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Introduction

Entre 2000 et 2009, le nombre d’usagers d’Internet à travers le monde a crû de près de 400 %, pour atteindre plus d’un milliard 800 millions de personnes fin 2009, ce qui représente un peu plus du quart de la population mondiale. En Europe, plus de la moitié de la population utilise l’Internet[3]. Ces statistiques reflètent la place très importante de l’outil internet dans la vie quotidienne des gens. Par exemple, une étude réalisée par Fleishmann-Hillard et Havas Interactive en 2008[4] a révélé que les décisions des consommateurs étaient plus influencées par l’Internet que par les médias traditionnels.

Le monde de la finance n’est pas en reste. Selon une étude TNS Sofres réalisée en 2006[5], 90 % des actionnaires étaient internautes et 50 % consultaient les sites des sociétés cotées. Léger (2008) affirme que l’Internet permet de développer la Shareholding Relationship Management et offre de nouvelles possibilités à l’entreprise pour entretenir sa relation avec l’actionnaire tels que l’information via e-mailing, la retransmission de réunions et les assemblées sur le site internet, le contenu d’un site corporatif, etc.

De nombreuses études se sont penchées sur l’utilisation de l’Internet comme vecteur de communication vers les investisseurs et partenaires financiers. Certains chercheurs ont tenté de faire ressortir les déterminants du degré de communication financière sur le site internet de l’entreprise (Ashbaugh, Johnstone et Warfield, 1999 ; Bonson et Escobar, 2002 ; Debreceny, Gray et Rahman, 2002 ; Mendes-da-Silva et Christensen, 2004 ; Almilia, 2009 ; Pozniak, 2010). Ces études ont pour objet de recherche la grande entreprise cotée sur des marchés boursiers réglementés. Or, notre recherche porte sur des petites et moyennes entreprises (PME) cotées sur le marché non réglementé belge. Les PME jouent un rôle très important dans l’économie de leur pays (Sutanonpaiboon et Pearson, 2006). En Belgique, elles représentent 99,8 % des entreprises, elles emploient 66,6 % des travailleurs et elles contribuent à hauteur de 57,4 % de la valeur ajoutée (European Commission, 2008, données 2005). Les caractéristiques particulières des PME ont été observées par plusieurs chercheurs (Torrès, 2007a, b ; Filion, 2007a, b ; St-Pierre, 1999). Raymond et al. (1990), ont étudié le lien entre ces spécificités des PME et l’implantation des technologies de l’information. Notre problématique de recherche constitue un angle spécifique d’étude de ce lien, en ce sens que nous avons voulu comprendre, dans le contexte d’un type particulier de PME, le lien entre les raisons évoquées par leurs dirigeants pour l’utilisation de l’Internet et la diffusion des informations financières sur les sites internet de ces PME.

L’originalité de notre recherche réside notamment dans son intention d’explorer un terrain vierge d’expérimentation. À notre connaissance, aucune recherche scientifique (excepté Pozniak, 2010) ne traite du cas des entreprises cotées sur les marchés boursiers non réglementés où évoluent essentiellement des PME. Nous sommes donc en présence de ce que Bouchard (2000) appelle un « territoire inexploré » ou encore ce que Deleuze[6] qualifie d’« oubli de la science ». En effet, notre étude s’intéresse aux PME cotées sur le marché non réglementé et non organisé de la Bourse de Bruxelles[7] : le Marché Libre. Créé en novembre 2004 sur la base du modèle parisien existant depuis 1996, le Marché Libre permet aux entreprises de lever des capitaux sans avoir à satisfaire l’ensemble des contraintes qui régissent un marché réglementé.

Ce marché, composé exclusivement de PME (au regard de la définition européenne), a pour principale caractéristique de n’imposer aux entreprises cotées aucune obligation en matière de communication financière. Dès lors, la diffusion d’informations financières par ces entreprises est laissée à la discrétion du dirigeant, tant au niveau du contenu, que du choix des vecteurs de communication. L’existence d’une telle communication relève donc d’un effort volontaire de la part du dirigeant. En effet, comme le précise Pourtier (2004), « en délimitant ce qui est obligatoire, nous soulignerons ce qui est, par défaut, volontaire ». En l’occurrence, sur le Marché Libre de Bruxelles, aucune diffusion d’informations financières n’est requise, toute communication financière peut donc être qualifiée de volontaire ; de là la pertinence d’étudier le lien entre la « volonté » communicationnelle des dirigeants et la diffusion elle-même.

L’Internet représente à l’heure actuelle un vecteur incontournable de communication. Il permet aux PME de communiquer avec leurs parties prenantes, tout comme les grandes entreprises et ce, malgré leurs moyens limités (Amarasena, 2008). Il est à noter que, sur le marché réglementé de Bruxelles (Euronext), la création d’un site internet et la diffusion d’informations financières sur ce vecteur sont requises par l’Autorité des services et marchés financiers[8] (FSMA, 2012). Ce n’est bien entendu pas le cas sur le Marché Libre. Dans un tel contexte, où, d’une part, aucune contrainte de communication n’est imposée aux PME cotées sur le Marché Libre et où, d’autre part, l’Internet offre la possibilité aux PME de communiquer facilement, rapidement et à moindres frais, il est intéressant d’étudier les choix de communication posés librement par les dirigeants de ces PME et les raisons invoquées.

Cette recherche tente, dans un premier temps, de relever les informations financières que les dirigeants de PME diffusent sur leur site internet. Dans un second temps, elle cherche à comprendre ce qui a amené ces dirigeants à publier ou non des informations financières sur leur site internet. Enfin, nous tentons d’établir des relations entre les deux premiers types d’informations recueillies, c’est-à-dire des relations entre les informations financières diffusées sur le site internet et les intentions évoquées par les dirigeants. Afin d’appréhender ces questions, dix dirigeants de PME du Marché Libre de Bruxelles ont été interviewés et le contenu de leurs sites internet respectifs a été analysé.

Cet article est divisé en quatre parties. Tout d’abord, une section présente notre cadre conceptuel et est donc consacrée à la communication financière sur l’Internet, aux spécificités de la PME, ainsi qu’à la place prépondérante du dirigeant en son sein. Dans la deuxième partie, la section « méthodologie », nous présentons le processus de constitution du corpus de données, de même que les procédures d’analyse. En troisième lieu, nous exposons les résultats de notre recherche et les discutons. Enfin, la conclusion présente l’essentiel de nos découvertes, les limites de notre étude, ainsi que les pistes de recherche à explorer.

1. Cadre conceptuel

Le cadre conceptuel est constitué de trois éléments. Les deux premiers éléments sont consacrés à la définition de la PME et à la spécificité de celle-ci. Le troisième est le fruit d’une recension des écrits scientifiques relatifs aux recommandations en termes de communication financière sur l’Internet et relatifs aux déterminants du niveau de diffusion d’informations financières sur l’Internet.

1.1. La PME : définition

Comme le fait remarquer Marchesnay (1991, p. 11), « il n’y a pas “la” PME » ; il existe une grande diversité de types de PME. Les définitions quantitatives de la PME sont relativement différentes d’un pays à l’autre. Par exemple, pour des pays tels que la France, l’Allemagne, les États-Unis et le Japon, une entreprise est considérée comme une PME dès qu’elle n’emploie pas plus de 500 travailleurs (Filion, 2007a). Dans le cadre de cette recherche, nous utiliserons la définition européenne étant donné que les PME étudiées sont cotées sur le Marché Libre de Bruxelles, qui fait partie, depuis 2000, de la place boursière européenne : Euronext[9]. La définition européenne stipule que « la catégorie des PME est constituée des entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan n’excède pas 43 millions d’euros » (Commission européenne, 2006, p. 5). Elle précise également que sont considérées comme « petites » les entreprises qui emploient moins de 50 personnes et dont le chiffre d’affaires annuel ou le total du bilan annuel ne dépasse pas 10 millions d’euros. On parlera de « micro-entreprise » dès lors, que moins de 10 personnes sont employées et que le chiffre d’affaires annuel et le total du bilan annuel n’excèdent pas 2 millions d’euros.

Outre les critères quantitatifs, Julien (1997) prend en considération des éléments qualitatifs pour définir la PME, à savoir une petite taille, la centralisation de la gestion autour du dirigeant, une faible spécialisation (de la direction et du personnel) dans la répartition des tâches, des systèmes d’information interne et externe simples ou peu organisés, ainsi qu’une stratégie intuitive ou peu formalisée.

Ces caractéristiques particulières de la PME seront abordées au point suivant et leur incidence éventuelle sur la communication financière sur l’Internet sera présentée dans la partie consacrée aux résultats.

1.2. Les spécificités de la PME

Selon St-Pierre (1999), il est essentiel de prendre en compte les spécificités de la PME et de ne pas la considérer comme une future grande entreprise. De très nombreux chercheurs se sont penchés sur les spécificités des PME, entre autres, Torrès, 2007a, b ; Filion, 2007a, b et St-Pierre, 1999. L’impact de ces spécificités sur le développement, l’exploitation et l’utilisation de l’informatique a été étudié par Raymond et al. (1990). Nous soulignons ici les caractéristiques qui seraient susceptibles d’influencer la communication financière sur l’Internet.

En termes de ressources humaines, les PME sont caractérisées par une petite équipe dirigeante et le manque de personne spécialisée dans les technologies d’informations et de communication (Sutanonpaiboon et Pearson, 2006). Il n’y a que rarement des directions de la communication chez les PME ou du personnel attitré exclusivement à la communication. Le cas échéant, ces entreprises font plutôt appel à des conseillers externes pour ce travail spécialisé (Westphalen et Libaert, 2009). Ce manque de ressources humaines dédiées à la communication dans les PME constitue un problème important selon Raymond et al. (1990). En effet, dans ces structures de taille réduite, aux moyens limités, le niveau de diffusion d’informations financières sur l’Internet sera bien inférieur à celui des grandes entreprises et les conséquences de cette pauvreté de moyens communicationnels sont évidentes.

Au sein des PME, on retrouve un système d’information de proximité (Torrès, 2007a), c’est-à-dire une communication interne simple, peu structurée et basée essentiellement sur l’oral. C’est ce genre de système sous-développé qui est privilégié par le propriétaire-dirigeant.

Ces deux caractéristiques (le manque de ressources dédiées à la communication et les systèmes sous-développés) reflètent le manque de moyens humains ou technologiques dont souffrent les PME et qui affecte sans doute leur communication financière sur l’Internet.

Plusieurs études se sont penchées sur les déterminants de l’adoption du e-commerce dans les PME. L’enthousiasme et la perception du dirigeant/propriétaire sont l’un des facteurs clés mis en évidence par ces recherches (Sutanonpaiboon et Pearson, 2006 ; Pearson et Grandon, 2005 ; Grandon et Pearson, 2004 ; Lertwongsatien et Wongpinunwatana, 2003 ; Wong, 2003 ; Mirchandani et Motwani, 2001). Mehrtens, Cragg et Mills (2001) affirment que le dirigeant/propriétaire de PME a souvent un rôle significatif dans l’adoption de nouvelles technologies de l’information. Pour développer une stratégie internet, une PME a besoin d’un dirigeant qui reconnaisse le potentiel d’Internet et les opportunités qu’il représente pour l’entreprise. Quant au succès du site internet de l’entreprise, Vescovi (2000) souligne qu’il dépend de la présence d’un « champion », c’est-à-dire d’une personne très influente dans l’entreprise qui cernera la valeur stratégique de l’Internet et qui portera le leadership du projet. Comme Vescovi le rappelle, ce leader ne peut que rarement être une autre personne que le dirigeant dans une PME.

Dans le même ordre d’idées, Filion (2007b) signale qu’on ne peut parler de PME sans aborder la personnalisation de la direction et de la gestion de l’entreprise. La proximité et l’omniprésence du dirigeant impliquent que sa personnalité influence grandement ce qui se passe dans l’entreprise. Dans cette perspective, Werner (2008) étudie en particulier l’influence de l’identité chrétienne du dirigeant sur la manière dont il gère l’entreprise. L’auteur se penche sur les dirigeants/propriétaires de PME partant du postulat qu’ils occupent une position idéale pour partager leurs valeurs personnelles dans l’entreprise. De Zoysa et Herath (2007) montrent également le pouvoir et l’influence considérable du propriétaire-dirigeant de PME. Raymond et al. (1990), de même que St-Pierre (1999), abondent dans ce sens et établissent que les comportements et prises de décisions dans la PME sont fortement attachés à l’expérience, à l’intuition et aux motivations personnelles de l’entrepreneur. D’autres recherches ont démontré le lien entre la personnalité du dirigeant/propriétaire de PME et la performance de celle-ci (De Zoysa et Herath, 2007 ; Kotey et Meredith, 1997 ; Wijewardena et Cooray, 1996 ; Davidsson, 1991 ; Ibrahim et Goodwin, 1986 ; Chaganti et Chaganti, 1983).

Les comportements particuliers des dirigeants de PME ont été expliqués par Torrès (2007a) en utilisant la notion de proximité. Cette notion est, selon lui, « l’élément central qui permet non seulement de décrire une grande diversité de formes de PME, mais aussi d’expliquer en grande partie les comportements particuliers des dirigeants de PME » (Torrès, 2007a, p. 24). Mentionnons à cet égard la notion de proximité hiérarchique selon laquelle le pouvoir est centralisé entre les mains du propriétaire-dirigeant, et ce, grâce à une structure relativement compacte, ainsi que la notion de proximité fonctionnelle qui désigne le fait que le propriétaire-dirigeant assure souvent plusieurs fonctions dans l’entreprise.

Tous ces éléments mettent en lumière la place prépondérante du dirigeant dans sa PME et son influence à plusieurs niveaux. Nous verrons plus loin en quoi cette place prépondérante du propriétaire-dirigeant a un impact sur la communication financière par le site internet de sa PME.

Selon Torrès (2007a), il existe au sein des PME une finance de proximité, c’est-à-dire que le capital de l’entreprise est fortement concentré entre les mains du dirigeant dont le patrimoine est fusionné avec celui de l’entreprise. Cela se vérifie pour notre recherche qui porte sur les PME cotées sur le Marché Libre de Bruxelles dont la structure d’actionnariat est caractérisée par un faible pourcentage des titres dans le public (en moyenne 18 %).

Le lien entre la structure de propriété et la communication financière a été abordé dans plusieurs recherches. Selon Labelle et Schatt (2005), en fonction de la structure financière de l’entreprise, la communication financière émanant des dirigeants présente deux gains potentiels. D’une part, lorsque l’actionnariat est très dilué, la communication financière permet de réduire les conflits d’intérêts entre actionnaires et dirigeants. D’autre part, lorsque l’actionnariat est très concentré, la communication financière permet d’augmenter les volumes de transactions et ainsi la liquidité des titres.

Pour ce qui est des entreprises à capital dispersé, l’avantage lié à une communication financière de qualité fait référence à la théorie de l’agence, théorie introduite par Jensen et Meckling en 1976, et dans laquelle ils expliquent que la séparation de la propriété et de la gestion de l’entreprise implique des conflits entre actionnaires et dirigeants ainsi que des coûts d’agence. Ces coûts comprennent à la fois les coûts supportés par les actionnaires pour surveiller les dirigeants et pour s’assurer qu’ils maximisent la valeur de l’entreprise, de même que les coûts supportés par les dirigeants pour prouver leur bonne foi aux actionnaires et pour éviter de se faire remplacer (Labelle et Schatt, 2005). Le risque de coûts d’agence est d’autant plus élevé que le capital est dispersé (Abdelsalam, Bryant et Street, 2007). Plusieurs travaux ont démontré cette relation positive entre la proportion des parts détenues par le public et le degré de diffusion d’informations financières sur l’Internet (Asbaugh, Johnstone et Warfield, 1999 ; Ho et Wong, 2001 ; Bollen, Hassink et Bozic, 2006).

Quant aux entreprises à capital concentré, une plus grande diffusion d’informations financières permet de susciter l’intérêt des analystes et de réduire l’asymétrie d’information (Labelle et Schatt, 2005). Barredy et Darras (2008, p. 6) précisent que « lorsque le dirigeant possède une fraction significative de capital, les intérêts du dirigeant tendent à s’aligner avec ceux des actionnaires et la dépendance informationnelle de l’actionnaire minoritaire est réduite ». Ces chercheures supposent alors que, dans les entreprises familiales, où par définition le capital est concentré aux mains d’une famille, les intérêts des actionnaires minoritaires sont largement protégés par la présence de la famille au sein de la direction et du capital de l’entreprise. Dès lors, l’incitation à la divulgation d’informations financières est réduite. Les mêmes chercheures démontrent aussi que les entreprises où la famille est fortement présente dans le capital diffusent peu d’informations financières.

Ben Ali et Gettler-Summa (2006), dans leur étude des entreprises françaises cotées faisant partie du SBF 120, arrivent également à cette conclusion : les entreprises contrôlées par des familles diffusent moins d’informations financières que les autres entreprises. Les familles participent activement à la gestion de l’entreprise et ont accès à toute l’information nécessaire. Ainsi, la demande de diffusion d’informations est quasi nulle et les manifestations de la communication financière demeurent sous-développées.

Dans notre recherche, la plupart des dirigeants rencontrés (X, Z, C, D et G) détiennent plus de 50 % du capital de l’entreprise (voir Tableau 3). Il s’agit donc d’un actionnariat concentré aux mains du dirigeant/propriétaire. D’après Labelle et Schatt (2005), nous sommes donc dans le second cas de figure où la communication financière permettrait d’attirer l’attention des analystes, de réduire l’asymétrie d’information, d’augmenter les volumes de transactions et donc la liquidité.

Par contre, certaines entreprises de notre corpus (Y, B et F) présentent un actionnariat fortement dilué. Selon Labelle et Schatt (2005), elles seraient donc dans le premier cas de figure où la communication financière permettrait de réduire les conflits d’intérêts entre actionnaires et dirigeants. On s’attend donc à ce que ces entreprises communiquent davantage que les autres.

1.3. La communication financière sur l’Internet

La diffusion d’informations financières sur l’Internet a fait l’objet de plusieurs travaux de recherche (Allam et Lymer, 2003 ; Oyelere, Laswad et Fisher, 2003 ; Xiao, Yangb et Chow, 2004 ; Gowthorpe, 2004 ; Khadaroo, 2005 ; Lybaert, 2005 ; Pervan, 2006 ; Euronext, 2006 ; Dutta et Bose, 2007 ; Abdelsalam, Bryant et Street, 2007 ; Oyelere et Mohamed, 2007 ; Léger, 2008 ; Barredy et Darras, 2008 ; Gabteni, 2011). Ces travaux ont fait ressortir les éléments susceptibles d’intéresser les investisseurs et qui devraient figurer sur le site internet de l’entreprise. Khadaroo (2005) précise qu’outre les informations financières, les informations relatives à l’entreprise, ses parts de marchés et ses organes de gouvernance sont essentiels.

Au sein de la communauté scientifique, la disponibilité du rapport annuel apparaît comme indispensable (Khadaroo, 2005 ; Lybaert, 2005 ; Pervan, 2006 ; Euronext, 2006 ; Dutta et Bose, 2007 ; Léger, 2008 ; Barredy et Darras, 2008) ainsi que les résultats intermédiaires (Dutta et Bose, 2007 ; Abdelsalam, Bryant et Street, 2007 ; Khadaroo, 2005 ; Lybaert, 2005 ; Xiao, Yangb et Chow, 2004 ; Gowthorpe, 2004) et, dans une moindre mesure, les rapports d’audit (Lybaert, 2005 ; Dutta et Bose, 2007). Il est également judicieux de présenter les ratios importants (Allam et Lymer, 2003 ; Xiao, Yangb et Chow, 2004 ; Lybaert, 2005 ; Dutta et Bose, 2007 ; Gabteni, 2011). La revue de presse (Allam et Lymer, 2003 ; Gowthorpe, 2004 ; Khadaroo, 2005 ; Lybaert, 2005 ; Pervan, 2006 ; Euronext, 2006 ; Dutta and Bose, 2007 ; Abdelsalam, Bryant et Street, 2007 ; Léger, 2008), l’organigramme de l’entreprise (Pervan, 2006 ; Euronext, 2006 ; Dutta and Bose, 2007 ; Gabteni, 2011) et le prospectus d’introduction en Bourse (Euronext, 2006 ; Léger, 2008) sont vivement recommandés.

De nombreux chercheurs (Allam et Lymer, 2003 ; Xiao, Yangb et Chow, 2004 ; Khadaroo, 2005 ; Lybaert, 2005 ; Pervan, 2006 ; Dutta et Bose, 2007 ; Léger, 2008 ; Barredy et Darras, 2008 ; Gabteni, 2011) affirment que l’historique du cours de l’action ainsi que les dividendes doivent être disponibles sur le site internet d’une entreprise cotée. D’autres (Khadaroo, 2005 ; Pervan, 2006 ; Barredy et Darras, 2008 ; FSMA, 2012) ajoutent qu’une relation particulière doit être nouée avec les investisseurs et cela peut se traduire par une page spéciale qui leur est dédiée ou par un autre moyen, tels un contact spécifique (par courriel ou par téléphone), un forum de discussion, le calendrier financier, la lettre aux actionnaires, le guide et les droits des actionnaires et la possibilité de s’abonner à une newsletter.

Plusieurs recherches ont eu pour ambition d’identifier les facteurs influençant la diffusion d’informations financières sur le site internet de l’entreprise (Ashbaugh, Johnstone et Warfield, 1999 ; Bonson et Escobar, 2002 ; Debreceny, Gray et Rahman, 2002 ; Mendes-da-Silva et Christensen, 2004 ; Almilia, 2009 ; Pozniak, 2010). Une synthèse des variables explicatives du niveau de communication financière sur l’Internet, mises en lumière par ces travaux, est présentée dans le tableau 1.

Tableau 1

Synthèse des déterminants de la communication financière sur l’Internet

Synthèse des déterminants de la communication financière sur l’Internet

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La taille de l’entreprise, son niveau d’endettement, sa structure financière, sa performance et son appartenance au secteur IT, notamment, se sont révélés être des facteurs influençant le degré de diffusion d’informations financières sur le site internet de l’entreprise. Notons que la grande majorité de ces travaux ont étudié les grandes entreprises (sauf Pozniak, 2010). Or, la présente recherche s’intéresse aux PME cotées sur un marché boursier non réglementé, le Marché Libre de Bruxelles.

2. Méthodologie

Comme nous le disions plus haut, cette recherche poursuit trois objectifs :

  • connaître les informations financières que les dirigeants de PME diffusent sur leur site internet ;

  • comprendre ce qui a amené ces dirigeants à publier ou non des informations financières sur leur site internet ;

  • établir des relations entre les deux premiers types d’informations recueillies, c’est-à-dire des relations entre les informations financières diffusées sur le site internet et les intentions évoquées par les dirigeants.

Notre recherche s’inscrit dans une démarche qualitative, tout indiquée lorsque l’on est dans une démarche de compréhension d’un phénomène (Evrard, Pras et Roux, 2009 ; Paillé, 2007 ; Miles et Huberman, 2003). Plus précisément, nous cherchons à comprendre ce qui est vécu par les dirigeants des PME du Marché libre en ce qui concerne la diffusion des informations financières sur leur site internet. Dans la logique épistémologique de la recherche qualitative, on ne peut étudier un phénomène humain qu’à partir de la conscience qu’en ont les personnes qui le vivent (Blumer, 1969 ; Dilthey, 1942 ; Husserl, 1977 ; Schutz, 1987 ; Weber, 1949). Cette recherche est essentiellement interprétative parce que le vécu humain est précisément humain parce qu’il a un sens et donc parce qu’il est interprété (Blumer, 1969 ; Corbin et Strauss, 2008). Par ailleurs, on ne peut avoir accès à la conscience du vécu, et donc au sens ou à l’interprétation, que par le discours issu de la prise de conscience. Ainsi, la recherche qualitative privilégie la collecte de données de discours parce qu’elle veut avoir accès au vécu des personnes à partir de ce qu’elles peuvent en dire (Blanchet et Gotman, 2007).

En d’autres mots, en recherche qualitative, le chercheur « essaie de capter des données sur les perceptions d’acteurs locaux de l’intérieur » (Miles et Huberman, 2003, p. 21). En somme, à travers le discours de dirigeants, nous tenterons de comprendre ce qu’ils vivent par rapport à la diffusion d’informations financières sur l’Internet. Pour ce faire, nous avons rencontré dix dirigeants de PME du Marché Libre afin de réaliser avec eux des entretiens de recherche qualitative (Gavard-Perret et al., 2008 ; Kauffman, 1996 ; Savoie-Zajc, 2009). L’analyse qualitative des entretiens a été réalisée selon les principes de l’analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2008 ; Corbin et Strauss, 2008). Cette analyse ne porte pas sur le discours en tant que tel, mais bien sur le vécu que nous cherchons à comprendre.

2.1. Analyse des sites internet

L’étude de Pozniak (2010) avait notamment pour objectif d’attribuer un score de communication financière sur l’Internet aux entreprises du Marché Libre belge. Pour ce faire, la chercheure avait construit une grille d’analyse des sites internet, basée sur les recommandations des écrits scientifiques en termes de diffusion d’informations financières sur l’Internet (voir 1.1.). La présente recherche s’inspire de cette grille afin d’appréhender l’effort volontaire de communication financière des entreprises étudiées. Dans cette grille, un point est attribué pour chaque élément d’informations financières présent sur le site internet de l’entreprise. Un score de communication financière sur l’Internet est ainsi obtenu pour chaque entreprise (voir Annexe 1).

2.2. Entretiens semi-directifs

Derèze (2009, p. 107) rappelle que l’entretien est une méthodologie prééminente en sciences humaines et sociales qui est particulièrement indiquée pour « aborder des questions liées aux sens que les acteurs attribuent aux événements ou à leurs actions ; aux événements eux-mêmes ; aux représentations ; aux valeurs ou aux pratiques ». Quant à l’entretien semi-directif, il se situe entre l’entretien directif où les questions sont définies et ordonnées de la même manière pour tous les entretiens, et l’entretien non directif où l’enquêteur lance le sujet et se laisse ensuite porter à la fois par ses objectifs de recherche et par les dires de l’interviewé. En effet, lors d’entretien semi-directif, l’enquêteur s’appuie sur un guide d’entretien reprenant les thématiques à aborder sans qu’un ordre précis doive être respecté (Savoie-Zajc, 2009).

Demazière et Dubar (2007) énoncent trois postures d’analyse différentes selon la place qui est accordée à la parole des interviewés. La posture illustrative permet au chercheur de sélectionner les extraits d’entretiens qui appuient ses résultats d’analyse. La posture restitutive attribue une importance capitale aux paroles des interviewés et transmet tels quels ces propos au lecteur. La posture analytique, dans laquelle nous nous positionnons, vise la production de sens.

En ce qui concerne notre recherche, l’entretien a débuté par cette question : « À quoi sert l’Internet dans votre entreprise ? » afin de laisser toute latitude aux dirigeants d’exprimer leur opinion et d’essayer de cerner, dans un premier temps, ce qu’évoque cet outil pour eux. Le thème de la communication financière et de la relation avec les investisseurs n’a été abordé qu’ensuite.

Le logiciel libre WeftQDA a été utilisé lors de la phase d’analyse des entretiens. Ce logiciel, comme les autres logiciels d’assistance à l’analyse qualitative, permet de réaliser les analyses avec profondeur parce qu’il donne accès rapidement à toutes les données et donc qu’il facilite plusieurs lectures de l’ensemble, de même qu’une lecture méticuleuse de certains passages. Il facilite aussi une visée d’exhaustivité ou de complétude dans l’analyse thématique des données à cause, notamment, de ses fonctions de « recherche textuelle ».

2.3. Corpus

Notre corpus a été construit en trois temps. Durant l’année académique 2009-2010, cinq dirigeants, contactés par téléphone, ont accepté de nous rencontrer. Début 2011, cinq autres dirigeants ont été sollicités par téléphone. Trois d’entre eux ont accepté un entretien, tandis que deux ont refusé. En février 2012, d’autres entretiens ont été menés. Parmi les cinq dirigeants contactés par courriel, deux ont été rencontrés. Ces deux entretiens ont démontré que la saturation était atteinte. En effet, la saturation théorique est atteinte lorsque les données collectées n’apportent rien de neuf et ne modifie pas de manière significative la théorie construite (Plouffe et Guillemette, 2012). Les entretiens ont duré, en moyenne, 45 minutes.

Le choix des dix entreprises étudiées parmi les vingt-six PME[10] cotées sur le Marché Libre de Bruxelles s’est opéré dans un souci de variété. En effet, nous avons observé le contenu à caractère financier des différents sites internet et avons opté pour la diversité. Nous avons choisi quatre entreprises dont le score était supérieur à 15, quatre entreprises dont le score était compris entre 10 et 15 et deux entreprises dont le score était inférieur à 10. La diversité en termes de taille et de secteur a aussi été visée, notamment parce que plusieurs recherches (Bonson et Escobar, 2002 ; Debreceny, Gray et Rahman, 2002 ; Oyelere, Laswad et Fisher, 2003) font ressortir l’impact de ces deux variables sur le niveau de diffusion d’informations financières sur l’Internet.

Soulignons que le corpus de dirigeants n’est pas représentatif de tous les dirigeants du Marché Libre de Bruxelles, mais cela ne constitue pas une limite à notre recherche. La représentativité est requise lorsque l’étude a pour objectif la généralisation des résultats à toute la population à l’étude, ce qui n’est pas notre cas. L’ambition de cette recherche est de comprendre un phénomène vécu. Par ailleurs, les dirigeants rencontrés remplissent les critères de bons informateurs étant donné qu’ils vivent le phénomène que cette étude vise à comprendre et qu’ils se sont révélés capables de nous parler de ce phénomène.

Notre corpus d’entreprises et ses caractéristiques sont présentés dans le tableau 2 ci-dessous.

Tableau 2

Présentation de notre corpus

Présentation de notre corpus

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Les données financières et sectorielles présentées dans ce tableau sont issues du site d’Euronext (www.euronext.com) et concernent l’exercice 2009 (sauf pour l’entreprise D dont le chiffre d’affaires est celui de 2007 et le total du bilan date de l’exercice 2008). Quant à l’effectif moyen, il est issu du logiciel Belfirst 2009.

Au regard de la définition européenne, les entreprises de notre étude entrent donc bien dans la catégorie des PME. Plus précisément, les entreprises B, X, Y et Z sont considérées comme « moyennes », les entreprises A, C, D, F et G sont considérées comme « petites », tandis que l’entreprise E entre dans la catégorie des « microentreprises ».

Le tableau 3 présente le profil des dix dirigeants rencontrés. Nous pouvons constater que la majorité d’entre eux ont fondé l’entreprise qu’ils dirigent et en détiennent une part importante du capital.

Tableau 3

Profil des dix dirigeants rencontrés

Profil des dix dirigeants rencontrés

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3. Résultats et discussion

Le premier point présentera les résultats de l’analyse des sites internet tandis que le second présentera les résultats des entretiens menés auprès des dirigeants. Enfin, le troisième point tentera d’établir un lien entre les deux premiers.

3.1. Résultats de l’analyse des sites internet

Tout d’abord, soulignons que les dix entreprises de notre échantillon présentent toutes un site vitrine, c’est-à-dire « une présentation numérique de l’entreprise qui permet d’être présent sur le net comme une carte ou pressbook numérique » (<dicodunet.com>). Aucun des sites n’est dit « marchand » ce qui signifie que les clients des dix PME ne peuvent acheter les produits de l’entreprise en ligne. Parmi les quatre phases d’évolution du commerce électronique définies par Vescovi et Iseppon (2002), nous constatons que les dix entreprises se trouvent dans la première phase, appelée présence institutionnelle, où le site internet est un simple outil de présentation de l’entreprise ; il fournit des informations générales et est très peu interactif.

Cette section s’intéresse essentiellement à l’information financière disponible sur le site internet des entreprises étudiées. Un tableau présentant les résultats de l’analyse des sites internet est disponible en annexe.

Neuf entreprises de notre échantillon présentent un espace dédié aux investisseurs sur leur site internet, comme le recommandent les écrits spécialisés sur la gestion communicationnelle (Khadaroo, 2005 ; Pervan, 2006 ; Barredy et Darras, 2008). Toutefois, les autres éléments identifiés par les écrits comme intéressants pour les investisseurs ne font pas l’unanimité auprès des dix dirigeants interviewés. Sept PME diffusent leur prospectus d’introduction (Euronext, 2006 ; Léger, 2008), huit présentent une revue de presse (Allam et Lymer, 2003 ; Gowthorpe, 2004 ; Khadaroo, 2005 ; Pervan, 2006 ; Euronext, 2006 ; Dutta et Bose, 2007 ; Léger, 2008) et proposent un lien vers le site d’Euronext afin de suivre le cours de leur titre. L’historique du cours de Bourse est présenté par deux entreprises. Toutefois, aucune n’évoque les dividendes distribués (Allam et Lymer, 2003 ; Xiao, Yangb et Chow, 2004 ; Khadaroo, 2005 ; Lybaert, 2005 ; Pervan, 2006 ; Dutta et Bose, 2007 ; Léger, 2008 ; Barredy et Darras, 2008 ; Gabteni, 2011). Les entreprises X, Y et Z présentent leurs rapports annuels sur plusieurs années ainsi que les chiffres clés. Outre les rapports annuels et chiffres clés, l’entreprise A fournit l’ensemble des documents comptables et financiers reconnus comme incontournables par les écrits spécialisés tels que le rapport d’audit (Lybaert, 2005 ; Dutta et Bose, 2007), le rapport du commissaire aux comptes, le procès-verbal de l’assemblée générale et le rapport du conseil d’administration (Pervan, 2006 ; Euronext, 2006 ; Dutta et Bose, 2007 ; Barredy et Darras, 2008 ; Léger, 2008). L’entreprise G met son rapport d’audit et son rapport de gestion à disposition sur son site internet. L’entreprise C présente ses rapports annuels de 2006 à 2008. L’entreprise B fournit simplement les chiffres clés de son activité tel que le recommande Euronext (2006). Les seules informations à caractère financier diffusées par l’entreprise D sont les chiffres clés datant de 2006 ; tandis que les entreprises E et F ne donnent aucune information financière chiffrée. Les entreprises A, B, F, X, Y et Z dédient un contact spécifique aux investisseurs ; les entreprises B, X, Y et Z diffusent le calendrier des actionnaires.

Les entreprises D, G, X, Y et Z présentent leur équipe dirigeante. La structure de leur actionnariat est mise en avant par les entreprises D, X et Y (Euronext 2006 ; Dutta et Bose, 2007 ; Léger, 2008 ; Barredy et Darras, 2008).

Bref, toutes les prescriptions en matière de communication financière sur l’Internet, issues des écrits scientifiques, sont loin d’être unanimement respectées. Toutefois, nous pouvons constater qu’un certain effort volontaire de communication est réalisé par ces PME. En effet, rappelons qu’aucune communication financière n’est exigée sur le Marché Libre. Toute communication émanant des entreprises est donc volontaire selon la définition de Pourtier (2004).

3.2. Résultats des entretiens

3.2.1. Internet c’est avant tout le site internet

Nous débutons chaque entretien par cette question : « à quoi sert l’Internet dans votre entreprise ? ». Les dirigeants rencontrés parlent alors de leur site internet et de son rôle d’outil de communication :

C’est un support. Notre site sert à faire connaître (entreprise C).

Le site internet, c’est la carte de visite de l’entreprise (entreprise D).

L’Internet évoque plusieurs choses au dirigeant de l’entreprise A. Il parle des courriels, des offres de prix que ces derniers permettent d’envoyer, de Skype qui permet le travail à domicile et la réduction du coût des communications, et enfin du site internet.

Deux entreprises (B et F) ont une utilisation plus poussée de leur site internet. Dans l’entreprise F, l’Internet est un outil de travail au quotidien. En effet, les distributeurs remettent leur rapport sur le serveur de l’entreprise et engendrent ainsi les commandes. L’entreprise B propose un outil de visualisation des stocks en ligne, à destination de ses distributeurs. Bien qu’aucun achat en ligne ne soit possible, ces distributeurs peuvent, à l’aide de leur login, parcourir le catalogue et visualiser l’état des stocks. Par ailleurs, le site internet de l’entreprise B sert également d’outil de comptabilité analytique en interne.

Le rôle du secteur d’activités a été mis en lumière par Vescovi et Iseppon (2002) dans leur étude des facteurs déterminant le développement des activités de marketing sur l’Internet. Ils découvrent que les entreprises évoluant sur des marchés de consommation utiliseraient plutôt l’Internet comme moyen de communication. Par contre, les sociétés des secteurs business-to-business (BtoB) sont plus encouragées à se concentrer sur des éléments de service au client et moins sur la communication. C’est le cas des entreprises B et F qui passent toutes les deux par des distributeurs et ont une utilisation plus poussée de leur site internet.

Pour les deux entreprises fournissant des services informatiques (E et Y), l’Internet est un métier, une évidence :

C’est notre métier. C’est vraiment notre core business. Tout le groupe est basé sur l’Internet et tourne autour de l’Internet (entreprise Y).

Pour moi l’Internet, c’est un outil de base. C’est déjà des questions que je ne me pose pas. C’est comme si on me posait comme question à quoi sert la voiture dans votre société… ça fait partie de notre vie (entreprise E).

En somme, pour plusieurs dirigeants rencontrés, l’Internet est systématiquement associé au site internet. D’autres entreprises ont un niveau supérieur d’utilisation du site internet où celui-ci sert littéralement d’outil de gestion (gestion des stocks, des ventes, de la comptabilité analytique). Ces entreprises évoluent dans le BtoB. Quant aux entreprises du secteur IT, l’Internet fait partie de leur core business, c’est l’outil de base de leur activité. Ces constatations sont représentées dans la figure 1 ci-dessous.

Figure 1

Vision de l’Internet

Vision de l’Internet

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3.2.2. Communication financière : entre méfiance et respect

Les dirigeants rencontrés ne font pas de la communication financière leur préoccupation première. Le premier signe relativement révélateur que nous pouvons mettre en avant est le fait que ce thème n’est abordé par aucun dirigeant spontanément. C’est systématiquement l’interviewer qui aborde ce sujet. Une fois abordée, la thématique de la communication financière ne fait pas du tout l’unanimité.

Un certain nombre de difficultés liées à la communication financière sont évoquées, ainsi que des raisons pouvant justifier la présence ou l’absence d’informations à caractère financier sur le site internet des entreprises.

3.2.2.1. Éléments défavorables à la communication financière sur le net

Les dirigeants de PME vivent certains éléments comme des freins à leur communication financière sur l’Internet. Trois dirigeants (entreprises E, F et G) affirment s’inquiéter de la diffusion d’information à la concurrence :

Pour vivre heureux, il vaut mieux vivre caché… Au niveau des chiffres, il vaut mieux faire pitié qu’envie (entreprise F).

De par notre métier, on ne peut pas trop dire certaines choses (entreprise G).

Certaines réserves sont émises au sujet de la communication financière et de la transparence :

Le fait de communiquer n’est pas nécessairement bien communiquer… Comment être transparent quand, soi-même, on ne sait pas toujours où on va (entreprise E).

Il faut faire attention à ce qu’on communique, ne pas être trop optimiste, trop pessimiste, essayer d’être juste (entreprise G).

Deux dirigeants font remarquer les moyens humains et financiers limités que peuvent consacrer les PME à leur communication financière. Ils confirment ainsi les conclusions de Raymond et al. (1990), de Sutanonpaiboon et Pearson (2006), ainsi que Westphalen et Libaert (2009).

Dans les grandes sociétés internationales cotées en Bourse, il y a un service de gens qui sont dédiés à la communication financière ; donc, c’est beaucoup plus facile (entreprise F).

Par ailleurs, trois dirigeants (entreprises C, D et E) s’occupent personnellement de la communication et de la gestion de leur site internet. Ceci confirme l’existence d’une proximité fonctionnelle (Torrès, 2007a) selon laquelle le dirigeant est polyvalent et assure généralement plusieurs fonctions. Cela fait également référence à l’une des caractéristiques définissant la PME selon Julien (1997), à savoir : la centralisation de la gestion autour du dirigeant.

Soulignons que ces entreprises sont considérées comme « petites » ou « micro » selon la définition européenne. Dans les autres PME (entreprises A, B, F, G, X, Y et Z), le dirigeant est épaulé pour gérer le site internet de l’entreprise, soit par la personne responsable de l’informatique (entreprises A et X), soit par l’assistante de direction (entreprises F et Z), soit par l’adjoint marketing (entreprise Y), soit par le département graphique (entreprise B), soit par un collaborateur (entreprise G). Pour ces personnes ressources, la gestion du site internet n’est qu’une tâche parmi d’autres. Comme le définit Julien (1997), nous pouvons observer la faible spécialisation du personnel dans la répartition des tâches ainsi que le manque de personne spécialisée dans les technologies de l’information identifié par Sutanonpaiboon et Pearson (2006). Aucune entreprise ne dispose d’une personne à temps plein chargée de gérer le site internet de l’entreprise. Ceci corrobore les constatations de Westphalen et Libaert (2009, p. 67) : « Chez les PME, les directions de la communication sont moins fréquentes ».

Certains dirigeants ont d’autres priorités que l’information des investisseurs. Trois dirigeants (entreprises B, D et E) ont comme priorité les affaires :

Je garde mon attention sur le business (entreprise B).

La priorité, c’est de faire du chiffre d’affaires… on est en manque de transparence parce qu’on est dans notre guidon (entreprise D).

Le number one, c’est de faire du business… c’est préserver le capital, mon capital, le capital de mon frère et le capital des actionnaires (entreprise E).

En effet, les dirigeants de PME ont des priorités qui divergent de celles des grandes entreprises. À cet égard, citons la recherche de St-Pierre (1999) qui souligne que, contrairement au gestionnaire d’une grande société qui a « pour responsabilité de maximiser la valeur du patrimoine des actionnaires », l’entrepreneur ne poursuit pas cet objectif de maximisation de la valeur marchande de l’entreprise. L’entrepreneur, parce qu’il a « investi une partie importante de son capital financier et humain dans l’entreprise… », poursuit des objectifs divers tels que l’autonomie, la satisfaction, l’indépendance. De plus, Cooley et Edwards (1983) démontrent que la maximisation du revenu net de l’entreprise est le premier objectif évoqué par les dirigeants, suivi par la maximisation de la croissance du revenu net. La maximisation de la valeur marchande n’apparaissait qu’en sixième position.

Le Marché Libre et ses particularités semblent également être mis en cause par certains dirigeants rencontrés. En outre, les dirigeants rappellent qu’une très faible partie de leur capital est aux mains d’actionnaires particuliers (free float entre 3 et 20 %). Ceci rappelle le principe mis en avant par Torres (2007a) selon lequel il existerait une finance de proximité dans la PME : le capital de l’entreprise est peu dispersé dans le public, le dirigeant conserve la majorité des titres. Dans ce contexte, Labelle et Schatt (2005) avancent que la communication financière permet d’accroître les volumes de transactions, de susciter l’intérêt des analystes et donc d’améliorer la liquidité des titres de l’entreprise à capital concentré. Les dirigeants rencontrés ne partagent pas cet avis. Bien au contraire, ils déplorent le manque de liquidité des titres et l’absence de réaction de ce marché, peu importe leurs efforts de communication :

Le marché n’est pas liquide, ils ne sont pas contents, quand ils veulent vendre il faut 15 jours (entreprise Y).

J’ai dû me rendre à l’évidence, quoique je dise dans la presse, le cours ne réagit pas (entreprise B).

D’autres dirigeants regrettent le manque de couverture médiatique et le peu d’intérêt témoigné par l’État et les autorités de contrôle.

Il ressort donc que les dirigeants rencontrés perçoivent certains éléments comme des entraves à la communication financière sur l’Internet, ceux-ci sont représentés dans la figure 2.

Figure 2

Éléments défavorables à la communication financière sur l’Internet.

Éléments défavorables à la communication financière sur l’Internet.

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La présence de l’un ou l’autre de ces éléments n’implique pas forcément que l’entreprise ne communiquera pas d’information financière sur son site internet. Cela veut simplement dire que les dirigeants rencontrés ont identifié ces éléments comme défavorables à la communication financière en ligne.

3.2.2.2. Éléments favorables à la communication financière sur le net

Malgré les lacunes évoquées précédemment, certains dirigeants mettent un point d’honneur à communiquer des informations financières à travers leur site internet.

Le dirigeant de l’entreprise E semble accorder de l’importance à la nécessité d’assurer la visibilité de l’entreprise :

C’est hyper important de montrer que la société vit, fait des choses, qu’il y a de la stratégie, même si ça va moins bien, qu’on continue ses efforts (entreprise E).

Les dirigeants (B, C, X, Y et Z) diffusent des informations à destination de leurs investisseurs par respect :

C’est une question de principe, on est sur le marché libre, on assume (entreprise Y).

C’est une façon d’être « fair » vis-à-vis des gens qui nous ont fait ou nous font confiance (entreprise Z).

La communication que je fais, c’est juste par correction (entreprise B).

Un actionnaire, qu’il soit sur le Marché Libre ou ailleurs, il a le droit de savoir. Il doit être respecté (entreprise C).

Les découvertes de Westphalen et Libaert (2009, p. 31), selon lesquelles l’actionnaire tendrait à devenir « la cible principale de la communication d’entreprise », ne se vérifient pas pour notre corpus. De même, ne fait pas l’unanimité, leur théorie selon laquelle (2009, p. 331) « la seule bonne stratégie possible est une meilleure transparence, la visibilité, un dialogue nourri avec le marché, le respect des règles déontologiques claires donnant la même information à tout le monde. Bref, il faut être bon élève, dire la vérité est payant. En travaillant la transparence, on établit le capital confiance de l’entreprise qui introduit une vision dynamique et favorise la tenue de son cours en toutes circonstances ». Toutefois, on peut souligner un réel effort de communication à destination des investisseurs par ces dirigeants qui respectent leurs actionnaires, mêmes minoritaires, et qui jouent le jeu des entreprises cotées.

À travers les entretiens réalisés, il apparaît que deux éléments sont propices à la diffusion d’informations financières sur le site internet des PME.

Figure 3

Éléments favorables à communication financière sur l’Internet.

Éléments favorables à communication financière sur l’Internet.

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Lien entre les informations financières diffusées sur le site internet et les raisons évoquées par les dirigeants

À la lumière des propos recueillis, nous constatons que plusieurs éléments entrent en ligne de compte dans le choix du dirigeant de diffuser ou non des informations financières sur le site internet de sa PME. Ces éléments sont schématisés sous la forme d’une balance (voir Figure 4), certains ayant un poids en faveur de la communication financière sur le net, d’autres ayant un poids en sa défaveur.

Figure 4

Synthèse communication financière sur l’Internet

Synthèse communication financière sur l’Internet

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Dans le cas de figure représentée par l’axe A, les éléments négatifs ont plus de poids que les éléments positifs. La balance penche alors en défaveur de la diffusion d’informations financières sur le site internet de l’entreprise

À l’inverse, dans le cas de figure représentée par l’axe B, les éléments positifs ont plus de poids que les éléments négatifs. La balance penche alors en faveur de la diffusion d’informations financières sur le site internet de l’entreprise.

Entre ces deux cas de figure se trouvent plusieurs possibilités de « balance » de communication, représentées par les axes en pointillé.

Lorsque l’on confronte les scores de communication financière sur Internet (voir Annexe 1) et les éléments favorables et défavorables mis en avant par les dirigeants, il semblerait que certains éléments aient plus de poids que d’autres.

Tout d’abord, il apparaît que ce n’est pas leur vision d’Internet qui ait le plus de poids dans la balance. En effet, ce ne sont pas les dirigeants pour qui le site internet est le plus important qui communiquent le plus d’informations financières sur leur site internet. Les entreprises E, Y, Z font partie du secteur IT et l’Internet fait partie de leur core business, comme expliqué au point 3.2.1. (voir Figure 1). Or, elles ne présentent pas la même quantité d’informations financières sur leur site internet et n’obtiennent donc pas le même score (E=5, Y=16, Z=15). Le dirigeant de l’entreprise E justifie sa réticence à communiquer des informations financières par sa crainte des concurrents.

Les entreprises B et F, toutes deux dans le Business to Business, partagent la même vision d’Internet. Elles n’ont toutefois pas le même score (B=10 et F=4). Ce qui amène le dirigeant de l’entreprise B à communiquer davantage, c’est son souci de respecter ses investisseurs.

Ensuite, il semblerait que leur appréciation du Marché Libre, bonne ou mauvaise, ne soit pas l’élément décisif à la décision de communiquer ou pas des informations financières sur le site internet de l’entreprise. En effet, les dirigeants (A, X, Y et Z) les plus critiques à l’égard du fonctionnement du Marché Libre sont ceux présentant les meilleurs scores et donc diffusent toute une série d’informations à caractère financier sur le site internet de l’entreprise. A contrario, le dirigeant (C) ravi de sa cotation, n’est pas celui qui présente le score le plus élevé. Quant à ceux qui reconnaissent certains avantages à leur cotation sur ce marché, ils présentent les scores les plus faibles.

Aucun lien avec le profil des dirigeants (voir Tableau 3) ne peut être établi. Soulignons à cet égard la relative homogénéité de ces profils et la difficulté de cerner l’implication de ces différences minimes. En effet, ces dirigeants ont, en moyenne, entre 40 et 50 ans, un diplôme d’études supérieures (universitaire : 7/10, non universitaire : 3/10) détiennent une partie importante du capital de l’entreprise qu’ils ont fondée et occupent le poste de dirigeant.

De plus, aucun lien ne peut être établi entre la structure de propriété des entreprises de notre corpus et le niveau de communication financière. Les entreprises Y, B et F, présentant un actionnariat très dilué, devraient selon Labelle et Schatt (2005) diffuser davantage d’informations financières. Or, les entreprises B et F communiquent peu d’éléments à caractère financier sur leur site internet (voir Annexe).

En somme, il semblerait que l’élément ayant le plus de poids dans la balance, du côté positif, soit la volonté du dirigeant de respecter ses investisseurs. En effet, les PME présentant le plus d’informations à caractère financier sur leur site internet sont celles dont le dirigeant dit vouloir assumer la cotation de sa PME sur un marché boursier et communiquer vers ses investisseurs, mêmes minoritaires, par courtoisie et respect.

L’élément faisant le plus pencher la balance du côté de la non-communication semble être la méfiance du dirigeant à l’égard de ses concurrents. En effet, les entreprises communiquant le moins d’informations financières sur leur site internet sont celles dont le dirigeant manifeste une certaine méfiance à l’égard de la concurrence.

Un lien peut donc être établi entre les informations financières communiquées sur le site internet de l’entreprise et les raisons avancées par les dirigeants. La place prépondérante du dirigeant et l’influence de ses perceptions et motivations sur la prise de décision dans l’entreprise sont donc à mettre en lien avec les résultats de notre étude exploratoire (Raymond et al., 1990 ; Filion, 2007b ; Torres, 2007a ; St-Pierre, 1999).

Conclusion

Les écrits dans le domaine reconnaissent indéniablement les vertus de l’Internet : « Le site web est le point de départ, le coeur du système. Très porteur en termes d’image et d’information… » (Westphalen et Libaert, 2009, p. 167). Léger (2008, p. 17) ajoute que l’Internet « a permis la mondialisation de la communication économique, avec une unité de temps de l’ordre de la seconde pour des investisseurs répartis à travers le monde, défiant frontières et fuseaux horaires, des investisseurs qui ont de plus en plus accès à une information considérable, dans des conditions d’égalité d’accès formidablement améliorée ».

Notre problématique nous a amenés à étudier le lien entre les données à caractère financier disponibles sur le site internet de l’entreprise et les raisons, en faveur ou non de la communication financière sur l’Internet, avancées par les dirigeants. Afin de répondre à cette question, des entretiens semi-directifs, auprès de dix dirigeants de PME cotées sur le Marché Libre de Bruxelles, ont été menés, d’une part ; d’autre part, les sites internet des entreprises rencontrées ont été analysés.

L’analyse des sites internet des dix PME a montré que toutes les recommandations, en termes de diffusion d’informations financières sur l’Internet, n’étaient pas respectées ; mais qu’un réel effort de communication financière était constaté.

À la lumière des propos recueillis lors des entretiens, il s’avère que plusieurs éléments entrent en ligne de compte lors de la décision de diffusion d’informations financières sur le site internet de l’entreprise. Des éléments défavorables ont été identifiés tels que la menace de la concurrence, le scepticisme face à la transparence, le manque de moyens et la priorité au business. Certaines caractéristiques du Marché Libre telles que le manque de liquidité, de réaction du marché, de couverture médiatique, d’intérêt par l’État et les autorités de contrôle peuvent également être perçues comme des freins à la communication financière sur le site internet de l’entreprise. Quant aux éléments favorisant la divulgation d’informations financières sur le net, les dirigeants évoquent le désir de visibilité et le respect des investisseurs, même minoritaires.

Quant au lien avec le contenu du site internet, il apparaît que les dirigeants mentionnant leur crainte face à la concurrence sont ceux dont le site internet diffuse le moins d’informations financières. Tandis que les dirigeants évoquant leur volonté de respecter les investisseurs sont ceux dont le site internet présente le plus d’informations à caractère financier. Ces résultats d’une étude exploratoire fournissent un éclairage sur les différents aspects du phénomène que nous cherchions à comprendre. Ils fournissent ainsi beaucoup d’hypothèses de compréhension que nous n’aurions pas pu intuitionner sans cette analyse qualitative inductive des données fournies directement par les dirigeants que nous avons rencontrés.

Une des limites de notre étude réside dans la constitution du corpus. Seul l’avis des dirigeants qui ont accepté de nous rencontrer a pu être recueilli. De plus, rappelons-le, notre échantillon n’est pas représentatif parce que notre étude n’a pas de visée de généralisation.

Par contre, la compréhension que nous avons pu construire méthodiquement ouvre des avenues de recherche fort intéressantes, notamment des recherches plus approfondies sur les motivations et les objectifs des dirigeants, recherches qui permettraient d’établir une typologie et de faire apparaître un lien validé statistiquement avec la communication financière sur l’Internet.

Enfin, le Marché Libre et son fonctionnement ont été pointés du doigt, par certains dirigeants rencontrés, comme étant des éléments défavorables à la communication financière sur l’Internet. Leur perception de ce marché mériterait d’être approfondie et confrontée à celle des autres acteurs du marché : autorités de contrôle, experts, analystes, banques d’investissement et investisseurs.

Par ailleurs, la rencontre avec des investisseurs - internautes apporterait également un regard intéressant sur le contenu financier des sites internet et sur leurs attentes en tant que partie prenante de l’entreprise.