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Le concept de diversité, reconnu aux Etats-Unis dans les années 80, fait suite à l’arsenal législatif anti-discrimination mis en place dès les années soixante pour favoriser la représentativité des minorités. L’exportation de ce concept d’origine nord-américaine, chargé de valeurs et d’un idéal social qui lui sont propres, suscite cependant des débats et des adaptations dans les pays d’accueil (Bereni, 2011; Sanders et Belghiti-Mahut, 2011). En France, la diversité est mise en avant à l’initiative du grand patronat et s’insère dans le cadre du développement de la législation européenne (Doytcheva, 2010; Lanquetin, 2009).

L’objectif de cet article est d’établir un cadre référentiel pour clarifier et mettre en oeuvre de manière opérationnelle la diversité dans les organisations. Le management de la diversité désigne, à son origine, un ensemble de politiques qui, au-delà de la lutte contre les discriminations, vise à faire reconnaître et bénéficier des compétences de chacun (Hornsey et Hogg, 2000; Roosevelt, 1990; 1991). En prenant appui sur l’exemple de la France, nous montrons en quoi le processus d’émergence du mouvement de la diversité explique les pratiques et les difficultés rencontrées en matière de management de la diversité. L’analyse des pratiques françaises permet aussi de souligner les écueils communs dans l’implantation d’un management de la diversité. Issu de cette analyse, notre cadre référentiel vise à aider le déploiement des politiques de diversité, par la considération distincte de trois paradigmes : 1) la lutte contre les discriminations; 2) la valorisation des différences; 3) la construction d’une identité commune. Afin de proposer ces pistes d’action, nous nous référons à des travaux qui portent sur différents concepts et paradigmes de la gestion de la diversité (ex. Harrison et Klein, 2007; Hornsey et Hogg, 2000; Thomas et Ely, 1996).

Notre cadre intégrateur propose de distinguer trois paradigmes, dont la confusion est souvent à l’origine des difficultés relatives au déploiement du management de la diversité. Bien qu’inter-reliés, ces paradigmes correspondent à des objectifs différents et demandent des dispositifs distincts. La proposition sous forme de cadre de référence permet de suggérer des pistes d’action, tout en laissant le choix des priorités aux entreprises. Elle laisse également la liberté aux interprétations et aux déclinaisons locales. Notre cadre de référence vise ainsi à faciliter l’opérationnalisation du management de la diversité, en fonction des enjeux de chaque entreprise.

Le plan de l’article est organisé en quatre parties. Le premier chapitre résume l’origine et l’évolution du concept de diversité, aux Etats-Unis et en France. Un état des lieux des pratiques françaises est exposé dans le deuxième chapitre. Le troisième chapitre pointe les difficultés et tensions qui naissent lors de l’implantation de telles politiques. Ceci nous amène à proposer un cadre référentiel du management de la diversité qui sera décliné dans le quatrième chapitre.

« Diversity » et « diversité »

Aux États-Unis, le concept de diversité succède à une série d’actions en faveur de la lutte contre les discriminations. En 1964, l’article VII du Civil Rights Act interdit la discrimination des salariés fondée sur la couleur de peau, la race, la religion, le sexe, ou l’origine nationale. L’objectif est de lever les obstacles pour l’accès des minorités aux emplois en assurant l’égalité de traitement : l’Equal Employment Opportunities (EEO). En 1965, les populations particulièrement discriminées – les femmes et les minorités ethniques – font l’objet d’un traitement préférentiel (Affirmative Action), afin de rééquilibrer leur représentativité dans les emplois qualifiés.

Toutefois, les résultats mitigés de ces législations conduisent à une remise en cause de ces politiques dans les années 80, donnant forme au mouvement de la diversité. Fondateur de l’American Institute for Managing Diversity en 1984, Thomas Roosevelt devient le porte-parole de ce nouvel élan. Ce mouvement considère les populations minoritaires comme porteuses d’une valeur ajoutée susceptible de contribuer à la compétitivité de l’entreprise. L’objectif n’est plus la représentativité des communautés minoritaires, mais la recherche d’une nouvelle organisation qui permette l’expression du collectif diversifié (Cox, 1991; Hornsey et Hogg, 2000; Roosevelt, 1991).

La valorisation des différences prenant le pas sur la gestion des groupes discriminés, le mouvement de la diversité incarne une philosophie libérale, individualiste et méritocratique (Bender, 2004; Bender et Pigeyre, 2010). Exempt des connotations péjoratives liées au discours de lutte contre les discriminations (Lorbiecki et Jack, 2000), et conciliant enjeux économiques et managériaux, le terme de diversité se diffuse auprès des organisations.

L’arrivée de ce concept en France a été impulsée notamment par le grand patronat, avec le lancement en 2004 de la Charte de la Diversité par l’Institut Montaigne. Elle fut suivie par la création du label Diversité en 2008 par l’Association Nationale des DRH. Plusieurs recherches font état d’une acception différente du terme « diversité » entre la France et les pays anglo-saxons. En France, les aspects de performance sont occultés par rapport aux notions d’égalité et de non-discrimination (Bender et Pigeyre, 2010; Gröschl et Takagi, 2009; Point et Singh, 2005). De plus, les « critères » de diversité retenus sont beaucoup plus variés que ceux de l’ethnie et du genre, largement prédominants dans les pays anglo-saxons (Doytcheva, 2009; Takagi, 2009). Cette interprétation française du concept de diversité proviendrait des deux principes républicains qui constituent sa conception du vivre ensemble : l’égalité devant la loi et la laïcité.

En France, la notion de diversité s’est aussi développée avec le dispositif juridique et politique d’anti-discrimination (Doytcheva, 2009), fortement influencé par le droit communautaire (Lanquetin, 2009). Dans le cadre du développement de la législation européenne, la France évolue dans sa conception de l’égalité, par la prise en compte non seulement de l’égalité des droits, mais également de l’égalité des chances (Howard, 2008). La notion de diversité arrive donc en France, dans un contexte qui est tout autre que celui des Etats-Unis.

Les pratiques françaises de la diversité

Les raisons qui incitent les entreprises françaises à favoriser la diversité sont multiples. Garner-Moyer (2006) identifie différentes approches de la diversité dans les organisations : une approche éthique, une approche économique, une approche juridique et une approche par les ressources humaines. Point (2006) souligne le recours des entreprises à la diversité comme un moyen de soutenir leur image. En France, la diversité a largement bénéficié du renforcement de la législation (Klarsfeld, 2010; Terramorsi et al., 2009). Ainsi, différentes logiques d’actions peuvent se combiner pour former une approche contingente de la gestion de la diversité, cette combinaison pouvant évoluer au cours du temps, selon le jeu des acteurs et le contexte (Cornet et Delhaye, 2007).

L’élargissement de la notion de diversité en France ouvre la possibilité aux entreprises d’interpréter et de créer de nouvelles approches, au cas par cas. Doytcheva (2009) explique aussi cette variété des pratiques locales par le processus participatif de prise de décision sur les axes d’intervention. Les collaborateurs en charge de la diversité dans l’entreprise jouent un rôle clé dans le développement et la pérennisation des politiques mises en oeuvre (Garner-Moyer, 2006).

Des points de convergence entre les politiques de diversité des entreprises peuvent toutefois être mis en avant.

Par exemple, les entreprises françaises ont une approche centrée sur la lutte contre les discriminations (Lanquetin, 2009). Cet angle d’approche, notamment dans une logique juridique, incite des actions ciblées sur certains groupes. Les actions pro-diversité peuvent apparaître comme une juxtaposition de différentes « interventions catégorielles » qui existaient déjà au sein des entreprises (ibid).

Bien qu’encore relativement rare (Doytcheva, 2009), il existe également une tentative d’institutionnalisation de pratiques transversales de la diversité. Ces pratiques se traduisent par des engagements suivis par des outils (indicateurs ou commissions), la mise en place de personne(s) dédiée(s) à la promotion de la diversité et des actions de sensibilisation et de formation (Bender, 2004). Une veille discrète sur l’égalité dans l’accès aux emplois et dans l’évolution de carrière peut éventuellement être conduite. La vision égalitariste typiquement française se retrouve dans ces pratiques qui, portant sur des mesures de qualité de vie au travail, peuvent bénéficier à tous les employés (Bender, 2004).

Certaines initiatives des entreprises contribuent à faire converger les pratiques de diversité. Par exemple, l’association IMS-Entreprendre pour la Cité (plus de 200 entreprises), la Charte de la Diversité (environ 3500 entreprises signataires en 2012) et le label Diversité (environ 250 entreprises en 2012), guident les pratiques des entreprises. En 2012, le MEDEF (Mouvement des Entreprises de France; 2000 entreprises), publie des recommandations visant à favoriser l’égalité homme/femme, la diversité et des modes de management plus éthiques dans les entreprises. L’Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) créée en 2007, réunit plus de 100 adhérents. Les événements organisés par l’association favorisent le partage de « bonnes pratiques » sur certaines thématiques ciblées.

Les difficultés et risques liés à l’implantation du management de la diversité

Les politiques de diversité mises en place dans les entreprises françaises concernent un faible nombre d’organisations (Klarsfeld, 2009), et ont encore des résultats limités. Parmi d’autres, Hennequin et Karakas (2007)m mettent en évidence, par le recours à la méthode du « testing », que les discriminations subsistent notamment dans le recrutement des commerciaux : « Le candidat obèse, la candidate maghrébine et le candidat de 50 ans obtiennent des résultats très inférieurs aux autres » (ibid. 2007 p. 133)

Tout d’abord, les entreprises sont confrontées à la difficulté de pouvoir évaluer les résultats des politiques menées (Brousillon et al., 2007; Zannad et Stone, 2010). La possibilité d’autoriser la mise en place d’indicateurs ethniques dans les entreprises, après avoir été intensément débattue en 2006-2008, est autorisée sous certaines conditions (anonymat, accord des répondants, absence de constitution de fichiers).

Les difficultés se trouvent aussi au niveau des managers opérationnels qui, malgré la multiplication des accords et des chartes pour promouvoir les politiques de diversité, restent souvent démunis pour gérer la diversité (Féron, 2008). Giraudo (2010) montre qu’une fracture peut naître entre le siège de l’entreprise qui initie les politiques diversité, et les collaborateurs qui les mettent en oeuvre. Ces difficultés liées à la concrétisation des politiques de diversité sont également constatées dans les pays anglo-saxons. Özbilgin et Tatli (2008) montrent que les politiques de gestion de la diversité dans les entreprises britanniques, souvent superficielles, ne touchent pas l’ensemble de l’organisation. Aux Etats-Unis, une différence importante persiste entre le discours porté par les entreprises et la réalité des organisations (Marques, 2010).

De plus, certaines pratiques peuvent avoir des effets contraires concernant la lutte contre les discriminations. La démultiplication des catégories de diversité, par exemple, peut atténuer l’attention portée aux discriminations historiques (Bereni, 2011; Lorbiecki et Jack, 2000). « Diluées » parmi tant d’autres catégories, ces discriminations perdent de leur gravité.

Enfin, la vision positive de la diversité qui considère les différences comme des ressources pour l’entreprise, présente également quelques dérives. Les discours et pratiques qui supposent l’existence de compétences propres à certaines catégories (ex. compétences féminines), accentuent les stéréotypes existants et exacerbent le communautarisme (Lorbiecki et Jack, 2000; Soum et Geisser, 2009).

Ainsi, il apparaît qu’en France, comme aux Etats-Unis et au Royaume Uni, les politiques de diversité ont des résultats contrastés. Le management de la diversité recherche l’épanouissement des potentiels de chacun (Roosevelt, 1990; 1991), mais cette valorisation des différences peut prendre le pas sur la lutte contre les discriminations, et affaiblir par ailleurs, le sentiment d’appartenance commune. Les principales difficultés et risques semblent donc résider, du moins en partie, dans la confusion ou la négligence d’une ou plusieurs dimensions de la diversité.

Comprendre et mettre en oeuvre la diversité : Proposition d’un modèle de gestion

La littérature identifie différentes dimension de la diversité, qui peuvent être ordonnées selon trois volets principaux : 1) la lutte contre les discriminations; 2) la valorisation des différences; 3) la construction d’une identité commune. Le tableau 1 résume ces différentes approches.

En se fondant sur ces approches, un cadre de référence est proposé pour appréhender les politiques de gestion de la diversité. Ce référentiel cherche à faciliter l’opérationnalisation du management de la diversité, en identifiant les caractéristiques de chaque politique, ses risques et ses implications managériales. Le cadre référentiel est présenté dans le tableau 2.

Premier paradigme : lutte contre les discriminations

Cette politique de gestion de la diversité trouve ses sources dans le respect de la législation en vigueur, la notion de responsabilité sociale des entreprises, ainsi que dans une approche éthique de la diversité (Cornet et Delhaye, 2007).

Ce paradigme fait également appel au principe de justice organisationnelle (McFarlin et Sweeney, 1992). Il s’agit de garantir la proportionnalité de la distribution des sanctions et récompenses (justice distributive), tout en veillant à ce que les moyens et procédures mise en oeuvre pour cette distribution soient perçus comme justes (justice organisationnelle). En effet, la discrimination entrave l’échange entre les individus, par la création d’un sentiment de mépris chez les uns et d’injustice chez les autres (Harrison et Klein, 2007). Toutefois, la lutte contre les discriminations ne recouvre que les problématiques rencontrées par certains groupes ciblés, qui demandent des réponses spécifiques et différenciées. Au contraire, la question de la diversité pourrait être, dans les organisations, l’opportunité de reposer la question de la gestion d’équipes par essence diverses.

Tableau 1

Différentes approches du management de la diversité

Différentes approches du management de la diversité

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Tableau 2

La déclinaison en trois dimensions du management de la diversité

La déclinaison en trois dimensions du management de la diversité

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Second paradigme : valorisation de la difference

Si la non-discrimination constitue un préalable à la véritable mise à contribution de la diversité, elle n’est pas une garantie de la valeur ajoutée du collectif (ex. Dameron et Joffre, 2007). La diversité peut favoriser la performance, mais peut aussi l’entraver. C’est la différence entre avoir de la diversité, et savoir la valoriser en tant que ressource pour l’entreprise (Cox, 1991; Roosevelt, 1990; 1991).

Thomas et Ely (1996) et Ely et Thomas (2001) montrent que les entreprises peuvent accéder et gagner en légitimité sur un marché, en utilisant les compétences des salariés dont l’appartenance sociale est similaire à ce marché (the Access-and-Legitimacy Paradigm). Toutefois, les auteurs soulignent que cette spécialisation communautaire risque de cloisonner les compétences des salariés concernés, et ne permet pas non plus de faire bénéficier les autres membres de l’organisation de leurs savoirs.

De plus, la diversité a un caractère subjectif. La diversité peut se définir par une catégorisation des individus selon leurs caractéristiques objectives, mais elle peut aussi se fonder sur le sentiment d’appartenance des individus à une ou plusieurs catégories spécifiques. Dans ce dernier cas, les catégories sont interdépendantes, l’individu peut appartenir à plusieurs catégories, et la définition de la diversité peut évoluer au cours du temps (Dick et Cassell, 2002; Garcia-Prieto et al., 2003). Les politiques de diversité doivent donc prendre en compte la multiplicité des appartenances, en ayant conscience des combinaisons des différentes caractéristiques des individus (ou intersectionnalités) (Cornet, 2010; Özbilgin et al., 2011).

Les bénéfices des politiques de diversité dépendent du contexte comme de la culture organisationnelle, de la stratégie poursuivie et de l’environnement de l’organisation (Jayne et Dipboye, 2004). Les équipes diverses ont de meilleurs résultats quand elles parviennent à combiner un encadrement des tâches à réaliser et des objectifs à atteindre avec une culture d’ouverture aux autres et de respect mutuel. Le lien entre environnement de travail et gestion de la diversité peut être positif à condition que la gestion des connaissances, la communication et le partage soient présents dans l’environnement de travail (Bachmann, 2006; Chatman et al., 1998; Semache, 2009).

Un environnement propice à la diversité peut être favorisé (Gonzalez et Denisi, 2009; Herdman et Mcmillan-Capehart, 2010). Il existe une relation entre le déploiement de programmes de diversité et la perception d’un « climat de diversité ». Cette relation est modérée par la diversité réelle du management de l’entreprise et par les valeurs du management (« collective relational values of the management teams ») (Herdman et Mcmillan-Capehart, 2010). Les investissements dans les initiatives de diversité sont un signal positif à l’égard des collaborateurs (Avery et al., 2007).

Les « formations diversité » obtiennent des résultats mitigés (Chavez et Wesinger, 2008; Kalev et al., 2006). Kochan et al. (2003) et Kalev et al. (2006) préconisent la mise en place de politiques RH et de management spécifiques en plus des formations au management de la diversité, et de renforcer la responsabilisation, le pouvoir et l’expertise des managers sur ce sujet.

Enfin, il convient de rappeler qu’il existe un seuil de diversité au delà duquel les effets positifs permettent de recouvrir les effets négatifs (Roberson et Hyeon Jeong, 2007). Autrement dit, il est possible d’enclencher un « cercle vertueux » de la diversité. Dans les environnements plus divers, les effets négatifs potentiels liés à la différence diminuent (Joshi et Roh, 2009; Strauss et Connerley, 2003).

Troisieme paradigme : vers une identite commune

Pour que la diversité contribue à la performance de l’entreprise, cette dernière doit savoir apprendre et intégrer les différents apports de ses membres (Ely et Thomas, 2001; Thomas et Ely, 1996). C’est le passage d’une forme de socialisation unilatérale (assimilation des différences) à un processus d’enrichissement par acculturation réciproque (Cox, 1991). Ceci implique un changement de mode d’apprentissage, notamment au niveau des managers de première ligne (Roosevelt, 1991).

L’apprentissage organisationnel a lieu par les interactions entre les individus composant l’organisation (Nonaka et Takeuchi, 1995; Senge, 1990). Ces interactions peuvent être favorisées par une culture « inclusive », que nous définissons comme un ensemble de normes et de valeurs partagées prônant le respect mutuel et la reconnaissance de l’altérité (Chavez et Weisinger, 2008; Isaksen et al., 2000; Pless et Maak, 2004). La culture inclusive, pensée en opposition au modèle de l’assimilation, doit cependant permettre la cohésion du collectif.

L’émergence d’une culture inclusive demande au préalable, une base morale établissant quelques principes du vivre-ensemble (Pless et Maak, 2004). Elle procède par quatre étapes. La première phase consiste en la prise de conscience des différences, à l’encouragement de la réflexion et de la compréhension. La deuxième phase porte sur le développement d’une vision claire de la direction à prendre. En conséquence, les concepts et principes clés du management doivent être remis en cause, avant la mise en oeuvre effective du changement durant la quatrième phase, par l’adaptation des systèmes et processus de relations humaines (ibid.). En particulier, la mise en place de structures d’organisation, de travail et de systèmes d’évaluation qui tissent la coopération et des relations d’entraide au niveau inter-individuel, permettrait d’atténuer les catégorisations sociales et de favoriser l’apprentissage réciproque (Brickson, 2000). En apprenant à se connaître, en dialoguant, les individus prennent conscience de l’apport de chacun et des ressources disponibles au sein du collectif (Jayne et Dipboye, 2004; Pless et Maak, 2004).

Dans les organisations, l’enjeu pour les managers est de créer, soutenir et développer un sentiment d’appartenance et d’identification au groupe social « entreprise », afin de fédérer le collectif divers (Cox, 1991). L’objectif est de remplacer la perception par l’individu de son identité comme étant en opposition à d’autres groupes par un sentiment d’appartenance à un groupe commun, une identité qui englobe toutes les différences (Hornsey et Hogg, 2000). Ceci pourrait avoir lieu par la mise en place d’une culture inclusive favorisant la diversité et la reconnaissance de l’altérité.

Trois remarques transversales pour mettre en oeuvre la diversité dans les organisations

Trois remarques peuvent être émises de manière transversale aux trois dimensions de notre cadre référentiel.

Le premier point renvoie au rôle des leaders. Le management de la diversité est une question de changement; il est important que le « top management » y soit impliqué de manière visible et active (Jayne et Dipboye, 2004; Pérotin et al., 2003). Holly Buttner et al. (2006) ont mis en évidence que les pressions structurelles sont importantes pour déclencher les actions en faveur de la diversité. Le discours en faveur de la diversité pourrait donc être argumenté par rapport aux besoins de l’organisation.

Le deuxième point porte sur le rôle des objectifs précis et des mesures évaluatives. Jayne et Dipboye (2004) soulignent que les programmes de diversité réussis reposent sur des objectifs spécifiques et sur l’évaluation de l’atteinte de ces objectifs. La stratégie des politiques de diversité doit être pensée en rapport avec les problématiques business de l’entreprise.

Enfin, et c’est ce que nous avons essayé d’illustrer tout au long de cet article, les politiques de diversité doivent être adaptées aux conditions locales. D’après Syed et Özbilgin (2009), le management de la diversité doit adopter une approche contextualisée à différents niveaux : macro-national, méso-organisationnel, et micro-individuel. Jayne et Dipboye (2004) proposent que les programmes diversité soient confectionnés sur mesure pour l’organisation, en prenant en compte la culture et la particularité des activités, ainsi que les problématiques rencontrées par les salariés. Pour identifier les besoins des salariés et de leurs activités, l’administration de questionnaires et d’entretiens, ou la constitution de « focus groups » peuvent être utiles.

Conclusion

La diversité venue des Etats-Unis propose de réfléchir à la gestion des différences non plus comme une obligation morale ou juridique, mais comme un levier de performance de l’entreprise. En France, les entreprises, incitées par la législation, ont mis en place des mesures, voire des politiques, de gestion de la diversité. Cependant, la mise en oeuvre de la diversité rencontre des difficultés, liées notamment au défi d’adaptation de la notion dans le contexte français. Certaines initiatives tendent à faire converger les politiques de gestion de la diversité des organisations. Cependant, les actions menées par les entreprises sont disparates et semblent avoir des effets limités. De plus, les politiques de gestion de la diversité sont confrontées à de nombreux risques et difficultés opérationnelles.

En nous appuyant sur une comparaison entre les Etats-Unis et la France au travers d’une analyse de la littérature, nous proposons de considérer les politiques de gestion de la diversité selon trois volets principaux : 1) la mise en oeuvre de politiques de lutte contre les discriminations, 2) la mise en place d’actions favorisant la valorisation des différences, et 3) l’unification du collectif par la promotion d’une identité commune. Ces trois volets des politiques de diversité peuvent être imbriqués ou considérés de manière distincte par les organisations. Cette typologie dynamique permet de clarifier les différents enjeux des politiques de gestion de la diversité, et peut servir de repère pour leur mise en oeuvre opérationnelle. Elle met également en évidence certaines actions que les organisations peuvent entreprendre afin de favoriser le succès de leurs politiques. Cette recherche met l’accent sur les déclinaisons opérationnelles de la diversité, et pourrait servir à guider l’action des organisations.

Cette recherche est fondée sur une revue de littérature, ainsi que sur l’étude de certains éléments propres au contexte français (en particulier, associations et labels). Il serait sans doute intéressant d’une part, d’approfondir la comparaison internationale des pratiques de gestion de la diversité, de manière à valider les points de convergence et de divergence mis en évidence dans cette recherche. D’autre part, il serait utile que de nouveaux travaux valident par des études de cas empiriques la typologie des politiques de gestion de la diversité proposée dans cette recherche.