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Introduction

Les formations professionnelles, tant initiales que continues, s’appuient sur des temporalités et des territoires cherchant à mettre en valeur l’activité au travail, le développement de compétences, l’apprentissage du métier et/ou sa transmission selon des formes organisationnelles et des modèles pédagogiques variables. Souvent, au détour d’une réflexion sur la problématique de l’alternance en formation, on évoque la question des rythmes et celle des processus de confrontation, de convergence, d’articulation et/ou d’intégration entre différentes situations, supposées porter ou transmettre des savoirs. Ces configurations formatives, dont certaines se revendiquent de l’alternance de temps et d’espaces (Maubant, 2007), posent le plus souvent, comme postulat, l’usage de différentes expériences comme cadre et prétexte pour penser les situations didactico-pédagogiques.

Que ces expériences soient passées ou qu’elles se constituent, se conçoivent et se développent dans l’activité du travail au sein de situations formatives ou non, formelles, non formelles, voire informelles, ces expériences sont le plus souvent considérées par les concepteurs de formation comme un capital patrimonial sur lequel et à partir duquel le futur professionnel construira et développera ses compétences (Jorro, 2007). Ce capital patrimonial pourra être revendiqué, tour à tour et/ou conjointement par l’entreprise et/ou par le travailleur. Il pourra être mis en valeur sur un plan individuel et/ou collectif (Wittorski, 1997). Ces différentes expériences semblent révélées par les différentes situations rencontrées par l’individu. Lorsque ces situations sont pensées selon une visée formative, il s’agit alors d’en extraire la valeur éducative, celle-ci s’exprimant tour à tour en terme de développement de compétences, d’apprentissage professionnel et/ou de transmission professionnelle. Selon cette finalité formative et éducative, les stages semblent donc être des espaces et des temps supplémentaires, prescrits, imposés et structurant les formations professionnelles. Ils peuvent être aussi pensés comme des éléments indispensables et constitutifs de toute formation professionnalisante. Mais ils peuvent être aussi identifiés comme des compléments, des outils d’aide aux apprentissages, des facilitateurs didactico-pédagogiques.

Soulignons que les formations professionnelles, en particulier celles préparatoires aux métiers adressés à autrui, ont reçu un mandat de se professionnaliser (Wittorski, 2008). En effet, l’ingénierie des formations professionnelles est soumise aujourd’hui à des discours puissants en faveur d’une professionnalisation, qui relèvent d’injonctions institutionnelles visant deux principaux objectifs : la professionnalisation des parcours de formation d’une part et le renforcement des liens entre les organismes de formation et les milieux professionnels d’autre part. Le second objectif semble souvent être la condition du premier. Autrement dit, il ne peut y avoir de professionnalisation des parcours de formation qu’à la condition d’un renforcement des collaborations, voire des partenariats entre l’organisme de formation et l’entreprise (Landry et Serre, 1994). Or, la situation, semblant particulièrement incarner cette ambition de partenariats est le stage en milieu de travail. C’est pourquoi se développe aujourd’hui, au sein des formations professionnelles, un profond « désir de stages » pouvant aller jusqu’à donner forme et légitimité pédagogique à certains dispositifs ou modèles de formation ou d’apprentissage au travail (Durand et Bourgeois, 2012), de formations intégrées en milieu de travail (Barbier, 1996), cherchant ainsi à associer plus étroitement les milieux professionnels et les organismes de formation. Ces dispositifs ou modèles ont des formes reconnues par l’institution. C’est le cas, par exemple, des modèles coopératifs au Québec, formant les ingénieurs ou les juristes. Ils disposent aussi, semble-t-il, d’une pédagogie spécifique : celle de l’alternance.

Mais en quoi les stages peuvent-ils être considérés comme des occasions d’expériences ? De quelles expériences s’agit-il ? Qu’ont-elles comme visée ? Les stages constituent-ils des territoires générateurs des expériences ou sont-ils des conditions d’apprentissages expérientiels ? L’apprentissage est-il nécessairement expérientiel ? Quelle finalité est-elle poursuivie lorsque les expériences sont perçues comme un capital patrimonial ? Ce capital peut-il faire l’objet de formation, d’apprentissage, voire de transmission ? Dans les formations professionnalisantes, peut-on identifier et caractériser d’autres situations que les stages qui permettent la capitalisation d’expériences ? Il s’agit donc ici d’une première série de questions cherchant à comprendre les articulations et les zones de tensions entre stage, situation et expérience.

Mobiliser et renforcer les occasions de stage dans une formation professionnelle visant à soutenir un objectif de professionnalisation des parcours de formation semble donc aujourd’hui, pour les concepteurs de formation et pour les usagers, aller de soi. Les situations de stage seraient ainsi pensées comme des situations productrices d’expériences à dominante professionnelle, même si ces expériences semblent contenir des compétences, autres que professionnelles ou techniques, en l’occurrence des compétences psycho-sociales (Faulx et Petit, 2010). Cette convocation de situations productrices d’expériences professionnalisantes servirait aussi à marquer la caractéristique professionnelle et la finalité professionnalisante des formations. Les situations de stages participeraient en quelque sorte de l’attribution d’un « label professionnel » aux formations. Elles porteraient ainsi en elles différents atouts et potentialités. Elles seraient animées par des professionnels experts. Plus que des illustrations, voire des applications de théories, de prescriptions, de protocoles ou de procédures apprises en formation, les situations de stage garantiraient « un éprouvé » de l’agir professionnel.

De plus, elles fourniraient à l’ingénierie de formation un capital de savoirs, de compétences, souvent rassemblés et nommés comme des expériences de terrain, des expériences sur le tas ou des expériences professionnelles. Les situations de stages constitueraient dès lors la marque de fabrique des formations professionnalisantes. Néanmoins, il demeure que, même si ces situations de stage sont souvent décrites par les différents acteurs de la formation comme proches de la vraie vie, elles sont, semble-t-il, des sources inspirantes pour penser une pédagogie de l’alternance, soucieuse de faire dialoguer les savoirs présents dans différentes situations au service de l’apprentissage d’un métier. La reconnaissance de cette proximité des situations de stage avec les situations professionnelles semble encourager les formateurs à vouloir préserver une zone d’intervention et de pouvoir dans la conception, la réalisation et l’évaluation de la formation professionnelle. Mais de quoi sont constituées ces situations de stage ? De quoi sont composées ces expériences professionnelles produites par les situations de stage ? De savoirs pratiques, de savoirs de la pratique, de savoirs professionnels, de compétences ? De recettes ou des tours-de-main ? Comment ces situations de stage sont-elles perçues par les stagiaires ? Comment procèdent-ils pour en faire des expériences ? Comment et à quelles fins ces expériences sont-elles mobilisées pour apprendre le métier ? Peuvent-elles être réinvesties au-delà de la formation, à quel prix et sous quelles conditions ? Si ces stages sont des expériences, en quoi constituent-ils des expériences singulières ? Comment inscrire celles-ci dans une formation professionnalisante visant l’apprentissage et le développement professionnel ? Doit-on parler d’expériences de stage ou si les stages sont en eux-mêmes des expériences parmi d’autres ? Nous proposons ainsi une seconde série de questions visant à soulever les enjeux des liens et des tensions entre stage, situation, expérience, apprentissage et développement.

Cet article poursuit donc deux objectifs : d’une part, nous cherchons à mettre en évidence la façon dont l’expérience de stage est vécue par le futur professionnel, ce qu’il en dit et ce qu’il en fait. Comment capitalise-t-il cette expérience de stage et à quelles fins propose-t-il de la convoquer ? Nous proposons donc d’identifier les fondements de ces expériences particulières que sont les stages. C’est souvent en terme de récit (Ricoeur, 1986) que l’expérience est réfléchie après coup. Cet article cherche donc à rendre compte précisément de la nature de ce processus que constitue la construction de ce récit de l’expérience de stage. D’autre part, nous proposons également de mettre en lumière comment l’expérience modifie les habitus (au sens de Bourdieu) du stagiaire. Si nous considérons que différentes situations sont productrices d’expériences, en quoi celles-ci interfèrent avec l’expérience en construction, née dans et par les situations de stage ? Comment le stagiaire ose-t-il s’affranchir d’un habitus incorporé par les différentes situations vécues antérieurement, en particulier les autres situations sociales et/ou professionnelles ? Comment dépasse-t-il la pratique consolidée, voire enkystée par les différentes expériences construites jusqu’alors pour penser, hic et nunc, une autre manière d’agir professionnellement (Roger, Maubant et Mercier, 2012) ? Ce texte envisage de contribuer à une théorisation de la notion d’expérience, pensée comme le produit d’un dépassement d’un récit de formation à un récit d’apprentissage.

1. De la difficulté de définir et caractériser l’expérience

Notion de sens commun, l’expérience semble partie prenante de l’ingénierie de formation (Mayen et Mayeux, 2003). L’expérience serait intrinsèquement formative. En disant cela, on ne dit rien sur les conditions pour faire des différentes situations, productrices d’expériences, des situations formatives, voire des situations d’apprentissage. Or, selon la démarche ergologique, proposée par Schwartz (2010), « l’expérience ne peut être formatrice que si l’on suppose chez cet être une tentative continue d’intégrer les évènements… Nul ne sait exactement qui il est quand il fait expérience, ni exactement en quoi elle consiste» (Schwartz, 2010, p. 12). Cette démarche mobilise et interroge le concept d’expérience pour deux principales raisons. La première est que l’expérience est pensée comme le fruit d’une relation entre le travailleur et son environnement. « Le milieu de vie désigne le monde réel tel que chacun tend à le reconstruire autour de soi, afin de se vivre en être singulier » (Durrive, 2011, p. 26). De cette relation et de ces rapports entre le sujet et le monde sensible naît l’expérience du sujet. Mais la démarche ergologique interroge aussi l’expérience comme une zone d’ombre de l’activité du travail qu’il convient de révéler, de mettre au jour et d’analyser. En effet, la part d’opacité de l’activité du travail semble se nicher dans l’expérience du travailleur. On ne sait pas exactement ce que l’expérience contient : des savoirs de la vie, des savoirs sur la vie, des savoirs pour la vie ? Des techniques, des routines, des ficelles de métiers ? Quoi qu’il en soit, nous pouvons constater que nous attribuons à l’expérience une dimension de valeur et que nous projetons sur elle un désir de savoirs. La présence de ces valeurs et de ces savoirs, portés et constitués par l’expérience du sujet, s’explique en partie parce que cette expérience semble se situer dans son passé proche ou lointain. Cette inscription de l’expérience dans différentes temporalités lui confère une nécessaire distance à l’égard de la situation présente forçant ainsi le sujet à s’engager dans un processus de réinterprétation des situations vécues, sous deux primats paraissant cohabiter et pas nécessairement s’affronter : le primat du monde de l’entendement qui cherche à reconstruire, selon un mode rationnel, le passé. Le primat du monde sensible traversé d’émotions, d’évènements, d’anecdotes, d’incidents, d’erreurs, de succès, de réussites et d’échecs.

Pour figurer ces rencontres entre le monde de l’entendement et le monde sensible, constituant ce que nous pourrions appeler les expériences du sujet, l’individu saisit des indices. Il s’agit de savoirs ou de connaissances dont le statut et la forme diffèrent en fonction du sens que lui attribue le sujet. Certains savoirs ou connaissances sont le fruit de la raison théorique, d’autres de la raison pratique. En forçant au dialogue entre raison théorique et raison pratique, le sujet cherche à donner sens aux expériences et à leurs usages dans la construction d’un rapport entre situations et les différentes formes et figures de l’agir humain. Nous pensons que les expériences pourraient donc incarner cette rencontre entre un projet de construire un rapport rationnel au réel, autrement dit une manière de penser l’activité humaine, et une relation nécessairement et intrinsèquement interprétative et subjective du sujet à l’activité, sous l’emprise d’interprétations de la réalité et de conceptions variées et provisoires de l’agir humain. La rencontre du sujet avec l’activité, hic et nunc, produirait ainsi des rappels d’expériences, productrices de connaissances. Ces expériences seraient convoquées par le sujet selon une proximité avec d’autres situations que la situation nouvellement rencontrée. Mais ces « autres » situations ne seraient pas sélectionnées en fonction de leur proximité temporelle et/ou spatiale ou contextuelle avec la nouvelle situation rencontrée. Elles seraient en quelque sorte interrogées au regard d’une double unité : l’unité de sens de la situation et l’unité de sens de l’activité (Maubant, 2013). Ce dialogue entre unité de sens de la situation et unité de sens de l’activité permettrait de caractériser le projet d’agir pensé, exprimé, explicité par le sujet. Ce processus de réaction-confrontation entre des situations-expériences d’activité et des situations-projets d’agir soutiendrait alors un dialogue entre différentes formes de savoirs, pouvant constituer des savoirs-ressources pour agir en situations. Mais pour que ces dialogues s’engagent, encore convient-il d’accompagner le sujet dans la problématisation de l’activité en situations. Cet accompagnement requiert un tiers, favorisant l’explicitation des représentations face au problème constitutif de l’activité à réaliser. Ces dialogues seraient ainsi l’une des conditions pour penser les situations comme des situations porteuses d’apprentissage et de développement. Dans cette perspective, l’expérience formatrice pourrait ainsi constituer le chaînon intermédiaire entre l’expérience passagère et l’expérience capitalisée (Jorro, 2011a). Il y aurait expérience formatrice lorsque le sujet serait en mesure de construire une connaissance éprouvée, le mobilisant tant au plan corporel, émotif que cognitif. Cette connaissance construite serait aussi délimitée, le sujet étant en mesure de décrire et de caractériser la situation et l’évènement l’interpellant. Cette connaissance serait aussi réfléchie, la problématisation et l’appréciation de la situation étant au coeur de l’activité du sujet. Elle serait aussi attestée, le sujet étant en mesure de rendre compte des apports et des limites de cette expérience. Enfin cette connaissance issue d’une expérience formatrice serait intégrée au capital de connaissances du sujet et disponible pour faire face aux situations à venir. Cette dernière acception de la connaissance produite serait au coeur de la problématique de l’évaluation de l’expérience en formation. Nous pourrions ainsi considérer que ces différentes dimensions du processus de construction de la connaissance en situations peuvent caractériser une expérience qui ne soit plus seulement formatrice, mais qui soit une expérience d’apprentissage. Selon cette perspective, nous considérons que les savoirs professionnels font l’objet, de la part du sujet travailleur, d’une réinterprétation produisant dès lors des connaissances finalisées pour agir, au détour d’une activité mise en apprentissage parce que problématisée, en l’occurrence, ici, professionnelle.

En s’intéressant aux métiers de l’enseignement, Wittorski et Briquet-Duhazé (2008, p. 21), citant Tardif et Lessard (1999), considèrent que ce qui caractérise l’enseignant, « c’est la production de savoirs d’expérience qui ont pour propriété d’être ouvragés, liés aux tâches, façonnées, pratiques, interactives, syncrétiques et pluriels, hétérogènes, complexes et non analytiques, ouverts, poreux, perméables, existentiels et faiblement formalisés, temporels et évolutifs » (Tardif et Lessard, 1999, p. 369). Wittorski et Briquet-Duhazé nous invitent ici à regarder de près les situations comme productrices de savoirs d’expériences dont la caractéristique est d’être directement façonnés par les situations vécues par le professionnel. L’arrimage des savoirs d’expériences aux situations semble donc constituer une première illustration des rapports entre activité du travail et situation. On ne sait pas non plus sous quelle forme et dans quelle situation l’expérience apparaît à l’analyste de l’activité ni sous quelle forme elle est conscientisée par le sujet. La prise en compte des différentes formes de langages comme indices de l’expression des expériences semble centrale pour la démarche ergologique, comme elle l’est d’ailleurs aussi pour les autres théories d’analyse de l’activité située du travail, qu’il s’agisse de l’ergonomie ou de la clinique de l’activité. Le recours au construit de savoirs professionnels souligne la nécessité d’expliciter ces savoirs de l’expérience.

Baslev, Tomynska et Vanhulle (2011) définissent les savoirs professionnels des enseignants à partir de quatre attributs :

  • le mode de production des savoirs professionnels : « Leur élaboration résulte de l’appropriation d’offres multiples de savoirs pour la profession ou de modes d’appréhension de celle-ci, externes et construits socio-historiquement, qui circulent dans l’alternance entre les lieux de formation et qui pré-organisent la profession. » (Baslev, Tominska, et Vanhulle, 2011, p. 90) ;

  • les fondements des savoirs professionnels : ce sont « des savoirs de référence académiques (savoirs issus de la recherche et théories en éducation, enseignés en tant que tels ou plus ou moins retraduits sous forme de prescriptions par les formateurs universitaires), des orientations institutionnelles, des théories et des savoirs, et de la pratique, conseils, prescriptions contextuelles et normatives, transmis sur le terrain des stages par les tuteurs » (Baslev, Tominska, et Vanhulle, 2011, p. 90) ;

  • les systèmes d’interactions et de caractérisation des savoirs professionnels : l’élaboration des savoirs professionnels « est indexée aux expériences vécues par le stagiaire dans le cours même des situations de travail en stages et aux perceptions, affects et justifications qu’il relie à ces expériences. Elle dépend de son histoire, de ses projets, croyances, valeurs » (Baslev, Tominska, et Vanhulle, 2011, p. 90) ;

  • les processus de mise en sens des savoirs professionnels : l’élaboration des savoirs professionnels serait affectée d’un processus de mise en sens de l’activité du travail, par le travailleur, en fonction « des reconstructions de ses représentations du métier qui découlent des continuités et ruptures marquant les passages d’un stage à l’autre et les allers et retours entre l’université et les contextes scolaires qu’il traverse » (Baslev, Tominska, et Vanhulle, 2011, p. 90).

L’intérêt de choisir le construit de savoirs professionnels pour définir le produit des expériences d’activité du sujet est moins dans la mise à jour de ses caractéristiques que dans la compréhension des fondements de ces savoirs. Ils sont bien le fruit des expériences du sujet. Mais il ne s’agit pas d’expériences de la pratique, mais davantage d’expériences issues d’une mise en oeuvre de l’intelligence de l’activité. La perception compréhensive des savoirs professionnels comme produit des expériences du sujet n’est rien si l’analyse de l’activité du travail n’identifie pas les indices de présence de ces savoirs professionnels et si elle ne révèle pas les processus et les conditions de leur élaboration. L’analyse du langage du travailleur semble donc nécessaire, en particulier dans l’analyse de l’activité du travail dans les métiers adressés à autrui. Car le langage figure et donne la forme même de l’interaction entre l’intervenant et le bénéficiaire de l’intervention. Le langage est en quelque sorte l’emblème de l’intervention s’adressant à autrui.

2. La formalisation de l’expérience par le langage ou la nécessaire construction du récit de soi

Si Rey (2011) soutient que les savoirs ont besoin d’un texte, il semble toutefois pertinent de chercher à comprendre cette notion de texte en ce qui concerne les savoirs professionnels. Pour Ricoeur, le texte existe préalablement dans le discours ; qu’il soit ou non prononcé. Le discours existe s’il est pensé ou encore s’il s’exprime dans l’action. Ainsi, toute action mise en sens est un texte, puisque toute action peut être racontée. On peut présenter le texte comme étant la forme narrative de toute action. Et puisque l’action se déroule dans le temps, il y a, à l’intérieur du texte, une synthèse de cette temporalité qui en fait une histoire sensée, autrement dit, un récit. Les mots seuls, constitutifs, des récits sont des signes qui réclament d’être mis en contexte pour être interprétés. Ils doivent donc être pris dans la complétude et dans la complexité de leurs phrases et à l’intérieur du texte auxquels ils appartiennent pour que le sens puisse être trouvé. Ainsi un texte peut être défini (tel qu’il apparaît), expliqué (dans ses rapports internes et sa structure) ou encore interprété (en le restituant à la communication vivante) (Rey, 2011, p. 146). Cette interprétation demande une appropriation du texte de la part du lecteur. Et dans un tel cas, le texte, déjà porteur de sens, prend une signification nouvelle et vient modifier le « soi » du lecteur.

Il y a toutefois certains aspects qui font en sorte que le discours soit difficile à transposer en texte. La situation dans laquelle l’action se déroule ou le discours prononcé porte souvent en elle des éléments contextuels qui donnent un sens propre aux actions. La détermination et la stabilisation de ces actions se font dans l’histoire du sujet, ce qui lui donne une signification intra-personnelle. Toutefois, il y a dans l’action une part d’insaisissable de représentations qui ne restent pas, qui semblent s’évaporer, voire disparaître. Cela s’explique en partie par l’intentionnalité non-révélée du sujet, par son imagination, en particulier ses représentations, qui vagabondent, et par sa raison pratique. Ricoeur, en s’intéressant à l’insaisissable des actions humaines, porte davantage sa proposition d’interprétation de l’agir humain, à partir de l’action elle-même. C’est donc à partir de l’observation de cette même action qu’il en propose une lecture. Lecture qui, tel un texte, doit être appuyée sur des signes et symboles, qu’il nomme règles d’actions. Ces « modèles pour agir » (Ricoeur, 1986, p. 249) permettent non seulement une lecture, mais également la mise en texte de cette même action. Ainsi, l’inscription sociale des actions humaines dans l’histoire du sujet devenant possible à travers ces règles, la signification peut être réinvestie ensuite par une réactualisation de l’action dans de nouveaux contextes sociaux. La figure 1 représente la construction du récit chez Ricoeur.

Figure 1

Construction du récit de l’expérience

Construction du récit de l’expérience

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Selon cette perspective, et en épousant la thèse de Baslev, Tominska et Vanhulle (2011), si l’on souhaite débusquer les savoirs professionnels au sein de l’analyse de l’activité, il nous apparaît important, non seulement d’étudier le langage exprimé par le sujet, autrement dit, la mise en mots de l’activité du travail, mais aussi « d’étudier les conditions de production des discours en formation professionnalisante » (Baslev, Tominska et Vanhulle, 2011, p. 97). Nous pourrions ajouter qu’il s’agit d’analyser les conditions historiques de production des discours. En effet, nous pouvons nous interroger sur la manière de penser, dans les formations professionnalisantes, certaines activités, supposément formatrices, d’activités d’intégration ou de séminaires d’analyses de pratiques qui semblent principalement chercher à adopter certaines doxas constitutives des discours pour la professionnalisation. Or, selon nous, ces différentes activités ne permettent guère de révéler l’explicitation des conceptions de l’activité, par un travailleur ou un futur professionnel.

Le récit des pratiques, tel qu’on l’observe parfois au cours des séances de retour de stage n’est guère une activité formatrice, ni même une activité d’apprentissage si elle n’est pas pensée et finalisée au regard d’un objectif de construction de connaissances. Dès lors, une analyse de l’activité, qui s’appuie sur un récit des pratiques vécues en stage requiert donc une mise en texte de l’activité, pour identifier les connaissances rappelées en mémoire à partir de la mobilisation de différentes situations, les savoirs professionnels, formels et non formels, pour réaliser cette activité et les nouvelles connaissances produites dans et par l’activité.

Enfin, on ne sait pas non plus à quel moment l’expérience se constitue, ni selon quelles temporalités elle se trouve convoquée par le sujet. Dès lors, la question du rapport entre savoir et activité du travail, entre situation et activité du travail, entre langage et activité du travail, entre temps et activité du travail, entre situation, activité et apprentissage se pose à celui qui a pour ambition de saisir et de comprendre l’activité du travail. Doit-on « regarder toute activité de travail comme un moment de vie » (Durrive, 2010) ? L’approche ergologique réaffirme ici le primat du sujet dans l’analyse de l’activité, non pas un sujet opérant, mais un sujet pensant son agir. Nous disposons par ces travaux d’une épistémologie de l’activité qui cherche à prendre ses distances d’une part avec les fondements psychologiques de l’ergonomie du travail et, d’autre part, avec les fondements psycho-cliniques de la clinique de l’activité.

3. L’expérience et le développement de l’habitus

Cherchant à comprendre les liens entre expérience, activité et situation à partir d’un projet qui ne soit pas seulement de penser la formation, mais aussi qui soit en mesure de penser l’apprentissage et tout particulièrement l’apprentissage professionnel, nous proposons d’interroger brièvement la notion d’habitus. En effet, dans quelles mesures et à quelles conditions, l’habitus est-il constitutif de l’expérience du sujet ?

En tant que « systèmes de dispositions durables et transposables, l’habitus constitue le principe générateur et organisateur de l’activité et de sa représentation. L’habitus est aussi le fruit d’une production sociale, d’un héritage culturel qui relève de l’histoire des collectifs et des organisations humaines (Bourdieu, 1970). Le sujet humain, bien qu’il incorpore l’extériorité dans lequel il se trouve, le fait de façon inconsciente, souvent à l’aune de processus mimétiques. L’habitus se manifeste dans le sens pratique, selon une logique de l’action (Bourdieu, 1972). Il y a donc dans l’habitus une cognition inconsciente de l’activité. Cet habitus, développé dans des champs sociaux et professionnels, entraîne une complicité entre les acteurs issus d’une même organisation ou d’un même groupe socio-professionnel et donc porteur des mêmes habitus. L’analyse de l’expérience permet précisément de repérer des formes d’action qui impliquent un habitus. Trois situations-types caractérisent les liens étroits entre habitus et expérience professionnelle :

  • lorsque l’expérience de stage fait l’objet d’une analyse approfondie, les formés semblent souvent surpris de décrypter des routines de travail propres aux organisations, aux services, aux interactions entre professionnels. Or, ces routines ne leur apparaissent pas de prime abord (Lacourse, 2012). C’est par un travail d’analyse que l’habitus est conscientisé ;

  • de même, ces habitus présents dans l’activité, mais non révélés ni explicités nous conduisent à interroger la pertinence des stages, leurs statuts, leurs fonctions et leurs usages, en formation professionnelle, en particulier dans la formation à l’enseignement. Ainsi, lorsqu’un stagiaire investit un contexte de travail, il n’est pas nécessairement en mesure d’identifier des indices d’habitus, souvent masqués par des codes longuement réglés et éprouvés au sein des contextes de travail. La convocation de formes pédagogiques, privilégiant une mise en sens des différents espaces-temps formatifs, peut se révéler nécessaire pour faire des expériences de stages, des prétextes à faire exprimer et expliciter les habitus observés. Encore convient-il de préparer le futur stagiaire à la nécessité de repérer en contexte, voire en situations, des traces d’habitus ;

  • par ailleurs, dans un contexte de mondialisation favorisant une précarité des formes d’organisation du travail et par une remise en cause de la manière de penser et d’agir professionnellement, il nous semble important d’inviter de futurs professionnels à identifier les différents habitus présents dans l’activité.

Ces différentes situations montrent la puissance de l’habitus au travail et la nécessité de penser les expériences comme des situations intégrant cette dimension essentielle de l’activité humaine.

4. Les formes d’expériences à prendre en considération au cours d’une formation professionnelle à visée professionnalisante

Nous présentons ici quelques extraits tirés d’une recherche empirique portant sur les fondements des savoirs professionnels des enseignants du primaire au Québec[1]. Dans le cadre de cette recherche, nous avons interrogé des enseignants titulaires d’un baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire. Un premier échantillon de neuf enseignants ayant plus de cinq ans « d’expériences de travail » a été constitué. L’objectif était ici de pouvoir identifier les représentations de ces travailleurs concernant l’apprentissage du métier, à l’issue de la formation professionnelle de quatre années et dans le cadre des cinq premières années dans l’emploi. De plus, un second échantillon de dix enseignants en 4e année de formation au baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire à l’université de Sherbrooke a été interviewé. Les deux groupes d’enseignants ont été soumis à des entrevues collectives et à des entrevues individuelles. L’un des thèmes des entrevues portait sur ce qui avait constitué ou pu constituer, avant et pendant l’emploi, des situations, y compris les situations de stage, des situations porteuses d’apprentissage du métier et porteuses de développement professionnel. Nous avons effectué une analyse des discours par l’usage des catégories conceptualisantes (Paillé et Muchielli, 2005). De l’analyse de ces données, nous avons pu dégager six champs de situations, qualifiées par les enseignants rencontrés, d’expériences constitutives, selon eux, de l’apprentissage du métier. Pour chacun de ces six champs, nous présentons quelques extraits, parmi les plus significatifs recueillis, traités et analysés.

Tableau 1

Champs d’expérience constitutifs de l’apprentissage du métier

Champs d’expérience constitutifs de l’apprentissage du métier

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À la lecture de ces données, nous sommes en mesure de discuter de l’allant-de-soi, très répandu en formation professionnelle, comme quoi l’expérience acquise dans les stages serait une expérience unique et qu’il conviendrait de développer une certaine lecture de l’alternance en formation, celle-ci étant la garantie d’une formation dans et par les situations de travail. Or, dans la formation à l’enseignement au Québec, les retours de stage, parfois appelées activités d’intégration, s’appuient sur l’unique expérience vécue en stage et plus précisément sur l’analyse des activités réalisées pendant ces périodes de stage (Roger, Maubant et Mercier, 2011). Or, d’autres champs d’expérience ont été vécus par le formé, parfois durant le parcours de formation à l’enseignement, et ceci dans différentes situations, et pas seulement lors des situations de stage, mais parfois aussi, en dehors de la formation. Il devient donc nécessaire, non seulement de convoquer ces différents champs d’expérience, mais également d’accompagner les futurs professionnels dans une démarche réflexive d’analyse et de compréhension des différentes expériences vécues au travers des différentes situations rencontrées. Dans cette perspective, il conviendrait sans doute de les inviter à faire dialoguer leurs « autres » expériences avec les situations de formation à l’enseignement, par lesquelles et dans lesquelles, différentes théories, différents modèles d’action, différentes démarches didactico-pédagogiques leur sont proposés. Cela devrait les conduire à une meilleure compréhension de ces différentes expériences à partir d’une reconstitution du récit et de la genèse du processus de construction de connaissances, autrement dit du processus d’élaboration évaluative de leurs savoirs expérientiels.

5. L’expérience  formatrice : une attribution de valeur  sur l’action vécue

Nous avons distingué plus haut l’expérience passagère de l’expérience capitalisée en soulignant la place et la fonction d’interface de l’expérience formatrice. L’expérience formatrice suppose une activité interprétative chez le stagiaire, donnant alors du sens à l’action vécue, attribuant de la valeur, et par conséquent hiérarchisant ce qui lui importe du point de vue des savoirs de l’action et des savoirs du métier. Un processus auto-évaluatif le conduit à construire une appréciation sur ce qu’il convient de faire, sur ce qu’il modifiera « le jour d’après », sur ce qu’il « sait désormais » faire et sur ce qu’il lui reste à engager « dans les prochains jours » pour gagner en valeur. Or, la question du sens de cette valeur est centrale, selon nous, si l’on veut faire de l’expérience formatrice une expérience d’apprentissage. En effet, quelle est la valeur recherchée par ce processus auto-évaluatif ? Une valeur d’efficacité, une valeur d’efficience ? Une valeur d’économie d’efforts ? Une valeur de dépassement, de développement personnel ? Autant de choix offerts au sujet. Mais autant de voies obligées, aussi, commandées par le contexte de travail ou imposées par des doxas, des doctrines ou des idéologies. Si l’on veut faire de cette valeur une valeur d’apprentissage, convoquons la proposition de Reboul (1992, p. 1) lorsqu’il nous rappelle qu’ « apprendre, c’est parvenir à mieux faire, à mieux comprendre, à mieux être. Or qui dit qui dit valeur, dit mieux… Il n’y a pas, dit-il, d’éducation sans valeurs ». Favoriser un processus au-évaluatif chez un sujet se formant, c’est sans doute l’inviter à une mise en sens des situations vécues au regard d’un projet, celui d’apprendre, certes pour mieux faire, mais surtout pour mieux comprendre et pour mieux être.

La convocation des différentes expériences du sujet dans la conduite de l’activité suppose que celui-ci soit en mesure de donner du sens à son agir tout en exerçant sa capacité évaluative. Cette dernière dimension est d’autant plus importante dans un processus formatif qu’elle traduit la possibilité pour le sujet de revenir sur ses actes, d’en dégager la valeur constructive pour soi et d’en percevoir également les limites. Il s’agit aussi d’inviter le sujet se formant à noter les différentes significations du Monde, construites à partir de ce que Vygotsky (1997) nomme l’expérience cruciale, correspondant à une expérience vive, vécue pour la plupart des stagiaires (qui ont parfois peu d’expériences professionnelles) sur le mode de la « première expérience grandeur nature », laquelle révèle des impressions premières (Bachelard, 1940), laquelle participe de la construction de nouvelles connaissances, pensées à des fins de réalisation, non seulement d’une activité, mais d’un agir humain. Le processus auto-évaluatif est donc tout d’abord un processus impliquant le sujet et pouvant le conduire vers des régulations pro-actives (Allal, 2007). Cependant, l’évaluation de l’expérience, par le sujet, est parfois difficile à mener quand sa parole est difficilement dicible, peu explicitée ou encore très emprunte d’une trop grande subjectivité.

L’auto-évaluation ou l’évaluation de l’expérience, envisagée comme expérience formatrice, mais surtout pensée comme expérience d’apprentissage, supposent, préalablement, l’appropriation d’un langage spécifique du monde du travail et spécifique aussi de la formation professionnelle, en particulier lorsque celle-ci se revendique de modèles d’ingénierie de la formation (Vergnioux, 2013). L’analyse de ces deux langages révèle une seule et même logique qui prédomine à la conception du monde du travail et du monde de la formation : celle de la production. Or, force est de constater que souvent, dans les textes définissant la formation par alternance (Geay, 1998), on voit opposer deux logiques : celle de la production défendue par l’entreprise, celle de la formation revendiquée par le centre de formation. Selon nous, ces deux mondes sensibles expriment, tous deux, la même logique : celle de la production enjointe à l’efficacité à partir d’un modèle de rationalisation de l’acte humain. Si cette sémantique de la production semble omniprésente dans les discours émanant des organisations de travail et des organismes de formation, il manque une sémantique, celle de l’activité en situations, qui permettrait selon de soutenir, dans les formations professionnelles une valorisation du statut et de la fonction des expériences, mises en jeu et en « je » par le sujet se formant. Les recherches en sciences de l’éducation, notamment celles portant sur l’étude des dispositifs, processus et démarches de VAE (Olry, 2004), ont montré que cette difficulté à exprimer les différentes formes de l’expérience humaine concerne plus particulièrement les publics les plus défavorisés sur le plan linguistique. Elle ne fait souvent que renforcer la difficulté d’accès de ces sujets à l’insertion sociale et professionnelle.

Dans le contexte des formations professionnalisantes, une recherche conduite auprès de stagiaires se formant aux métiers du développement professionnel, et portant sur leurs conceptions du métier envisagé, comme certains formateurs d’adultes, les accompagnateurs VAE ou encore les conseillers emploi (Jorro, 2011a) a permis d’identifier les préoccupations principales de ces futurs professionnels. Celles-ci renvoient à la question des critères d’évaluation de l’expérience professionnelle. Quatre types de préoccupations sont avancés par les personnes rencontrées : l’entrée dans la situation de travail, le travail postural, autrement dit la réflexion engagée sur les gestes professionnels spécifiques du métier, la découverte du pouvoir d’agir, les apprentissages professionnels ciblés. Ces quatre préoccupations n’apparaissent pas avec la même intensité. L’entrée sur le terrain professionnel et le travail postural correspondent à des épreuves de passage, quasi obligées, voire souhaitées, désirées qui semblent marquer de manière profonde les stagiaires. De même, la découverte du pouvoir d’agir, de ses marges d’action, est vécue avec émotion et contribue à la prise de confiance du stagiaire qui se reconnaît alors dans ses actes (Jorro, 2011b). En revanche, la question des apprentissages professionnels, en particulier pour les sujets se déclarant comme disposant de peu ou pas d’expériences professionnelles, est mentionnée et décrite sur le mode du constat comme si les stagiaires considéraient que les savoirs d’action étaient secondaires au regard de leurs capacités à se situer devant autrui, à construire leurs places et leurs zones de pouvoirs et de responsabilité, à défendre leurs statuts et leurs fonctions en contexte de travail. Les regards que nous portons sur l’expérience sont nourris de notre représentation du Monde et sur notre conception de la connaissance. Sans ces deux conceptions-représentations, l’expérience n’est qu’un discours social. Rien de plus. Si l’on veut que l’expérience en situations prenne sens au regard d’un projet de formation et d’une finalité d’apprentissage, il convient d’accompagner le sujet dans son expression, dans son explicitation et dans son auto-évaluation.

Faire d’une expérience envisagée comme situation formatrice une expérience déclarée, exprimée et reconnue comme situation d’apprentissage, au sens d’une valeur, et donc d’un mieux-être revient, dans une formation professionnelle, à mettre en évidence la nécessité d’un dialogue entre différentes figures de l’expérience :

  • l’expérience imposée,

  • l’expérience délibérée,

  • l’expérience projetée,

  • l’expérience évaluée.

Il s’agit là des composantes expérientielles d’un agir humain, en situation professionnelle, qui sont plus ou moins conscientisées et interrogées par les stagiaires. Elles ne sont pas toujours prises en compte par les différents acteurs impliqués dans les formations professionnelles, notamment par ceux en charge d’exploiter les situations de stage. La prise en compte de ces connaissances ouvragées (Vause, 2010) en formation lors de situations d’analyse post-stage, par exemple, permettrait, selon nous, de donner du sens aux différentes expériences vécues et participerait à la prise de conscience, par le sujet se formant, des processus de développement professionnel.

Quelques éléments de conclusion

Les perspectives de recherche ne manquent pas pour chercher à analyser et à comprendre les mécanismes et processus constitutifs de l’expérience et, en particulier, ceux qui permettent de passer d’une expérience formatrice à une expérience d’apprentissage. Si pour Dewey (1938), l’expérience réfère au primat de l’action vécue, si elle est définie comme la vie même, « elle emprunte aux expériences antérieures et modifie la qualité des expériences ultérieures ». Mais l’expérience pourrait constituer aussi pour de futurs professionnels en formation une valeur éducative à inscrire et à instituer dans un parcours visant, non pas la professionnalisation de la formation, mais bien la professionnalisation de l’activité du travail. L’expérience mise à jour en situations, à des fins de formation, se doit d’être accompagnée pour être davantage dicible et explicitée afin d’aider le sujet à révéler le sens des actes réalisés et envisagés. Sans ce travail d’explicitation des discours, il n’est guère envisageable de faire des expériences formatrices des expériences d’apprentissage. Or, telle est bien la valeur de l’éducation, y compris l’éducation à finalité socio-professionnelle, celle d’un apprendre à vivre, autrement dit celle d’un apprendre à mieux-être.