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Introduction

Cette étude se penche sur l’impact de la défavorisation matérielle et sociale sur la réadaptation cardiaque chez un groupe d’hommes souffrant d’une maladie cardiovasculaire. L’analyse porte plus précisément sur l’adoption de diverses pratiques de santé et sur la participation à un programme composé de cinq séances d’information en réadaptation cardiaque offert par un Centre de santé et des services sociaux (CSSS). Les résultats suggèrent fortement que les hommes socio-économiquement défavorisés consacrent prioritairement leurs temps et ressources à combler leurs besoins primaires et immédiats, au détriment d’un mode de vie axé sur la santé et la prévention des maladies cardiovasculaires. Ces résultats permettent d’approfondir les connaissances sur les déterminants sociaux de la santé en vue de réduire les inégalités sociales de santé et de développer des interventions plus efficaces en réadaptation cardiaque.

Inégalités sociales de santé

Les inégalités sociales de santé au sein des grandes agglomérations urbaines ont été largement documentées et sont encore aujourd’hui un problème de santé majeur au Québec. Ici comme ailleurs, une forte proportion de décès prématurés (moins de 75 ans) s’est produite dans un contexte de défavorisation matérielle et sociale (Pampalon et al., 2008). Certaines études portant sur le gradient social de santé ont démontré que la variation des taux de morbidité et de mortalité reposait essentiellement sur les caractéristiques socio-économiques d’un individu et sur l’état des niveaux sociaux hiérarchiques dans une société (Bouchard, 2008). Les maladies de l’appareil cardiovasculaire ont été identifiées comme étant très sensibles aux facteurs socio-économiques tels le revenu et le niveau de scolarité. Au Québec par exemple, les taux de mortalité prématurée due aux cardiopathies ischémiques seraient 3,4 fois supérieurs chez les hommes du quintile de défavorisation matérielle et sociale le plus faible par rapport à ceux du quintile le plus élevé (Pampalon et al., 2008)[2].

Si les styles de vie n’expliquent pas à eux seuls ces inégalités, ils sont néanmoins constituants de plusieurs pratiques qui permettent de comprendre les liens étroits entre la position sociale et la maladie cardiaque (Marmot, 2004). Beaucoup d’institutions de santé ont mis sur pied des programmes de réadaptation cardiaque fortement axés sur la modification des habitudes de vie et visant à améliorer les interventions en prévention secondaire. Ces programmes améliorent la qualité de vie et la longévité des populations cardiaques en agissant sur leurs connaissances des facteurs de risque et des habitudes de vie saines (alimentation, activité physique, médication, tabagisme) telles que promues par les institutions de santé publique (Grace et al., 2002 ; Keaton et Pierce, 2000).

Si ces programmes ont démontré leur efficacité (Grace et al., 2002), des études ont aussi signalé leurs taux élevés d’abandon – soit 25 % au cours des trois premiers mois suivants un accident cardiaque, 50 % au cours des six premiers mois (Oldridge, 1991 ; Bock et al., 1997) et 75 % après une année (Willich et al., 2001).

Contexte de l’étude

Cette étude s’est tenue dans les zones urbaines de la Ville de Gatineau. En 2011, cette agglomération arrive bonne première au palmarès de la qualité de vie des villes canadiennes du magazine économique Money Sense. Ce classement n’est pas étonnant puisque, selon l’Institut de la statistique du Québec, la Ville de Gatineau détient l’un des revenus personnels par habitant (34 459 $) les plus élevés et l’un des taux de chômage les plus faibles (5,5 %) parmi les régions métropolitaines de recensement (RMR) du Québec.

Cette position enviable cache une autre réalité, soit la pauvreté de son centre-ville et les problèmes sociosanitaires qui s’y rattachent. Selon un rapport de la Direction de santé publique de l’Outaouais, la Ville de Gatineau détiendrait des indicateurs de santé paradoxaux pour une ville où il fait bon vivre (Courteau et Finès, 2004). Elle est caractérisée, entre autres, par de fortes inégalités sociales de santé et par une surmortalité par rapport aux autres RMR du Québec. À titre d’indicateur, la santé des hommes du dernier quintile de revenu y est particulièrement préoccupante : leur espérance de vie à la naissance est de 10 années inférieure à celle des femmes du quintile supérieur et de 5 années de moins que celles des hommes de ce même quintile (Courteau et Finès, 2004).

État des connaissances

Peu d’études ont approfondi la question du faible taux de participation aux séances de réadaptation cardiaque des groupes moins bien nantis (Clark et al., 2007). Pourtant, plusieurs ouvrages empiriques ont déjà noté leur vulnérabilité à cet égard (Hanna et Wenger, 2005). Moins d’une dizaine d’études qui ont pour thème la réadaptation cardiaque ont traité, bien que sommairement, de cette population (par exemple, Emslie 2005 ; Emslie et Hunt 2009 ; Clark et al., 2007 ; Wheatley 2006 ; Suaya et al., 2007) et seule l’étude de King (2002) présente une majorité de participants socio-économiquement défavorisés.

La sociologue Carol Emslie a publié deux recensions qui accordent un certain intérêt au statut socio-économique. Selon Emslie (2005), les populations moins bien nanties seraient moins enclines à rechercher une aide médicale après un accident cardiaque puisqu’elles auraient une méconnaissance des symptômes de la maladie et une plus faible propension à consulter un service d’urgence pour cette condition. L’étude d’Emslie et Hunt (2009) recense davantage les expériences d’hommes souffrant de maladie cardiaque. Ces chercheuses soulignent d’emblée le peu d’études sur les populations socio-économiquement défavorisées et rapportent brièvement quelques facteurs explicatifs de leur manque de réceptivité devant les programmes de réadaptation cardiaque : les caractéristiques de l’identité masculine associées à la classe ouvrière ainsi que les expériences négatives antérieures des services de soins de santé rendraient ces hommes plus réticents à consulter des services médicaux et à participer aux programmes de réadaptation.

L’étude de Rosemary King (2002) se penche sur les perceptions du soutien social, de la réadaptation cardiaque et des soins de santé reçus pendant les périodes suivant un accident cardiaque. Elle est l’une des rares chercheuses à avoir abordé directement la question de la défavorisation (66 % de son échantillon touchait un revenu inférieur à 20 000 $/an et possédait moins de 10 années de scolarité). Selon l’auteure, les programmes de réadaptation cardiaque souffrent d’un problème de pertinence aux yeux des participants de son étude puisque plusieurs d’entre eux estiment déjà connaitre les causes de leur état de santé (habitudes de vie malsaines) ou estiment que leurs conditions de vie sont le fruit d’éléments stresseurs incontrôlables et impondérables (évènements tragiques et angoissants, conditions de travail exigeant).

Les études d’Alexander Clark et al. (2007) et de Jose Suaya et al. (2007) soulignent les effets néfastes d’un faible revenu et d’une faible scolarité sur la réadaptation cardiaque. Le lieu de résidence, un indicateur valide du statut socio-économique, serait une variable importante puisqu’il détermine, dans une certaine mesure, l’accès aux services de santé. Par exemple, un domicile situé à l’écart des installations de santé réduirait la participation et le degré d’investissement dans la réadaptation cardiaque. Suaya et al. (2007) soulignent aussi les barrières physiques à la réadaptation cardiaque causées par une comorbidité importante chez les populations moins bien nanties.

La théorie socioculturelle : mieux comprendre les styles de vie

La théorie socioculturelle de Pierre Bourdieu a été retenue afin de mieux comprendre les styles de vie en contexte de défavorisation (Bourdieu, 1979 ; Boltanski, 1971). Selon cette approche, pour bien comprendre les pratiques de santé des différentes classes sociales, il faut comprendre l’impact des conditions de classes sur leur rapport au corps. Ce concept de rapport au corps (ou d’habitus corporel) a été utilisé par les chercheurs afin de mieux saisir les influences de la culture sur le style de vie (Williams, 1995). Il a été défini comme l’ensemble des schèmes de disposition, de perception et d’appréciation relatives au corps, à la manière de le traiter, de l’entretenir, de le soigner, etc. (Bourdieu, 1979, p. 210). Un rapport au corps spécifique résulterait donc d’une socialisation effectuée dans le parcours de vie des individus et serait intimement lié aux conditions d’existence (matérielles, familiales et sociales) propre à un milieu social donné.

Dans un texte canonique en sociologie de la santé, Luc Boltanski (1971) a étudié la variation sociale de la consommation de services médicaux chez différentes classes socio-économiques. Selon l’auteur, cette variation s’explique par l’existence de cultures somatiques distinctives s’étant développées à l’intérieur des différentes classes sociales. Ce point de vue proprement sociologique se différencie des autres approches plus psychologiques par le fait que les styles de vie et les pratiques sont le résultat d’un façonnement socioculturel, engendré par la structure des « chances de vie » offertes (ou refusées) qui sont liées à une position sociale plutôt que le produit d’un « calcul rationnel » de l’individu.

Méthodologie

Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une recherche qualitative plus vaste intitulée Hommes, pauvreté et réadaptation cardiaque. Cette dernière vise à mieux cerner les dispositions de genre, les réseaux sociaux ainsi que les normes et les valeurs en ce qui a trait aux pratiques de santé d’hommes de différents milieux socio-économiques souffrant d’une maladie cardiovasculaire. Soixante hommes de quatre classes socio-économiques (défavorisation matérielle et sociale faible, défavorisation matérielle et sociale élevée, classes moyennes inférieures et classes moyennes supérieures) ont été interviewés à cette fin pour bien identifier l’effet des conditions de vie sur la réadaptation cardiaque. La sous-étude présentée ici a comme objectif spécifique de mieux comprendre les facteurs sociaux qui influencent la participation à la réadaptation cardiaque chez les hommes moins bien nantis à partir de leur perspective.

Caractéristiques des participants

Deux critères de sélection ont été retenus de la recherche plus vaste afin de répondre aux objectifs de l’étude. Premièrement, les participants devaient être identifiés aux groupes de défavorisation matérielle et sociale, faible ou élevée[3]. Deuxièmement, ils ne devaient pas avoir adopté un régime de réadaptation cardiaque ou complété cinq séances d’information sur la réadaptation cardiaque offertes par un établissement de santé régional. En somme, le groupe de référence de l’étude est composé de 22 participants d’un âge moyen de 51,7 ans (âge variant de 37 à 79 ans). Chacun devait être francophone, habiter la région de l’Outaouais urbain, être résident d’un milieu socio-économiquement défavorisé, avoir subi un accident cardiovasculaire nécessitant une intervention médicale et requérant une hospitalisation, et être « autonome » selon les normes du Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec.

Les hommes interrogés vivent tous des situations matérielles et sociales précaires depuis leur naissance, n’ont pas fait l’expérience de trajectoires sociales (ascendante ou descendante) significatives et ont souffert à divers degrés de problèmes familiaux depuis leur naissance. Parmi les 22 participants, plusieurs occupent un emploi précaire ou non déclaré et plusieurs reçoivent occasionnellement des prestations d’assurance sociale, d’assurance-emploi ou des revenus de la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Comme présentés au tableau 1, près des deux tiers sont célibataires (n=15) et un peu plus de la moitié ont des enfants (n=13). Seulement sept hommes ont des contacts fréquents réguliers (plus d’une fois par année) avec leurs parents ou membres de leur fratrie. Sur le plan scolaire, 14 d’entre eux ne détiennent pas de diplôme d’études secondaires. Douze d’entre eux ont déjà été incarcérés pour divers crimes et douze ont été victimes de sévices physiques ou sexuels pendant leur enfance. Sur le plan de la santé, aucun participant n’a assisté à l’ensemble des cinq séances d’information sur la réadaptation cardiaque, la moitié (n=11) ne respectent pas les prescriptions de médicaments qui leur ont été recommandées par un professionnel de la santé, seulement sept respectent les suivis médicaux postopératoires, un peu moins de la moitié (n=10) sont sédentaires, la moitié sont des fumeurs (n=12) et plus de la moitié (n=13) ont déjà été dépendants des drogues illicites.

Collecte et analyse des données

Deux stratégies de recrutement ont été effectuées simultanément et ont nécessité le travail de trois personnes sur une période de six mois. La première stratégie a consisté à effectuer des présentations dans les quartiers socio-économiquement défavorisés, à recruter des participants dans des lieux publics, à apposer des affiches et à publier des annonces dans les journaux locaux. La deuxième stratégie a consisté à cibler les hommes qui ont participé à quelques séances d’un programme de cinq séances d’information en réadaptation cardiaque offert gratuitement par le Centre de santé et des services sociaux de Gatineau (CSSS) et vivant dans les zones urbaines les plus socio-économiquement défavorisées. La participation du Centre de santé et services sociaux de Gatineau a permis d’obtenir une liste anonymisée des individus inscrits aux séances d’information en réadaptation cardiaque et ayant souffert de l’une des maladies cardiaques suivantes : arrêt cardiaque, cardiopathie, infarctus du myocarde, cardiomyopathie, angine ou insuffisance cardiaque. Par la suite, des croisements ont été effectués entre les codes postaux des participants et les aires de diffusion (plus petite unité géographique normalisée utilisée pour le recensement) associées aux catégories de revenu total médian de moins de 20 000 $. Une lettre de recrutement a par la suite été envoyée à chacun des membres de cette liste. La première stratégie a permis de recruter dix-huit participants et la deuxième, quatre participants.

Compte tenu de l’objectif de l’étude et du cadre théorique adopté, la méthode de recherche privilégiée est empirique et qualitative. Ce devis de recherche permet de contextualiser les propos des participants en fonction de leurs conditions d’existence, du sens qu’ils accordent à l’expérience de leurs incidents cardiovasculaire, de leur rapport au corps et leurs perceptions des pratiques de santé et de la réadaptation cardiaque.

La collecte des données a été effectuée au moyen d’entretiens d’une durée d’environ 90 minutes. Le guide d’entrevue traite de thèmes élaborés selon la théorie socioculturelle de Pierre Bourdieu : la trajectoire socio-économique du participant, l’expérience de la maladie cardiovasculaire telle que vécue par le participant, la trajectoire personnelle en matière de perception, d’appréciation et d’attitude en ce qui concerne les pratiques préventives (alimentation, activités physiques, consommation de médicaments, suivis médicaux préventifs, etc.). Chaque entrevue était précédée d’un court questionnaire visant à collecter des données sociodémographiques pour obtenir un portrait plus détaillé de chacun des participants.

Tableau 1

Caractéristiques des participants (n=22)

Caractéristiques des participants (n=22)

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Les entrevues ont toutes été transcrites et intégrées au logiciel de traitement de données qualitatives NVivo 8. Dans un premier temps, les données ont pu être regroupées en catégories construites à partir de leurs affinités sémantiques. Cette démarche a été suivie d’une analyse des conditions de vie et des biographies personnelles de chacun des hommes interrogés (analyse verticale). Les données ont ensuite été analysées dans une perspective comparative entre les différents participants afin de repérer, s’il y a lieu, les différentes perceptions de la prévention et pratiques de santé (analyse transversale). Ces deux formes d’analyse ont permis de déterminer les liens entre les conditions de vie des sujets, leur pratique de santé en contexte de réadaptation cardiaque et le contexte dans lequel elle s’est manifestée.

L’étude a reçu les approbations du Comité d’éthique de l’Université d’Ottawa ainsi que du Comité d’éthique du Centre de santé et de services sociaux de Gatineau.

Résultats : des conditions d’existence qui font des différences

Les résultats de l’analyse soulignent une tendance lourde : les hommes socio-économiquement défavorisés sont peu enclins à adopter un mode de vie conforme aux recommandations de la santé publique et à participer plus formellement à des séances d’information en réadaptation cardiaque offertes gratuitement par un Centre de santé et de services sociaux. L’analyse de leur rapport au corps suggère que leurs conditions d’existence ont façonné, au cours de leur vie, une hiérarchie des priorités et engendré une faible attitude de prévention de la maladie. Les conditions d’existence ont comme conséquence de retarder les soins médicaux nécessaires lors de l’accident cardiaque et de limiter les suivis médicaux requis après l’intervention médicale au coeur. Deux sections seront présentées ci-dessous afin d’appuyer ces résultats. La première traite des faibles dispositions à adopter des pratiques préventives, et la deuxième est consacrée au manque d’intérêt à participer aux séances d’information en réadaptation cardiaque.

De faibles dispositions aux pratiques préventives

Comme l’ont souligné plusieurs auteurs (Clark et al., 2007 ; Daly et al., 2002 ; Suaya et al., 2007), l’efficacité de la réadaptation cardiaque repose sur l’adoption d’une attitude de prévention des maladies, l’acceptation du diagnostic médical et l’engagement à respecter un régime s’échelonnant sur une période relativement longue afin d’en retirer des bénéfices sur la santé. Autrement dit, il faut entretenir une perspective axée sur le long terme, être convaincu de l’existence de la maladie, et agir en vue d’éliminer les symptômes, qu’ils soient ressentis ou non.

L’analyse révèle que les conditions d’existence des participants sont peu propices à la réalisation de ces conditions. Leurs témoignages suggèrent que leur préoccupation pour leur santé cardiaque, pour leur qualité de vie à long terme, ainsi que leur adoption de pratiques de santé (cessation du tabagisme, alimentation saine, activités physiques régulières, consommation de médicaments prescrits) n’est pas jugée prioritaire puisqu’une bonne part de leurs ressources (économiques et temporelles) doit être consacrée à combler leurs besoins primaires (logement, alimentation, sécurité, etc.) et à composer avec leurs tribulations sentimentales, domestiques et financières. Ce sont souvent l’instabilité économique, la précarité de leur emploi (lorsqu’ils en ont un), les horaires de travail variables et les obligations envers leurs créanciers qui les amènent à vivre des conditions de nécessité, c’est-à-dire dans un état d’urgence, de désordre, d’incertitude, et sans projet d’avenir :

Ça n’a même plus de sens de [changer mes habitudes de vie]. Tu sais, j’ai complètement perdu le sens. C’est pour ça que je te dis que je suis spontané maintenant… Je suis « tout de suite, tout de suite, tout de suite »… Enough is enough !... Je vis de façon spontanée. Je n’ai pas de projets d’avenir. Je suis spontané, à la seconde

Jean-Charles[5], livreur, 53 ans

Leur consommation fréquente de services d’aide caritative, tels les soupes populaires, les banques alimentaires et les centres d’hébergement temporaires, témoigne en effet de leur proximité des services d’urgence. Beaucoup d’entre eux estiment vivre « au jour le jour », mènent leur vie « une journée à la fois », ou règlent leurs problèmes au fur et à mesure qu’ils surviennent. C’est le cas de Danny : « Et bien, je dois toujours chercher, demain, où vais-je manger ? Dormir ? … mais chaque jour, se demander ça, ça devient prenant [...] Moi, je prends ça au jour, le jour » (itinérant et assisté social, 37 ans). Quelques participants occupaient des emplois ponctuels ou saisonniers et arrivaient à maintenir un standard de vie offrant plus de stabilité. Ces derniers occupaient des emplois dans les domaines des métiers de la route (camionneur, livreur, déménageur, chauffeur), de l’entretien ménager et de la construction. Pour compenser l’instabilité de leur horaire de travail et leur faible taux horaire, certains travaillent au-delà d’une semaine « régulière » de travail pour maintenir leur emploi et obtenir un revenu suffisant à un mode de vie qui leur est convenable. Bien peu d’incitatifs existent donc pour investir dans leur santé et leur qualité de vie future pendant les périodes où il leur est possible d’être bien rémunérés. Par exemple, même s’il a souffert de deux infarctus, Fortier continue à travailler plus de 40 heures par semaine pour pallier ses problèmes financiers :

Je partais d’ici, dimanche au soir à 6 h. Saint-Jérôme, Montréal, Toronto, Hull, Je faisais ça trois fois par semaine. Je faisais 90 heures minimum. J’ai commencé à travailler j’avais 19 ans. […] Moi l’hiver dernier, je faisais six jours par semaine de transport […] On mange vite faite. Parce qu’il y en a du travail qui t’attend. [Je travaillais autant] parce que… les paiements arrivaient et les fins de mois aussi. Parce que je n’avais pas [plein de] cash là. […] [Je dormais] deux, trois heures par nuit

Fortier, domaine du transport, 71 ans

Le rapport aux services de santé préventive, entretenu tout au long de leur vie et bien avant l’apparition de leur problème cardiaque, serait aussi socialement construit en fonction des conditions de classe. À défaut d’entreprendre un suivi médical régulier, les participants préfèrent les consultations médicales ponctuelles. Ces dernières s’inscrivent donc davantage dans une logique fonctionnelle que préventive, ayant comme objectif principal de guérir ou réhabiliter une incapacité corporelle (un pied cassé, des blessures au dos, difficultés respiratoires, douleurs aigües, etc.) qui entrave la capacité de travailler, plutôt que de prévenir les risques de maladies et empêcher leur aggravation : « J’ai travaillé avec un pied cassé pendant une semaine et demie. [Je me suis fait] différents bandages juste pour finir ma journée. Un moment donné, quand tu échappes une charge lourde parce que tu n’as plus de [force] dans le pied, c’est là que tu vas voir le médecin » (Jean-Paul, déménageur, cuisinier, emplois divers, 48 ans). La consultation médicale est aussi souvent envisagée comme solution de dernier recours pour contrôler une douleur excessive : « Je me suis fait donner un coup de couteau, j’avais une grosse infection à ma jambe, elle est devenue très grosse. C’est quand je n’étais plus capable de marcher que je suis allé à l’hôpital. Je ne veux pas entrer dans les hôpitaux » (Leeroy, travailleur en construction, 45 ans). C’est également le cas pour Jean-Paul qui attend le plus longtemps possible avant de consulter un médecin : « Quand j’étais vraiment rendu à la limite de ce que je pouvais endurer. À ce moment-là, j’allais voir le médecin » (déménageur, cuisinier, emplois divers, 48 ans).

L’urgence de régler les problèmes concrets qui surgissent quotidiennement, que ce soit sur le plan physique ou psychologique, se fait souvent au détriment d’actions visant à prévenir des problèmes de santé potentiels. La faible fréquentation aux examens de dépistage (consultations médicales annuelles, examens sanguins, tests d’urine) s’explique en partie par cette hiérarchie des priorités qui s’impose aux individus pauvres et malades : « Je n’avais pas de problèmes de santé, je n’avais pas besoin d’aller chez le docteur et je n’avais pas le temps d’aller perdre du temps dans une clinique » (Max, ex-remorqueur, assisté social, 44 ans). Jean-Paul mentionne que malgré plusieurs blessures ayant précédé son accident cardiaque, il allait rarement chez le médecin :

Au niveau du dos, j’ai trois… un, deux, trois, quatre vertèbres d’écrasées. [J’ai] des muscles déchirés dans le dos là. Au niveau des épaules, j’ai eu une épaule complètement disloquée, je ne sais pas combien de fois. Et les genoux sont usés à force de charrier du poids. J’allais rarement voir le médecin. […] Je déteste les hôpitaux. Je suis anti-médecins. Jamais je n’aurais pensé que j’aurais terminé ma carrière de déménageur [parce que mon coeur] pouvait lâcher

déménageur, cuisinier, emplois divers, 48 ans

Cette hiérarchie s’exprime aussi en fonction de leurs préoccupations psychologiques et économiques : « Ma plus grande frustration c’est le bien-être. Ce n’est pas le coeur, c’est le mode de vie, c’est l’argent » (Max, ex-remorqueur, assisté social, 44 ans). Les propos de Claude vont aussi dans le même sens : « Moi, physiquement, je n’ai jamais eu à me plaindre de rien. C’est de ma tête qu’il me faut me plaindre, mais pas mon coeur » (concierge, chauffeur de taxi, 52 ans).

Faisant écho aux résultats d’Emslie (2005), les propos des hommes interrogés illustrent bien la faible réaction des participants aux signes avant-coureurs d’un accident cardiaque tel que défini par la Fondation des maladies du coeur (douleurs ou inconforts thoraciques, inconforts à d’autres régions du haut du corps comme les bras ou le dos, essoufflements, sueurs, nausée, étourdissements). D’une part, ils témoignent en quoi ces hommes sous-estiment l’urgence de recevoir des soins médicaux, soit en refusant ou en retardant les traitements :

La douleur au bras... c’est douloureux comme le martyre… Ma mère voulait appeler l’ambulance et puis moi je disais non […] le lendemain matin, je suis retourné chez moi. Je m’assoyais dans les bancs de neige, je n’avais pas le choix, je n’étais plus capable de marcher. […] Le [médecin] m’a dit que j’avais fait une crise d’angine

Richard, ex-boucher, 51 ans

Moi, mon attaque de coeur, j’ai eu bien peur, je pensais en mourir tellement que ça pompait et ça faisait mal en « tabarnac ». Jusqu’en arrière dans les côtes, je n’étais plus capable de respirer. Je te le dis, c’était l’enfer. [Je suis entré] d’urgence. […] Ça faisait deux mois [que ça faisait mal]. Les symptômes étaient très importants. Si je m’étais rendu [à l’hôpital] avant, ça aurait été moins pire.

Charles, ex-conducteur de machinerie, prestataire d’assurance invalidité, 46 ans

Le matin de bonne heure, je sentais mon bras s’engourdir. J’avais un petit doute [que ça pouvait être un problème cardiaque], mais je me suis dit, ça va passer, ce n’est pas grand-chose. Des fois, ça arrive, ça se passe. Cette fois-là, ça ne s’est pas passé et ç’a été dans ma jambe, après ça, aux deux jambes. C’est là que j’ai donné des coups à ma femme avec ma main droite. Elle s’est réveillée, et je lui ai dit : « je me sens engourdi ». […] je n’ai pas été paralysé longtemps, jusqu’à ce que les ambulances soient arrivées...

Jay, aidant naturel, 34 ans

D’autre part, la méconnaissance des symptômes serait aussi un des facteurs retardant la consultation médicale (Emslie, 2005). Certains les auraient confondus avec d’autres malaises physiques moins dommageables qui requièrent peu de soins immédiats : « J’ai eu mal pendant quelques jours. Je ne voulais pas aller à l’hôpital. Je me dis, ah ! C’est une indigestion. Puis là quand j’étais plié en quatre j’étais sûr que c’était pour exploser. […] j’ai appelé l’ambulance » (Lionel, travailleur communautaire, 55 ans).

Des programmes qui suscitent bien peu d’intérêt

Comme dans le cas des autres pratiques préventives, il existe une tendance claire chez les sujets défavorisés à minimiser l’importance de la réadaptation cardiaque et de s’informer plus amplement sur leur maladie pendant les périodes de convalescence. Puisqu’aucun participant n’avait participé, complété ou cherché à suivre les séances d’information offertes par le CSSS, les discussions pendant les entrevues ont permis de mieux cerner les éléments qui freinaient la participation à un tel service. Tout d’abord, beaucoup de participants ne ressentent plus la nécessité d’approfondir leurs connaissances de la maladie et leur condition physique une fois les douleurs disparues :

J’avais été faire du tapis [roulant] puis voir un spécialiste et puis j’avais lâché. Je me sentais correct

Lionel, travailleur communautaire, 55 ans

Je n’en faisais plus de palpitations. Suivre un programme [de réadaptation] ? Non, c’est comme si j’étais un gars neuf qui venait de sortir du garage, tu m’avais arrangé au complet. Je me sentais prêt à faire du jogging. Je ne peux pas dire que j’ai un problème de coeur

Bigras, assisté social, 53 ans

Comme nous l’avons évoqué plus haut, en plus du manque d’intérêt, les caractéristiques liées au travail rémunéré constituent aussi des entraves aux suivis réguliers. Les difficultés associées à l’absentéisme au travail, la perte de revenu ou la peur d’être congédié (ou d’être déclassé) ont souvent été citées comme obstacles à la participation. Pour cet employé d’un organisme social, les exigences de son emploi sont prioritaires par rapport à la réadaptation cardiaque :

Quand je suis parti de l’hôpital, mon patron est venu me chercher et puis je suis allé directement au bureau. J’ai pris une journée et demie de congé. Je n’ai pas pris de temps off depuis ce jour-là. Je n’ai pas trouvé le temps [pour les séances d’information en réadaptation cardiaque]. […] On travaille beaucoup d’heures à l’extérieur [des heures normales de travail]. […] Est-ce que j’aurais pu me rendre toutes les fois ? J’étais trop occupé au travail. Le mois d’octobre, ce n’était pas le meilleur temps de l’année

Lionel, travailleur communautaire, 55 ans

Plusieurs chercheurs ont noté l’effet dissuasif du format de groupe, caractéristique de beaucoup de programmes (Farley et al., 2003 ; Clark et MacIntyre, 2002 ; Jones et al., 2007 ; Evenson et al., 2006). Ici aussi, ce contexte suscite peu d’intérêt chez les hommes interrogés. Leur faible participation a souvent été justifiée par un inconfort suscité par la sensation de ne pas « être à sa place » ou par la crainte du partage d’information personnelle et professionnelle. Pris dans leur ensemble, les interviewés expriment fortement leur réticence à ce format ; une réaction largement documentée qui n’est pas étrangère à la honte de classe souvent ressentie par les personnes occupant de faibles positions sociales (Bourdieu, 1979) : « Être avec les autres, moi, j’ai beaucoup de difficulté avec ça […] il y avait des matins où est-ce que je ne veux pas voir personne. Oui, je sens ça aussi [de la gêne], même à 52 ans » (Claude, concierge et chauffeur de taxi, 52 ans). Eddy, quant à lui, souligne ne pas vouloir participer aux séances d’information par amour-propre : « Il y a de l’orgueil là-dedans, c’est certain. Le monde ne veut pas trop que ça se sache, qu’ils soient atteints au coeur.Personnellement, moins qu’il y a de personne qui le sait, mieux que c’est » (assisté social, 47 ans).

Ces analyses suggèrent fortement que ceux qui vivent en situation de défavorisation matérielle et sociale adoptent un regard critique envers les discours normatifs ayant pour objectif d’améliorer la qualité de vie et la longévité. En ce sens, lorsque l’augmentation de la longévité est définie comme un prolongement de leur condition de vie, peu d’entre eux sont encouragés à s’investir dans des programmes de réadaptation cardiaque :

J’ai dit, regarde, je suis tanné de me battre avec la vie. La vie n’est pas assez belle. Tu manges pour vivre, et tu vis pour manger. C’est quoi le pattern ? Qu’est-ce qu’il y a de beau ? Je ne dis pas si j’avais une grosse maison et si j’avais un gros compte de banque, la limousine, ou les gros chars, les trucks et tout le kit. Peut-être là, je dirais, la vie est belle, mais quand tu es tombé sur l’aide sociale là, pfff, il n’y en a plus de vie mon grand

Max, ex-remorqueur, assisté social, 44 ans

Les remises en question du discours sur l’amélioration de la qualité de vie sont aussi très présentes. Plusieurs se sont résignés devant leurs conditions de vie et demeurent très sceptiques devant la possibilité d’adopter de nouvelles pratiques qui seraient bénéfiques à leur santé :

Il y a trois, quatre choses que je n’ai pas le droit de manger. […] si tu suis ce que [les médecins] disent et bien qu’est-ce que tu penses, qui arrive ? [Le stress] va te rendre malade. Le stress est bien pire, tu viens fou

Joseph, déménageur, 79 ans

Je ne pense pas moi [qu’on peut empêcher la maladie cardiaque]. Je ne m’empêcherai pas de vivre pour ça. Comme c’est là, j’ai ma petite vie, je vis ça de même, et je n’arrêterai pas de manger du beurre ou des affaires de même rien à cause que…

Leeroy, travailleur en construction, 45 ans

Conclusion

Il existe peu d’informations sur la pratique de la réadaptation cardiaque chez les hommes socio-économiquement défavorisés. Pourtant, les enquêtes nationales démontrent des taux de mortalité dus aux maladies cardiovasculaires élevés chez ce groupe. Cette étude avait donc pour objectif de mieux comprendre les facteurs sociaux qui influencent leurs pratiques de réadaptation cardiaque. L’analyse souligne une tendance lourde : les hommes socio-économiquement défavorisés sont peu enclins à adopter un mode de vie conforme aux recommandations de la santé publique et à participer plus formellement à des séances de réadaptation cardiaque offertes gratuitement par un Centre de santé et de services sociaux. Comme l’avait indiqué Boltanski (1971) dans son analyse classique des usages sociaux du corps, leurs conditions d’existence façonnent une hiérarchie des priorités qui met à l’écart l’adoption d’un mode de vie axé sur la santé. Dans une certaine mesure, les conditions de précarité retardent et réduisent une participation active et durable à un régime de réadaptation cardiaque.

Ces données s’ajoutent à celles d’autres études sur les effets nocifs de la masculinité sur la santé cardiaque (Emslie et Hunt, 2009), sur le faible soutien social détenu par les hommes moins bien nantis (King, 2002) et sur leurs divers obstacles à l’utilisation des services de réadaptation cardiaque (Clark et al., 2007 ; Suaya et al., 2007). Son approche qualitative offre un regard plus rapproché sur les mécanismes sociaux sous-jacents aux pratiques antinormatives en matière de santé cardiovasculaire. La présente recherche permet de développer un savoir pratique en promotion de la santé. Elle renseigne les intervenants en réadaptation cardiaque sur les problèmes spécifiques d’hommes qui se soucient peu de leur santé.

La théorie socioculturelle de Pierre Bourdieu s’est aussi avérée fort pertinente pour approfondir le lien entre les conditions d’existence, les pratiques corporelles et la consommation des services de réadaptation cardiaque. Il convient donc de souligner que le discours normatif en prévention des maladies ainsi que l’offre de services en réadaptation cardiaque correspondent peu à la vision du monde et aux styles de vie des hommes socio-économiquement défavorisés. Ces conclusions s’inscrivent dans la foulée des textes plus critiques en promotion de la santé (Raphael, 2002), qui remettent en question les politiques de promotion de la santé qui sont hautement individualistes, centrées principalement sur la modification des habitudes de vie et qui négligent l’environnement socioculturel des individus. Si de telles approches ont donné des résultats positifs chez certains groupes, ceux de la présente étude témoignent de leurs limites lorsqu’il s’agit de populations vulnérables. Ce point de vue sociologique permet donc une compréhension plus globale des dispositions corporelles qui influencent l’adoption de pratiques préventives ainsi que du sens que les individus leur accordent.

S’il n’existe aucune solution « miracle » pour contrer les effets de la pauvreté sur la santé, certaines pistes de direction semblent néanmoins plus prometteuses que d’autres. À court terme, l’offre de services en réadaptation cardiaque gagnerait à être diversifiée. Premièrement, il serait profitable d’utiliser un enseignement actif plutôt que passif. Condon et al. (2006) soutiennent que la meilleure façon de modifier les habitudes de vie serait de consulter davantage les individus dans la mise sur pied de stratégie de modifications de leurs « mauvaises habitudes » plutôt que de leur demander d’assimiler passivement des informations. Par exemple, certains participants de notre étude ont mentionné qu’ils auraient préféré des activités physiques surveillées ou auraient aimé apprendre à s’alimenter à peu de frais avec le soutien d’un nutritionniste. Deuxièmement, il serait aussi bénéfique d’offrir des rencontres individuelles à ceux qui le désirent puisque les formats de groupe freinent la participation, et ce, surtout lorsque la composition du groupe risque de heurter les sensibilités d’individus aux prises avec des identités stigmatisées. Certains programmes de réadaptation cardiaque pourraient aussi se dérouler dans les milieux communautaires afin d’accroitre la proximité des services de santé et de fournir un environnement plus convivial, loin des milieux hospitaliers. Troisièmement, les professionnels de la santé pourraient communiquer plus efficacement le contenu et les aspects logistiques d’un programme de réadaptation cardiaque en adaptant leur niveau de langage lors de leurs interventions auprès des groupes moins bien nantis. Si l’étude ne s’est pas penchée précisément sur cet aspect, les entrevues illustrent clairement un décalage sur le plan linguistique entre les patients et les professionnels de la santé qui peut nuire à une bonne communication. Enfin, lors de la programmation de leurs activités, les professionnels de la santé pourraient aussi prendre davantage en considération l’horaire de travail atypique des travailleurs issus des milieux moins bien nantis, un obstacle de taille à l’accessibilité des services de soins de santé. Nous croyons que ces suggestions constituent un bon point de départ pour améliorer les services en santé cardiaque destinés aux groupes moins bien nantis de la population, mais d’autres études doivent être entreprises afin de confirmer l’efficacité de ces mesures.

À long terme, d’autres actions pourraient être mises en oeuvre afin d’améliorer de manière durable la santé cardiaque des populations vulnérables. Les analyses montrent les origines sociales des styles de vie, ce qui suppose qu’un meilleur soutien économique et social de l’État améliorerait fort probablement la santé des populations démunies. L’accès à un logement peu couteux, de meilleurs revenus et un soutien psychologique lors de périodes de détresse pourraient aussi contribuer à limiter les effets dévastateurs de la précarité économique. Autrement dit, les interventions en santé pourraient être intégrées à d’autres politiques sociales et employer des outils d’intervention ciblés et adaptés aux populations masculines socio-économiquement défavorisées, tout en étant respectueuses et non culpabilisantes, en tenant compte des inégalités sociales et de la complexité des déterminants sociaux de santé.

Ces efforts risquent cependant de rencontrer plusieurs obstacles. En s’appuyant sur les statistiques du fichier des décès du Québec, Pampalon (2008, p. 27) a constaté une augmentation des inégalités sociales entre les quintiles extrêmes de défavorisation matérielle et sociale de 1989-1993 à 1999-2003, et une diminution moins importante des taux de mortalité prématurée chez les groupes défavorisés par rapport aux plus favorisés. Si la santé des individus dépend largement de leurs conditions socio-économiques, ceux oeuvrant à améliorer la santé des populations devront donc clairement orienter leurs actions vers la sphère politique.

Pour terminer, cette étude rapporte des tendances qui risquent d’avoir occulté certains états de fait minoritaires. Une analyse plus fine des fractions de classes aurait peut-être soulevé d’autres facteurs explicatifs des styles de vie. Par exemple, il serait important de considérer la dimension sexuée des styles de vie. Comment la masculinité interagit-elle avec la classe sociale dans l’étude des pratiques de santé ? L’analyse aurait aussi pu relever les différences selon l’âge puisque l’échantillon représente des hommes ayant de grands écarts d’âge, ce qui influence certainement le rapport au corps. Il faudrait donc faire preuve de prudence dans l’extrapolation de ces données à d’autres contextes.

Malgré ces limites, cette étude constitue néanmoins un bon point de départ pour améliorer les services en santé cardiaque destinés aux groupes moins bien nantis. Les témoignages présentés ici peuvent aussi contribuer à sensibiliser les professionnels de la santé sur les défis que pose l’intervention auprès des groupes d’hommes socio-économiquement défavorisés.