Corps de l’article

Introduction

La victimisation des jeunes est associée à divers problèmes d’adaptation (Olweus, 1993 ; Fantuzzo & Mohr, 1999 ; Margolin & Gordis, 2000 ; Kendall-Tackett, 2003 ; Putnam, 2003 ; Haugaard & Hazan, 2004 ; Jaffee et al., 2004 ; Messman-More et al., 2005) et constitue une préoccupation sociale importante. Plusieurs jeunes sont exposés à de multiples formes de victimisation et d’événements traumatiques au cours de leur vie (Duncan, 1999a, 1999b ; Menard, 2000 ; Perry et al., 2001 ; Finkelhor et al., 2007a), ce qui accroît leur risque de développer des symptômes de problèmes de santé mentale et des réactions traumatiques (Felitti et al., 1998 ; Arata et al., 2005 ; Finkelhor, 2007a). Afin de mesurer plusieurs formes de victimisation vécues par les jeunes, Finkelhor et al. (2005a) ont développé le Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ), un questionnaire que l’on a fait passer à plusieurs reprises à des d’échantillons représentatifs de la population juvénile américaine. L’équipe a introduit le terme polyvictime pour désigner ces jeunes qui ont vécu un grand nombre de victimisations. Dans leurs premiers travaux, Finkelhor et al. (2005b) présentaient les polyvictimes comme des jeunes ayant vécu annuellement un nombre de victimisations supérieur à la moyenne nationale qui est de trois victimisations. Conséquemment, les jeunes polyvictimisés avaient vécu quatre formes de victimisation distinctes ou plus au cours d’une année, ce qui correspondait à 22 % de l’échantillon. Dans leur estimation de la polyvictimisation vécue au cours de la vie, les auteurs ont proposé l’utilisation d’un seuil au dixième centile pour distinguer les poly-victimes, c’est-à-dire les 10 % de ceux ayant vécu le plus grand nombre de victimisations dans chacun des groupes d’âge (Finkelhor etal., 2009). En plus d’introduire le concept de polyvictimisation, les travaux américains ont permis de combler certaines lacunes des recherches portant sur la victimisation juvénile. Ils documentent les diverses formes de victimisation vécues et non seulement les incidents de victimisation. En effet, lors d’un même événement, un jeune peut subir plusieurs formes de victimisations distinctes qu’il importe de documenter afin d’en saisir la prévalence (Finkehlor et al., 2005c). Ce peut être le cas, par exemple, lors d’un événement durant lequel un jeune est victime d’intimidation verbale, de vol et de voie de fait. Ces travaux permettent aussi de contrôler les autres victimisations et événements aversifs vécus par les jeunes victimes d’une forme de victimisation spécifique, et d’ainsi déterminer avec plus de certitude si les conséquences identifiées découlent réellement de cette victimisation ou si elles résultent plutôt d’autres expériences traumatiques vécues en concomitance ou encore de leur cumul. Ces travaux documentent également des mesures d’événements potentiellement traumatiques qui sont souvent ignorés dans les recherches, tels la violence subie par la fratrie, le fait d’être témoin de violence et de victimisation sans en être directement l’objet, et le fait d’avoir vécu d’autres événements aversifs. Ces recherches permettent également de considérer l’accumulation de ces événements au cours de la vie d’un jeune, puisque le cumul de traumatisme est susceptible d’entraîner des conséquences à long terme sur la santé mentale (Turner & Loyd, 1995), tel le trauma complexe (Herman, 1992 ; Courtois, 2004). Sachant que la victimisation multiple est commune chez les jeunes et considérant qu’elle est prédictive d’une victimisation subséquente (Farrell & Pease, 1993 ; Pease 1998 ; Finkelhor et al., 2007b), il est essentiel de documenter ses diverses manifestations dans la vie des jeunes afin d’identifier ceux qui ont un risque accru de demeurer polyvictimes de manière chronique (Finkelhor et al., 2007b).

La victimisation des jeunes Québécois et Canadiens

En 2008, plus de 75 000 Canadiens de moins de 18 ans ont été la cible de crimes violents rapportés aux services policiers (Ogrodnik, 2010). Ces données sous-estiment l’ampleur de la victimisation juvénile car les jeunes sont peu nombreux à rapporter leur propre victimisation à la police (Besserer & Trainor, 2000 ; Gannon & Mihorean, 2005). Chez les adolescents de 15 à 17 ans, environ 80 % des victimes n’ont pas signalé leur victimisation aux services policiers (Ogrodnik, 2010), ce qui souligne l’importance d’avoir accès à d’autres sources de données afin d’établir un portrait de la victimisation chez les jeunes.

Au Canada, nous avons peu de données autorévélées concernant la victimisation des enfants, ce qui limite notre compréhension du phénomène de victimisation chez les jeunes (Ogrodnik, 2010). Le sondage de victimisation canadien n’inclut pas ceux âgés de moins de 15 ans et comprend uniquement quelques formes de victimisation (Gannon & Mihorean, 2005 ; Perreault & Brennan, 2010). Les données de la dernière enquête réalisée en 2009 indiquent que chez les 15 à 24 ans, 4,7 % ont été la cible de vol qualifié, 16,9 % ont vécu des voies de fait, 20 % ont été victimes de vol et 6,9 % ont subi une victimisation sexuelle (Perreault & Brennan, 2010). L’enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ) recueille de l’information concernant les facteurs pouvant influencer le développement des jeunes, incluant certaines formes de victimisation. Cette vaste enquête nationale a débuté en 1994 avec un échantillon de 22 831 enfants âgés de 0 à 11 ans. Des données sur les enfants et leurs familles ont été recueillies tous les deux ans par entrevue avec la personne qui connaissait le mieux l’enfant. Des données ont également été obtenues directement auprès des jeunes concernés une fois qu’ils atteignaient l’adolescence. Ainsi, 62 % des adolescents canadiens de 13 à 16 ans avaient vécu au moins une victimisation au cours des 12 mois précédant leur participation à l’enquête, 30,5 % avaient vécu deux formes de victimisation et 23,7 % en avaient vécu trois ou plus (Romano et al., 2011).

Au Québec, une enquête sur la violence familiale dans la vie des enfants du Québec est réalisée tous les cinq ans par l’Institut de la statistique du Québec. L’enquête réalisée en 2004 a recueilli de l’information auprès d’un échantillon représentatif de parents de jeunes de moins de 18 ans concernant les expériences de violence familiale vécues par leurs enfants (Clément & Chamberland, 2007). Ainsi 80 % des jeunes ont vécu au moins un épisode de violence psychologique dans la dernière année, 43 % ont été la cible de violence physique mineure et 6 % ont subi de la violence physique sévère. De plus, près de 40 % des jeunes ont subi plus d’une forme de violence au cours de l’année, près de 5 % en ayant subi trois (Clément & Chamberland, 2007). Bien que ces données soient inquiétantes, ces études examinent uniquement quelques formes de victimisation, en excluant ainsi plusieurs pouvant être vécues directement ou indirectement par les jeunes dans le milieu familial et dans d’autres sphères de leur vie (école, communauté).

Objectif de l’étude

Cette étude vise à documenter plusieurs formes de victimisation et événements aversifs pouvant être vécus par les jeunes Québécois au cours de leur vie afin de refléter l’accumulation de traumatismes au cours de leur développement et à examiner leur statut de polyvictimisation en employant la traduction française du Juvenile Victimization Questionnaire. Enfin, elle vise à proposer des seuils de polyvictimisation chez des jeunes Québécois en fonction de leur âge.

Méthode

Échantillon et procédure

Cette recherche est basée sur des données issues de deux enquêtes téléphoniques. La première enquête, réalisée de septembre 2008 à mai 2009, documente la victimisation vécue par 1 400 adolescents de 12 à 17 ans au cours de leur vie. La deuxième, réalisée entre janvier et mars 2011, documente la victimisation « à vie » de 1 401 enfants de 2 à 11 ans en interrogeant la personne qui connaît le mieux leur vécu. L’échantillon total inclut donc 2 801 participants (Tableau 1). La moitié des jeunes étaient de sexe masculin et, au moment de l’entrevue, 21 % étaient âgés de 2 à 5 ans, 29 % avaient entre 6 et 11 ans, 22 % étaient âgés de 12 à 14 ans et les autres (28 %) avaient entre 15 et 17 ans. Comparativement à la population générale des jeunes du Québec, l’échantillon comprend un plus grand nombre de jeunes caucasiens, dont le niveau d’éducation parental est élevé et qui vivent avec deux parents.

Pour les deux enquêtes, la base de sondage est formée de numéros de téléphone constitués à l’aide de la technique de génération aléatoire de numéros de téléphone (GANT) visant l’ensemble des ménages québécois comportant un jeune du groupe d’âge visé. Les enquêtes téléphoniques portant sur des sujets délicats obtiennent des résultats comparables (Bajos et al., 1992 ; Bermack, 1989) et parfois supérieures (Reddy et al., 2006 ; Rosenbaum et al., 2006) aux entrevues face-à-face et sont utilisées dans les enquêtes sur la victimisation juvénile aux États-Unis ainsi que dans diverses enquêtes canadiennes, telles les enquêtes sociales générales (Besserer & Trainor, 2000 ; Gannon & Mihorean, 2005) et l’enquête sur la violence familiale dans la vie des enfants du Québec (Clément & Chamberland, 2007). De plus, les enquêtes téléphoniques permettent de joindre un maximum de participants à peu de frais et entraînent peu d’inconvénients pour les répondants.

Les entretiens téléphoniques ont été réalisés par une firme de recherche spécialisée dont les interviewers avaient une expérience en matière d’enquêtes auprès de parents et de jeunes. Ces interviewers ont été préalablement formés par une stagiaire postdoctorale ayant de l’expérience d’enquêtes téléphoniques, avec le questionnaire de victimisation juvénile et en intervention auprès des jeunes victimes et de leur famille.

Tableau 1

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

Note : La somme des pourcentages n’est pas de 100 % car les valeurs ont été arrondies à deux décimales.

a Inclut les jeunes vivant avec deux parents biologiques ou avec un parent biologique et le conjoint ou la conjointe de ce parent.

b Autre : le terme inclut les jeunes vivant en garde partagée, avec un grand-parent, leur fratrie adulte, un autre membre de la famille, un ami ou en famille d’accueil.

c Origine ethnique du jeune.

d Le parent ayant le niveau d’éducation le plus élevé a été considéré.

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Après avoir déterminé que le ménage comportait au moins un jeune du groupe d’âge ciblé, un jeune était sélectionné au hasard. Pour les enfants de moins de 12 ans, la personne qui connaissait le mieux son vécu quotidien était sélectionnée pour l’entretien alors que l’entrevue était réalisée directement avec les adolescents de 12 ans et plus. Le consentement des participants a été obtenu avant l’entrevue, que ce soit le parent, ou le tuteur légal, ou l’adolescent lui-même lorsqu’il était âgé de 14 ans ou plus. Afin de garantir une complète confidentialité aux répondants, une procédure à l’aveugle a été employée. Les numéros de téléphone étaient composés de manière automatique et il était impossible pour la firme de retracer le numéro d’un répondant dès qu’une question pouvant révéler la compromission de la sécurité du jeune était posée. Les participants révélant une situation pouvant indiquer une compromission possible du développement ou de la sécurité du jeune étaient référés à une ligne d’aide. La procédure employée a été approuvée par le comité éthique de l’université d’appartenance des principaux chercheurs.

Les entretiens ont été réalisés en français et en anglais. Leur durée moyenne était de 23 minutes chez les adolescents (12-17 ans) et de 20 minutes chez les parents d’enfants de moins de 12 ans.

Mesures

Victimisation

Le Juvenile Victimization Questionnaire (JVQ) (Hamby & Finkelhor, 2004) a d’abord été traduit de l’anglais au français par deux traducteurs, selon la méthode proposée par Vallerand (1989). Leurs deux versions ont par la suite été traduites du français à l’anglais par deux autres traducteurs différents. La version finale employée est la retraduction anglaise se rapprochant le plus de la version originale.

La version du JVQ qui a été utilisée pour cette étude documente 34 formes de victimisation vécues directement ou indirectement par les adolescents (12-17ans). Ces victimisations comprennent huit formes de crimes conventionnels ou communs (tels le vol, le méfait et les voies de fait), quatre formes de maltraitance (négligence, abus physique, violence psychologique et enlèvement par un parent), six formes de victimisation par les pairs ou la fratrie (ex : intimidation, voies de fait et violence dans les relations amoureuses), sept formes de victimisation sexuelle (incluant viol, exhibitionnisme, harcèlement sexuel et viol statutaire), et neuf formes de victimisation indirecte (ex : exposition à la violence dans la communauté, exposition à la violence familiale, exposition à des conflits de guerre et à des émeutes, cambriolage du domicile familial).

La version utilisée pour les parents d’enfants de moins de 12 ans est la même, mais comprend 32 formes de victimisation (la violence dans les relations amoureuses ainsi que le viol statutaire sont exclus). Des catégories de victimisation ont été construites (victime de vol et méfait, victime de voies de fait et d’intimidation, victime de maltraitance, victime de crime sexuel et témoin de violence), en regroupant certaines formes de victimisation selon les recommandations de Hamby et al. (2004).

Événements aversifs

Dix items d’une échelle de 15 événements aversifs employés dans les enquêtes réalisées aux États-Unis (Hamby et al., 2004) ont été utilisés afin de mesurer 10 événements ayant pu être vécus par le jeune ou par l’un de ses proches (ex. : catastrophe, accident ou maladie, mortalité, chômage, problèmes de consommation ou emprisonnement d’un parent, itinérance, etc.) durant la vie du jeune. Une variable totalisant le nombre d’événements aversifs vécus (variant de 0 à 10) a ensuite été créée.

Analyses statistiques

La prévalence des diverses formes de victimisation vécues par les enfants et les adolescents au cours de leur vie est d’abord présentée en identifiant les différences (chi carré de Pearson) selon l’âge et le sexe. Puisque la source des données diffère selon l’âge des répondants (adolescents ou parents d’enfants), les comparaisons selon l’âge ont été effectuées entre les enfants d’âge préscolaire (2 à 5 ans) et les enfants de 6 à 11 ans et entre les jeunes adolescents (12 à 14 ans) et les adolescents plus âgés (15-17ans).

Afin d’identifier les jeunes étant la cible de victimisation multiple, une variable a été créée en faisant le total des victimisations distinctes vécues au cours de la vie, conformément aux travaux américains sur la polyvictimisation (Finkelhor etal., 2009). La même forme de victimisation vécue de manière répétée a été exclue, la mesure ne comprenant que des formes de victimisation distinctes. Pour chaque jeune, le nombre de victimisations vécues a été calculé et les polyvictimes ont été identifiées en sélectionnant celles dont le nombre de victimisations dépasse le seuil du dixième percentile des jeunes ayant vécu le plus de victimisations dans chacun des groupes d’âge.

Résultats

Vols et méfaits

Comme le souligne le tableau 2, 40 % des mineurs ont été la cible d’un vol ou de méfaits sur leurs biens au cours de leur vie, les formes les plus communes étant le vol simple et les méfaits (23 % pour chacune de ces formes ; le vol qualifié est moins fréquent, avec 5 % des jeunes en ayant été victimes au cours de leur vie). Les adolescents plus âgés (15-17 ans) sont les plus touchés par les vols et les méfaits, possiblement parce qu’ils ont plus de biens personnels.

Tableau 2

Vols et méfaits

Vols et méfaits

a Victimes : le terme inclut les jeunes ayant vécu au moins une victimisation de cette catégorie.

b Différence significative avec la colonne précédente, p <,05 (tests x2).

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Voies de fait, harcèlement et intimidation

Près de la moitié (47 %) des jeunes ont vécu au moins une des victimisations de cette catégorie au cours de leur vie (Tableau 3). Les garçons sont généralement plus touchés que les filles par les voies de fait, mais la différence n’est pas statistiquement significative. Les agressions physiques de la part des pairs ou de la fratrie constituent la forme de victimisation la plus fréquente de cette catégorie (30 % des jeunes en ont été la cible au cours de leur vie). Les adolescentes sont plus souvent la cible de caïdage ou d’intimidation verbale que les adolescents alors que ces derniers sont plus nombreux à être la cible d’agressions motivées par la haine (75 % des victimes de ce type de crime étaient âgées de 12 ans et plus) et d’agressions par des gangs ou groupes de jeunes (74 % des victimes étaient âgées de 12 ans et plus). Enfin, les adolescents plus âgés (15-17 ans) étaient les plus touchés par la violence dans leurs relations amoureuses, représentant 72 % des victimes de cette forme de victimisation.

Tableau 3

Voies de fait, harcèlement et intimidation

Voies de fait, harcèlement et intimidation

a Victimes de voies de fait : le terme inclut les jeunes ayant vécu au moins une victimisation de cette catégorie, excluant le caïdage et l’intimidation verbale.

b Différence significative avec la colonne précédente, p <,05 (tests x2).

c Différence selon le sexe significative, p <,05 (tests x2), seulement parmi les adolescents (12-17).

d Uniquement les fréquences (n) sont indiquées compte tenu de la faible prévalence. Différences selon l’âge et le sexe des victimes non explorées.

N/A = non applicable.

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Tableau 4

Victimisation sexuelle

Victimisation sexuelle

a Victimisation sexuelle : le terme inclut les jeunes ayant vécu au moins une victimisation de cette catégorie.

b Différence selon le sexe significative, p <,05 (tests x2), seulement parmi les adolescents (12-17).

c Différence significative avec la colonne précédente, p <,05 (tests x2).

d Agression sexuelle : le terme inclut les jeunes ayant vécu au moins une victimisation de cette catégorie, excluant l’exposition sexuelle et le harcèlement sexuel.

e Uniquement les fréquences (n) sont indiquées compte tenu de la faible prévalence. Différences selon l’âge et le sexe des victimes non explorées.

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Victimisation sexuelle

Au cours de leur vie, 8 % des jeunes ont vécu une forme ou l’autre de victimisation sexuelle, catégorie de victimisation qui touche plus les filles que les garçons (Tableau 4). La forme la plus courante est le harcèlement sexuel (4 %), suivi de l’exhibitionnisme (3 %). Quant aux agressions sexuelles, elles ont été vécues par 3 % des jeunes au cours de leur vie, majoritairement par les adolescents plus âgés, 68 % des victimes étant âgées de 15 à 17 ans.

Maltraitance

Le tableau 5 indique que ce sont 13 % des jeunes qui ont été maltraités durant leur vie, la forme la plus commune étant les abus émotionnels (10 %). Les adolescentes (12-17 ans) sont significativement plus nombreuses que les adolescents à rapporter avoir été la cible d’abus physiques ou émotionnels, alors qu’il n’y a pas de différence selon le genre chez les plus jeunes (2-11 ans).

Tableau 5

Maltraitance

Maltraitance

a Victimes : le terme inclut les jeunes ayant vécu au moins une victimisation de cette catégorie.

b Différence selon le sexe significative, p <,05 (tests x2), seulement parmi les adolescents (12-17).

c Différence significative avec la colonne précédente, p <,05 (tests x2).

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Tableau 6

Témoin de violence

Témoin de violence

a Témoin de violence : le terme inclut les jeunes ayant vécu au moins une victimisation de cette catégorie.

b Différence selon le sexe significative, p <,05 (tests x2), seulement parmi les adolescents (12-17).

c Différence significative avec la colonne précédente, p <,05 (tests x2).

d Uniquement les fréquences (n) sont indiquées compte tenu de la faible prévalence. Différences selon l’âge et le sexe des victimes non explorées.

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Témoin de violence

Certains jeunes peuvent être exposés à la violence sans pour autant en être directement victimes. Comme l’illustre le tableau 6, plus du tiers (38 %) des enfants et adolescents ont été exposés à la victimisation au cours de leur vie, la majorité étant des adolescents (76 % des jeunes exposés étaient âgés de 12 ans et plus). La forme la plus fréquente est d’être témoin de voies de fait simples (23 %). Plus de 1 jeune sur 10 a été témoin de voies de fait armées, phénomène qui est significativement plus souvent rapporté par les adolescents que les adolescentes (différence selon le sexe non significative chez les moins de 12 ans). Quant à l’exposition à la violence intrafamiliale, ce sont 3 % des jeunes qui ont été exposés à la violence conjugale et 2 % à l’abus physique d’un parent envers leur fratrie. Enfin, pour les formes de victimisation les plus sévères, 1 % des jeunes ont été témoin d’un homicide au cours de leur vie, et 2 % ont un proche qui a été assassiné.

Événements aversifs

Le tableau 7 documente les divers événements aversifs vécus par les enfants et adolescents durant leur vie. Notons qu’il est possible ici que certains événements aversifs vécus aient également été documentés dans la mesure de victimisation indirecte. Par exemple, certains jeunes ayant été témoin de meurtre ont ainsi probablement déjà vu une personne décédée et parmi ceux dont un proche a été assassiné, il s’agissait possiblement du décès d’une personne très proche. Ces événements aversifs demeurent cependant pertinents car ils sont non seulement potentiellement traumatiques mais beaucoup plus communs que le fait d’être témoin de meurtre ou de savoir qu’un proche a été assassiné. En effet, ce sont 66 % d’entre eux qui ont vécu au moins un événement aversif, le plus fréquent (41 %) étant le décès d’un proche du jeune, suivi du chômage d’un parent (19 %), qui est l’événement le plus commun vécu par les jeunes enfants (2 à 5 ans). Les adolescents les plus âgés (15 à 17 ans) sont significativement plus nombreux à rapporter avoir été séparés de leur famille à un moment ou l’autre de leur vie.

Victimisation multiple et polyvictimisation

Comme le souligne le tableau 8, la majorité (76 %) des jeunes Québécois ont été victimisés au moins une fois au cours de leur vie. Tel qu’attendu, la victimisation multiple tend à s’accroître avec l’âge, les jeunes plus âgés ayant un plus long vécu. Alors que 25 % des enfants âgés de 2 à 5 ans ont vécu plus d’une forme de victimisation au cours de leur vie, le pourcentage s’élève à 37 % chez les 6 à 11 ans, à 61 % parmi les 12 à 14 ans et à 71 % chez les adolescents de 15 à 17 ans. Le nombre moyen de victimisations augmente selon le groupe d’âge, les victimes de 2 à 5 ans ayant vécu en moyenne deux formes de victimisation alors que les jeunes de 15 à 17 ans ont vécu en moyenne un peu plus de quatre formes durant leur vie.

Tableau 7

Événements aversifs

Événements aversifs

a Exposés : le terme inclut les jeunes ayant été exposé à au moins un événement aversif.

b Différence significative avec la colonne précédente, p <.05 (tests x2).

c Exclut l’exposition lors de funérailles.

d Incluant des inondations, tremblements de terre, incendie, etc.

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Tableau 8

Nombre de victimisations et seuils de polyvictimisation par groupe d’âge

Nombre de victimisations et seuils de polyvictimisation par groupe d’âge

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Afin d’identifier les jeunes polyvictimisés « à vie », la méthode suggérée par les chercheurs américains a été employée (Finkelhor et al., 2009 ; Finkelhor et al., 2011), les polyvictimes étant les 10 % ayant vécu le plus grand nombre de victimisations dans chacun des groupes d’âge. Il est essentiel de considérer l’âge des jeunes pour le calcul de la polyvictimisation au cours de la vie puisque le nombre de victimisations augmente avec l’âge. Chez les enfants âgés de 2 à 5 ans, les polyvictimes sont ceux ayant vécu trois formes de victimisation et plus alors que chez les 6 à 11 ans, les polyvictimes ont vécu six victimisations ou plus. Parmi les adolescents, les polyvictimes de 12 à 14 ans ont vécu au moins sept formes de victimisation et celles de 15 à 17 ans en ont vécu au moins neuf (Tableau 8).

Le tableau 9 présente les types de victimisation vécus par les jeunes ayant un statut de poly-victimes selon la catégorie d’âge. Les résultats montrent que pour tous les groupes d’âge, les polyvictimes ont vécu significativement plus de vol et méfait, de voies de fait, de victimisation sexuelle, d’agression sexuelle, de maltraitance et de victimisation indirecte au cours de leur vie que les autres jeunes du même âge (comprenant des jeunes non victimisés et des victimes non polyvictimisées).

Tableau 9

Types de victimisation chez les polyvictimes

Types de victimisation chez les polyvictimes

Poly = pourcentage de polyvictimes ayant vécu ce type de victimisation.

Autres = pourcentage ayant vécu ce type de victimisation dans l’échantillon, excluant les polyvictimes.

Note : Différence significative, p <,05 (tests x2) entre les polyvictimes et les autres jeunes pour toutes les formes de victimisation et dans tous les groupes d’âge.

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Enfin, en comparant le nombre moyen d’événements aversifs vécus par les polyvicitimes et les autres jeunes (non victimes et victimes), les polyvictimes ont également vécu significativement plus d’événements aversifs, et ce, dans tous les groupes d’âge[2], soulignant une accumulation de stress chez ces derniers (voir figure 1).

Figure 1

Polyvictimisation et événements aversifs

Polyvictimisation et événements aversifs

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Discussion

Les résultats de la présente étude indiquent que la majorité (76 %) des jeunes Québécois ont été victimisés au cours de leur vie. Ce résultat est similaire aux estimations américaines indiquant que 80 % des jeunes ont déjà été victimisés (Finkelhor et al., 2009). Bien que les prévalences annuelles soient également élevées (Cyr et al., 2013 ; Cyr et al., 2014), le fait de tenir compte de l’accumulation de la victimisation au cours de la vie permet d’illustrer l’accumulation de traumatismes à laquelle plusieurs jeunes sont confrontés lors de leur développement. Puisque la victimisation juvénile ne se limite pas à l’adolescence (Rossman et al., 1998) et que le sondage de victimisation canadien n’interroge que les gens de 15 ans et plus, il est essentiel de développer des sondages pour documenter la victimisation des jeunes au Canada. D’ailleurs, pratiquement la moitié (48 %) des jeunes victimes de voies de fait et d’intimidation avaient moins de 12 ans au moment de l’entrevue. Il est essentiel de compléter les statistiques officielles (protection de l’enfance et statistiques policières) par des sondages de victimisation afin de suivre l’évolution du phénomène de victimisation chez les jeunes, de mieux comprendre les facteurs de risque et d’ainsi développer des politiques sociales adéquates (Finkelhor, 2008).

Le questionnaire de victimisation juvénile utilisé dans le cadre de la présente étude permet d’obtenir un portrait plus complet de la victimisation, en incluant des formes communément vécues par les enfants et les adolescents, telles que la violence entre les pairs et dans la fratrie. Il inclut aussi la victimisation indirecte, rarement documentée, qui a été vécue par plus d’un jeune sur trois. En outre, le JVQ permet de documenter un vaste éventail de victimisations et de comparer les expériences des jeunes selon l’âge et le genre.

Les résultats de l’étude indiquent que les deux catégories de victimisation les moins prévalentes, soit la victimisation sexuelle et la maltraitance, ont été vécues de manière disproportionnée par les polyvictimes en comparaison des jeunes non polyvitimes. Finkelhor et al. (2007b) ont souligné que ces deux catégories de victimisation pourraient indiquer un risque d’exposition accrue à la victimisation en général. Nous avons aussi remarqué que les polyvictimes ont vécu en moyenne significativement plus d’événements aversifs, ce qui signifie que certains jeunes accumulent diverses expériences traumatiques au cours de leur vie. La polyvictimisation a tendance à persister dans le temps (Finkelhor et al., 2007b), est associée à plus de symptômes traumatiques (Finkelhor et al., 2007a ; Cyr et al., en révision) chez les jeunes et ces symptômes constituent un facteur de risque associé à la polyvictimisation (Cuevas et al., 2009, 2010 ; Turner et al., 2010). Il importe donc d’identifier les polyvictimes et de développer des interventions pour éviter le développement de troubles d’adaptation et réduire leur risque de victimisation chronique.

Limites

Bien que cette étude documente un vaste éventail de victimisations vécues par les mineurs, il importe de souligner certaines limites. Les données proviennent d’une seule source d’information, soit le parent ou l’adolescent. Les répondants pourraient ainsi avoir sous-estimé ou surestimé la victimisation vécue. Compte tenu de la nature rétrospective des données, des répondants ont peut-être oublié certaines formes de victimisations vécues au cours de leur vie (ou de celle de l’enfant). Il est aussi possible que des parents d’enfants de moins de 12 ans ignoraient certaines victimisations vécues par l’enfant ciblé ou qu’ils aient omis de révéler certaines formes de victimisation par désirabilité sociale (par exemple, une forme de maltraitance dont le parent répondant était l’auteur). Puisqu’il s’agit d’une enquête téléphonique, l’étude ne comprend pas de jeunes sans domicile et exclut les familles ne disposant pas de ligne résidentielle. Les personnes ne parlant pas français ou anglais ont été exclues, nous ignorons les caractéristiques des répondants n’ayant pas participé à l’enquête, et les jeunes de l’échantillon proviennent majoritairement de familles très scolarisées, ce qui limite la généralisation des résultats.

Conclusion

Cette étude souligne l’importance de tenir compte de diverses formes de victimisation dans la vie des jeunes. En se concentrant sur une ou quelques formes de victimisation dans les recherches et lors de l’intervention, la possibilité que les jeunes soient victimisés dans plusieurs sphères de leur vie est ignorée, ce qui obscurcit le fardeau qui pèse sur les jeunes et peut mener à une mauvaise compréhension de leurs difficultés et de leurs besoins lors des interventions auprès d’eux (i. e. faux diagnostique, mauvaise médication, etc.). On devrait intervenir en priorité auprès des polyvictimes afin de limiter le cycle de victimisation chronique qui est une réalité pour nombre d’entre elles. Il est essentiel d’élargir notre conception de la victimisation chez les jeunes afin de tenir compte de victimisations fréquentes et souvent négligées dans les enquêtes en plus des formes sévères mais moins communes. Il importe également de documenter l’évolution du phénomène en complétant les données officielles par des données autorévélées.