Corps de l’article

Introduction

La recherche des stratégies visant la création et le maintien des avantages compétitifs, le changement et la préservation, l’exploration et l’exploitation des connaissances innovantes (Jansen, Volberda et Van Den Bosch, 2005) sont aujourd’hui les principales préoccupations des entreprises. Dans cette perspective, la recherche sur les stratégies inter- organisationnelles met en exergue l’importance du partage des connaissances et leur apport à l’innovation (Kogut, 2000 ; Canzano et Grimaldi, 2004). Les relations inter-organisationnelles (désormais RIO) représentent un contexte négocié qui permet l’émergence des formes communautaires de création et de développement des connaissances.

Selon l’approche relationnelle de la stratégie (Dyer et Singh, 1998), les ressources stratégiques transcendent les frontières organisationnelles et pourraient être enracinées dans un réseau de RIO. Certains auteurs (Inkpen, 1996 ; Teigland, 2000) évoquent l’importance de dépasser le seul contexte organisationnel des communautés de pratique au contexte inter- organisationnel. Aussi, l’essor d’Internet et le foisonnement des différentes formes de RIO permettraient de s’intéresser aux communautés de pratique et de passer à plusieurs niveaux de l’apprentissage inter-organisationnel (Dyer et Singh, 1998 ; Kale, Singh et Perlmutter, 2000). Les capacités dynamiques organisationnelles et relationnelles de la firme ont un rôle crucial à jouer. Il s’agit par exemple des capacités suivantes : acquisition de nouvelles informations, connaissances et compétences des partenaires, capacité à gérer les RIO, capacité à mettre en place une forte identité collective et les multiples processus de partage et de transformation des connaissances en innovation. Ces capacités peuvent être considérées comme des processus facilitateurs et générateurs de performance (Eisenhardt et Martin, 2000). Dans cet article, nous utilisons la notion de capacité d’absorption des connaissances comme variable intermédiaire du modèle de recherche. En effet, les communautés de pratique dans le contexte inter-organisationnel peuvent avoir un impact positif sur l’innovation si l’organisation est dotée d’une capacité interne d’absorption de connaissances. Partant de cette jonction, notre questionnement de recherche s’articule autour des questions suivantes : quels sont les déterminants des communautés de pratique dans un contexte de RIO ? Quel est le rôle de la capacité d’absorption des connaissances ? Notre objectif consiste à expliquer la relation positive entre les communautés de pratique dans un contexte de RIO et l’innovation à travers la notion de capacité d’absorption des connaissances qui représente un élément clé dans la compréhension et l’explication de cette relation. Cette relation explicative est sur un échantillon de 110 PME. Les données collectées sont analysées par la méthode des équations structurelles (LISREL pour les analyses confirmatoires et PLS pour les tests d’hypothèses).

En premier lieu, nous essayons de proposer les RIO comme un contexte négocié de l’émergence des communautés de pratique. En deuxième lieu, nous présentons les hypothèses de recherche. Enfin, nous terminons par la présentation des résultats de l’analyse factorielle confirmatoire et la validation de nos hypothèses par la méthode des équations structurelles (LISREL et SmartPLS).

1. Cadre théorique

1.1. Communautés de pratique dans un contexte de relations inter-organisationnelles (RIO)

Le concept de communauté de pratique (CoP) est d’abord utilisé par Lave et Wenger en 1991. C’est un processus d’apprentissage social émergeant lorsque des personnes ayant un centre intérêt commun collaborent mutuellement. Cette collaboration doit se dérouler sur une période de temps et consiste à partager des idées, trouver des solutions, etc. C’est un groupe de personnes qui participent à ces interactions (Lave et Wenger, 1991 ; Smith, 2003, 2009). Depuis, plusieurs définitions ont été données au concept de CoP et la plupart retiennent l’importance du partage des connaissances et de l’apprentissage social. La plupart des chercheurs considèrent les communautés de pratique en milieu organisationnel. Ce sont des groupes de personnes partageant une préoccupation commune, des problématiques ou une passion pour un sujet, et qui approfondissent leurs savoirs et leurs expertises dans ce domaine en entretenant des interactions de manière permanente[1] (Wenger, McDermott et Snyder 2002, p. 4). Il s’agit d’un groupe dont les membres s’engagent mutuellement et régulièrement dans le partage de connaissances et l’apprentissage autour de leurs intérêts communs (Lesser et Everest, 2001).

Dans cet article, le concept de CoP est mis en exergue dans le contexte inter-organisationnel. Les RIO se présentent comme un mode de coordination alternatif au marché et à la hiérarchie. Des approches théoriques telles que la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1991), la théorie des ressources (Wernerfelt, 1984 ; Barney 1991) et ses prolongements récents en management des connaissances et des compétences (Kogut, 2000) sont à la base des explications des RIO et de leur gouvernance. Partant de ces approches, la notion de RIO est considérée comme un rapprochement volontaire entre au moins deux entreprises qu’elles soient fournisseuses, clientes, concurrentes ou encore organisme de recherche. L’objectif est de faire de ce rapprochement un contexte négocié de sens pour réduire l’incertitude (Assens, 2003). Les RIO ne sont pas entendues dans cet article uniquement dans le sens des coopérations qui font l’objet d’accords contractuels, mais aussi d’autres relations de rapprochement non hiérarchiques (les relations de sous-traitance sont par exemple exclues) telles que les associations professionnelles ou celles qui s’inscrivent dans une logique transactionnelle à moyen ou long terme avec les clients et les fournisseurs. Ce rapprochement implique un échange d’informations, de technologies ou d’autres actifs spécifiques tangibles ou intangibles (Gulati, 1999). Ces dernières se déclinent en interactions interpersonnelles entre personnes physiques favorisant la confiance et la proximité (Neuville, 1998). C’est un contexte de génération et d’évolution d’un système de confiance (Delerue et Bérard, 2007). Les RIO sont aussi l’une des orientations stratégiques mises en place par les PME pour pouvoir combler le manque de ressources cognitives en interne et faire partie des réseaux d’acteurs. La notion de CoP est donc définie comme étant un réseau d’acteurs en interaction travaillant ensemble pour partager leurs savoirs, résoudre des problèmes communs et échanger leurs visions, leurs expériences, leurs histoires et frustrations (Lesser et Everest, 2001), constitue notre cadre de référence pour utiliser le concept de communauté de pratique dans un contexte de RIO. Soulignons dans ce cadre que Teigland (2000) note que les communautés de pratique peuvent s’étendre aux coopérations inter-organisationnelles. « … il est aussi important de souligner que les CoP n’existent pas seulement dans le cadre des frontières organisationnelles traditionnelles de l’entreprise, mais aussi au-delà de ces frontières pour intégrer des membres qui travaillent sur des types de problèmes similaires dans d’autres entreprises[2] ».

1.2. Particularités des PME et émergence des communautés de pratique externes

Les auteurs sont quasi unanimes sur le fait que le manque de ressources internes est l’une des caractéristiques qui spécifient la PME par rapport à la grande entreprise (Marchesnay et Julien, 1989 ; Torrès, 1999, 1997). Ces ressources limitées handicapent la mise en oeuvre des stratégies d’innovation et de création de valeur. La notion de ressource est considérée dans son sens le plus large faisant référence aux actifs tangibles et intangibles. Toute chose qui pourrait affecter les forces ou les faiblesses de l’entreprise est considérée comme une ressource (Wernerfelt, 1984, p. 172). La rareté, la non-substituabilité, la valeur et l’inimitabilité sont les principales caractéristiques dites stratégiques (Barney, 1991). La théorie des capacités dynamiques introduite par Teece et ses collègues (Teece, Pisano et Shuen, 1997) propose une vision renouvelée de l’approche à base de ressources et explique comment les combinaisons de ressources et de compétences sont développées et mises en oeuvre à travers la notion des capacités.

D’autres auteurs proposent le concept de capacité d’absorption comme une capacité organisationnelle mesurant l’aptitude de l’entreprise à acquérir, assimiler et exploiter des connaissances (Cohen et Levinthal, 1990 ; Zahra et George, 2002). Nous pensons que ces caractéristiques des ressources stratégiques renforcent la spécificité relative au manque de ressources des PME. Celles-ci sont en quête permanente des ressources rares qui ne sont pas disponibles en interne. La quête de ces ressources stimule le besoin d’appartenance à des communautés d’acteurs et des réseaux d’échange qui transcendent les frontières organisationnelles.

Le management de proximité est la deuxième particularité prise en compte. La proximité de la PME peut être expliquée par les relations tissées entre le dirigeant de celle-ci et de son environnement. Le dirigeant est un acteur clé à la charnière de l’entreprise et de ses différents partenaires. Il symbolise l’entreprise auprès des autres acteurs et entretient des contacts avec leurs homologues dans le cadre d’associations professionnelles, clubs et réseaux d’entreprises. Le rôle central du dirigeant lui permet d’acquérir des connaissances riches, de partager les expériences, « aventures », et de construire des réseaux relationnels denses. Le réseau social du dirigeant se base sur des relations de proximité qui peuvent être des amis, des anciens collègues ou encore des membres de la famille. Cette situation permet aux entreprises de contrôler les informations environnementales (Chauvet, 2004). Le dirigeant joue le rôle de lien entre l’organisation et l’environnement. Ce lien consiste en une collecte d’informations externes et leur transmission au sein de l’organisation. L’obtention de l’information constitue l’un des principaux moyens dont disposent les entreprises pour réduire l’incertitude. Baillette constate que l’importance de la recherche d’informations par le dirigeant lui-même est reconnue unanimement par la littérature en PME (Baillette, 2002). « La façon de faire des affaires a évolué de telle sorte qu’un entrepreneur a avantage à connaître assez de gens pour être mis au courant des derniers événements » (Filion, 1991, p. 62, cité par Baillette, 2002).

Par conséquent, le management de proximité spécifique aux petites organisations génère des variables relationnelles favorables aux interactions sociales. Elles sont génératrices de confiance et d’engagement relationnel et font référence à la bonne volonté, la camaraderie, la sympathie, et les rapports sociaux entre les individus.

2. Hypothèses de recherche

2.1. La confiance, l’engagement et les communautés de pratique

En s’inscrivant dans une perspective sociologique, Zaheer et Venkatraman (1995) infirment les résultats des tenants du courant transactionnel. Ils soulignent la nécessité d’analyser l’impact de la confiance sur l’explication transactionnelle des RIO. La confiance est un facteur de structuration et de gouvernance des relations. Uzzi (1997) considère la confiance comme un mécanisme de gouvernance qui favorise l’accès à un ensemble d’actifs stratégiques. Elle constitue une variable déterminante de l’échange des connaissances et dépend de l’implication et de l’engagement de chacune des parties dans la relation (Inkpen, 1996). C’est l’un des facteurs clés de succès des ROI. Son absence détériore le niveau de partage des connaissances et réduit les possibilités de résolution de problèmes (Mohr et Spekman, 1994). De leur part, Carson et al. (2003) s’intéressent au rôle efficace de la confiance dans l’externalisation des activités de R et D. Les contrats sont souvent très coûteux et incomplets. L’existence d’un climat de confiance entre les partenaires influence positivement la performance de l’externalisation de la R et D. Levin et Cross (2004) montrent que la confiance joue un rôle médiateur entre les liens forts et l’absorption des connaissances utiles. Ils insistent sur le rôle important des capacités (aptitudes, compétences et expertises qu’on attribue à celui à qui l’on fait confiance) dans la formation des communautés de pratique et l’échange des connaissances tacites. Dans leur revue des recherches quantitatives sur le rôle de la confiance dans les RIO, Donada et Nogatchewsky (2007) montrent que toutes les études valident l’impact positif de la confiance sur la performance des RIO.

Comme la confiance, l’engagement est un construit relationnel qui traduit la volonté de chaque membre d’entretenir et de maintenir des relations d’échanges avec les autres membres de la communauté. L’engagement ne peut pas être traduit uniquement par la signature d’un contrat, car le contrat n’aperçoit qu’une partie des interactions sociales, les interactions informelles hors contrat ne sont pas prises en compte ; la relation ne peut alors être limitée au contrat formel. Elle inclut les relations sociales entre dirigeants dans le cadre d’un « contrat relationnel ». Le contrat ne résulte pas, dans la plupart des cas, d’une activité sociale intense avant son établissement (Froehlicher, 1998). Ce qui explique parfois le désengagement des acteurs signataires. Nous pensons que l’engagement s’explique par « la bonne » volonté envers les acteurs partenaires et l’obligation morale qui rendent possible la pérennité de la relation.

L’engagement reflète aussi le désir des membres de la communauté de maintenir la relation pendant longtemps. Ceci leur procure une certaine sécurité à l’égard des comportements opportunistes. C’est dans ce sens que l’engagement est vu comme étant une source de la durabilité de l’avantage concurrentiel (Hoffman, 2000). Elle offre aux partenaires un contexte favorable pour atteindre les objectifs individuels et collectifs sans l’émergence du spectre des comportements opportunistes. Ils considèrent la confiance et l’engagement comme des variables clés de succès des RIO (Mohr et Spekman, 1994). Morgan et Hunt (1994) lient ces deux variables et les qualifient de variables clés dans la relation de l’entreprise avec les autres organisations. Elles permettent aux dirigeants et gestionnaires d’investir davantage dans les actifs. Ce point de vue est partagé par Monczka et al. (1998) dans une recherche sur les facteurs clés de succès des stratégies d’alliances avec les fournisseurs. Pour ces auteurs, l’engagement est la volonté de fournir des efforts pour le compte de la relation. Il se manifeste par l’investissement en ressources tangibles et intangibles, notamment celles qui ont une valeur stratégique.

Inkpen (1996), dans son analyse des relations de coopération entre les entreprises américaines et nippones, montre que l’engagement des parties joue un rôle de facilitateur de partage des connaissances. Il assure la stabilité des relations et développe chez le partenaire le sentiment d’appartenance à une communauté d’acteurs qui partage un intérêt, un ensemble de problèmes ou une passion pour un sujet et qui approfondit ses connaissances et son expertise (Cappe, 2005). Wenger (2002) considère cette appartenance comme le résultat d’un engagement des acteurs dans des actions de négociation de sens les uns avec les autres. L’engagement mutuel est la source d’une cohérence de la communauté dont l’une des missions de la pratique est précisément de l’entretenir. L’engagement se base sur la complémentarité des compétences et sur la capacité des individus à mettre en réseau leurs connaissances avec celles des autres. Nous retrouvons cette notion de connexion comme base à l’apprentissage chez Cohen et Levinthal (1990). Comme le fait Chantal (2000) dans les équipes projets, nous considérons que la nécessité d’une connexion des connaissances est particulièrement évidente dans le cas des communautés où l’engagement mutuel suppose des contributions complémentaires notamment dans les organisations de petite taille dont l’une des caractéristiques fondamentales est le manque de ressources en interne.

Le lien confiance-engagement est largement traité par les chercheurs depuis la théorie confiance-engagement proposée par Morgan et Hunt en 1994 (Morgan et Hunt, 1994 ; Zaheer et Venkatraman, 1995 ; Uzzi, 1997 ; Westerlund et al., 2009 ; Belliato et al., 2010). Ces auteurs sont quasi unanimes sur le fait que l’engagement est la conséquence de la confiance. Ces recherches valident l’influence positive de la confiance sur la volonté d’engagement des acteurs, l’étendue et la continuité de la relation. Il est aussi reconnu que la confiance se développe dans le temps entre les partenaires selon un cercle vertueux ; la confiance s’approfondit au fur et à mesure que la relation se développe (Donada et Nogatchewsky, 2007).

  • H1 : L’engagement est d’autant plus fort que la confiance est élevée.

  • H2 : L’engagement des parties favorise la formation des communautés de pratique externes.

  • H3 : La confiance favorise la formation des communautés de pratique externes.

2.2. Communautés de pratique et partage de connaissances

Les communautés de pratique permettent à l’entreprise d’accéder à de nouvelles connaissances. Celles qui existent déjà s’enrichissent par la négociation du sens au cours de l’action et constitue, selon Wenger (1998), le niveau le plus pertinent d’analyse des pratiques collectives. Cette négociation s’explique par l’interprétation des connaissances par les autres membres et constitue l’une des phases du processus d’apprentissage organisationnel.

Josserand et Dameron (2006) ont analysé les difficultés de construction d’une communauté de pratique qui émerge d’un réseau de dentistes voulant partager leurs pratiques et stimuler l’évolution de leurs professions. Selon les auteurs, ce réseau représente en quelque sorte une forme pure de communauté de pratique. Teiglang (2000) étudie les communautés de pratique au sein des entreprises de haute technologie, mais s’intéresse aussi aux liens externes des employés notamment via Internet comme source de connaissances pour résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés dans leur travail[3]. L’auteur évoque les possibilités de partage de connaissances et d’expertise dans des forums et souligne l’aspect volontaire des membres d’aider les autres. Ce qui fait la richesse des connaissances partagées, c’est que les membres de la communauté opèrent dans plusieurs entreprises et s’intéressent à un même problème. Le recours à Internet par les membres de la communauté permet de réduire le temps d’accès à la connaissance. Selon Chanal (2000), les communautés se basent sur la complémentarité des compétences et la connexion des connaissances, notamment tacites, appartenant à plusieurs acteurs. Gueye (2004) inscrit son travail dans une approche conventionnaliste et montre que le partage de connaissances doit se faire de façon efficace dans des structures informelles telles que les communautés épistémiques. Cette forme de structure favorise un management informel des connaissances et établit un maillage harmonieux entre les dimensions tacite et explicite de la connaissance. Pour Inkpen (1996), les interactions inter-organisationnelles fournissent les bases des communautés de pratique. Elle est définie comme un groupe d’individus qui n’appartiennent pas nécessairement à une seule organisation et qui partagent les connaissances. Selon l’auteur, il ne suffit pas d’acquérir la connaissance explicite pour parler de communauté. L’appartenance à une communauté permet de devenir un insider et d’acquérir les différentes interprétations subjectives des connaissances partagées. De même, Cappe (2005) souligne que les communautés de pratique se présentent comme un lieu privilégié pour l’apprentissage, le partage et le développement des compétences et des connaissances mises en oeuvre dans la pratique.

Dans notre modèle, nous considérons que les techniques de résolution de problèmes jouent le rôle de modérateur dans la relation entre les communautés de pratique et le partage de connaissances. En effet, le recours au pouvoir de l’entreprise et à l’arbitrage externe sont des techniques de résolution agressives. Par contre, la négociation pour faire disparaître les divergences et convaincre les partenaires est une technique de résolution conjointe.

  • H4 : Les communautés de pratique externes influencent positivement le partage de connaissances sous l’effet modérateur des techniques relationnelles de résolution de problèmes.

2.3. Le rôle de la communication inter-organisationnelle

Nicolas (2007) propose une analyse communicationnelle des inter-relations pour pouvoir saisir l’impact de l’interaction langagière sur la création de l’intelligence collective. Les RIO permettent de créer un espace d’interactions interpersonnelles. La communication inter- organisationnelle est l’une des caractéristiques relationnelles les plus déterminantes du succès des RIO. Trois aspects fondamentaux de la communication inter-organisationnelle peuvent être avancés : la qualité de la communication, la participation des partenaires et le partage de l’information (Mohr et Spekman, 1994). La qualité de la communication est un aspect clé de la transmission de l’information. Elle fait référence à l’exactitude, l’adéquation, la crédibilité et le temps de l’échange de l’information. Mohr et Spekman (1994) voient dans la qualité de la communication un facteur de réussite des RIO. Ces caractéristiques reflètent le comportement communicationnel du partenaire. Les problèmes de communication entre les partenaires sont à l’origine de plus de 25 % des conflits issus de la coopération (Zeigler, 2004).

  • H5 : La communication entre les organisations favorise le partage de connaissances.

2.4. Le partage des connaissances et la capacité d’absorption

L’un des changements les plus importants au niveau de l’organisation et des processus d’innovation est la montée de l’importance des connaissances externes. Face à ce constat, l’idée de création des connaissances en interne seulement est de plus en plus abandonnée et on assiste à une interférence de stock de connaissances organisationnelles avec celles qui entourent l’organisation. Par conséquent, la capacité de l’entreprise à absorber et reconnaître la valeur des connaissances externes devient un déterminant impératif de l’innovation.

L’examen de la littérature stratégique a fait ressortir l’existence de plusieurs chercheurs qui ne considèrent pas la capacité d’absorption de l’entreprise comme un but en soi, mais comme un outil qui accroît la performance. Cohen et Levinthal (1990) mettent en évidence l’influence de la capacité d’absorption sur la relation entre les fuites de connaissance[4] des concurrents et l’innovation. Vinding (2000) reprend le modèle de Cohen et Levinthal (1990) en analysant l’impact de la capacité d’absorption sur la relation entre les connaissances inter- organisationnelles et l’innovation en mobilisant l’approche du capital humain. L’entreprise ayant une forte capacité d’absorption des connaissances externes signifie qu’elle extrait plus de valeur de ces connaissances.

Zahra et George (2002) font la distinction entre la capacité d’absorption potentielle (potential absorptive capacity) et la capacité d’absorption réalisée (realized absorptive capacity). Alors que l’acquisition et l’assimilation déterminent la capacité potentielle d’innovation, la transformation et l’exploitation représentent l’innovation effective. Escribano, Fosfuri et Tribo (2005) soulignent que la capacité d’absorption médiatise l’impact des connaissances externes sur l’innovation. Les entreprises dotées d’une forte capacité d’absorption sont les mieux équipées à identifier les connaissances externes et à les exploiter de manière efficiente. Les connaissances partagées au sein du réseau représentent un potentiel d’innovation. L’acquisition de celles-ci, leur assimilation, leur dissémination à l’intérieur de l’organisation et leur application en sont les principales dimensions.

L’un des aspects qui caractérisent la capacité d’absorption, souligné dès 1990 par Cohen et Levinthal, est son caractère cumulatif. En effet, les auteurs soulignent que les connaissances antérieurement acquises et l’expérience améliorent la capacité d’absorption. Cette approche cumulative et évolutive est paraphrasée par « apprendre à apprendre » (learning to learn) et pour Reuer, Zollo et Singh (2002), les capacités de l’entreprise en RIO et celles du réseau impactent, ex-post, le changement dans les accords collaboratifs. Les auteurs se sont intéressés aux changements des mécanismes de gouvernance inter-organisationnelle et soulignent l’influence positive de l’expérience collaborative sur la performance. Pour Gulati (1998), l’expérience partenariale sert de facteur déterminant de la formation des RIO. Les ressources du réseau dépendent de relations antérieures des entreprises en réseau. L’expérience partenariale est un indicateur des capacités de l’entreprise à entretenir de nouvelles relations et absorber davantage de connaissances externes.

En guise de récapitulation, nous supposons, sur la base de la littérature présentée plus haut, que la capacité d’absorption est une variable médiatrice dans la relation entre le partage de connaissances et l’innovation. Cette capacité est influencée par l’expérience partenariale de l’entreprise.

  • H6 : Le partage de connaissances influence positivement la capacité d’absorption.

  • H7 : Plus la capacité d’absorption est forte, plus l’entreprise en coopération est innovante.

3. Confirmation des échelles de mesure et validation des hypothèses

Pour tester les hypothèses de recherche, nous avons utilisé la méthode des équations structurelles qui présente l’avantage de tester les relations linéaires entre variables latentes. Celles-ci sont prises en compte dans un seul modèle appelé modèle structurel. Les relations entre les variables latentes et les variables manifestes sont aussi prises en compte dans le modèle de mesure. Nous présentons l’échantillon d’enquête et les résultats de l’analyse factorielle confirmatoire qui en découlent (en utilisant le logiciel LISREL), ensuite, le modèle de mesure et le modèle structurel (en utilisant le logiciel PLS).

3.1. Échantillon d’enquête et méthode de validation

La question de l’échantillonnage s’est imposée dès le début de cette recherche vu la nature de notre questionnement de recherche qui porte sur les PME et l’innovation. En effet, nous sommes entrés en contact avec les organismes travaillant directement avec ces entités et qui peuvent nous aider, en l’occurrence, RetD Maroc. Cet organisme nous a permis d’accéder à un fichier électronique de 650 entreprises sur la base duquel nous avons pu constituer une liste cible de 370 entreprises de petite taille. Le critère pris en compte est le nombre d’employés. Nous avons complété cette liste par 130 petites entreprises (nombre d’employés inférieur à 50) de technologie de l’information et de communication de Technopark de Casablanca. À partir des caractéristiques des PME et du rôle central des dirigeants, il s’est révélé que le meilleur interlocuteur de notre enquête est le dirigeant ou toute autre personne proche du dirigeant et concerné par les relations de l’entreprise avec ses clients, fournisseurs et partenaires.

Au total, nous avons distribué environ 400 questionnaires et nous en avons reçu 127 remplis, soit un taux de réponse de 31,75 %. Après vérification, nous avons retenu 110 questionnaires exploitables. D’après les questionnaires que nous avons exploités, il en ressort que la majorité de nos interlocuteurs sont des dirigeants (73 %), des responsables marketing (20 %) et autres (7 %).

3.2. Résultats de l’analyse factorielle confirmatoire

La communication inter-organisationnelle

Cinq variables sont observées sur une échelle d’Osgood en cinq points allant de -2 à 2, nous avons essayé de mesurer le comportement communicationnel des partenaires et la qualité des connaissances partagées. Les items de ce construit représentent une bonne consistance interne de l’échelle (alpha de Cronbach = 0.76). Le rhô de Jöreskog de fiabilité interne s’élève à 0.79. L’AFC de la communication inter-organisationnelle représente de bons résultats. Ainsi les contributions factorielles de l’ensemble des items sont acceptables. La contribution factorielle la plus faible est celle du niveau de crédibilité de la communication.

Le R² mesure le pourcentage de la variance de la variable expliquée par les variables explicatives. La relation entre les variables observées et les variables latentes étant récursive et linéaire (Jöreskog, 2000). Le montant de la variance de la communication inter-organisationnelle expliquée par chacun des indicateurs de mesure de cette variable représente un niveau satisfaisant, sauf dans le cas du dernier item qui restitue environ 30 % de la variance. La validité interne des variables latentes est évaluée sur la base de deux critères essentiels : la validité convergente et la validité discriminante. La première est calculée en utilisant le coefficient du rhô de Jöreskog. Ce coefficient est de l’ordre de 0.43. Cette valeur est en deçà de celle communément admise dans les ouvrages de méthodologie. Cependant, les t de Student représentent des valeurs satisfaisantes ; ce qui nous permet de considérer la validité convergente de ce construit comme étant acceptable. Cette validité convergente est aussi appuyée par la différence significative de khi2 au regard de la différence de degré de liberté entre le modèle testé, en laissant libre les corrélations entre les différentes variables latentes et le modèle où l’on fixerait à 1 les corrélations entre ces variables.

Les communautés de pratique

L’opérationnalisation de ce concept est, jusque-là, limitée à des études qualitatives à base d’entretien. Aucune mesure n’a pu être relevée de la littérature. Partant de ces opérationnalisations qualitatives, nous avons essayé de mesurer ce construit sur une échelle de Likert à 5 points. Après la phase exploratoire, nous avons pu retenir 5 variables manifestes portant sur la résolution de problèmes, l’implication, la coordination des tâches, l’instauration des relations de confiance entre acteurs appartenant à des organisations différentes, le partage de connaissances et la mise en place des projets communs.

La lecture de la sortie LISREL permet de confirmer les items déjà explorés. Ainsi, la contribution factorielle de chacun des indicateurs est supérieure à 0.70 ; ce qui représente des scores satisfaisants. Avec une consistance interne forte (le rhô de Jöreskog = 0.85 calculé manuellement sur la base des contributions factorielles et des erreurs de mesure offertes par LISREL), la validité convergente du construit est acceptable même si elle est en deçà de 0.50. Les valeurs de t de Student sont supérieures à 1,96 au seuil de signification de 5 % ; par conséquent, nous pourrions conclure que la validité convergente de la mesure des communautés de pratique est acceptable.

La confiance inter-organisationnelle

Pour opérationnaliser ce concept, nous nous sommes basés sur les indicateurs de mesure proposés par d’autres auteurs dans des publications antérieures (Zaheer et Venkatraman, 1995 ; Nooteboom, 1996 ; Geindre, 2002 ; Brulhart, 2003). Ainsi, quatre items reflétant la bienveillance, l’intégrité et la capacité des acteurs, ont été proposés lors de la phase exploratoire et nous en avons retenu quatre.

Les résultats de l’AFC sous LISREL montrent que les contributions factorielles des indicateurs de mesure sont satisfaisantes. Elles sont toutes supérieures à 0.50. Le R² pour chaque variable observée est positif et représente une valeur élevée pour le deuxième indicateur portant sur le partage d’une confiance mutuelle. Pour les autres items, le R² est satisfaisant malgré ses valeurs relativement faibles pour le premier et le dernier item. En ce qui concerne l’échelle de mesure de cette variable latente, sa consistance interne, mesurée par α de Cronbach et confirmée par ρ de Jöreskog, est relativement bonne (α=0.73 et ρ=0.80). La validité convergente du construit est vérifiée lorsque chaque variable observée partage plus de variance avec son construit qu’avec son erreur de mesure. En revanche, certaines contributions factorielles des items sont inférieures aux erreurs de mesure. Dans ce cas, la validité convergente n’est pas complètement vérifiée. Il est alors souhaitable de poursuivre le test en examinant le t de Student. Les résultats de l’AFC montrent que les valeurs prises par le t de Student sont supérieures à 1.96 au seuil de signification de 5 %. En outre, le ρ de Jöreskog de validité convergente est de l’ordre de 0.50. Pour la mesure de la confiance inter-organisationnelle, la variance qu’elle partage avec les autres variables latentes du modèle de mesure est relativement faible par rapport aux variances qu’elle partage avec ses indicateurs de mesure.

L’engagement

La mesure de l’engagement est basée sur la définition de cette notion. Les indicateurs de mesure retenus trouvent leur justification dans l’exploration de la littérature et du terrain auprès des entreprises. L’objectif est de mesurer l’attachement et l’implication de l’entreprise dans la relation de coopération. En effet, lors de l’étude exploratoire, nous avons retenu 4 items de mesure présentant un niveau de fiabilité acceptable. Les résultats de l’AFC nous ont conduits à éliminer un item parce qu’il présente une faible contribution factorielle et détériore la consistance interne de l’échelle de mesure.

Pour les autres items, les contributions factorielles de chacune des variables manifestes sont supérieures ou égales à 0.70, ce qui confirme l’attachement de ces indicateurs au construit qu’ils mesurent. Ainsi, le pourcentage de la variance expliquée pour chaque item, représenté par R², est supérieur ou égal à 50 %. La fiabilité de l’échelle est bonne au regard des deux coefficients de mesure de la consistance interne. Ainsi, elle est de 0.79 selon l’alpha de Cronbach et de 0.80 selon le rhô de Jöreskog. En plus de sa bonne fiabilité, la validité convergente de l’échelle, calculée par le rhô de Jöreskog, est vérifiée (ρvc=0.58). Cette validité signifie que les items partagent plus de variance avec leur construit qu’avec leurs erreurs de mesure. Les valeurs t de Student renforcent notre conclusion sur la validité convergente de cette échelle.

Le partage des connaissances

Ce construit est mesuré sur une échelle de Likert à 5 points. L’exploration théorique et empirique de cette variable nous ont permis de relever 5 indicateurs de mesure qui portent sur les connaissances technologiques, commerciales (produits/marché) et entrepreneuriales. Les résultats de l’AFC permettent de confirmer l’échelle ainsi explorée. En effet, les contributions factorielles sont toutes supérieures à 0.50 avec des valeurs t de student qui dépassent 1.96 au seuil de signification de 5 %.

Le pourcentage de la variance expliquée par chaque indicateur est relativement moyen sauf pour le dernier item qui est de l’ordre de 29 %. En ce qui concerne la fiabilité du construit, son niveau est relativement bon. Ainsi, les deux coefficients α de Cronbach et ρ de Jöreskog sont relativement d’accord sur le niveau de cette fiabilité. La validité convergente est vérifiée par le rhô de Jöreskog qui prend en compte les erreurs de mesure dans sa formule de calcul. Ce coefficient est de l’ordre de 0.46, il est relativement faible ; ce qui permet de conclure que la validité convergente n’est pas complètement vérifiée. Il est par conséquent souhaitable de continuer le test en recourant à d’autres outils tel que le t de Student de chaque indicateur. En effet, les valeurs fournies par le logiciel LISREL nous ont permis de nous assurer de cette validité. Toutes les valeurs sont supérieures à 1.96 au seuil de signification de 5 %.

Les dimensions de la capacité d’absorption

La conceptualisation théorique de la capacité d’absorption depuis l’article de Cohen et Levinthal (1990) constate l’existence de sous-dimensions conceptuelles. En effet, la capacité d’absorption des connaissances est définie par la capacité de l’entreprise à acquérir, assimiler et disséminer ces connaissances afin de pouvoir innover. Le construit a un degré d’abstraction élevé et peut être considéré comme un facteur de second ordre ou d’ordre supérieur dans l’AFC. Il constitue une variable latente dont les indicateurs sont eux aussi des variables latentes. La prise en compte de la capacité d’absorption comme étant un facteur de second ordre est appuyée sur les recherches antérieures notamment celles de Zahra et George (2002).

Dans notre cas, nous avons repris les trois dimensions de la capacité d’absorption relevées de la littérature. Nous avons conçu, en nous basant sur la littérature existante, notamment les travaux de Chauvet (2003, 2004) et l’étude exploratoire que nous avons menée, une échelle de mesure de ce construit en 15 items. Pour valider cette échelle, nous avons mené une AFC de premier ordre.

Les dimensions d’acquisition, d’assimilation et de dissémination des connaissances, considérées théoriquement comme étant des composantes de la capacité d’absorption, sont regroupées dans un même modèle de mesure. Les résultats de l’AFC du premier ordre représentent des contributions factorielles satisfaisantes de chacun des items (supérieures à 0,50), les valeurs t Student et le pourcentage de la variance expliquée sont acceptables.

Cependant, les indices d’ajustement du modèle aux données restent en deçà des seuils préconisés par les spécialistes. Il s’agit notamment des indices d’ajustement absolu tels que le RMSEA qui dépasse 0,1 et le GFI qui s’éloigne fortement de 0.9. Ces résultats font appel à une respécification du modèle théorique. Pour ce faire, nous avons utilisé l’indice de modification proposé par LISREL qui facilite l’identification des variables concernées par la respécification[5]. L’indice de modification représente la réduction du chi2 qui se produirait si l’on estimait un ou plusieurs paramètres supplémentaires (corrélation ou covariance). Ces indices sont calculés pour chaque couple d’items d’un modèle dont le paramètre est fixé (non estimé) ou contraint (valeur affectée).

La respécification du modèle des variables de la capacité d’absorption a permis de relier certains items présentant des erreurs de covariances qui affectent le modèle. Ensuite, nous avons procédé à l’élimination de deux items qui présentent des contributions factorielles inférieures à 0.50 et dont la suppression améliore l’ajustement du modèle[6]. Notons que la respécification du modèle a permis une redistribution de la variance expliquée par les indicateurs de mesure.

L’acquisition de connaissances

L’acquisition des connaissances est mesurée par le degré d’accord ou de désaccord des répondants sur le rôle de la coopération entre l’entreprise et les acteurs de son environnement, notamment avec les fournisseurs, clients, concurrents et laboratoires de recherche, dans l’acquisition des connaissances. Ainsi, quatre indicateurs relevés de la littérature, dont les contributions factorielles sont relativement satisfaisantes, ont été confirmés. Le pourcentage de la variance expliquée associé aux items est significatif malgré la faible valeur du R² pour le premier item (30 %). La fiabilité du construit « acquisition de connaissance » est de l’ordre de 0.70 selon α de Cronbach et de 0.74 pour ρ de Jöreskog. Les valeurs t de Student sont toutes supérieures à 1.96 au seuil de 10 %. Certes la convergence de l’échelle n’est pas complète, mais elle représente un niveau relativement satisfaisant.

L’assimilation de connaissances

Pour mesurer cette dimension, nous proposons une échelle de Likert en 5 items mesurée sur 5 points. Après avoir exploré cette variable, l’étude confirmatoire montre que chaque item dispose d’une contribution factorielle relativement bonne par rapport au seuil admis. Le pourcentage de la variance restituée par chaque item atteste de l’attachement de celui-ci à son construit. Le R² est élevé pour le troisième (56 %) et le deuxième item (71 %). Il est moyen pour le premier (66 %) et le cinquième, et relativement faible pour le quatrième (33 %). La fiabilité de l’échelle de mesure de l’assimilation des connaissances est confirmée. En ce sens, le rhô de Jöreskog est de l’ordre de 0.83 et renforce le résultat obtenu en utilisant alpha de Cronbach lors de la phase exploratoire. Ce coefficient est de l’ordre de 0.78 au niveau de l’échantillon final. Sa validité est vérifiée par le coefficient de Jöreskog et les valeurs de t de Student.

La dissémination de connaissances

À l’instar des autres dimensions de la capacité d’absorption, l’assimilation est mesurée sur une échelle de Likert de 5 points. 5 items ont été retenus pour cette mesure. Les résultats de l’AFC sur cette dimension montrent un attachement fort des items à leur construit. En effet, toutes les contributions factorielles dépassent la valeur communément admise de 0.5. Il en est de même pour les valeurs t de Student et le R² qui mesure le pourcentage de la variance restituée par chaque item. Pour la fiabilité du construit, le rhô de Jöreskog présente une excellente valeur (ρ=0,82). Ce résultat confirme celui calculé par l’alpha de Cronbach lors de la phase exploratoire. La validité convergente, même si elle s’éloigne légèrement du seuil de 0.5, peut être acceptée en examinant les valeurs de t de Student qui dépassent 1.96.

L’examen de la matrice Phi permet de détecter l’existence ou non de colinéarité entre deux facteurs lorsque la corrélation entre ces deux facteurs est très forte (de l’ordre de 0.90). Elle permet aussi de se décider sur la nécessité d’effectuer une AFC de second ordre lorsque la matrice de corrélation entre les facteurs présente des valeurs moyennes. Dans notre cas, nous constatons que la corrélation entre les facteurs est moyenne (0.65>r>0.46). Ce qui nous permet de vérifier l’absence de colinéarité entre les facteurs et de confirmer nos développements au niveau du cadre conceptuel sur l’existence d’un construit agrégé d’ordre supérieur : la capacité d’absorption.

Les résultats de l’AFC de ce construit montrent que les dimensions de premier ordre ont de fortes contributions factorielles. Le pourcentage de la variance expliquée par chaque dimension du premier ordre est acceptable. Ainsi, l’acquisition des connaissances restitue 84 % de la variance expliquée, l’assimilation 51 % et 41 % pour la dissémination.

Ces résultats sont renforcés par une bonne cohérence interne du facteur de second ordre (ρ=0.81) et une validité convergente qui dépasse le seuil retenu par les chercheurs (ρvc=0,59). Les valeurs t sont aussi acceptables, ce qui confirme la validité de ce construit. Par conséquent, cette échelle obtient de bons résultats. Pratiquement tous les indices d’ajustement, de fiabilité et de validité obtiennent des valeurs supérieures aux normes établies.

Les dimensions de l’innovation

Pour le premier construit théorique de l’innovation, à savoir l’innovation de produits, il est mesuré sur une échelle de Likert en 5 points, allant de « nul » jusqu’à « très fort », permettant ainsi au répondant d’évaluer l’impact des RIO et les CoP qui en découlent sur l’innovation des produits selon trois items. L’attachement de ces items au construit qu’ils mesurent est très fort dans la mesure où leurs contributions factorielles se situent au-dessus du seuil communément admis par les chercheurs. Ces contributions sont renforcées par le pourcentage de la variance expliquée par chaque indicateur qui va de 40 % pour le troisième item à 100 % pour le deuxième item. La cohérence interne de ce construit mesurée dans cette phase confirmatoire par le rhô de Jöreskog est très bonne (ρ=0.85). Sa validité convergente est aussi bonne (ρvc=0.66). Ce résultat est appuyé par les valeurs t de Student qui dépassent 1.96.

De même pour l’innovation des procédés, cette variable est mesurée sur la même échelle que la précédente en utilisant 3 items portant sur la flexibilité et la capacité productive ainsi que sur la réduction des coûts notamment salariaux. Les résultats de l’AFC montrent que ces items mesurent bien l’innovation de procédés. En effet, les contributions factorielles représentent des niveaux relativement élevés. Celles-ci sont associées à des pourcentages de variances mesurés par le R² acceptable. L’échelle de mesure de l’innovation de procédés présente une forte cohérence interne avec ρ de Jöreskog de 0.80. La validité convergente présente aussi un niveau moyen. Ces résultats nous permettent de confirmer les résultats de la phase exploratoire.

3.3. Le modèle de mesure

Appelé aussi modèle externe (outer model), le modèle de mesure représente les relations linéaires supposées entre les variables latentes et les variables manifestes. Le modèle de mesure résulte de l’analyse factorielle confirmatoire et permet d’observer que chaque variable latente est reliée par un lien qui indique la contribution factorielle estimée par l’analyse factorielle confirmatoire. Ces indicateurs représentent les items du questionnaire qui ont fait l’objet de développements théorique et empirique sur des échelles de mesure dans la phase exploratoire. Pour examiner le modèle de mesure, trois critères sont à considérer dans l’évaluation de la qualité du modèle de mesure : la fiabilité des échelles de mesure, la validité convergente et la validité discriminante.

En plus de l’alpha de Cronbagh pour mesurer la fiabilité des échelles de mesure, les méthodes d’équations structurelles élaborent un autre coefficient qui présente l’avantage de prendre en compte les erreurs de mesure. Il s’agit du composite reliability (l’indice de concordance) qui ressemble au rhô de Jöreskog calculé dans l’approche LISREL. Certes, l’alpha de Cronbach est le coefficient typique d’évaluation de la fiabilité, mais il se base sur l’hypothèse restrictive qui considère l’égalité de l’importance des items. Une autre procédure alternative est estimée par PLS. Elle représente la variance de la mesure attribuable à la dimension sous-jacente.

La fiabilité des échelles de mesure est utilisée à côté de l’AVE (Average Variance Extracted) pour évaluer la validité convergente des construits. L’AVE est la moyenne au carré des contributions factorielles d’un bloc d’indicateurs pris séparément. Il mesure le montant de la variance capturée par le construit de ses indicateurs par rapport aux erreurs de mesure (Fornell et Bookstein, 1981). Le seuil généralement admis est de 0,5. L’AVE est aussi conçu pour être utilisé comme un outil d’évaluation de la validité discriminante. La racine carrée de l’AVE doit être supérieure aux corrélations du construit avec les autres. Cette situation indique que la variance partagée entre le construit et ses indicateurs est supérieure à celle partagée avec les autres construits.

Les contributions factorielles des indicateurs de mesure montrent des valeurs satisfaisantes des loadings. En effet, nous distinguons trois catégories : les loadings qui sont supérieurs à 0,70, les loadings qui se situent au-dessus de 0,5 et d’autres qui sont inférieurs à 0,5. Nous retenons dans notre modèle de mesure ceux qui sont supérieurs à 0,5. Les autres sont éliminés du modèle. Ainsi, nous maintenons un seul item pour le construit résolution de problème. Pour le construit partage de connaissances, nous conservons 4 items au lieu de 5. Plus encore, les corrélations de chaque bloc d’items avec leurs construits théoriques sont supérieures aux corrélations de ces mêmes items avec les autres construits du modèle. Par conséquent, le premier critère de validité convergente est satisfait.

Dans le modèle de mesure, la capacité d’absorption (Cap.Ab) est considérée comme une variable de second ordre. Elle est reliée aux items d’acquisition, d’assimilation et de dissémination. Le seuil de 0,5 est satisfait par l’ensemble des construits à l’exception de la communication inter-organisationnelle (AVE=0,48). En dépit du faible niveau de l’AVE, nous considérons que la validité convergente de ce construit peut être acceptée au regard des contributions factorielles des items de celui-ci et de sa forte fiabilité. Pour les autres, leurs coefficients de fiabilité composite sont tous satisfaisants. Ils sont supérieurs à 0,7. En ce qui concerne la validité discriminante, les valeurs de la racine carrée de l’AVE représentées en diagonale du tableau sont acceptables. La racine carrée de l’AVE de chaque construit dépasse la corrélation de celui-ci avec les autres construits. Ce qui indique que tous les construits partagent plus de variance avec leurs items que celle partagée avec les items des autres construits.

Au total, les critères de validité convergente sont discriminants pour évaluer la qualité du modèle de mesure. Ils sont satisfaisants. Ainsi, les contributions factorielles des items sont élevées et essentiellement sur le construit qu’ils mesurent. Quant à la validité discriminante, le tableau précédent montre la capacité de chaque mesure à générer des résultats différents des mesures d’autres construits.

Tableau 1

Fiabilité, validité convergente et discriminante

Fiabilité, validité convergente et discriminante

-> Voir la liste des tableaux

3.4. Test du modèle structurel

Appelé aussi modèle interne (inner model), le modèle structurel représente les relations entre les variables latentes explicatives et les variables latentes expliquées. Dans notre modèle, nous mettons en évidence les variables intermédiaires précédemment testées. Le test du modèle structurel examine les coefficients de régression en utilisant les t Student pour tester la signification des relations entre les variables latentes.

Le logiciel SmartPLS2.0 fournit le schéma du modèle structurel de notre recherche. Contrairement à LISREL, le PLS offre ce modèle sans indice d’ajustement. Le pouvoir explicatif du modèle structurel est évalué par le coefficient de détermination R² des variables endogènes. La figure du modèle structurel montre que le modèle explique 43,6 % de la variance dans l’innovation des produits et 32 % de la variance dans l’innovation des procédés. La capacité d’absorption des connaissances joue le rôle de variable médiatrice. De façon plus précise, nous distinguons deux perspectives d’analyses dans notre modèle. La première est intra- organisationnelle, la seconde est inter-organisationnelle. Dans la première perspective, la capacité d’absorption est une variable organisationnelle interne. Elle est considérée dans ce modèle comme étant un construit de second ordre mesuré par les dimensions de premier ordre : l’acquisition de connaissances, leur assimilation par les membres de l’organisation et leur dissémination au sein de l’organisation.

Figure 1

Le modèle structurel

Le modèle structurel

-> Voir la liste des figures

Dans la seconde perspective, nous soutenons l’idée que les RIO favorisent l’émergence des CoP et le partage de connaissances. En effet, 50 % de la variance dans le construit de partage de connaissances est expliqué par le construit des CoP et celui de la communication inter-organisationnelle. De sa part, la variable CoP est expliquée par l’engagement des partenaires et la confiance qui caractérise les RIO. Elle capture 44 % de la variance. Précisons aussi qu’il existe à ce niveau une relation de cause à effet entre l’engagement et la confiance. En fait, plus les partenaires sont engagés et impliqués dans la relation de coopération, plus la confiance est forte. La confiance est aussi influencée par la communication entre les organisations. Cela apparaît clairement dans notre modèle. Plus de 30 % de la variance dans la confiance inter-organisationnelle est expliqué par l’engagement et la communication.

En définitive, les deux perspectives sont indissociables. Les attributs relationnels des RIO (confiance, engagement, communautés de pratique et communication inter-organisationnelle) favorisent le partage de connaissances entre les organisations et l’entreprise doit être dotée d’une capacité interne d’acquisition de ces connaissances, de leur assimilation et de leur transformation en innovation de produits et de procédés. Il faut noter qu’il existe une relation linéaire entre le partage de connaissances et la capacité d’absorption des connaissances. 24 % de la variance dans la capacité d’absorption est expliqué par le partage de connaissances et l’expérience partenariale de l’entreprise.

Discussion

Le sujet des RIO est considéré comme l’un des sujets qui suscitent l’attention de plusieurs recherches en management stratégique aujourd’hui et montrent les limites de la dichotomie marché-hiérarchie. L’abondance des écrits dans ce sens, notamment anglophones, atteste de l’engouement pour ce sujet. Dans le présent article, nous avons considéré les RIO comme un contexte négocié qui résulte un rapprochement volontaire des organisations et qui favorise l’émergence des communautés de pratique. L’objectif est de mettre en relation les CoP inter-organisationnelles et la capacité d’absorption des connaissances et leurs apports à l’innovation. Cette capacité joue le rôle de variable médiatrice.

À travers cette recherche, nous avons pu proposer une nouvelle perspective de recherche sur les CoP de pratique en élargissant leur application au contexte des RIO. Le construit de CoP est certes difficile à opérationnaliser parce qu’il n’a pas encore atteint la phase de maturité conceptuelle, mais il présente des pistes de réflexion prometteuses et enrichissantes pour les recherches portant sur l’innovation et le management des connaissances. Cette recherche a pu montrer le caractère explicatif des déterminants relationnels des RIO (confiance, engagement et communication) dans l’émergence des CoP et le partage des connaissances. De telles connaissances ne peuvent être capturées par l’entreprise que si elle est dotée d’une capacité d’absorption des connaissances. Dans ce cadre, nous avons proposé une opérationnalisation de la notion adaptée à notre terrain d’investigation à savoir les PME. Celles-ci ne peuvent pas, comme les grandes, compter sur leurs ressources internes pour développer des activités de R et D. Elles font appel à leur actif relationnel qui leur permet d’accéder à de nouvelles connaissances. L’objectif de cette recherche est alors d’expliquer à travers un modèle structurel la relation causale : communauté de pratique – partage de connaissance – capacité d’absorption – innovation dans un contexte de RIO. Le modèle présente une jonction entre les dimensions relationnelles permettant l’accès aux connaissances et les dimensions organisationnelles permettant la transformation et l’exploitation de connaissances en innovation.

Au niveau inter-organisationnel, le rôle de la confiance et de l’engagement dans la formation des communautés de pratique est théoriquement montré (Morgan et Hunt, 1994 ; Inkpen, 1996 ; Teigland, 2000 ; Chanal, 2001). Notre étude empirique a montré l’existence d’une relation causale positive entre d’une part, la confiance et l’engagement des partenaires et d’autre part, les CoP. Celles-ci constituent un lieu privilégié de négociation de sens, de résolution de problèmes, de création et de partage de connaissances et d’expériences. Les résultats empiriques montrent l’existence d’une relation de détermination positive et statistiquement significative entre les communautés de pratique et le partage de connaissances. Cette causalité traduit la relation entre les caractéristiques relationnelles des RIO et les caractéristiques cognitives. En effet, les caractéristiques relationnelles permettent de résoudre un des problèmes majeurs des organisations de petite taille : le manque et la difficulté d’accéder à des ressources valorisables. Elles permettent aussi de mettre en valeur le management de proximité qui caractérise la PME en interne et en externe.

Au niveau intra-organisationnel, l’importance de la capacité d’absorption dans l’innovation présentée dans la littérature (Cohen et Levinthal, 1990 ; Zahra et George, 2002) apparaît clairement dans le modèle structurel. L’introduction de la capacité d’absorption comme variable intermédiaire entre le partage de connaissances et les deux dimensions de l’innovation a permis d’améliorer significativement les coefficients de régression, mais aussi les coefficients de détermination. Sur le plan théorique, cela signifie que les RIO et le partage de connaissances qui en découle n’impliquent pas forcément que l’entreprise est innovante si elle n’est pas dotée des capacités internes d’acquisition, d’assimilation et d’exploitation de ces connaissances.

Cette recherche présente aussi des limites. La plus importante se réfère à la taille réduite de l’échantillon et son hétérogénéité. Nous avons administré le questionnaire auprès de 400 entreprises et nous avons récupéré 127 réponses, dont 17 non exploitables. Le taux de réponse est d’environ 31 %. Cette taille réduite n’a pas permis d’utiliser le logiciel LISREL pour tester le modèle de recherche (LISREL exige la taille d’au moins 200 observations). Le recours au logiciel PLS pour le test du modèle de mesure et du modèle structurel pourrait être considéré comme une limite qui pourrait être dépassée par le développement des recherches portant sur des échantillons de grande taille. De même, il serait intéressant de développer des recherches quantitatives portant sur un secteur particulier pour éliminer l’effet de l’hétérogénéité du secteur ou encore de considérer le secteur comme étant une variable modératrice du modèle. Le rôle de la connaissance dans l’innovation ainsi que le recours aux membres de la communauté est plus important dans le secteur des technologies de l’information et de communications que dans le secteur artisanal. Il en est de même pour le concept de la capacité d’absorption qui s’est beaucoup développé dans la grande entreprise par rapport à la PME dont le rôle du dirigeant en interne comme en externe est inévitable. Dans ce cadre, nous considérons que les recherches sur les réseaux relationnels des dirigeants et leur impact à la fois sur la formation des communautés de négociation et de création des connaissances que sur les capacités organisationnelles, peuvent être des pistes de recherches prometteuses.