Corps de l’article

Introduction

Proposer des soins aux Auteurs d’Infraction à Caractère Sexuel (AICS) est une démarche récente. Longtemps considérés comme des pervers inamendables et inaccessibles, ces sujets ont été relégués aux marges des dispositifs de soins (A. Ciavaldini, 2012).

Le code Napoléonien (12 Février 1810) a été le premier à sanctionner l'outrage aux bonnes moeurs et l'attentat à la pudeur. Inspirée de l’article quatre de la Déclaration des droits de l'homme qui stipule que « la liberté consiste à ne pas nuire à autrui », la sanction qui faisait suite à ce type d’infraction était d’ordre pénal. Cependant la récidive était souvent présente, même chez les auteurs reconnaissant la criminalité de leurs actes. Quelques années plus tôt, après la révolution française, P.Pinel affirmait que les « aliénés » (autrement dit « ceux qui ont l'esprit dérangé ») pouvaient être compris et soignés. Cette population resta cependant à l’écart de nos connaissances, qu’elles soient médicales ou sociales, jusqu’à la fin du XXème siècle.

Depuis le milieu des années 1970 avec la prise en compte du discours des victimes, le nombre de condamnations et d’incarcérations des AICS a considérablement augmenté, devenant un véritable problème de santé publique. En France, il faut attendre la fin des années 1990 pour qu’une offre de soins commence à s’organiser. La mise en place effective de ces soins n’a débuté qu’après la loi du 17 juin 1998. Elle a pris du temps et nécessité des mesures de renfort : la création des CRIAVS (Centre Ressource pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violence Sexuelle) en 2005 et des PFR (Plateforme Référentielle) en 2010.

Après le renforcement des soins en milieu carcéral, les soins contraints ambulatoires se sont multipliés. Ils peuvent être ordonnés comme peine principale. Les services de soins voient ainsi arriver dans leur file active de plus en plus de personnes sous main de justice, avec obligation ou injonction de soins. Cependant, tous les condamnés auteurs de violence sexuelle ne sont pas accessibles à un soin mais relèvent parfois d’un accompagnement.

La PFR roannaise, ouverte en 2012, est un dispositif en lien avec le CRIAVS Loire qui intervient comme étayage de proximité et permet d’orienter le sujet vers la prise en charge qui semble la plus adaptée.

A l’heure où la présomption de dangerosité semble guider la politique actuelle dans une confusion entre prise en charge thérapeutique et prévention de la récidive, ce dispositif propose une orientation réaliste et ajustée des AICS vers les soins, dans un maillage santé – justice – social intercontenant essentiel.

1. La psychopathologie des auteurs d’infraction a caractère sexuel

On ne peut pas réduire la psychopathologie de ces sujets à un profil type. Chaque individu est porteur d’une histoire et d’une clinique qui lui sont propres. Cependant, 80% des AICS présentent un trouble de la personnalité et selon A. Ciavaldini, il existe entre eux des points communs d’un point de vue psychodynamique :

  • On repère souvent des carences affectives précoces, fruits d’une histoire transgénérationnelle compliquée, à l’origine de perturbations multiples tant sur les plans cognitif, affectif, que dans le champ de la sexualité et de ses représentations.

    Dans la file active de la PFR roannaise étudiée, incluant 24 patients, 71% des sujets ont des antécédents traumatiques graves : 50% d’entre eux ont subi dans l’enfance des agressions de type attouchements sexuels, viol, décès d’un parent ou placements précoces... et 33% d’entre eux ont souffert de situations influençant défavorablement l’estime de soi (épisodes d’énurésie nocturne tardifs, obésité, chirurgie testiculaire…). L’intimité leur est difficile voire même impossible du fait d’une typologie d’attachement majoritairement insecure. 41% des sujets n’avaient pas fondé de famille au moment des faits. De même, il leur est difficile d’investir un cadre de soin.

  • Leur Moi est souvent mal limité, morcelé en isolats psychiques fonctionnant de manière clivée et étanche. Leur surmoi est référé à un Moi-Idéal. Cette défaillance dans la construction de leur identité entraîne une reconnaissance difficile de l’altérité et un accès limité à la culpabilité.

  • La mentalisation des affects est carencée, avec un accès au registre verbal compliqué (alexithymie), une prédominance de l’agir et l’utilisation de mécanismes de défenses archaïques (clivage, déni, relation d’emprise, projection).

  • L’environnement intervient comme un élément régulateur psychique. L’acte de décharge permet la survie psychique de l’auteur : « la victime doit être comprise comme étant, pour l’agresseur, un élément environnemental qu’il utilise pour éviter de sombrer dans un effondrement identitaire face à la surcharge excitative qu’il n’arrive pas à gérer psychiquement » (A. Ciavaldini, 2001).

  • L’assemblage des traces des anciens traumatismes réinvesties quasi-automatiquement favorise un sentiment de perte de contrôle. Ce sentiment est régulé et mis en forme par le scénario-acte. L’activation vraisemblable du circuit de la récompense donne une interface avec les mécanismes addictifs et peut rendre compte de la réitération de certains actes.

Ces éléments psychopathologiques rendent difficiles la reconnaissance de leur souffrance et la formulation d’une demande de soins.

Loin de l’adage premier des psychiatres qui affirmait que « sans demande, aucun soin ne saurait être efficace », A. Ciavaldini (2007) nous précise, qu’avec cette population particulière, « il ne s’agit plus d’attendre une demande mais de permettre au sujet d’en constituer une ». Ce cheminement vers la demande de soins, cette volonté de changement est rendue possible par le travail thérapeutique, dont l’engagement initial doit être favorisé et accompagné.

Plus la prise en charge est précoce, plus s’ouvrira la voie à la mobilisation éventuelle d’une demande ultérieure de soins

Balier, Ciavaldini, Khayat, 1996

La dimension d’obligation légale initiale est une condition favorable à l’engagement secondaire dans le soin. Elle permet l’ouverture fragile d’un espace de travail psychique.

Cependant, pour ces sujets non demandeurs, la prise en charge psychiatrique peut s’avérer complexe, tant par les mécanismes défensifs qu’ils présentent que par les contre-attitudes que le thérapeute peut adopter en miroir de ces défenses. Le cadre de travail est à repenser sans cesse. Un maillage pluridisciplinaire est indispensable pour préserver l’espace de soin et éviter les clivages que le sujet peut faire vivre à chacun des intervenants.

2. L’organisation actuelle des soins

Dans le cadre d’actes d’agressions sexuelles, différentes peines sont envisageables et sont décidées par le juge :

  • la mise à l’épreuve avec obligation de soins (OS)

  • le suivi socio-judiciaire avec injonction de soins (SSJ + IS).

Elles peuvent être ordonnées à la suite d’une incarcération ou directement en milieu ouvert. L’incarcération apparaît comme une restriction matérielle et physique. Les dispositifs de soins contraints s’y substituent en ambulatoire en s’appuyant sur des règles symboliques imposées.

L’obligation de soins (OS) est une condamnation non spécifique à la délinquance sexuelle, sans exigence d’expertise médicale préalable. Cette mesure de sursis avec mise à l’épreuve ne peut s’appliquer qu’aux condamnations inférieures à cinq ans. En organisant une rencontre forcée, l’OS est une tentative d’orientation des prévenus vers le soin, contrôlée sur la forme par un certificat de présence rédigé par le thérapeute. Mais, toute rencontre n’aboutit pas forcément à un soin psychique.

L’injonction de soins (IS), qui fait suite à la loi du 17 Juin 1998 relative à « la prévention et à la répression des atteintes sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs », apprécie davantage la pertinence des soins, puisqu’elle ne s’applique qu’après une expertise favorable à une prise en charge thérapeutique. Cette mesure est accompagnée par la désignation d’un médecin coordonnateur par le juge d’application des peines (JAP). Celui-ci joue un rôle d’interface entre le monde judiciaire et celui de la santé. En rencontrant régulièrement le patient probationnaire, il évalue l’efficacité des soins prodigués et en rend compte au JAP qui peut réadapter la mesure s’il le pense nécessaire.

La politique actuelle des soins, renforcée par le battage médiatique de certains crimes, favorise une confusion entre les dangerosités psychiatrique et criminologique et amène à une judiciarisation de plus en plus importante des malades mentaux. Compte tenu de la carence actuelle en nombre d’experts, de la multiplication de leurs missions, de la lourdeur des responsabilités, associés à la relative méconnaissance des problématiques particulières aux AICS, on assiste généralement à une surévaluation de la dangerosité pour une part, mais également à une sur-orientation des condamnés vers les soins.

Les praticiens traitants, en libéral ou sur le secteur, voient donc s’ajouter à leur file active cette population sous mesure de justice non demandeuse de soins.

Les CRIAVS, créés en 2008, viennent soutenir les équipes de soins nouvellement confrontées à ces populations délinquantes. Ils sont au centre de l’articulation Justice – Santé – Social nécessaire à l’encadrement de ces sujets.

De nouveaux dispositifs ont été pensés avec l’appui des CRIAVS : les plateformes référentielles (PFR). Implantées au sein des CMP (centres médico-psychologiques), elles permettent d’augmenter et d’appuyer la qualité et la compétence de l’offre de soins destinée aux AICS en ambulatoire. En Rhône-Alpes, elles sont au nombre de cinq. Les PFR accueillent les patients AICS sous mesure de justice mais également ceux en l’attente d’un jugement.

Ces dispositifs de proximité viennent renforcer la compétence des CMP de secteur et des autres lieux de soins locaux (praticiens libéraux...). Ils n’ont cependant pas vocation à être autonomes et s’intègrent auprès des équipes des CMP volontaires, après accord des chefs de service et responsables des unités fonctionnelles. Ceux-ci s’engagent pour une prise en charge diversifiée des sujets AICS (suivi individuel et groupal). Cette intégration au CMP de secteur permet d’éviter toute stigmatisation.

Les professionnels des PFR sont spécialisés dans la psychopathologie particulière des AICS. Après une évaluation personnalisée, ils donnent un avis sur l’orientation vers la prise en charge qui semble la plus adaptée.

3. La place de la justice et le maillage inter-institutionnel

La justice a toute sa place dans la prise en charge des AICS, dans la mesure où la loi intervient comme « méta-cadre » à l’intérieur duquel le cadre de soins peut se développer.

Les sphères de la justice, du soin et de l’accompagnement social deviennent progressivement leur environnement protecteur. Leurs actions doivent être interdépendantes.

Pour être efficaces, ces espaces ne doivent pas être simplement juxtaposés. Des réunions regroupent l’ensemble des partenaires intervenant dans la prise en charge des AICS. Elles permettent d’échanger autour de la place et du rôle de chacun auprès de ces sujets, dans le respect de leurs missions professionnelles respectives. Elles favorisent une forme de « capacité de rêverie » inter-institutionnelle comme le précise A.Ciavaldini (2012). L’emploi d’un langage commun permet la mutualisation des connaissances et pare aux effets de déni et de clivage générés par ces prises en charge. Le secret médical est évidemment respecté. Il ne s’agit pas là de discuter de la problématique d’un patient, mais bien de l’élaboration d’un environnement protecteur et favorable à la contenance de tous. Le travail doit être pensé dans cette collaboration et cet emboîtement des cadres avec pour objectif commun la protection de la société et du patient d’un éventuel risque de récidive. Sa réintégration doit être la plus sereine possible.

Dans la Loire, des réunions régulières organisées avec le CRIAVS permettent de définir les articulations possibles entre les différents intervenants, et d’élaborer un savoir faire pluridisciplinaire auprès des auteurs de violence sexuelle (AVS).

Afin de rendre plus efficients ces dispositifs de soins contraints, il est essentiel d’étoffer davantage le maillage santé – justice, en s’appuyant sur un nombre suffisant de médecins coordonnateurs et de soignants formés à ce type de prise en charge.

La décision judiciaire des IS repose sur l’avis d’au moins un expert, mais il n’existe actuellement aucun critère précis indiquant ou contre-indiquant une telle mesure. La durée de cette IS semble plus déterminée par des critères subjectifs qu’objectifs. Des études ultérieures pourraient tenter de déterminer s’il existe des éléments logiques identifiables.

La plupart des thérapeutes spécialisés estiment qu’au delà de cinq ans de suivi, l’amélioration clinique est effectuée ou impossible. Sur la PFR roannaise, la durée moyenne d’IS est de six années et demi, or certains patients ont initié un suivi en détention dont il n’est pas tenu compte. L’IS n’est effective qu’à la sortie de détention, sans confusion avec les soins effectués en libération conditionnelle qui sont surveillés mais non comptabilisés.

4. La PFR roannaise

A Roanne, la PFR s’est ouverte il y a un an et fait suite à l’ouverture du centre de détention (CD) sur le territoire roannais en 2009. 160 AICS y sont accueillis. A la sortie du CD, une dizaine de détenus par an, souvent isolés et désocialisés, s’installent sur Roanne. Quelques uns viennent s’ajouter à la file active de la psychiatrie de secteur chaque année, en sus des sujets ayant bénéficiés d’un suivi socio-judiciaire assorti d’une injonction de soins en condamnation principale, ce qui est le cas pour 42% des sujets de la file active de la PFR roannaise étudiée (incluant 24 patients). Les nouveaux délits comme le téléchargement d’images pédo-pornographiques n’entraînent en général pas de mise en détention.

La PFR répond à quatre missions : accueillir – évaluer – orienter – et éventuellement soigner.

4.1. L’accueil

4.1.1. La question du soignant référent

Lorsque le condamné recherche un praticien pour honorer son IS, il se retrouve parfois confronté à un paradoxe : aucun d’entre eux n’accepte de débuter le suivi.

Légalement, les médecins ou psychologues traitants ne sont pas obligés d’initier des soins à un patient sous mesure de justice. Leur refus peut être expliqué par plusieurs éléments :

  • La question de l’authenticité de la demande peut freiner nombre de thérapeutes,

  • La difficulté d’empathie pour ces patients,

  • Le refus éthique d’être considéré comme un auxiliaire de justice.

Désormais, ces sujets peuvent se tourner vers la PFR pour initier leur prise en charge. Ce dispositif n’a pas pour mission exclusive le suivi des patients, mais compte tenu de ces refus ou des listes d’attente parfois très longues des médecins et psychologues traitants, en CMP ou en libéral, il permet de débuter le suivi dans l’attente d’une prise en charge référente.

Les professionnels sont surchargés. Les listes d’attente et les files actives s’allongent, alors que les moyens sont limités. La loi impose la référence des soins à un médecin ou un psychologue clinicien, et l’absence de référent est reprochée au sujet sous main de justice. On assiste à la possibilité d’un double évitement : absence de demande de soins de la part du patient et absence de place et parfois de motivation à soigner pour le praticien. La possibilité d’une rencontre thérapeutique devient difficile.

De plus, tous les patients ne relèvent pas de soins, tous ne relèvent pas d’entretiens duels et plusieurs tireraient profit de soins en groupe ou d’un accompagnement, notamment d’un suivi infirmier ou pluridisciplinaire.

4.1.2. Temps d’accueil

Une psychologue clinicienne intervient à mi-temps sur la PFR. Elle est formée spécifiquement dans l’évaluation et le suivi des AICS qu’elle accueille dans un délai moyen de 15 jours après la demande.

Dans un premier temps, un entretien d’accueil est prévu. Il permet la rencontre avec le sujet et favorise l’alliance thérapeutique. La psychologue repère ici la position du sujet par rapport aux faits et à la condamnation. Elle peut s’aider des expertises comme tiers pour engager la relation et rappeler le cadre judiciaire, notamment pour les sujets en désaccord total.

4.2. Les évaluations

Elles permettent d’obtenir un instantané des problématiques psychiques propres à chaque sujet, afin de les orienter ensuite vers un suivi adapté. Elles peuvent être répétées annuellement dans le but d’objectiver une éventuelle évolution clinique.

Le bilan porte sur 5 critères :

  • L’efficience intellectuelle

  • La reconnaissance de l’acte et la perception de l’altérité

  • La personnalité du sujet

  • La présence d’une pathologie mentale

  • L’évaluation psycho-criminologique.

La psychologue adapte ses outils au profil de chaque patient.

4.2.1. L’efficience intellectuelle

Les déficients mentaux font partie des personnes entraînant l’inquiétude de tous. L’évaluation précise de leurs capacités intellectuelles et de leur environnement est indispensable pour déterminer le type de suppléance à mettre en place. Il est parfois possible de leur proposer une approche centrée sur les habilités sociales, une information sur la sexualité. Pour d’autres, seul le contrôle comportemental externe est possible, notamment par les thérapeutiques médicamenteuses.

Exemple clinique :

4.2.2. La reconnaissance de l’acte et la perception de l’altérité

Ces notions sont abordées avec l’aide du QICPAAS (Questionnaire d'investigation clinique pour les auteurs d'agression sexuelle) qui sert de médiateur à la relation. Il semble important d’aborder les faits le plus tôt possible dans la prise en charge. Le motif de la rencontre est ainsi clairement établi.

Exemple clinique :

4.2.3. La personnalité du sujet

L’évaluation de la personnalité du sujet est approfondie et enrichie par des tests projectifs (le Rorschach, le TAT (Thematic Apperception Test) - et le MMPI-2 RF (Minnesota Multiphasic Personality Inventory)), ainsi que par un questionnaire évaluant la typologie d’attachement (le QAA (Adult Attachment Questionnaire)). Cela donne des pistes de travail, en particulier sur les modalités d’interactions de ces sujets et l’intérêt des prises en charges groupales.

4.2.4. La présence d’une pathologie mentale

L’évaluation de la dangerosité psychiatrique passe par la recherche d’une maladie mentale et de son incidence sur le discernement du sujet au moment de l’acte. Le bilan de la PFR repère la présence ou non d’une pathologie mentale et oriente les sujets malades vers les services psychiatriques adaptés (ambulatoires ou hospitaliers). Un traitement de fond de ces pathologies favorise l’équilibre psychique de ces sujets et la prise de conscience de la réalité dans laquelle ils évoluent, avec ses règles et ses interdits.

Des études récentes précisent cependant l’existence d’indicateurs de dangerosité, qu’il est nécessaire de prendre en compte dans le travail. R. Coutanceau les cite dans son article sur la prévention de la récidive :

  • les antécédents d’hospitalisations en SPDRE (Soins psychiatriques à la demande d’un représentant de l’Etat, anciennement Hospitalisation d’Office)

  • les antécédents de condamnations antérieures

  • l’existence de troubles de personnalité (borderline, paranoïaque, pervers, psychopathique)

  • la présence d’un appoint exotoxique (médicament ou alcool)

  • la désocialisation du sujet

  • la non compliance au traitement.

Il est donc utile de pouvoir s’assurer d’un suivi longitudinal des malades mentaux qui auraient fait la preuve de leur dangerosité sur le plan psychiatrique et qui apparaîtraient potentiellement dangereux au vu de leur profil psychiatrique.

R. Coutanceau, 2012

Exemple clinique :

4.2.5. L’évaluation psycho-criminologique

L’évaluation psycho-criminologique est sujette à polémique. Elle évalue le risque de réitération des actes. Elle fait appel à l’utilisation d’échelles notamment actuarielles, largement critiquées en raison du risque de stigmatisation lié à leur seule utilisation. L’exploitation de ces données doit être faite avec beaucoup de précaution.

Les échelles employées sur la PFR roannaise (PCL-R, Statique 99-R) reposent sur des données statiques, historiques, quantitatives, non modifiables, mais également sur des données dynamiques (échelle HCR-20), évolutives, qualitatives qui témoignent de l’évolution du sujet. Elles sont une aide précieuse dans l’évaluation pronostique et l’accompagnement clinique des patients. Comme le rappelle B. Gravier (2012) : « Evaluer n’est pas condamner, évaluer n’est pas stigmatiser, évaluer n’est pas juger, ce sont des évidences. Et pourtant, dans la pénalité actuelle, l’évaluation en soi finit par avoir valeur de jugement et, partant de condamnation ».

La PFR n’est pas «  un outil débouchant sur ‘’pour ou contre la sortie’’, ni a fortiori ‘’pour ou contre un enfermement à durée indéterminée’’ » (R. Coutanceau, 2012). Elle n’a pas non plus pour vocation de se substituer aux expertises psychiatriques.

Pour ces raisons, le bilan de la PFR ne diffuse que les conclusions qualitatives. Les résultats quantitatifs n’apparaissent pas. Les évaluations de la PFR permettent d’appréhender la réalité du sujet selon une approche intégrative. Les informations dégagées à partir de ces instruments enrichissent le jugement clinique en intégrant les aspects dynamiques du fonctionnement psychique du sujet, travaillables par les thérapeutiques proposées.

Deux éléments de conclusion peuvent être mis en valeur et sont à prendre en compte dans les propositions d’orientation du sujet :

  • les potentiels émergents dans l’évolution psychique du sujet.

  • le risque de passage à l’acte (dangerosité faible ou quasi-nulle, moyenne ou forte)

Partant de ces données, il est possible de repérer les personnes qui ne relèvent pas de soins mais d’un accompagnement. Quel intérêt y-a-il à maintenir des soins auprès de personnes qui ne peuvent en tirer profit ? Les soignants finissent par ne percevoir que la contrainte qui s’applique.

Le bilan de la PFR aide à l’orientation du sujet vers la prise en charge la plus adaptée. Une nouvelle évaluation peut être réalisée, après une période déterminée de suivi, afin de percevoir plus objectivement l’évolution psychique du sujet. Le médecin coordonnateur peut ainsi réadapter la prise en charge et optimiser la pertinence des soins. Pour les sujets en désaccord total avec les faits et la condamnation, ces réévaluations permettront de repérer un moment plus propice à une entrée dans le soin.

Les grandes choses ne sont pas réalisées par la force, mais par la persévérance

Samuel Johnson

4.3. L’orientation vers un suivi adapté

Le suivi conseillé n’inclue pas obligatoirement de soins malgré les conclusions des expertises et la décision judiciaire d’IS. Le patient est ici aiguillé vers la prise en charge qui semble la plus adaptée, développée dans une approche bio-psycho-sociale globale et favorisant la meilleure réinsertion possible.

4.3.1. L’accompagnement social

Ces sujets, au cadre interne défaillant, s’appuient sur un cadre externe étayant pour contenir leurs pulsions. L’environnement y joue un rôle essentiel. Un environnement défaillant exposera le sujet à des angoisses massives, non mentalisables et facilitera la récidive.

L’accompagnement social est donc primordial. Il peut se décliner sous différentes formes :

  • soutien familial

  • aide au logement

  • lutte contre l’isolement

  • contact avec des structures associatives

  • soutien aux démarches administratives, financières

  • accompagnement dans la recherche d’emploi.

Actuellement, celui-ci semble cependant difficile à mettre en place, à l’heure où les conseillers du SPIP sont envahis par les évaluations « criminologiques ». Qui peut les effectuer ? Est-ce le rôle des équipes de CMP ?

4.3.2. L’accompagnement judiciaire

Pour tous les condamnés, il est réalisé par les agents du SPIP. Lors de la condamnation, le juge dispose de différents outils de prévention de la récidive :

  • l’OS dans le cadre de la mise à l’épreuve.

  • le SSJ avec une éventuelle IS selon les conclusions de l’expertise.

  • le placement sous surveillance électronique (bracelet électronique).

Les CPIP ont un rôle de contrôle de la bonne application de la mesure.

R. Coutanceau rapporte que pour les sujets à risque important de récidive, « l’accompagnement médico-psychologique est (...) peut-être insuffisant, orientant vers la mise en place de dispositions de type criminologique à visée de dissuasion (surveillance serrée avec visite au domicile d’un officier de sécurité comme le font certains pays ; et également le bracelet électronique). »

4.3.3. L’accompagnement soignant

Les professionnels actuellement habilités à être référés comme effectuant les soins dans l’IS sont les psychiatres et les psychologues cliniciens.

Dans la prise en charge globale, un suivi infirmier peut cependant avoir la plus grande pertinence.

  • Un travail autour du génogramme et de l’historiogramme permet de retracer avec le patient son histoire et sa place dans la famille. Il permet de clarifier les relations inter et transgénérationnelles entre chaque membre du système familial.

  • Un travail sur les habiletés sociales, qui existe déjà dans les CMP de secteur, serait intéressant à développer auprès de certains AICS.

  • Un accompagnement dans les difficultés rencontrées au quotidien serait un soutien dans l’aide à la contention psychique de leurs pulsions.

  • Les infirmiers pourraient également travailler avec les personnes en désaccord avec les faits et le jugement, par une approche indirecte, en procédant sur le principe de la généralisation.

Exemple clinique :

4.4. Les prises en charge thérapeutiques

Pour les sujets orientés vers le soin, le bilan se poursuit. Il repère les personnes accessibles à un traitement psychothérapeutique de type psychodynamique. A. Ciavaldini (2012) définit 5 critères de « bon répondeur » à ce type de traitement :

  1. Reconnaissance du délit

  2. Se sentir anormal au moment du délit

  3. Reconnaissance spontanée d’une impulsion à l’origine de l’acte

  4. Arrestation = soulagement

  5. Reconnaissance qu’une contrainte a été exercée pendant l’acte.

La thérapeutique conseillée pourra se décliner entre :

  • Des soins individuels : thérapie psychodynamique ou cognitivo-comportementale.

  • Des soins de groupe : groupe d’expression par le jeu « qu’en dit-on ? », photo-langage, arthérapie, médiations corporelles et psychomotricité...

  • Un travail familial

  • Un traitement médicamenteux : non spécifique (antidépresseurs IRS (inhibiteur de la recapture en sérotonine) et ISRS (inhibiteur sélectif de la recapture en sérotonine) ainsi que certains neuroleptiques) ou spécifique (médicaments anti-androgènes : acétate de cyprotérone, triptoréline). Les effets secondaires sont à considérer largement avant la prescription de ces dernières molécules. Un suivi endocrinologique associé est impératif.

    Les traitements médicamenteux vont dans le sens d’un bien-être psychique, avec une mise à distance des ruminations sexuelles envahissant la pensée des AICS. Ils ne doivent cependant pas être prescrits seuls et sont impérativement associés à une prise en charge psychothérapeutique.

Les modalités de prises en charge thérapeutiques conseillées tiendront compte du profil clinique de chaque sujet, de sa situation (isolement géographique) et des possibilités locales de soins.

Elles ont pour objectif de :

  • Les aider à acquérir des compétences sociales et affectives.

  • Réorganiser le système de défense psychique, permettant la maîtrise de l’excitation sexuelle et rendant le recours à l’acte inutile.

  • Corriger les distorsions sensorielles associées.

  • Identifier les situations gâchettes, et apprendre à les éviter ou à les gérer.

  • In fine, diminuer le risque de récidive.

Exemple clinique :

4.5. Le maillage Santé – Justice – Sociale au sein de la PFR

Au terme du parcours évaluatif initial ou réévaluatif annuel, des réunions d’équipe au sein de la PFR (psychologue, médecin coordonnateur) permettent d’échanger autour de la clinique et des conclusions des évaluations, afin de construire ou modifier le programme thérapeutique.

Des temps d’articulations et d’échange avec les intervenants locaux impliqués dans la prise en charge du patient (le praticien traitant, le médecin coordonnateur, le CPIP et les travailleurs sociaux) sont envisagés. Les règles de confidentialité sont respectées. Ces réunions permettent de repenser ce lien inter-institutionnel si souvent mis à mal, de lever le clivage généré par la prise en charge de ces sujets, et de se rendre compte de l’implication globale du sujet sur le plan thérapeutique, social, et judiciaire.

Le patient est tenu informé de ces temps d’échange. Il fait ainsi deux expériences favorisant l’accession à l’intersubjectivité (A. Ciavaldini, 2012) :

  • Pensé ailleurs par d’autres, il existe une permanence de l’objet indépendamment de sa présence.

  • Suite aux conclusions de ces réunions, il peut être amené à discuter des indications de soins et/ou d’accompagnement. Il entre alors dans un échange avec l’autre et dans une dynamique de socialisation.

Exemple clinique :

Que ce soit sur un plan institutionnel, dans la cohérence et l’intercontenance des cadres, que sur le plan individuel propre au sujet, ce maillage est essentiel. Si un des cadres en place n’est pas respecté, voire attaqué par le patient, c’est l’ensemble de la stratégie mise en place qui est mise à mal. Cela signifie que l’environnement proposé (soignant, social, judiciaire) n’est pas assez contenant et qu’il existe un risque éventuel de récidive. Un ajustement des cadres est alors nécessaire. Ces réunions annuelles permettent un balisage régulier de la prise en charge. Elles peuvent également être décidées en situation de crise, lorsque le risque de recours à l’agir devient important.

Conclusion

Le condamné est ici considéré et évalué dans son ensemble, comme sujet à part entière, aux antécédents judiciaires mais au futur imprévisible. Le bilan de la PFR permet de dégager des axes de travail, notamment autour des facteurs modifiables protecteurs repérés par les évaluations qualitatives. Seuls ces éléments qualitatifs ont un intérêt pour les soignants et sont communiqués. Une prise en charge ainsi adaptée favorisera un travail psychique plus efficace, permettant au sujet de mieux appréhender sa souffrance, dans un travail de réduction des risques de récidive.

Dans cette approche globale bio-psycho-sociale, le maillage santé – justice – social est essentiel afin d’établir un environnement sécurisant pour ces sujets selon des cadres de travail inter-contenants.

Les PFR ont à trouver leur place dans cet ensemble d’aide et de soins, en constituant un espace d’échanges de nature à dépasser la charge imaginaire que déposent en nous la violence et la dangerosité pour « donner un sens à une histoire souvent lourde de violence et de traumatisme » (B. Gravier, 2012).