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Dans la collection « Le travail du social » dirigée par Alain Vilbrod chez L’Harmattan, Jean Bastide vient de publier un ouvrage intéressant sur l’histoire de l’Ecole pratique de service social (EPSS). Ce livre est d’abord une monographie, qui décrit, à partir d’un travail sur des archives et des lectures, l’histoire de cette école depuis sa fondation en 1913 par le pasteur Paul Doumergue, l’un des pionniers du christianisme social protestant, jusqu’à aujourd’hui.

En elle-même, cette histoire d’une association particulière est déjà instructive par l’illustration qu’elle donne des espérances et des vicissitudes que connaissent beaucoup d’associations. Ainsi, la crise de financement de la fin des années 50, liée au tarissement des inscriptions, au développement de la concurrence, à la faiblesse et à la volatilité des concours publics, est une situation que connaissent encore aujourd’hui certaines associations. La capacité à rebondir, à saisir les opportunités et à s’adapter a permis la poursuite du projet initial de cette école dans des contextes bouleversés par les évolutions sociales et politiques.

Gide et le comte de Chambrun

L’intérêt de l’ouvrage dépasse cependant son aspect monographique, élargissant ainsi son lectorat potentiel. On y trouve en effet des informations utiles sur différents aspects de l’histoire du travail social et de ses liens avec l’économie sociale. Par exemple, l’EPSS est le fruit d’initiatives antérieures dont celle engagée en 1888 à Nîmes par le pasteur Tommy Fallot avec Charles Gide sous la forme d’une Association protestante pour l’étude pratique des questions sociales. Les activités pédagogiques de l’EPSS débutèrent dans le cadre du Musée social, que le comte de Chambrun avait mis à la disposition des pionniers de l’économie sociale dans la perspective de l’Exposition universelle de 1900. Lors de l’inauguration de cette institution, en 1894, Charles Gide y voit un « laboratoire sociologique » et un progrès d’importance comparable à celui de l’Institut Pasteur. Le récit de Jean Bastide permettra de comprendre la proximité, mais aussi les nuances existant entre catholiques et protestants au sein du christianisme social et leurs rapports avec les courants socialistes. Il pourra également découvrir comment la professionnalisation du travail social se dégage de l’engagement bénévole de femmes de milieux aisés, devenues militantes pour améliorer le sort des populations maintenues dans la misère. Il saisira enfin l’influence nord-américaine dans la construction des métiers du travail social ou dans les bourses d’études financées par les fondations américaines.

Sociopraxie

Les liens entre l’économie sociale et le travail social sont donc forts, même s’ils sont aussi complexes. Rien d’étonnant à cela, dans la mesure où l’une et l’autre partagent une même volonté : favoriser la transformation des hommes et de la société pour trouver des réponses concrètes à la question sociale et développer les capacités d’émancipation des personnes. Comme un leitmotiv, le slogan « Penser pour agir, ne pas agir sans penser », qui inspirait les fondateurs, revient à plusieurs reprises dans l’ouvrage. La nécessité du savoir pour transformer le monde est affirmée, mais en invitant à sortir de processus de formation seulement académiques. La parenté entre le travail social et l’économie sociale, entendue comme « sociopraxie » (Draperi, 2013, XXVe colloque de l’Addes, www.addes.asso.fr), est évidente. L’un et l’autre appellent expérimentations et tâtonnements.

Les deux dernières parties de l’ouvrage de Jean Bastide poursuivent cette réflexion, mais ne sont pas du même tonneau. S’y trouvent certes réaffirmées la spécificité d’une formation professionnelle et la volonté d’une reconnaissance des savoir- faire accumulés au sein des écoles de travail social au cours du xxe siècle, dont l’expression politique se cristallise aujourd’hui, notamment avec l’Unaforis, dans la promotion des hautes écoles professionnelles pour l’action sociale (Hepas). L’auteur se livre cependant, dans ces deux parties, à des analyses des évolutions récentes du contexte dans lesquelles se débattent toutes les associations de solidarité. La décentralisation et le nouveau rapport au territoire, la marchandisation et les nouvelles formes de financements publics, l’évolution des formes d’engagement des hommes et des femmes et de leurs rapports aux institutions, autant de phénomènes sur lesquels, à partir de l’exemple de l’EPSS, la réflexion de l’auteur monte en généralité sans perdre de sa pertinence.

Malgré un manque d’unité entre les différentes parties de l’ouvrage Une école de service social dans le siècle, leur complémentarité et l’intérêt de chacune en font à la fois une mine de connaissances nourries de l’histoire du siècle dernier et une source d’analyses et d’idées en prise avec le contexte actuel et à venir qui peuvent intéresser de nombreux lecteurs de la Recma.