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Introduction

Les systèmes bancaires sont au coeur du fonctionnement des économies. Si nul ne peut contester cette affirmation, il est néanmoins évident, qu’avec la crise actuelle, des interrogations se font jour sur la nature et les modalités des interventions des établissements de crédit dans un contexte de globalisation financière, de marchéisation des économies et de dérèglementation. Au-delà, il apparaît que beaucoup d’intermédiaires financiers ont une part de responsabilité dans l’instabilité financière observée liée aux comportements spéculatifs associés à une prise de risque excessive dans le seul but de faire toujours plus de profits. L’assèchement des marchés interbancaires en est une conséquence.

Les difficultés rencontrées par nombre d’établissements, en particulier les plus gros, prouvent une fois de plus la fragilité des bilans bancaires (Diamond et Dybvig, 1983 : 401-419; Diamond, 2007 : 189-200).

La question qui se pose alors est de savoir comment réduire cette fragilité.

La crise financière a fait ressortir le fait que certaines banques utilisaient des ressources provenant de leur activité de banque de détail à des fins spéculatives sur les marchés de capitaux. Ce constat a suffi pour que certains mettent en avant le caractère inapproprié du modèle bancaire dominant, en Europe notamment, à savoir celui de la banque universelle alors même que l’ensemble de la profession bancaire en Europe (y compris au Royaume-Uni) et aux États-Unis y est attaché en raison de sa profitabilité à certaines périodes. Ce modèle permet en outre la diversification des sources de profit.

Cette expression de banque universelle reprend dans un contexte nouveau une conception de la banque qui remonte au XIXe siècle et qui avait déjà été remise en cause lors de la crise de 1929. La déspécialisation des activités bancaires et la recherche d’une taille critique entrainant une croissance interne et externe débouchant sur la création des banques universelles, ne sont que des traits de la financiarisation des économies qui s’est opérée dans les années 1970 aux États Unis et 1980 en Europe.

Les banques universelles apparaissent donc comme de grands conglomérats financiers qui regroupent les différents métiers des banques de détail, des banques de financement et d’investissement (BFI) et des banques de gestion d’actifs. S’ajoutent également les opérations d’assurance (la bancassurance, à l’exemple de la France).

Cet article vise d’une part, à faire une présentation synthétique des principales caractéristiques du modèle de banque universelle en Europe tout en faisant ressortir des singularités dans certains pays et d’autre part à faire une analyse des arguments favorables et défavorables au maintien du modèle de banque universelle. Enfin, il propose une réflexion sur l’avenir du modèle et sur les améliorations possibles à y apporter, en particulier en matière prudentielle en s’appuyant notamment sur les modèles canadien et français qui ont mieux résisté à la crise financière.

Par conséquent cet article ne vise pas à analyser les causes de la crise bancaire mais cherche à justifier, à partir des comportements bancaires centrés sur la recherche du profit, le débat actuel sur le maintien ou non du modèle de banque universelle. Ce sont ces comportements bancaires que les banques centrales et les autorités de supervision cherchent à modifier en adaptant les modalités de la régulation.

1. La banque universelle, modèle dominant en Europe

Il existe trois grands types de systèmes bancaires. Le premier sépare les fonctions bancaires (banque de détail) et financières, à l’image de ce qui existe aujourd’hui aux États-Unis ou au Japon. Le deuxième est celui de la banque universelle que l’on trouve dans beaucoup de pays européens (Allemagne et France notamment) et en Asie. Enfin le troisième, variante du modèle de la banque universelle est constitué de groupes bancaires polyvalents, c’est-à-dire que le groupe assume toutes les fonctions bancaires et financières à travers des filiales spécialisées que l’on trouve par exemple au Canada, en Italie ou au Royaume-Uni. Toutefois, dans ce pays, on assiste depuis la crise financière, à une remise en cause du modèle, comme en témoigne le Rapport Vickers qui propose un cloisonnement des activités de banque de détail à l’intérieur des banques universelles.

Le modèle de banque universelle a été choisi par un très grand nombre de pays en réaction à l’accroissement de la concurrence né de la dérèglementation, de la libéralisation financière et du développement des marchés financiers. La concentration des systèmes bancaires qui en découle a pour objectifs de réaliser des économies d’échelle, de réduire les coûts, d’augmenter les parts de marchés et en principe d’améliorer la profitabilité des banques.

1.1 Le modèle « small is beautiful » versus le modèle « too big to fail »

Le système bancaire des États-Unis est très différent de celui existant en Europe. En effet, entre 1933 et 1999, le Glass-Steagall Act (ou Banking Act) instaure une incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement. Étant largement contourné par les banques grâce à la création de nouveaux produits financiers rémunérés qui n’entraient pas dans le champ d’application de la Réglementation Q, Il a été abrogé le 12 novembre 1999 par le Financial Services Modernization Act, qui autorisa la création de la banque universelle. Cette loi a permis de donner naissance à Citigroup. Mais la crise financière a remis en question cette loi qui est remplacée depuis juillet 2010 par le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act, loi qui est partiellement inspirée du Banking Act de 1933.

En outre selon les statistiques publiées par le Fed et le Board of Governors le nombre de petites banques est particulièrement élevé. En effet, sur un total de 9 000 banques seules 22 ont aujourd’hui une taille supérieure à 55 milliards de $. La taille moyenne des banques américaines en termes de total de bilan (1 milliard d’€), est très inférieure à la moyenne des banques européennes (5 milliards d’€). Plus de la moitié des banques américaines, soit 5000 environ sont très petites (moins de 100 millions de $ de bilan). À titre comparatif, la BNP fait à elle seule un peu moins de 2 000 milliards de $.

Autrement dit, les États-Unis se démarquent des autres systèmes bancaires par le nombre d’établissements recensés, beaucoup plus élevé que partout ailleurs. On peut ainsi considérer que « small is beautiful » dans ce pays, ce qui va à l’encontre de ce qui est pratiqué au Canada ou en Europe, y compris au Royaume-Uni depuis de nombreuses années. En dépit de cette affirmation, il existe néanmoins de grands groupes bancaires dans ce pays qui ont pu, pour l’essentiel, être constitués grâce à la loi de 1999 autorisant la création de banques universelles. Ces groupes ont par ailleurs pris une part active dans le déclenchement de la crise en raison de leurs comportements spéculatifs à hauts risques aux lourdes conséquences économiques ce qui a entraîné un rejet du modèle dans le pays et l’adoption en 2010 de la Dodd Act.

Au Canada, c’est à partir de 1980 que se met en place la banque universelle. L’industrie bancaire est très concentrée. La structure du système bancaire est oligopolistique (ce qui constitue un point commun avec le système bancaire français): les six banques les plus importantes se partagent environ 90 % du marché. Cinq d’entre elles sont des groupes internationaux. Le système bancaire se caractérise en effet par un nombre restreint de grandes banques dont les succursales couvrent l’ensemble du pays ce qui réduit l’impact des aléas conjoncturels d’une région donnée sur l’activité de la banque. Ces spécificités donnent à l’épargnant un sentiment de sécurité dans le sens où il est assuré que l’épargne déposée peut être rendue liquide sur demande.

À la différence des États-Unis, les banques de dépôt et d’investissement font partie des mêmes groupes, offrent une gamme complète de services bancaires, d’investissement et financiers, couvrent tout le territoire et pratiquent une gestion très rationnelle.

La crise financière récente a permis de tester la robustesse du système bancaire canadien puisqu’aucun établissement n’a été secouru par l’État ou recapitalisé. Autrement dit « big is beautiful » au Canada. En 2012, le système bancaire canadien comprend 24 banques canadiennes, 25 filiales de banques étrangères et 24 succursales de banques étrangères offrant des services complets ainsi que 5 succursales de prêts de banques étrangères exerçant des activités au Canada. Au total ces institutions gèrent un actif de près de 3,6 billions de $ (Source : Bureau du Surintendant des institutions financières).

Les deux modèles, américain et canadien sont donc par conséquent fondamentalement différents. Ces deux exemples tendent à montrer que la taille de la banque ne peut pas être le seul critère à prendre en compte dans l’évaluation du risque systémique. Ce n’est pas la composition interne d’une banque qui pose problème mais les relations qu’elle entretient avec les autres banques et les intermédiaires financiers non monétaires et qui permettent la contagion du risque.

Force est de constater qu’aujourd’hui, il existe une rupture entre l’Europe, le Canada d’un côté et les États-Unis et le Royaume-Uni de l’autre puisque ces pays sont en train de redéfinir leur modèle bancaire dans lequel la banque universelle n’a plus sa place alors que la plupart des autres pays cherchent à l’adapter grâce à des réformes qui apparaissent nécessaires. Il reste ainsi dominant en particulier en Europe. Néanmoins cette affirmation ne signifie pas pour autant une similitude des systèmes bancaires nationaux.

1.2 Les principales caractéristiques des systèmes bancaires européens

À partir des informations fournies par les banques centrales, il est possible de faire ressortir les caractéristiques communes et les singularités des systèmes bancaires des pays membres de la zone euro, comme en témoignent les tableaux 1 et 2.

Tableau 1

Les intermédiaires financiers monétaires résidant dans la zone euro

Les intermédiaires financiers monétaires résidant dans la zone euro

Note : DE : Allemagne, FR : France, IT : Italie, AT : Autriche, IRL : Irlande, NL : Pays-Bas, ES : Espagne, PT : Portugal, B : Belgique, RU : Royaume-Uni.

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La hausse globale de 600 unités recouvre 419 cas résultant du reclassement de coopératives de crédit en tant qu’établissements de crédit.

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Le Royaume-Uni est membre de l’UE et non de la zone euro.

Source : Banque centrale européenne

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Le tableau 1 fait ressortir qu’au sein de la zone euro, la baisse du nombre d’intermédiaires financiers monétaires (IFM) sur la période 1999-2011 est importante (-20,2 %) et ce, malgré l’élargissement de la zone. Au 1er janvier 2011, l’Allemagne et la France comptaient 40,8 % de l’ensemble des IFM de la zone euro, comme en 2010. L’Italie, l’Autriche et l’Irlande comptaient pour 29,4 %, le poids de l’Italie et de l’Autriche étant comparable avec un peu plus de 10 %. Au cours des 12 dernières années (1999-2011), les évolutions les plus marquantes sont les suivantes : une forte augmentation du nombre d’IFM en Irlande et à l’inverse diminution importante de leur nombre aux Pays-Bas, en Allemagne et en France (55,1 %, 39,1 % et 37,8 % respectivement) et une baisse moins forte en Espagne, Portugal et Belgique (32,1 %, 28,1 % et 19,6 % respectivement).

Tableau 2

Les catégories d’IFM de la zone euro en 2012

Les catégories d’IFM de la zone euro en 2012

Note : DE : Allemagne, FR : France, IT : Italie, AT : Autriche, IRL : Irlande, NL : Pays-Bas, ES : Espagne, PT : Portugal, B : Belgique

Source : Banque de France

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Au Royaume-Uni, la baisse du nombre d’établissements est réelle mais moins marquée sur la période 1999-2011. En effet, la baisse est de 26,8 %, largement supérieure à la moyenne de la zone euro, mais très inférieure en fait si on exclut l’Irlande dont le résultat biaise la moyenne. Elle s’inscrit en effet à un niveau inférieur à celui de l’Allemagne, de la France, des Pays-Bas ou de l’Espagne. À l’inverse, la variation entre 2010 et 2011 est de loin la plus élevée, à l’exception de l’Irlande. Il semblerait donc que les restructurations bancaires se soient opérées plus intensément en fin de période. Autrement dit, à l’exception de l’Irlande, la tendance générale est à une restructuration des systèmes bancaires plus ou moins marquée selon les pays avec la volonté de constituer de puissants groupes bancaires internationaux « too big to fail ».

Autre trait commun à l’ensemble des systèmes bancaires de la zone euro, les IFM sont principalement des établissements de crédit, à vocation universelle pour l’essentiel.

Le tableau 2 fait ressortir que les établissements de crédit représentent 84,5 % du total des IFM alors que les OPCVM (Organismes de placements collectifs en valeurs mobilières) monétaires n’en représentent que 14,9 %. Si le poids des établissements de crédit est incontestablement élevé dans tous les pays, il en est différemment de celui des OPCVM, ce qui permet de mettre en évidence des singularités. En effet, au sein des neuf pays retenus, deux groupes se distinguent. Dans le premier, le poids des OPCVM monétaires est significativement supérieur à la moyenne des pays de la zone euro (14,8 %). Il s’agit de la France avec 41,5 % chiffre le plus élevé des pays de la zone, de l’Irlande (18,5 %) et de l’Espagne (17,8 %) groupe auquel on peut rajouter la Belgique (10,6 %). Dans le second, le poids des OPCVM est extrêmement faible. S’y trouvent l’Allemagne (2,5 %), les Pays-Bas (2,4 %), l’Autriche (2 %), le Portugal (1,9 %) et l’Italie (1,8 %).

Par conséquent les deux pays leaders de la construction européenne ont opéré des choix radicalement différents lorsqu’il s’est agi de favoriser le développement des OPCVM. En effet, l’Allemagne n’a jamais eu une véritable politique de soutien aux innovations financières, la Bundesbank estimant qu’elles pouvaient nuire à la stabilité de l’économie allemande et à la réalisation de l’objectif de contrôle de l’inflation. En France, les OPCVM sont essentiellement des satellites des banques ce qui leur permet de placer cette activité dans le hors bilan. Elles perçoivent ainsi des commissions qui contribuent à la profitabilité du système bancaire dont la structure est en outre oligopolistique.

Les établissements de crédit ne constituent pas une catégorie homogène. Autrement dit, il faut distinguer les banques commerciales, celles appartenant au réseau mutualiste (Crédit Agricole et Banques populaires), les caisses d’épargne, les banques postales formant une catégorie spécifique. Sur cette base, les différences entre les pays sont extrêmement sensibles et font ressortir les choix opérés par les États.

En Allemagne, par exemple, plus de 54,6 % des établissements de crédit sont des banques mutualistes (Crédit Agricole et Banques Populaires) et 20,5 % des caisses d’épargne, toutes ayant un statut de banque universelle, soit un total de 75,1 % en 2010 selon les statistiques publiées par la Bundesbank. Cette spécificité explique le nombre important d’établissements dans ce pays puisqu’ils bénéficient d’une très forte implantation locale renforcée par la structure fédérale du pays. Dans une moindre mesure cette caractéristique se retrouve en Italie.

En France, en revanche, selon l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), seulement 15,7 % des établissements de crédit agrées et 30 % des établissements habilités à traiter toutes les opérations de banque appartiennent au réseau mutualiste, l’essentiel de l’activité étant concentrée dans les grandes banques aujourd’hui privées. En outre, le marché bancaire se distingue par la quasi-absence de banques d’investissement pures qui dépendent exclusivement du marché interbancaire pour se refinancer et donc de la confiance des banques. Le marché bancaire présente la caractéristique d’être extrêmement concentré. Cette tendance se retrouve dans d’autres pays hors zone euro, comme au Royaume-Uni, au Japon et au Canada mais pas aux États-Unis même si la tendance actuelle est à une plus grande concentration.

Deux indicateurs peuvent donner le niveau de concentration du système bancaire dans un pays. Le premier est l’indice Herfindhal-Hirschmann. Il est égal à la somme des parts de marché des entreprises (ici des banques) présentes dans une industrie. Plus il est élevé plus la production est concentrée entre un petit nombre d’entreprises. Le second est l’indice CRk qui indique la part de marché des k banques les plus importantes, la part de marché de la banque k se définissant comme le total de ses actifs rapporté au total des actifs du système bancaire. Cet indice est rarement calculé dans les rapports officiels (Banques centrales, OCDE). Parmi les publications officielles consultées, seule la Commission bancaire dans son rapport 2008 indique que le CR5 (5 premiers établissements de crédit) de la France est de 52,3 %, celui de l’Espagne de 40 %, du Royaume-Uni de 36 %, de l’Italie de 26 % et enfin de l’Allemagne de 22 % en 2007. C’est la raison pour laquelle le niveau de concentration est analysé à partir du poids de l’actif total des grandes banques rapporté au PIB, tout en reconnaissant que cet indicateur est imparfait puisqu’il n’est qu’un indicateur de taille relative. Dans les publications officielles récentes, c’est néanmoins cet indicateur qui est calculé. Il présente l’avantage de donner un éclairage sur le poids du secteur bancaire dans l’économie, poids qui est devenu particulièrement élevé et qui peut donner des arguments pour justifier une réforme du système bancaire (et donc éventuellement remettre en cause le modèle de banque universelle).

Le graphique 1 donne une indication sur le niveau de concentration des établissements de crédit dans les sept plus grands pays industrialisés avant la crise et un an après son déclenchement. Il indique le poids de l’actif des trois plus grandes banques de chaque pays rapporté au PIB. Il apparaît que les systèmes bancaires canadien et italien sont les plus concentrés suivis des systèmes bancaires français, britannique et japonais en 2008. La concentration de celui de l’Allemagne est moins marquée, le cas des États-Unis étant quant à lui singulier.

Graphique 1

La concentration des systèmes bancaires dans les pays du G7 (poids de l’actif total des trois plus grandes banques de chaque pays en % du PIB)

La concentration des systèmes bancaires dans les pays du G7 (poids de l’actif total des trois plus grandes banques de chaque pays en % du PIB)
Source : OCDE (2010), Perspectives économiques de l’OCDE, vol. 2010/1, 87(mai)

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Le poids du secteur bancaire dans l’économie d’un pays est mesuré par le rapport entre le total du bilan consolidé des banques et le PIB du pays. Si son poids est trop important par rapport à son PIB, une crise peut mettre en péril toute l’économie du pays, ce qui est d’autant plus vrai si les banques présentent un risque systémique.

Le tableau 3 fait ressortir la domination de quatre grands groupes internationaux britanniques parmi lesquels trois d’entre eux ont des actifs rapportés au PIB supérieurs à 100 % (l’ensemble du secteur bancaire du pays représentant plus de 4 fois le PIB) et de quatre groupes bancaires français parmi les plus grosses banques d’Europe dont l’actif rapporté au PIB est compris entre 58 % et 99 %.

En outre, parmi ces 10 banques, seul le Lloyds Banking Group n’est pas considéré comme une banque systémique selon la dernière liste publiée en novembre 2012. Néanmoins, il n’y a pas forcément un lien entre le caractère systémique et le poids de la banque dans le PIB du pays. En effet, aux États-Unis par exemple, JP Morgan ne représente que 0,15 % du PIB américain tout en étant considérée comme une banque systémique.

En France, l’activité bancaire représente plus de quatre fois le PIB contre un peu moins de quatre en Espagne, au Portugal et en Grèce.

Tableau 3

Poids des 10 plus grosses banques d’Europe selon la taille de leur bilan en 2011

Poids des 10 plus grosses banques d’Europe selon la taille de leur bilan en 2011
Source : SNL Financial et Eurostat

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Au total, dans la zone euro, l’actif du bilan de l’ensemble des banques est équivalent à trois fois et demie le PIB de la zone, certains pays qui ont une faible activité bancaire (comme l’Estonie, la Slovénie ou la Slovaquie) faisant chuter la moyenne.

Par conséquent, même si elle est plus ou moins marquée selon les pays, la tendance à la concentration des établissements bancaires et leur vocation universelle sont les traits communs au Canada et à tous les pays de la zone euro. Néanmoins chacun d’entre conservent des spécificités liées à leur histoire respective et aux choix opérés par les États. Ces choix sont visibles dès lors que l’on s’intéresse aux différentes catégories de banques universelles composant les systèmes bancaires nationaux. Ainsi, par exemple, l’importance des banques universelles du secteur coopératif et des caisses d’épargne en Allemagne, fortement implantées localement a des conséquences sur la nature des relations entre les agents non financiers et les banques et plus particulièrement sur les relations banques – entreprises industrielles, ce qui n’est pas sans avoir des conséquences sur le financement de l’activité économique.

Le choix de la banque universelle en Europe a largement été inspiré du modèle allemand puisque l’Allemagne l’a adopté dès la fin de la Seconde Guerre mondiale alors que la France ne l’a mis en place qu’à partir de 1966 puis finalisé avec la loi bancaire de 1984. Ce modèle, qui a fait ses preuves puisqu’il a permis une dynamique de la rentabilité bancaire, est aujourd’hui remis en question puisque certains souhaitent revenir à un cloisonnement des activités bancaires, à l’image de ce qui est en train de se produire aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La crise financière a eu pour conséquence de rouvrir le débat.

2. La crise financière et la remise en cause du modèle : les arguments en présence

Pour comprendre les raisons motivant la remise en cause du modèle de banque universelle, il est indispensable de se référer au comportement des banques à l’origine du déclenchement de la crise financière.

La crise financière trouve son origine aux États-Unis. Au départ, il s’agit d’une crise affectant le marché immobilier américain. Les banques ont accordé des crédits à des ménages insolvables dont la seule garantie était justement le bien immobilier acheté (crédits subprimes). Le système ne pouvait fonctionner que si deux conditions étaient réunies : taux d’intérêt faibles et prix de l’immobilier élevé. Après l’éclatement de la bulle et l’augmentation du nombre de défauts de paiement, des banques se sont trouvées en difficulté. Il leur fallait de la liquidité qu’elles pouvaient trouver sur le marché interbancaire. Or, en raison du développement de la titrisation, innovation financière permettant de transférer le risque à d’autres établissements, une crise de confiance est née, et cela au niveau international puisqu’avec l’ouverture des marchés beaucoup d’établissements financiers détenaient des actifs toxiques. La crise est ainsi devenue une crise de liquidé internationale caractérisée par un assèchement des marchés interbancaires qui a nécessité l’intervention des États et des banques centrales qui ont permis de sauver les systèmes bancaires et par voie de conséquence les systèmes de paiement.

À partir de là, il a fallu établir les responsabilités de manière à pouvoir engager les réformes qui s’imposaient afin qu’une telle situation ne se reproduise pas. C’est dans ce contexte qu’a été mis en avant le rôle majeur des banques et en particulier des banques universelles en raison de leur plus grande profitabilité, certains les rendant responsables de la gravité de la crise alors que d’autres, au contraire, estimant que grâce à elles le pire avait pu être évité. Quels sont alors les arguments mis en avant? En fait, ils tournent autour de deux grands thèmes, celui de la maîtrise des risques et celui du rôle premier des banques, à savoir le financement de l’économie réelle.

2.1 Pourquoi le modèle de banque universelle est-il le modèle dominant?

L’adoption du modèle de banque universelle, dont la conséquence est la concentration des systèmes bancaires, se justifie par les perspectives de profit que cette structure peut générer. La banque universelle peut en effet permettre à la fois des économies d’échelle (la banque sera plus efficace quand le volume de ses activités s’accroît) et des économies d’envergure (la banque sera plus efficace si le nombre de ses activités s’accroît). Le rôle des banques et au-delà l’ensemble des intermédiaires financiers est de les exploiter. Les modalités de la régulation peuvent être également un facteur à prendre en considération, comme le soulignent Gambacorta et Van Rixtel (2013).

S’agissant des économies d’échelle, il est admis que les banques ayant un nombre d’agences élevé (donc des coûts fixes également élevés) réalisent des économies d’échelle dans leur fonction de collecte des ressources d’épargne. De même, la diversification des risques est un facteur d’économie d’échelle, comme l’a notamment montré Diamond (1984), puisqu’il considère que la viabilité d’une banque est directement liée à la qualité de son actif et que cette qualité est elle-même liée à sa diversification. Autrement dit la banque doit avoir une clientèle large pour minimiser les risques de non-remboursement. L’importance des économies d’échelle a également été montrée pour certains services bancaires traditionnels (Humphrey, 2009) ou pour les activités des banques sur les marchés de capitaux (McKinsey, 2011).

Cependant, sur un plan empirique, les études peinent à prouver l’existence d’économies d’échelle dans la banque (Boot, 2011; Hoenig et Morris, 2012).

Les banques se servent par ailleurs de leurs réseaux pour exploiter des économies d’envergure entre différentes activités (collecte de l’épargne, gestion des moyens de paiement, produits d’assurance, …). En effectuant des ventes croisées de produits à leur clientèle les banques tirent avantage de leur potentiel interne et réalisent des économies d’envergure (Schmid et Walter, 2009). En outre, elles peuvent mieux gérer le problème de l’asymétrie de l’information entre les prêteurs et les emprunteurs, ces derniers étant les seuls à connaître toutes les informations relatives au projet qu’ils souhaitent financer. L’avantage dont elles disposent est lié au fait qu’elles gèrent les dépôts de leur clientèle et peuvent avoir ainsi des renseignements fiables sur la situation financière de l’emprunteur. Autrement dit, il y a une économie d’envergure entre la gestion des dépôts et l’activité de crédit. Néanmoins les travaux empiriques ne valident pas l’existence d’économies d’envergure dans la banque.

La banque universelle doit par conséquent favoriser la stabilité financière, ce qui à la lumière de la crise financière de 2007 n’a pas été vérifié. De nombreuses études ont été réalisées dans le but de mettre en évidence des liens clairs sur la relation entre concentration et instabilité financière. Citons celles de Beck, Demirguc-Kunt et Levine (2006) et celle du Groupe de travail du G10 (2010) par exemple. La première conclut à l’absence de preuve directe permettant d’établir un lien de causalité entre concentration bancaire et crise financière et qu’il peut même y avoir une plus grande stabilité dans les systèmes bancaires concentrés. La seconde conclut quant à elle, à l’absence d’influence directe de la concentration bancaire sur le risque des institutions financières individuelles.

D’une façon générale, la concentration peut avoir un impact positif ou négatif. Cela dépend du comportement des banques. Il s’agit de savoir si elles compensent ou non les effets de la diversification par une plus grande prise de risque.

La mise en place du modèle de banque universelle dans la plupart des pays s’explique ainsi par des considérations de rentabilité. La banque de dépôt a pu bénéficier de la rentabilité des marchés financiers qui s’est trouvée accrue grâce aux innovations financières, la titrisation et les produits dérivés étant les principales. Les banques ont pu de ce fait diversifier la structure de leur bilan tant du côté de l’actif que du passif et augmenter leur profit, du moins dans les périodes où la spéculation permet de réaliser d’importantes plus-values. L’inconvénient est une plus grande dépendance des banques vis-à-vis des marchés et des fluctuations des taux d’intérêt et une augmentation des risques.

Une analyse des comptes de résultats et des bilans des banques en Allemagne, en France, au Canada et aux États-Unis donne un éclairage sur la nature des revenus et le degré de dépendance aux conditions de marché.

Les tableaux 4 et 5 ci-après permettent de montrer à la fois le degré de dépendance des revenus des banques aux conditions de marché et le changement de comportement des établissements de crédit. Ces tableaux présentent l’avantage d’une construction statistique homogène pour l’ensemble des pays de l’OCDE, ce qui facilite les comparaisons. Malheureusement, les données disponibles s’arrêtent en 2009.

Aux États-Unis, l’importance des revenus nets d’intérêts est manifeste (plus de 60 % des ressources en moyenne), comme en Allemagne (plus de 70 % des ressources en moyenne) à la différence du Canada (47 %) et surtout de la France où ils ne dépassent guère 40 %. Les banques sont par conséquent sensibles aux changements affectant notamment les taux débiteurs influencés par le coût d’obtention des ressources sur les marchés et les taux créditeurs sur les placements effectués par la clientèle qui, s’ils ne sont pas administrés par l’État sont influencés par les taux pratiqués sur les marchés.

Tableau 4

Part des revenu d’intérêts (nets) et autres que d’intérêts (nets) dans le total des ressources des banques en Allemagne et en France (%)

Part des revenu d’intérêts (nets) et autres que d’intérêts (nets) dans le total des ressources des banques en Allemagne et en France (%)
Source : Auteur à partir des données OCDE

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Tableau 5

Part des revenu d’intérêts (nets) et autres que d’intérêts (nets) dans le total des ressources des banques au Canada et aux États-Unis (%)

Part des revenu d’intérêts (nets) et autres que d’intérêts (nets) dans le total des ressources des banques au Canada et aux États-Unis (%)
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Note : Pour le Canada, les statistiques de l’OCDE ne donnent par la décomposition des revenus autres que d’intérêts (nets).

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Aux États-Unis les « frais et commissions payés » ne sont pas donnés par l’OCDE expliquant le fait que l’addition des trois postes composant les « autres revenus » est différente de 100.

Source : Auteur à partir des données OCDE

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La part des autres revenus nets est, toutes choses égales par ailleurs relativement fluctuante dans les quatre pays. Le Canada et la France se singularisent puisque leur part représente plus de 50 % de leurs ressources (plus de 60 % pour la France). Les frais et commissions nets ont tendance à progresser partout, montrant ainsi la volonté des banques de diversifier leurs activités en développant les services offerts à la clientèle. Le poids des commissions dans les ressources des banques est à peu près le même en Allemagne et en France (autour de 14 % en 2009) et un peu plus élevé aux États-Unis (15 % en 2009). En revanche, la France se singularise par l’importance relative des profits sur opérations financières. Ces revenus sont révélateurs des comportements spéculatifs des banques sur les marchés.

La nature et le niveau des revenus perçus par les banques conditionnent le niveau de profit des banques universelles. (Les États-Unis ont mis en place ce modèle en 2000 avant de l’abandonner en 2010).

Le tableau 6 montre de très grandes disparités dans les niveaux de profits réalisés par les banques dans les quatre pays. En termes de niveau, les États-Unis se démarquent très significativement des trois autres pays. Avant la crise, les profits réalisés par les banques américaines, en partie réalisés sur les marchés financiers, sont sept à huit fois supérieurs à ceux réalisés dans les trois autres pays. Ils vont véritablement s’effondrer avec la crise financière. Cet effondrement des profits s’observe également en Allemagne. En revanche, même si les banques canadiennes et françaises ont été touchées par la crise, elles restent rentables. La baisse des profits enregistrée en 2009 est, toutes choses égales par ailleurs, relativement modeste.

Notons que le niveau des profits réalisés par les banques canadiennes est supérieur à celui réalisé par les banques allemandes que ce soit avant ou après la crise et souvent supérieur à celui réalisé par les banques françaises. Trois raisons d’importance inégale selon les pays expliquent l’effondrement ou la baisse des profits. La première est l’augmentation des provisions constituées. Elle est massive aux États-Unis. Elles ont augmenté de plus de huit fois entre 2006 et 2009, alors qu’elles ont moins que triplées en Allemagne et en France. Au Canada, seules les provisions sur prêts ont fortement augmenté en 2008 et 2009. Il est clair que la présence d’actifs toxiques dont les montants sont difficiles à estimer dans les portefeuilles bancaires explique ce comportement. Le système bancaire américain s’est par conséquent trouvé plus exposé. L’incertitude sur la qualité des portefeuilles a ainsi accru l’incertitude sur les marchés et a contribué à l’assèchement des marchés interbancaires mettant en péril le système de paiement.

Tableau 6

Résultat avant impôt des banques (Mds de $)

Résultat avant impôt des banques (Mds de $)
Source : OCDE

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La deuxième raison est la baisse des revenus, très sensible pour les revenus nets autres que d’intérêts. En France, ils diminuent régulièrement depuis 2006 en raison des fortes variations des profits ou pertes sur opérations financières. En Allemagne, ils se sont effondrés en 2008 pour remonter ensuite. (En Allemagne comme en France, le résultat avant impôt était négatif en 2008 avec respectivement 18,8 mds d’€ et 9,2 mds d’€). Aux États-Unis, ils sont en progression jusqu’en 2006. Ils s’effondrent ensuite en 2007 et 2008 en raison des pertes sur opérations financières pour remonter en 2009. En revanche, au Canada, ils ont augmenté sur la période et ce quelle que soit l’origine des revenus.

La troisième raison enfin concerne l’évolution des frais d’exploitation. Ils sont relativement stables mais à un niveau élevé en Allemagne, en forte hausse en France, mais largement inférieurs à ceux de l’Allemagne. Ils sont en revanche très élevés aux États-Unis ((près de quatre fois supérieurs à ceux de l’Allemagne en 2009) et en très forte hausse. Ils ont presque doublé entre 2000 et 2009. Ils ont également fortement augmenté au Canada.

Finalement, le tableau 6 fait ressortir que les modèles de banque universelle qui ont le mieux résisté sont ceux du Canada et de la France. Certes, le niveau des profits avant la crise est de loin inférieur à celui des États-Unis mais il a été en croissance régulière jusqu’à 2007 et même s’il a été négatif en 2008, comme en Allemagne, il est redevenu positif ensuite. Il est même supérieur à celui des banques américaines en 2009. En outre, le niveau de profit des établissements français est toujours supérieur à celui des établissements allemands sur la période. Le modèle allemand est par conséquent plus fragile que le français.

En conséquence, la remise en cause de la banque universelle est directement liée à la chute des profits consécutifs à la crise financière. Les États-Unis l’ont abandonné en 2010 lorsqu’ils ont pris conscience que le système de paiement était menacé. La fonction monétaire de la banque de dépôt pouvait ne plus être assurée compte tenu de l’assèchement des marchés. Ce sont les interventions de l’État et de la banque centrale qui ont pu la sauver.

Ceci étant, se pose la question de savoir si en Europe, il est possible de cloisonner les activités en distinguant la banque de dépôt et la BFI. Les arguments en présence tournent autour de la question de la maîtrise des risques et du rôle des banques dans le financement de l’activité économique.

2.2 La banque universelle permet-elle une meilleure maîtrise des risques?

Il est tentant de répondre par l’affirmative à la question dans la mesure où une banque universelle a la possibilité de diversifier ses activités. Néanmoins, la lecture des bilans simplifiés (tableau 7) des établissements financiers incite à la prudence et révèle des disparités entre les quatre pays.

Du côté de l’actif, on constate que le crédit est l’activité principale des banques avec des pourcentages variables d’un pays à l’autre. Les États-Unis détiennent le record absolu. Les agents non financiers (ANF) ont des taux d’endettement très élevé. La consommation est financée par le crédit. L’Allemagne se trouve dans une position intermédiaire. Le Canada et la France ont un pourcentage comparable entre 30 et 40 %. En outre, toutes les banques détiennent un portefeuille titres, le poids de celui du Canada étant le plus important sur la période, suivi par l’Allemagne. Il y a par conséquent un comportement de diversification de l’actif bancaire qui va dans le sens de l’objectif de minimisation des risques permettant d’assurer une plus forte profitabilité.

Tableau 7

Bilan simplifié des banques (%)

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Note : Sont inclus les avoirs auprès de la banque centrale.

Source : Auteur à partir des données OCDE
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Note : Sont inclus les avoirs auprès de la banque centrale.

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Sont inclus le capital et les réserves.

Source : Auteur à partir des données OCDE

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En revanche, il existe une grande différence entre les deux pays européens et les États-Unis au regard des dépôts interbancaires (tant du côté de l’actif que du passif) puisqu’ils sont remarquablement faibles comparativement à l’Allemagne mais surtout à la France et dans une moindre mesure au Canada. Il semble qu’il y ait peu de relations interbancaires sous cette forme aux États-Unis, à la différence de ce qui existe en Europe ou au Canada.

De plus, les emprunts à la banque centrale sont inexistants aux États-Unis et au Canada et très faibles en solde annuel en Allemagne ou en France.

Par ailleurs, les dépôts des ANF constituent une ressource essentielle pour tous les établissements financiers. On constate néanmoins qu’aux États-Unis, ils constituent la principale ressource avec environ 60 % sur la période. Au Canada, ils représentent environ 40 % avec une hausse importante enregistrée en 2009. Il n’y a qu’en France où leur poids est inférieur à celui des dépôts interbancaires, sauf exception.

Enfin, les banques américaines émettent peu d’obligations (à peine plus de 1 % de leurs ressources) alors que leur part est comparable dans les deux autres pays (autour de 16 %), le Canada se situant en dessous à partir de 2006. Par conséquent aux États-Unis les ressources bancaires sont très peu diversifiées et dépendent essentiellement de la confiance des déposants dans leur banque. On peut ainsi comprendre les craintes d’une panique bancaire et leurs conséquences. Ce manque de diversification accroît les risques pesant sur la santé des établissements financiers.

Cette analyse montre bien la fragilité des bilans bancaires qui dépendent à la fois des comportements des agents non financiers (dépôts/crédits) et de l’évolution des marchés financiers.)

La crise financière a démontré, si besoin était, la fragilité des modèles économiques non suffisamment diversifiés : celui des prêteurs non diversifiés et exposés de manière excessive au marché immobilier, celui des banques d’investissement qui ont développé des activités découlant de la titrisation et qui ont des sources de revenus trop peu diversifiées. Pour les défenseurs de la banque universelle, celle-ci est mieux armée pour réussir.

Ainsi aux États-Unis la mise en place de la nouvelle loi en 2000 a été pour certains trop tardive et n’a pas permis aux établissements financiers de diversifier leurs activités (Saidane, 2010). La crise a eu pour conséquence la disparition des cinq plus grandes américaines : Merryll Lynch racheté par Bank of America, Goldman Sachs et Morgan Stanley transformées en banque universelle (holding), Bear Stearns rachetée par J.P Morgan avec l’aide de l’État américain. S’ajoute la faillite de Lehman Brothers.

Une banque universelle peut être plus facile, a priori, à réguler et détient des ressources plus sûres en cas de crise car elles peuvent être aussi puisées dans les dépôts des entreprises et des ménages. Les dépôts du public permettent d’éviter à une banque les effets d’une crise de liquidité interbancaire. En multipliant les activités une banque divise nécessairement ses risques et en s’appuyant sur un large portefeuille d’activités réduit la fragilité de la génération de revenus. Néanmoins, le risque que la banque détienne des créances douteuses ou fasse un mauvais placement existe toujours. En outre, l’abondance de liquidités provenant des dépôts de la clientèle permet d’éviter en cas de difficulté, que cela ne se traduise par des paniques bancaires (Diamond et Dybvig, 1999) et une course aux refinancements.

Mais c’est un argument à double tranchant dans la mesure où il a été reproché à certaines banques l’utilisation des dépôts de la clientèle pour financer des opérations spéculatives. Les déposants sont piégés. Les dépôts de la clientèle peuvent parfois permettre à la banque de dissimuler une situation difficile et de ne pas revoir des choix stratégiques erronés.

Ainsi, l’objectif de ceux qui veulent séparer la banque de détail et la banque de financement (BFI) est d’éviter tout risque sur les dépôts (malgré l’existence de l’assurance sur les dépôts) résultant des pertes de la BFI. Ceci permet aux États de laisser les BFI faire faillite, sans qu’il faille les secourir pour sauver l’épargne des déposants.

Ceci étant, un modèle où les opérations financières sont appuyées sur des fonds propres élevés par rapport aux encours financiers est un modèle satisfaisant. L’avantage des banques universelles est qu’elles peuvent diversifier leurs ressources et que celles-ci ne dépendent pas uniquement des marchés.

Pour d’autres (Leroy, 2010), au contraire, c’est l’adoption du modèle européen par les banques américaines qui est responsable de la crise dans la mesure où la banque universelle favoriserait les conflits d’intérêt, la prise de risques inconsidérés et la création de géants « too big to fail » donc qui ne peuvent pas être sanctionnés pour leurs fautes de gestion. Pour lui, la recherche du profit est mieux maîtrisée dans un système cloisonné.

Certains enfin ont un point de vue moins radical tout en défendant le principe de la banque universelle (Marois, 2009) en considérant que l’existence de banques spécialisées et de banques universelles est positive, à la fois du point de vue des actionnaires et du secteur bancaire. L’argument majeur est d’affirmer que les investisseurs potentiels ont la possibilité de choisir entre deux profils de rentabilité/risque : un profil rentabilité/risque élevé (banque spécialisée) et un profil rentabilité/risque modéré (banque universelle). Il se place du point de vue des actionnaires qui associent la gestion du risque et la réalisation de profits plus importants, ce qui est discutable.

D’un point de vue général, il apparaît que la crise bancaire est une crise du modèle de fonctionnement des banques axé sur une prise de risque excessive ayant conduit à une crise systémique qui a mis en avant la dépendance des systèmes bancaires vis-à-vis des marchés qui ont connu un essor sans précédent avec le développement des innovations financières et de la titrisation en particulier. Selon Plihon (2010), il est indispensable de séparer les activités des banques de manière à ce que la banque de dépôt ne soit pas victime en assumant les risques des activités spéculatives de la BFI .

En conséquence, il n’existe pas de véritable consensus. D’un côté, la banque universelle, grâce à la diversification de ses activités permet une meilleure gestion du risque. De l’autre, elle utilise sa taille pour prendre des risques plus élevés et les faire supporter, in fine, d’abord à la clientèle et éventuellement ensuite à l’ensemble des agents économiques du fait de l’intervention des États et banques centrales pour la sauver.

2.3 La banque universelle et le financement de l’économie réelle

La présentation des bilans simplifiés des banques (tableau 7) montre le rôle central des banques universelles dans le financement de l’économie réelle puisque le poids des crédits bancaires est partout élevé. Toutefois, il existe de fortes disparités entre les quatre pays. Aux États-Unis, les crédits sont principalement à destination des ménages et dans une plus faible part des PME et des autres entreprises. Celles-ci se financent en effet davantage sur les marchés financiers. En Europe, c’est différent. Le financement intermédié des entreprises est important. En Allemagne, par exemple, il y a le principe de la Hausbank, qui lie une banque universelle à une entreprise industrielle.

Selon la Fédération bancaire française (2010), les banques sont à l’origine de plus des 2/3 du financement de la dette des entreprises (contre moins d’un tiers aux États-Unis) et près de 100 % de la dette des ménages français. Autrement dit la banque de détail domine la banque de gestion d’actifs et la banque de financement et d’investissement, ce que confirme la Commission bancaire.

Une étude récente de NATIXIS (2011) montre les dangers de la séparation de la banque de détail et de la BFI en Europe. L’analyse est basée sur le poids relatif des dépôts et des crédits dans le bilan des banques de la zone euro. Les banques ont en effet des crédits qui dépassent d’environ 10 % le montant des dépôts, la différence étant comblée par les émissions sur les marchés financiers. Toutefois, les dépôts dépassent largement les crédits à long terme qui représentent 80 % du PIB, 30 % pour les entreprises, 40 % pour les ménages, le reste pour les autres emprunteurs (collectivités locales).

En outre, la banque de détail en Europe prête beaucoup aux ménages et au PME. Son activité de prêt aux plus grandes entreprises est faible. De ce fait, l’étude fait ressortir que si la banque de détail conservait tous ses dépôts et si elle ne finançait plus que les ménages et les PME, elle se trouverait dans une situation d’excès de liquidité. La question qui se poserait alors est de savoir quoi faire de cet excédent, les placements effectués pouvant s’avérer beaucoup plus risqués, sur les marchés de titres en particulier.

Si la BFI ne peut plus se financer à partir des dépôts, elle devra se financer uniquement à partir de ressources empruntées plus chères, ce qui se traduira inévitablement par une hausse du coût de financement qui pénalisera l’investissement et donc l’économie toute entière.

La crise financière récente a mis en avant la fragilité des systèmes bancaires et de la structure de leur bilan. Elle a également mis en évidence certains comportements inappropriés du point de vue de la stabilité financière des économies, ce qui avait déjà été démontré sur un plan théorique depuis longtemps par Minsky, notamment.

Ce contexte de crise a fait prendre conscience aux dirigeants de la nécessité d’améliorer le fonctionnement des systèmes bancaires et de les réformer. Pour autant doit-on abandonner le modèle de banque universelle, en particulier en Europe?

3. Le modèle de banque universelle doit-il être abandonné?

La question est aujourd’hui posée. En effet les États-Unis et le Royaume-Uni ont décidé de cloisonner la banque de détail et la banque de financement et d’investissement. Aux États-Unis, c’est parce qu’il y avait un risque perçu par les autorités que la fonction monétaire de la banque de dépôt ne soit plus assurée, mettant en péril le système de paiement, que l’abandon de la banque universelle a été décidé. Autrement dit c’est pour sauver le système de paiement que le Dodd-Frank Act a été voté. Les banquiers européens n’y sont pas favorables mais il n’y a pas de position officielle à ce jour de la part de la Commission européenne et de la BCE.

Il convient de se demander si le choix opéré par les États-Unis et le Royaume-Uni est transposable aux économies de la zone euro et s’il n’existe pas d’autres solutions, notamment en matière prudentielle qui permettrait un retour à la stabilité économique, indispensable à la confiance et donc à la reprise de l’activité économique.

3.1 Est-il possible de cloisonner les activités de banque de détail et de banque d’investissement?

Cette question est actuellement largement débattue et trouve des applications dans les différentes réformes ou projets de réformes de la régulation financière. Gambarcota et Van Rixtel (2013) proposent une présentation de certaines des réformes engagées aux États-Unis et dans certains pays européens et analysent leur impact sur la stabilité financière et le risque systémique, sur le modèle bancaire et sur les activités internationales. Le propos ici n’est pas de détailler les réformes entreprises mais de montrer que la crise financière a fait prendre conscience aux États de la nécessité de maîtriser le risque systémique.

Cette question est le coeur du problème (Vauplane, 2011). Il s’agit en effet de distinguer, au sein des banques les activités risquées de celles qui le sont moins. Le choix du cloisonnement a été fait aux États-Unis et au Royaume-Uni, avec la loi Volker (intégrée dans la Dodd-Frank Act grâce à un amendement mais dont la mise en application tarde) et Vickers. Le Royaume-Uni a annoncé en décembre 2011 la volonté d’aller dans le même sens. La mise en oeuvre de la loi n’est pas prévue avant 2018. Il faut resituer la décision britannique dans son contexte (Oudéa, 2011) : des fonds publics très importants ont été nécessaires pour sauver les banques, le taux de défaut sur les crédits est élevé et les systèmes de financement sont différents. Toute la difficulté va être dans les deux pays de s’entendre sur le sens à donner au cloisonnement : quels sont les secteurs qui devront être considérés comme moins risqués et qui devront être protégés (banque de détail) et ceux considérés comme à risque et relevant de la banque d’investissement (Chow et Surti, 2011). Si, au Royaume-Uni, le Rapport Vickers ne prévoit pas de stricte séparation mais une « isolation » de la banque de détail de la banque d’investissement, aux USA la « Volcker rule » interdit à toute institution financière qui collecte des dépôts à s’engager dans des activités de trading pour son compte propre ou bien d’investir dans un fonds de pension ou une société d’investissement. Mais tout comme au Royaume-Uni, la loi ne prévoit pas une séparation totale entre ces deux types d’activité. Comme le souligne Vauplane (2011) « c’est la question de la porosité entre les deux secteurs qui est au coeur des discussions et qui permettra de mesurer l’efficacité de la règle ».

Du point de vue des banquiers, ce modèle n’est pas transposable à la zone euro en raison des grandes disparités existant entre les pays anglo-saxons et la zone euro. Ce qui fait la force de la banque universelle, c’est sa capacité à traiter toutes les demandes du client. Une séparation des activités pourrait en outre entraîner une augmentation du coût du crédit et porter atteinte à la compétitivité des banques de détail et par conséquent à leur rentabilité (Oudéa, 2011; Natixis, 2011).

Compte tenu du contexte européen, ce qui est important, c’est la sécurisation des activités de la banque de détail qui peut se faire autrement que par le cloisonnement et l’adoption de lois type lois Volker ou Vickers. En effet, l’observation des comportements financiers dans certains pays donne à penser que certains systèmes bancaires sont plus sûrs que d’autres. Il s’agit en particulier du système bancaire canadien et dans une moindre mesure du système bancaire français.

3.2 Les systèmes bancaires du Canada et de la France peuvent-ils servir de base à la réforme nécessaire du modèle de banque universelle?

Les banques canadiennes ont prouvé qu’elles résistaient mieux à la crise grâce à une gestion prudente et à une réglementation très stricte.

En matière de gestion, deux faits méritent d’être soulignés. Le premier est que la plupart des banques du pays ont fui les produits toxiques ou structurés. Les banques ont peu pratiqué la titrisation et ont limité l’effet de levier. Le second concerne l’octroi de crédits. En effet, chaque demande de prêt est très étudiée et l’emprunteur doit disposer de solides garanties. Une assurance est obligatoire en cas d’apport inférieur à 20 % du capital. En outre, il n’y a pas d’incitation fiscale à l’endettement. En conséquence, selon l’Association canadienne des banques, moins de 0,3 % des prêts sont en souffrance. Dans l’ensemble, les Canadiens sont des emprunteurs prudents. Les risques sont ainsi assez bien maîtrisés.

Si cette réussite tient à la structure du marché, très concentré, elle s’explique également par l’existence d’un cadre règlementaire très strict qui ne se trouve pas ailleurs.

En effet, la Loi sur les banques est revue et mise à jour tous les 5 ans afin que la structure de la réglementation suive le rythme des changements dans le secteur.

Le système règlementaire canadien s’appuie surtout sur deux organismes : le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), responsable des règles de prudence et l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC), responsable des questions touchant les consommateurs. Le BSIF impose des normes strictes. Les banques doivent détenir un capital (Tier 1) de 7 % par rapport à leurs actifs et le niveau d’endettement est limité à 20 fois le capital. Les banques sont par conséquent parmi les mieux capitalisées au monde (elles n’ont pas eu besoin de plan de sauvetage ou de recapitalisation). Comme les normes excèdent de loin celles établies par la BRI, les banques peuvent poursuivre leurs activités de crédit tout en maintenant des réserves pour absorber les pertes sur prêts qui ont tendance à augmenter en période de crise économique.

Cette bonne gestion bien encadrée permet aux banques de rester rentables (tableau 5) si bien qu’une partie des bénéfices peut être redistribuée aux actionnaires. Notons que la plupart des Canadiens sont actionnaires d’une banque, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une caisse de retraite ou d’un FCP.

La solidité du système bancaire canadien est reconnue au niveau international et pas seulement par le FMI. Un rapport du Forum économique mondial classe en effet le système bancaire canadien au premier rang mondial en termes de stabilité et de vigueur depuis 2008.

Les 5 plus grands établissements sont dans les 50 premières banques mondiales, la Banque Royale du Canada étant à la dixième place en termes de capitalisation, devant la BNP, la première banque française.

De son côté, le système bancaire français a lui aussi plutôt bien résisté à la crise comparativement à d’autres (celui de l’Allemagne notamment, en Europe). Toutefois tous les établissements bancaires n’ont pas été touchés avec la même intensité. Certains ont dû être recapitalisés, d’autres pas. Ceci prouve les disparités dans leur gestion. En particulier le poids des actifs toxiques et l’utilisation de la titrisation ont affaibli les bilans de certains d’entre eux. Néanmoins, la profession bancaire a toujours insisté sur le fait que les banques n’avaient pas utilisé les ressources de la banque de détail pour financer les opérations spéculatives de la banque d’investissement.

La banque centrale et l’État ont dû intervenir pour sauver certains d’entre eux. Les mesures non conventionnelles de politique monétaire ont eu pour conséquence un gonflement des résultats de la Banque de France (son bilan a été multiplié par deux entre 2007 et 2012). Ces politiques et la poursuite de la crise en zone euro ont accru les risques supportés par la Banque de France qui a décidé de continuer à renforcer ses fonds propres.

Néanmoins, comme le montre le tableau 6, les banques françaises restent rentables même si certaines d’entre elles ont plus souffert que d’autres de la crise financière. Toutefois pour juger véritablement de la solidité des banques françaises, il faudrait être en mesure d’apprécier la valorisation d’actifs qu’elles ont effectuée, les transferts de ceux-ci dans leurs filiales « paradis fiscaux » ainsi que les obligations hybrides qui composent leurs fonds propres. Une étude publiée par Standard & Poor’s (2013) considère que le niveau de fonds propres des banques françaises est une faiblesse et qu’elles sont exposées à une nouvelle détérioration de l’environnement économique, en particulier dans le sud de l’Europe.

3.3 Les réformes applicables au modèle européen

Le système bancaire doit se transformer pour trois raisons majeures. D’abord, parce qu’il est instable. Ensuite parce que la sortie de crise nécessite une redéfinition des relations commerciales et financières internationales et enfin parce qu’il est impératif que les pays industrialisés réduisent leurs dettes publiques et privées. (Pollin, 2009).

Les banques sont devenues des « intermédiaires de marchés » alors que leurs fonctions consistaient à la base à faire de l’intermédiation de bilan (crédit et gestion des moyens de paiement). Autrement dit, la distinction entre finance directe et finance indirecte n’est plus pertinente du fait de la marchéisation des activités bancaires. C’est cette imbrication entre les deux types d’activité qui est à l’origine de l’amplification de la crise. En conséquence, c’est sur cette interconnexion entre activités traditionnelles et activités de marchés que les réformes de la régulation doivent porter.

Les propositions de réforme et les réformes déjà engagées sont axées sur un renforcement de la réglementation bancaire et des contrôles des établissements de crédit. Elles doivent chercher à encadrer les comportements bancaires dans les activités de marché.

En effet, les États comme les défenseurs de la banque universelle estiment que ce qui importe le plus n’est pas la spécialisation bancaire en tant qu’antidote à la crise mais la mise en oeuvre de règlementations efficaces dans la mesure où c’est la faiblesse des contrôles et l’inadéquation des règlementations bancaires qui ont contribué parmi d’autres facteurs au déclenchement de la crise.

Plusieurs types de mesures peuvent être envisagés. Le premier consiste à taxer les flux bancaires, taxe que l’on peut comparer à celle envisagée par Tobin. Cette proposition ne fait pas l’unanimité, parce que considérée comme irréaliste par certains. De même, l’amélioration de la transparence des comptes et des pratiques des institutions bancaires dans la mesure où par définition, les bilans des banques sont opaques. D’autres (Plihon, 2010) estiment qu’une taxe globale sur les capitaux, idée qui a été reprise par le FMI mais à ce jour non adoptée, est une solution possible. Cette taxe comporterait trois volets : taxe sur les activités des banques, taxe sur les transactions financières et taxe conjoncturelle. Cette mesure devrait pour être efficace être complétée par un contrôle des capitaux et l’interdiction de l’utilisation de certains instruments spéculatifs.

Le deuxième est une modulation des capitaux propres qu’une banque doit apporter en garantie : ceux-ci doivent être proportionnels aux risques réels supportés. Cet aspect a été pris en compte dans les Accords de Bâle III dont l’application totale est prévue en 2019, ceux de Bâle II étant effectivement inadaptés et encourageant en plus les comportements procycliques des banques en matière de constitution de fonds propres. (Les normes comptables actuelles ont également le même défaut). Bâle III doit permettre de renforcer la résilience et la stabilité du système financier en définissant de nouvelles règles en matière de fonds propres qui intègrent les risques retenus dans Bâle II mais aussi le risque de liquidité. Bâle III marque une nouvelle orientation initiée par le G20. En effet, l’ambition de la nouvelle réglementation est de parvenir à maîtriser le risque de système, par nature endogène et dynamique de manière à réduire les sources de fragilité financière. L’accord est un ensemble de mesures nouvelles visant à renforcer la réglementation, le contrôle et la gestion des risques dans le secteur bancaire. Il propose une nouvelle définition des fonds propres (avec une augmentation de son minimum), un traitement du risque de contrepartie, un ratio de levier, une norme internationale sur le risque de liquidité et la création d’un coussin de capital contracyclique (ou volant contracyclique de fonds propres ou capital-tampon). Ce dernier doit conduire au renforcement des exigences en fonds propres dans les périodes de forte activité afin de restreindre l’offre de crédit bancaire. Il peut être appliqué uniformément ou en fonction de la taille de l’institution financière. Ces provisions contracycliques doivent être calibrées en fonction de l’exposition globale liée à la position d’une économie dans le cycle et non pas en fonction de l’exposition de chaque établissement financier. Il s’agit alors de définir le seuil à partir duquel la constitution de fonds propres doit augmenter. Le seuil choisi par le Comité de Bâle est défini par l’écart du ratio crédit agrégé au secteur privé/PIB évalué en tendance. Les fonds propres contracycliques pourront finalement augmenter graduellement dès que l’on dépasse de 2 % la tendance.

Les autorités nationales et internationales veulent donc désormais introduire un contrôle macroprudentiel (Borio, 2009 : 35-46) en plus du contrôle et de la supervision des établissements pris un à un. Ce contrôle s’effectuerait sous la responsabilité des banques centrales pour maîtriser l’expansion du crédit lorsque l’euphorie s’empare des marchés financiers. La mission des banques centrales serait double : maintien de la stabilité des prix (objectif final de la politique monétaire) et stabilité financière, mission trop souvent oubliée ou négligée comme le souligne La Rosière (2009). L’Europe a ainsi mis en place en 2010 un Comité européen du risque systémique (CERS) en charge de détecter et de surveiller les risques pesant sur la stabilité du système financier européen. En outre, la mise en place de « stress tests » sensés mieux prendre en compte les risques de système peut constituer un indicateur d’alerte pour les établissements de crédit.

Toutes les pratiques financières reposent sur le crédit offert par les banques. Il faut donc une meilleure régulation globale. On peut donc décourager marginalement les engagements, soit par une taxe ou une réserve pénalisant le crédit à court terme soit, par le recours à des taux modulables de couverture des risques par les banques centrales, en fonction de critères objectifs d’évolution du crédit (Aglietta, 2010, 2008) Toutes ces mesures s’inscrivent dans la logique de Bâle III. Il faut éviter que les banques relâchent leur vigilance sur la sélection et la surveillance des crédits qu’elles titrisent en leur imposant la détention d’une certaine proportion de chaque bloc titrisé.

Un troisième type de mesures consisterait à mettre en place une contribution des banques à un fonds de garantie élargi destiné à rembourser les épargnants en cas de faillite d’une ou plusieurs banques, pour rémunérer la garantie implicite de sauvetage par l’État.

Enfin, il convient de revoir tant le système d’incitations financières dont bénéficient les traders pour que la prise de risque redevienne raisonnable que le rôle des agences de notation.

Quelles que soient les réformes engagées, l’avenir du système bancaire ne peut se distinguer de celui du système financier au sens large (Pollin, 2008) dans la mesure où la banque universelle a intégré la quasi-totalité des activités financières. Dans tous les cas, il faut une réglementation sur la liquidité bancaire ou la durcir lorsqu’elle existe.

Toutes ces réformes ou projets de réforme doivent théoriquement améliorer la stabilité du système bancaire. Néanmoins du fait de l’imbrication des activités de détail et de marchés, leur mise en oeuvre peut s’avérer difficile ce qui pose le problème du maintien ou non du modèle de banque universelle.

En Europe, le Rapport Liikanen d’octobre 2012 préconise un cloisonnement bancaire strict et pose le problème de la rémunération des dirigeants et des traders dont les modalités actuelles incitent à avoir des comportements spéculatifs excessifs et donc dangereux, incompatibles avec des objectifs de long terme. Si ce rapport est transformé en directive européenne, cette dernière devra alors faire l’objet d’une retranscription en droit national de chaque État. Mais certains États européens ont choisi de prendre les devants et de réformer leur système bancaire tout en conservant le modèle de la banque universelle. Il s’agit notamment de la France et de l’Allemagne dont la réforme ou projet de réforme peuvent être perçus comme des adaptations des propositions faites dans le Rapport Liikanen (Gambacorta et Van Rixtel, 2013).

La réforme du système bancaire en France tire les enseignements de la crise financière et devrait permettre de lutter contre les crises du système bancaire sans porter préjudice au financement de l’économie réelle. Elle permet de mieux garantir les dépôts et de protéger les consommateurs. Elle est organisée autour de trois axes. Le premier consiste à séparer les activités et prévenir les crises. D’ici 2015, les activités spéculatives sur les marchés financiers seront cantonnées dans une filiale séparée. Les pratiques risquées comme le trading haute fréquence, des ordres boursiers passés massivement par des ordinateurs ou bien encore la spéculation sur les marchés agricoles devraient être interdites. En outre, la supervision des banques devrait être renforcée.

Le deuxième axe de la réforme est la lutte contre les paradis fiscaux. Il devra y avoir une totale transparence de la part des établissements de crédit. Ils devront publier pour chaque pays leurs effectifs et leurs produits nets bancaires.

Enfin, le troisième axe est celui de la protection des consommateurs avec un plafonnement des frais bancaires, une garantie à d’accès à tous à un compte bancaire et à des services de base gratuits. Par ailleurs une réforme de la procédure de traitement des situations de surendettement devrait être engagée.

L’Allemagne, à l’instar de la France s’oriente vers une réforme de son système bancaire. Selon le projet de loi (février 2013) qui doit être discuté puis voté par le Parlement, les établissements financiers seront contraints de séparer leurs activités pour compte propre pour autant qu’elles représentent plus de 100 milliards d’€ au bilan ou 20 % du bilan total de l’établissement. Les banques continueraient d’être autorisées à conduire des activités de trading pour le compte de leurs clients, des activités de tenue de marchés et de gestion de trésorerie. Des recommandations récentes du G8 vont dans le même sens.

La BAFIN, l’autorité prudentielle du secteur bancaire allemand aurait toutefois le pouvoir d’imposer la séparation des activités de tenue de marché dans certains cas spécifiques. Les banques de détail se verraient interdire l’octroi de concours directs et de garanties aux fonds spéculatifs et aux fonds d’investissement ainsi que le trading haute fréquence.

Ces nouvelles règles pourraient entrer en vigueur en janvier 2014 mais les banques disposeraient d’un délai supplémentaire jusqu’en juillet 2015 pour procéder à la séparation effective de leurs activités de trading à risque. Trois «établissements seraient concernés par le seuil de déclenchement de séparation des activités prévu par le projet de loi : la Deutsche Bank, la Commerzbank et la Landesbank Baden- Württemberg.

Conclusion

Dans les années à venir, les activités de marché devraient se réduire et ce pour plusieurs raisons. La première est que les évolutions dans la règlementation touchent plus les activités de marchés que de détail. La seconde est que les agents financiers et non financiers vont adopter des comportements plus prudents. En outre, l’expérience montre que la volatilité des marchés n’est pas favorable à la reprise des investissements et à la croissance si bien que les besoins en capitaux à long terme vont être plus importants favorisant le développement de la banque de détail, d’où un retour à la finance directe.

Autrement dit, si le cadre actuel est conservé, c’est-à-dire si le modèle de banque universel est maintenu en Europe, on va assister à une restructuration des activités bancaires favorable à la banque de détail, le poids relatif de la BFI se réduisant. Néanmoins se pose la question de la « communication » entre les deux activités qui a donné son caractère aussi grave à la crise.

Le modèle de banque universelle est un modèle délibérément choisi par beaucoup d’États, en Europe notamment. L’exemple de la réussite de l’Allemagne qui l’a adopté dès l’après-guerre n’a sans doute pas été neutre dans le choix opéré par les autres pays. Ce modèle présente un certain nombre de qualités qui en ont fait le modèle dominant non seulement en Europe mais aussi en Asie, aux États-Unis et au Canada. Même aux États-Unis, il trouve des défenseurs alors qu’il vient d’être abandonné après une courte période d’existence (2000-2011). Toutefois, la mise en place du Dodd Frank Act est conditionnée par la parution des décrets d’application, ce qui à ce jour n’est toujours pas fait. La profession bancaire du pays n’est sans doute pas étrangère à cette situation.

La crise financière récente a entrainé la remise en cause du modèle. Malgré la diversification de ses activités, la maîtrise des risques n’a pas été assurée et son rôle dans le financement de l’économie (activité de base d’une banque) contesté.

Toutefois, la crise financière a paradoxalement permis le triomphe de ce modèle. En effet, on remarque que les banques d’investissement indépendantes ont quasiment disparu. Elle a permis la constitution de banques internationales de grande taille qui combinent plusieurs activités grâce aux initiatives prises par les États et les banques centrales pour sauver le système bancaire. La question qui se pose est de savoir si cette évolution est satisfaisante. On peut penser que non. Ces établissements vont être en mesure de prendre encore plus de risques dans un environnement de moins en moins concurrentiel. Ils savent qu’en cas de difficulté la règle du « too big to fail » leur sera appliquée et que par conséquent, ils seront sauvés de la faillite, ce que les États ne veulent justement plus aujourd’hui. Il est en outre très discutable de laisser se constituer des groupes financiers multinationaux aussi puissants alors même qu’il n’existe actuellement aucune structure de régulation internationale. Dans ce contexte se pose le problème de la maîtrise de la liquidité mondiale (Artus et Virard, 2010).

La banque universelle doit par conséquent évoluer. Elle doit être « l’antidote à une désorganisation financière devenue systémique » (Pauget et Saïdane, 2011 : 107). Autrement dit, elle doit être une entreprise solide tournée vers le financement à long terme de l’activité réelle et offrant des services de qualité à la clientèle de manière à assurer la stabilité du système financier sans laquelle la croissance économique n’est pas possible.