mon avis, les rôles attribués à Kondewa comme « grand prêtre » sont ridicules, fantasmés et surréels au point de devoir être l’objet de dérision et de ne pas mériter d’être considérés sérieusement par des personnes raisonnables dans une société civilisée[3]

B — L’irréductible étrangeté du crime africain

L’envie d’« occidentaliser » l’Afrique amène cependant un fort risque d’équivoque, notamment lorsqu’elle aboutit à une projection constante d’un appareil conceptuel axé sur l’État et ses pouvoirs, même lorsque cette projection est au mieux une approximation, au pire un non-sens. On pense par exemple à la tendance à déduire que des normes sont applicables et connues localement (et donc que les individus sont suffisamment informés de l’existence de crimes) du seul fait que l’État a ratifié un traité international, alors même que le processus de ratification n’aura eu que peu de prise sur la réalité sociale. On pense également à l’idée que l’existence d’une armée atteste nécessairement d’une possibilité de responsabilité du commandant, alors que bien des armées africaines se caractérisent par un état de délitement avancé : là où il est coutumier depuis Nuremberg par exemple de penser que l’autorité de facto suit celle de jure, il est très vraisemblable, en Sierra Leone par exemple, que certains « postes » soient en réalité des structures purement nominales, fortement disputées par une constellation d’allégeances ethniques, politiques ou mystiques, et dissimulant des logiques d’autorité néopatrimoniale. Les structures cognitives du droit pénal international, largement enchâssées dans une tradition de rationalité wébérienne axée sur la hiérarchie et le commandement, aboutissent ainsi à la projection d’une sorte de fantasme d’Occident, égaré en Afrique au risque d’une jurisprudence quelque peu surannée (Kelsall 2009 : chap. 3).

En outre, si l’Afrique est bien passée de théâtre du tribalisme anarchique à celui de crime, elle n’est pas pour autant associée entièrement au fonctionnement politique normal du monde. La « réduction au crime » de la justice pénale internationale, notamment en ce qu’elle s’applique avec une particulière intensité aux périphéries (Balkans, Afrique) serait aussi pour certains une manière de dépolitiser en assimilant les crises africaines « à des entreprises criminelles qui ont pour motivations premières, et sinon uniques, la prédation et l’accumulation des richesses » (Jézéquel 2006 : 6).

Surtout, la justice pénale n’abandonne jamais entièrement la tentation de l’altérité radicale, par la mise en exergue de crimes spécifiquement africains, présentés comme particulièrement barbares. On pense, lors de la colonisation, à la manière dont l’accusation d’anthropophagie, sans doute largement mythique dans les faits et existant quoi qu’il en soit comme un discours particulièrement mobilisateur indépendamment de sa réalité (Arens 1980), servit les visées coloniales (et pas seulement en Afrique, bien sûr ; il n’est que de penser à la rencontre de Cortés avec les Aztèques) en fournissant une sorte de repoussoir absolu et légitimant l’introduction des lois européennes. On pense également à la répression de la sorcellerie ou des crimes rituels. Cette conception de l’altérité radicale est une étape de la hiérarchisation qui mène à l’entreprise coloniale au nom de la mission civilisatrice.

Sa construction est plus subtile en matière de justice pénale internationale mais non moins décelable. Elle s’observe à travers l’attachement à mettre en avant des crimes implicitement identifiés comme spécifiquement africains, et donc d’une certaine manière irréductible à toute universalité. On pense notamment, bien sûr, à toutes les attentions dont fait l’objet le phénomène des enfants soldats au point que le premier accusé du Tribunal, Lubanga, est jugé et condamné pour ce seul crime, alors même qu’il avait été précédemment poursuivi pour des actes de crimes contre l’humanité et pour génocide au Congo. Comme le souligne Jean-Hervé Jézéquel (2006), « [l]’image de l’enfant africain porteur d’une kalachnikov plus grande que lui est d’ailleurs devenue le symbole d’une violence typiquement africaine, une violence barbare qui dépasse l’acceptable et le rationnel pour le regard occidental ».

Avec cette mise en exergue du phénomène des enfants soldats, on renoue également avec tout un discours d’origine coloniale extrêmement connoté et qui mettait en exergue l’incapacité des indigènes à s’occuper de leurs enfants, quitte à justifier des mesures tutélaires allant jusqu’à l’enlèvement de ceux-ci à des fins de rééducation. Ce discours est bien sûr d’autant plus biaisé que le phénomène des enfants soldats fut fortement répandu en Occident (Jézéquel 2006) jusqu’à récemment, quand il ne fut pas introduit, dans sa version moderne, par les armées coloniales en campagne, avides de jeunes otages pour faire pression sur les chefs. Au-delà, c’est l’idée d’une Afrique « enfantine » (et donc incapable par définition de s’occuper de ses enfants) qui renoue avec le vieux poncif hégélien sur l’Afrique comme « pays de l’enfance » (Hegel 1987 : 75).

Outre le fait de stigmatiser la « noirceur » de certains crimes africains (le phénomène des « bush wives » vient aussi à l’esprit), la justice pénale internationale renforce l’idée de victimes absolues (enfants, femmes, fillettes) dont l’existence même s’articule avec un grand succès au discours interventionniste. En cela, la justice pénale internationale renoue notamment avec une très vieille tradition, souvent oubliée aujourd’hui par les juristes pénaux internationaux, celle de la répression de l’esclavage sur le continent africain au nom du « standard de civilisation ». On sait en effet qu’après avoir été à l’origine de la traite transatlantique, l’Europe et surtout le Royaume-Uni, s’étant entre temps retournée contre elle, avait retourné ses foudres abolitionnistes contre l’Afrique, accusée implicitement d’avoir fomenté et perpétué l’esclavage. À Bruxelles et à Berlin, c’est entre autres au nom de la libération du joug de l’esclavage que l’on justifiera le « scramble for Africa » (Mégret 2010). De la même manière, comme le souligne Jézéquel (2006), « l’enfance constitue un enjeu central dans l’effort de légitimation des interventions occidentales en Afrique ».

D’une manière plus profonde, l’intrusion de la justice pénale internationale dans la réalité africaine amène à s’interroger sur le décalage entre les valeurs et l’épistémologie véhiculées par le droit pénal d'une part, et les dynamiques de représentation culturelle à l’oeuvre dans certaines sociétés africaines, d'autre part. Elle pose à ce titre la question de l’équité vis-à-vis d’accusés jugés selon des normes internationales qui existaient certes formellement en droit international au moment des faits et donc respectent le principe de non-rétroactivité de la loi pénale, mais sont aux antipodes de la réalité sociale locale et aboutissent donc à ce qu’ils soient jugés, fondamentalement, selon des lois qui ne sont pas leurs. Derrière les accusés, en outre, on peut se demander si ce ne sont pas certaines pratiques culturelles qui sont mises en cause, les violences ordinaires à l’égard des enfants étant vues comme préparant par exemple le phénomène des enfants soldats et le manque d’autonomie des femmes dans le cadre des mariages arrangés traditionnels, celui des « bush wives ».

La situation des enfants soldats est, encore une fois, emblématique. Là où la communauté internationale voit volontiers dans leur recrutement un mal absolu, certaines opinions africaines sont nettement plus sensibles aux crimes commis par les enfants soldats, à la nécessité de les rendre redevables de leurs actes, et au fait que l’attention qui leur est portée est détournée de leurs victimes. Elles auront beaucoup plus tendance à replacer le sort de ces enfants à l’intérieur de stratégies de survie qui, si elles n’excluent pas la condamnation de la violence à leur encontre (notamment dans le cas des enfants enlevés), n’ôtent pas aux enfants soldats toute « agency » ou responsabilité dans les exactions qu’ils ont commises (Peters et Richards 1998). En outre, c’est l’idée même de l’enfance véhiculée par le droit international, comme un état d’innocence et de fragilité, qui se heurte à des conceptions africaines beaucoup plus complexes. En Sierra Leone, par exemple, le phénomène des enfants soldats s’insère dans une conception de l’enfance comme très liée aux esprits et devant conquérir son statut d’adulte à travers une série d’épreuves (Bledsoe 1990), les réseaux de solidarité guerriers étant venus se substituer à ceux qui existent en temps de paix. C’est jusqu’à la définition de l’enfance par le recours universel à un âge légal (18 ans) qui passe à côté d’une multiplicité de représentations sociales liées à ce qu’est réellement l’enfance et qui en Afrique se démarquent très nettement d’une conception « biologique » de la minorité, quand bien même on pourrait leur opposer un âge légal défini par le droit de l’État africain pertinent.

III – Pour un « temps long » de l’introduction du droit pénal en Afrique

Au-delà d’une certaine conception fort ambiguë de la criminalité africaine, c’est surtout à l’histoire longue de l’insertion du droit pénal moderne dans le paysage africain qu’il faut réfléchir, histoire inaugurée par l’intrusion coloniale et qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui, y compris par la manière dont la justice pénale internationale contribue à façonner une certaine centralité de la répression carcérale notamment.

A — Monopolisation juridictionnelle et ambivalence par rapport à la justice africaine

Il serait sans doute malaisé de dire que l’Afrique précoloniale ne connaissait pas de sanction rétributrice, mais cette sanction revêtait à tout le moins un aspect très différent de ce qu’elle allait devenir en Occident. La différenciation entre sanction pénale et sanction réparatrice, notamment, était beaucoup moins accentuée, comme cela avait d’ailleurs longtemps été le cas en Occident ; la prévention par un contrôle social communautaire important semblait privilégiée ; les juridictions traditionnelles mettaient l’accent sur la restauration de l’équilibre de la communauté par la conciliation ; la fonction judiciaire (juridictio) demeurait peu différenciée de la fonction de commandement (imperium) ; le droit découlait plus d’une production communautaire, voire sociale, qu’il ne découlait d’une organisation étatisée. En outre, il est bien clair que la prison au sens occidental du terme comme mode de punition caractéristique de la pénalité moderne n’existait pas dans l’Afrique précoloniale et que l’enfermement fut bien imposé par le colonisateur entre 1880 et 1920 au terme d’un processus douloureux et souvent violent (Diallo 2005).

À l’occasion de la colonisation, la faiblesse des mécanismes pénaux en Afrique sera une occasion de déplorer le manque de sophistication des sociétés africaines, et notamment leur incapacité à distinguer entre un tort causé à un individu et une faute commise contre la société, entre punition et réparation. Selon une dichotomie civilisation/sauvagerie bien éprouvée, « la capacité d’une communauté à reconnaître certains torts comme étant des crimes dénote un certain stade de développement, car cette conception est clairement avancée et n’est généralement pas associée avec les communautés primitives, ni attendue de ces dernières » (Hone 1939: 179-180). L’absence de capacité coercitive centralisée trahit dès lors le manque d’État, de « conscience publique » et même l’anémie de la solidarité sociale, et donc apparaît opportunément comme un marqueur de la « colonisabilité » du continent. Elias, le grand juriste nigérian, dénonce à cette occasion « le désir trop rapide de supposer que le droit africain, précisément parce qu’il est africain, est en général irréconciliablement différent du droit anglais, et même du droit européen » (Elias 1972 : 110).

La question de l’applicabilité du droit pénal à l’indigène, en outre, est une question qui se pose dans les termes d’une hiérarchie raciale ou de civilisation. Comme le souligne le gouverneur général de l’Afrique occidentale française (aof) en 1925, l’on ne saurait « imposer à nos sujets les dispositions de notre droit français manifestement incompatibles avec leur état social[4] ». Un commentateur résume en ces termes la critique telle qu’elle se formule en Afrique de l’Est au début du xxe siècle :

Les tribus primitives et sauvages ont peut-être un certain code de conduite qu’elles reconnaissent comme devant être mis en oeuvre, mais un tel système est entièrement différent de celui que les nations européennes acceptent et vénèrent après des siècles d’organisation sociale et de progrès de l’éducation. On ne peut pas s’attendre à ce que les tribus indigènes de l’Afrique de l’Est, dans l’ensemble, comprennent ou apprécient les standards d’un système de droit étranger hautement développé, et le leur imposer est non seulement courir le risque de malentendus mais également produire chez l’autochtone une impression d’injustice éhontée.

Hone 1939 : 179-180

Néanmoins, la nécessité d’imposer un ordre colonial l’emportera, à la limite, sur le racisme ou une certaine tolérance pour la diversité. Dans ce contexte, le droit pénal ne fut pas seulement un instrument de la colonisation : il en fut bien un enjeu. Lié au maintien de l’ordre, à la relation dominants-dominés, son monopole était une question d’autorité. Le droit pénal exporté en Afrique ne revêtit néanmoins souvent aucun des aspects modérateurs associés à son développement en Europe (procès équitable, non-rétroactivité de la loi, etc.), et se présenta initialement plutôt comme un droit pénal de conquête, empruntant d’ailleurs souvent à la logique administrative. L’idée de réforme de l’individu en fut largement absente, ce qui se lisait à travers un système carcéral quasi concentrationnaire digne d’une « institution totale » : travail forcé, régime de discipline stricte, surveillance de chaque instant, etc. En outre, la prison « inaugure un style nouveau de contrôle politique et économique : l’enfermement des hommes et des territoires », promis à un funeste destin à travers frontières fortifiées et autres « modèles originaux de confinement et de réclusion » (Bernault 1999). Même lorsque l’Europe s’éloigna de certains châtiments, tels que la peine capitale, cette évolution fut volontiers niée aux colonies africaines au nom de la nécessité impérieuse du maintien de l’ordre (Hynd 2008 : 417). Immanquablement, la résistance à la colonisation se traduisit donc en partie par une résistance au système carcéral, rejeté comme une manifestation particulièrement inique et exogène de l’entreprise d’assujettissement (Bâ 2007).

Dans ce contexte, trois stratégies étrangement contradictoires et complémentaires furent déployées. Premièrement, on assiste parfois à une sorte de « fuite en avant » répressive, consistant surtout en l’octroi de compétences de sécurité exorbitantes aux administrateurs coloniaux et l’application discriminatoire aux seuls autochtones d’un régime punissant certaines infractions spéciales contre la sûreté de l’État. C’est notamment l’exemple français de l’indigénat (Merle 2004), ou l'exemple belge des « infractions spéciales » au Ruanda Urundi (Cornet 2010). Deuxièmement et à l’inverse, un effort fut engagé, souvent tardivement, par certains artisans de la colonisation pour tenter d’amener de plus en plus d’indigènes sous la protection des garanties du droit pénal métropolitain commun, notamment pour mieux les faire échapper à toute une série de mesures vexatoires qui consacraient tant leur infériorité que leur vulnérabilité. On tentait ainsi de normaliser un régime d’exception, tentative illustrée par la querelle qui opposa administrateurs coloniaux habitués à faire régner un ordre expéditif et arbitraire, et les procureurs généraux envoyés à partir du début du xxe pour faire régner un semblant de justice républicaine en Afrique occidentale francophone (Manière 2011). Cet aménagement de l’ordre juridique colonial n’allait cependant pas nécessairement dans le sens d’une remise en question du projet colonial : il était plutôt, précisément, l’occasion de son renforcement par l’alignement entre droit colonial et métropolitain (Blévis 2003).

Troisièmement, un effort avait été entrepris dès les débuts de la colonisation afin de conserver une partie de leur compétence juridique et, dans une certaine mesure, pénale aux autochtones (Solus 1927). C’est cet effort qui nous intéresse tout particulièrement du fait des ambiguïtés qu’il soulève. Dans la colonisation britannique, certains chefs bénéficient par exemple d’une juridiction limitée au nom du « gouvernement indirect », au point que l’on peut parler de deux systèmes de juridiction parallèles et irréductibles. Cette compétence en matière civile reconnue aux « natives » s’étend parfois à la matière pénale. Une certaine reconnaissance des traditions et autorités indigènes est également présente dans les colonies françaises, notamment à partir du décret de 1903 en Afrique occidentale, dans des conditions, il est vrai, très limitées[5]. À certains égards, le rapport entre indigènes et colons donne lieu au sein même des colonies à l’application d’un véritable droit international privé fondé largement sur le statut personnel plus que d’une simple juridiction territoriale caractéristique de l’État. Il n’est pas faux de dire qu’après des tentatives avortées d’introduire le droit métropolitain in toto, l’émergence du pluralisme juridique colonial a parfois traduit une sensibilité à l’irréductibilité des pratiques juridiques indigènes.

Mais l’application du droit « pénal » coutumier africain, en plus d’être consignée à la plus grande discrétion (Mamdani 2004 : 167), reste largement discrétionnaire et soumise en tout état de cause à un contrôle par les juridictions coloniales anglaises et françaises sous forme de « clause de répugnance » ou de « procédure d’homologation »[6] censées vérifier, respectivement, sa compatibilité avec la « justice naturelle » ou les « principes de la civilisation française ». L’emprisonnement venait en outre naturellement se substituer à tout châtiment corporel prévu par le droit coutumier. De plus, lorsqu’une compétence pénale traditionnelle est reconnue, elle est en quelque sorte rétrocédée « gracieusement » par le colon souverain plus qu’elle ne s’inscrit dans une continuité avec l’Afrique précoloniale, comme en témoigne la capacité des autorités coloniales à, par exemple, mettre et démettre les chefs tribaux et réguler leurs pouvoirs. La justice coutumière devient presque étrangère à son propre terreau, une justice d’exception qui ne doit sa validité qu’à la reconnaissance dont elle bénéficie par un ordre juridique exogène, celui, positif, du système colonial.

Surtout, la justice traditionnelle fait simultanément l’objet d’une réorganisation par la puissance coloniale, conforme à ses intérêts, et consistant en définitive à confier la haute main sur le contenu du droit coutumier, via des « assesseurs » indigènes au statut consultatif, aux magistrats coloniaux garants de la légalité et de l’ordre public impérial. Ceux-ci tendent à concevoir la justice traditionnelle à travers le prisme de la justice métropolitaine, d’une manière qui détache volontiers le contenu des règles autochtones de tout enracinement dans une cosmogonie propre à l’Afrique. Il en résulte une interprétation réductrice par le juge colonial, quitte à « passer à côté de l’essentiel du système judiciaire africain » et à ne voir dans les « sociétés colonisées que l’envers d’eux-mêmes » (John-Nambo 2002 : 329). En outre, là où la justice traditionnelle était le fait des chefs, d’une manière qui distinguait fort peu entre fonctions, la justice coloniale consacre la centralité du juge et donc une forme de séparation des pouvoirs. Là où le droit coutumier était surtout oral, enfin, on lui substitue l’écrit de la common law et du Code. Plus que de « préservation » d’une justice indigène précoloniale, c’est donc à l’évidence de « l’institution » d’une justice coloniale indigène qu’il faut parler, fortement soumise aux desseins coloniaux et consistant en une véritable « invention de la tradition » (Rodet 2009).

Après les indépendances, le droit pénal continue d’être un enjeu de pouvoir majeur, tout en étant durablement façonné par l’héritage colonial (John-Nambo 2002). Les penseurs postcoloniaux auront souvent à coeur de réclamer une certaine indigénéité du droit pénal, qui s’appuie d’ailleurs sur des recherches anthropologiques allant de Malinowski (1933) à Elias (1972). Ces recherches, si elles mettent bien l’accent sur la domination de la responsabilité de type réparatoire, insistent également sur l’existence d’infractions à connotation pénale (meurtre, vol, inceste, sorcellerie, etc.). Il s’agit souvent ici de dénier à l’Occident son monopole de la rationalité pénale, marqueur de civilisation, en mettant en avant la spécificité du droit pénal coutumier africain (Ibidapo-Obe 1992).

Cependant, plus que le reflet d’un consensus social préexistant, le droit pénal postcolonial deviendra, en quelque sorte, un instrument de création et de renforcement de l’État dans une perspective revendiquée de modernisation (Costa 1969). La reconnaissance du pluralisme juridique inhérent à certaines sociétés africaines enregistre quelques progrès, manifestés par exemple dans certains cas par la brève extension de la compétence de droit des juridictions traditionnelles aux non-Africains, impensable sous la colonisation. Le droit coutumier continue néanmoins de faire l’objet de mises à l’écart plus ou moins systématiques, car il est trop associé au sous-développement (Fisiy 1998). Au lieu d’être l’occasion d’une sorte de retour aux sources, le droit postcolonial se dirige plutôt vers une assimilation au droit de l’ex-métropole (professionnalisation des magistrats, code écrit, etc.). C’est fortement le cas du droit pénal coutumier dont toute trace disparaît dans l’Afrique anglophone à partir des années 1960, notamment du fait de prohibitions constitutionnelles contre les infractions non écrites. En revanche, le rôle de la prison est consacré par l’État postcolonial, alors même que « la prison postcoloniale, comme la prison coloniale, n’a pas réussi à se doter d’une légitimité dans les mentalités populaires. Elle reste, tout l’indique, un appareil marginal dans les manoeuvres de résolution des conflits collectifs, publics et privés. Sa réappropriation par les régimes contemporains n’a pas comblé ce fossé… » (Bernault 1999 : 14). Le projet de modernisation pénale demeure, notamment à la faveur de dérives autoritaires et dictatoriales, assez marginal dans la réalité sociologique africaine.

B — Justice pénale internationale et construction de l’État africain

La justice pénale internationale constitue, sans doute, une énième variation autour de cette thématique de la monopolisation/pluralisation pénale tant sur le plan interne qu’international, à laquelle il convient de prêter attention si l’on souhaite la comprendre dans sa totalité. Sans doute peut-elle paraître a priori s’exercer « contre » l’État. Il s’agit en effet souvent de s’en prendre à des chefs d’État ou membres de gouvernement ou, encore, de substituer une compétence juridictionnelle internationale à celle de l’État qui aurait normalement eu compétence. La justice pénale internationale n’en recèle pas moins un fort potentiel de renforcement de l’étaticité du droit au détriment de toute forme de justice traditionnelle, dans le droit fil tant de la colonisation que, finalement, de l’expérience postcoloniale. C’est bien l’État qui, en effet, est l’objet de toutes les attentions de la part du Statut de Rome, qui lui enjoint d’exercer ses compétences pénales à bon droit pour le compte de la communauté internationale.

Cette focalisation sur l’État peut être utilement contrastée avec la réaction tout à fait mitigée dont ont fait l’objet les initiatives de justice traditionnelle au niveau international. Certes, la justice traditionnelle de type « restauration » est à la limite de ses capacités s’agissant de la commission d’atrocités à large échelle, où un modèle de médiation communautaire peut paraître étrangement désuet. Mais elle constitue aussi une intéressante tentative de réinvention dans des circonstances difficiles où, précisément, le droit pénal d’inspiration occidentale montre ses limites, et ce, non pas seulement du fait du casse-tête créé par le nombre d’auteurs présumés (plus de 100 000 au Rwanda), mais aussi par exemple du fait de la nécessité pour des coupables et les victimes, ou en tous les cas pour leurs familles, de continuer à vivre ensemble dans des conditions de forte communauté territoriale et économique. C’est sans compter que le retour de la justice traditionnelle sur le devant de la scène manifeste aussi une sorte d’étrange retour des choses où les crimes d’État par excellence doivent passer par les fourches caudines d’une justice de voisinage et de palabre. Il y a là un intéressant contrepoint à la marche forcée vers la modernisation pénale.

Un premier reproche – et c’est sans doute le point saillant pour le droit international – consiste à relever que ni les gacaca au Rwanda ni le mato oput en Ouganda ne font figure de modèle de justice et que les deux posent des problèmes en matière de respect des droits de l’homme. Or, on peut en la matière déplorer l’incapacité à penser la justice traditionnelle autrement que sous l’angle du droit international, et notamment du droit international des droits de l’homme. Certaines des questions que pose la justice traditionnelle (sélectivité notamment dans la désignation des suspects, mais aussi problèmes de procès équitable) pourraient tout aussi bien se poser à l’égard des juridictions de droit commun. En outre, et quels qu’aient été ses défauts, la justice coloniale était presque un modèle de pluralisme, tendant à tout le moins à réaliser une sorte de synthèse entre justice coutumière et justice métropolitaine. Alors que systèmes de droit coutumier et pluralisme juridique ont depuis peu à nouveau la faveur de certains acteurs internationaux du développement, cette attitude bénigne s’arrête, s’agissant de crimes de droit international. Comme si l’État postcolonial était sommé de répondre à une criminalité d’État par un traitement étatique ; comme si, surtout, le droit international des droits de l’homme fonctionnait périodiquement à la manière d’une « clause de répugnance » internationale, faisant mine de tolérer des alternatives à son modèle pour mieux les rejeter.

Mais la dichotomie local/universel est ici un peu facile, car la forme de justice « traditionnelle » illustrée par les gacaca est en réalité assez éloignée du modèle originel des gacaca et d’une véritable justice traditionnelle. Les gacaca post-génocide bénéficient notamment de tout un appareil coercitif et de renfort par l’État assez éloigné de ce qu’elles ont pu être traditionnellement ; surtout, elles imposent de véritables sanctions pénales. Il ne s’agit pas ici de leur faire un reproche de non-authenticité, au risque de reproduire un préjugé qui condamnerait la justice traditionnelle à n’être jamais que la répétition a-historique d’elle-même, comme si celle-ci ne pouvait pas aussi évoluer et s’adapter à des circonstances particulières. La spécificité de l’État postcolonial est bien de réaliser une synthèse de la logique juridique coloniale, de formes juridiques précoloniales et d’une forte insertion dans l’espace juridique mondial. Les gacaca pourraient à ce titre être une illustration éclatante des nouvelles mutations du droit en Afrique.

Il s’agit plutôt de comprendre que la réticence à la « justice traditionnelle » censée être incarnée par les gacaca et le mato oput tient aussi à ce qu’il s’agit de mécanismes qui évoquent à certains égards une sorte d’instrumentalisation postcoloniale de la justice traditionnelle. En effet, il est important de noter qu’au Rwanda, par exemple, la « redécouverte » des gacaca revêt un caractère plutôt opportuniste, et pas seulement du fait qu’elle exclut les crimes de guerre commis par le Front patriotique rwandais (fpr). Elle s’insère en effet dans une sorte de marche forcée vers la modernisation post-ethnique du pays, décrétée d’en haut par le gouvernement et revêtant tous les aspects d’un projet d’ingénierie sociale (Hintjens 2008), appuyé si besoin est par la contrainte (notamment lorsque le taux de participation aux gacaca commença à baisser). Celles-ci sont utilisées pour des infractions pour lesquelles elles n’avaient jamais été prévues, et ignorées pour ce qui est de leur réel usage traditionnel. En outre, c’est bien l’État rwandais qui, par la voie législative, détermine les conditions et modalités d’applicabilité de la justice traditionnelle, un peu à la manière dont le droit « étatique » colonial encadrait cette applicabilité. On est bien, à certains égards, dans une continuité plus grande avec le Rwanda ou l’Ouganda coloniaux que précoloniaux, malgré la revendication d’un improbable retour aux sources, une forme, peut-être, de « colonisation juridique de l’intérieur ».

En outre, et c’est là peut-être l’un des paradoxes les plus intéressants, la justice pénale internationale reproduit également à l’égard de l’État africain certains des mécanismes de contrôle associés au pluralisme juridique colonial, mais cette fois-ci en les retournant en quelque sorte contre l’État lui-même. Si l’État postcolonial est bien le maillon essentiel d’un ordre public international émergent, il est aussi son maillon faible, et sans cesse sommé de prouver l’honorabilité de son étaticité. En 1994, au moment de la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda, le Conseil de sécurité supposera d’office que les juridictions rwandaises ne seront pas à même de fonctionner correctement, ce qui sera par la suite de plus en plus démenti par les faits. Même au bénéfice d’un mécanisme permettant désormais de retourner des affaires vers les juridictions nationales, aucun transfert n’a été effectué jusqu’à présent (alors qu’ils ont eu lieu dans le cas de l’ex-Yougoslavie). Quant à la cpi, il semble qu’elle ne soit pas loin non plus d’appliquer le test de l’admissibilité de manière particulièrement tatillonne, quitte éventuellement à déposséder la Libye du procès de Saif Al-Islam Qadaffi au motif de son incapacité à respecter les droits de la défense. La justice pénale internationale sur l’Afrique en vient donc, curieusement, à être une justice pénale internationale sans l’Afrique, une justice « hors-sol » opérant à distance sur une réalité qui concerne l’Afrique au premier plan, mais qui risquerait d’être corrompue si elle était déléguée localement.

Conclusion

La vulgate néocolonialiste cache en réalité plusieurs niveaux d’engagement africain avec la justice pénale internationale, qui mettent à mal l’idée d’un pouvoir exercé à sens unique et doivent amener à réfléchir aux stratégies d’« extraversion » mises en oeuvre lorsqu’un contentieux africain est « remis » à la justice pénale internationale. Il est difficile à ce titre de penser que les autorités rwandaises, ougandaises ou ivoiriennes ressortent durablement affaiblies d’une rencontre avec la justice pénale internationale qu’elles ont elles-mêmes suscitée, et dont elles profitent abondamment. Plus qu’à une forme de néocolonialisme s’exerçant par l’entremise du Conseil de sécurité « contre » certains États africains, donc, c’est à de subtiles formes d’orientalisation de l’Afrique comme lieu de crimes inexpiables qu’il faut songer dans un premier temps. Alors même que l’on fait par ailleurs mine d’intégrer l’Afrique dans l’histoire universelle par la notion de crime international, cette participation serait l’occasion, dans une sorte de double mouvement, de marquer une différence africaine en mettant simultanément à l’index ces crimes emblématiquement barbares (et non pas seulement inhumains) que sont le recrutement des enfants soldats ou celui des « bush wives ».

Au-delà, c’est à des formes beaucoup plus diffuses de perpétuation d’une hégémonie statocentrée à forte connotation occidentale qu’il faut penser, dans la droite ligne des colonisations mais aussi, bien entendu, des indépendances. Là où l’autorité coloniale avait écarté, instrumentalisé et encadré la justice traditionnelle, là où les États postcoloniaux font de même au nom du progrès et du renforcement de leur autorité, la justice pénale internationale, justice d’États pour les États, achève de faire du souverain la charnière entre ordre juridique international et justice transitionnelle, le rendant redevable de ses errements en la matière, mais créant aussi toutes sortes de possibilités équivoques. La justice pénale internationale viendrait ici moins perturber les trajectoires postcoloniales que s’y intégrer au gré de manipulations adoubées par les élites africaines et transnationales qui reproduisent une logique d’instrumentalisation du droit coutumier au nom et par l’entremise d’un renforcement de l’État. On s’est peut-être insuffisamment penché à ce titre sur la manière dont le renforcement de la légitimité de la répression pénale, sur un continent où cette répression est de longue date associée à la colonisation puis aux déboires de la construction postcoloniale, recèle incontestablement un potentiel de violence symbolique. On peut se demander d’ailleurs si répondre internationalement aux pathologies de l’État en Afrique par une sorte d’encouragement international du « trop d’État » ne risque pas de perpétuer une histoire de la transposabilité du modèle étatique faite de malentendus.

Une des ironies de l’imaginaire de la justice pénale internationale à ce titre est que celui-ci sert en quelque sorte d’écran entre le présent et le passé, et notamment le passé colonial. Du fait que les tribunaux pénaux internationaux n’ont compétence qu’à l’égard d’actes contemporains, et surtout de l’idée même d’une responsabilité prenant sa source dans l’acte volontaire individuel, la justice pénale internationale opère toujours dans une sorte de présent sans passé, d’où émergent des sujets pleinement constitués et, en quelque sorte, purs produits d’eux-mêmes. Si le rôle de la colonisation dans la construction de notions telles que l’ethnicité est bien identifié, car trop évident pour être évité, il l’est souvent d’une manière clinique et purement factuelle. De même, les origines coloniales du phénomène des enfants soldats et le lien historique en Afrique entre recours aux enfants et coupes démographiques laissées par l’esclavage, par exemple, sont évidemment éludés, au nom d’une concentration sur les conflits des deux dernières décennies[7].

À n’en point douter, la justice pénale internationale n’est pas là pour faire le procès de la colonisation. Pourtant, contrairement à certains procès où la colonisation revêtait effectivement un caractère de diversion (voir, par exemple, son invocation par Me Vergès au procès Barbie), la justice pénale internationale est ici souvent face à face avec le legs colonial, y compris jusque dans ses manifestations les plus récentes. En condamnant le « tribalisme politique » de certains États postcoloniaux, par exemple, elle fait indirectement le procès de leur incapacité à susciter des allégeances nationales transcendant les clivages ethniques. Dans la mesure où elle le fait sans replacer la construction de l’État postcolonial dans l’histoire du colonialisme, elle s’expose à écrire une histoire en trompe-l’oeil, une histoire des effets plus que des causes.

Enfin, si la justice pénale internationale a un rôle dans la modélisation d’un certain rapport de domination à l’égard de l’Afrique, il faut également convenir que l’Afrique rétroagit puissamment sur les modalités de construction de la justice pénale internationale. On est loin, sans doute, d’une « africanisation » de la Cour. Mais une histoire reste à écrire, celle de la manière dont l’Afrique influe à son tour sur ces institutions à vocation explicitement universelle dont le destin semble pourtant être de plus en plus de veiller sur son seul devenir. Elle le fait à travers des logiques tant de complicité que d’exploitation, de coopération que de résistance ; elle le fait à travers la manière dont elle se prête douloureusement à un processus d’expérimentation qui, tout en ne lui épargnant rien, pourrait façonner la justice pénale internationale dans le sens d’une meilleure compréhension de son propre potentiel et de ses limites.

La réflexion de René Provost sur le mélange entre modernité et mysticisme dans la jurisprudence africaine contemporaine peut ici nous aider à y voir plus clair sur les rapports complexes entre crime universel et crime particulier, justice moderne et justice traditionnelle que cet article espère avoir illustrés. Dans un saisissant article analysant le jugement de la Cour spéciale sur la Sierra Leone dans l’affaire Kondewa sur la base d’une lecture de Tintin au Congo, Provost (2013) montre comment les décisions de ce tribunal renvoient aussi à une certaine dramatisation de la supériorité de la rationalité occidentale incarnée par la justice pénale internationale sur les « croyances irrationnelles » africaines (à l’image de Tintin). La modernité du tribunal s'approprie volontiers le mysticisme perçu comme absurde des populations lorsqu’il s’agit d’obtenir une condamnation, à travers une « charitable suspension of incredulousness ». De même, on pourrait dire que le Rwanda s’approprie volontiers la justice traditionnelle lorsqu’il s’agit de renforcer son statut d’État postcolonial et postgénocide.

L’une des conséquences est cependant que la « croyance » africaine serait réduite à un simple fait juridique : le mysticisme qui fait croire aux pouvoirs magiques de Kondewa est tout bonnement ce qui permet d’asseoir sa responsabilité de commandant, entendue comme une catégorie juridique éminemment occidentale ; les gacaca n’ont pas de valeur intrinsèque portée par exemple par ce qu’il resterait socialement de croyance locale en leurs vertus, mais uniquement une valeur extrinsèque qui leur est conférée par le droit de l’État rwandais. Le droit international et le droit de l’État postcolonial se parlent ainsi à eux-mêmes, dans des termes qui leur sont propres, l’Afrique ne servant à la limite que de faire-valoir. Mais il est bien sûr possible et même vraisemblable que l’éludé ou le camouflé – la croyance africaine hétérodoxe à une responsabilité des enfants soldats par exemple ou, peut-être encore, en une autre justice qui ne serait ni internationale ni un pur produit de l’imagination postcoloniale – revienne sinon hanter la justice pénale internationale, du moins peupler les parcours transitionnels africains.