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La raréfaction accrue des ressources naturelles a pour conséquence l’augmentation de la compétition entre les agriculteurs, éleveurs, chasseurs, citadins et autres exploitants ayant parfois des logiques et des intérêts différents. Pour éviter les conflits entre ces intérêts parfois divergents, la mise en place de politiques en matière de gestion des terres et des ressources renouvelables s’avère nécessaire. Nous assistons ainsi depuis plus d’une décennie à l’émergence de nouveaux acteurs dans l’appui à la réglementation de l’accès aux ressources naturelles et à l’organisation du contrôle social de l’occupation des territoires. Cette réglementation intègre, à des degrés divers, le principe d’une gestion plus « locale » à l’aide d’une gestion étatique déconcentrée participative et d’une délégation à des instances représentant les populations du pouvoir de définir et mettre en oeuvre les règles.

La présente note de réflexion s’appuie sur l’exploitation des données bibliographiques constituées des rapports d’activités, des études et des articles sur les questions de gestion des ressources naturelles et des territoires mis en place par des projets au Tchad, au Bénin, au Burkina Faso, au Mali, au Sénégal et au Cameroun. La Figure 1 présente la zone visée dans l’ensemble du continent africain.

Figure 1

Carte de localisation des pays concernés par le texte

Carte de localisation des pays concernés par le texte

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L’exploitation de ces données a permis de faire une analyse comparative des acteurs et des différentes approches afin de faire apparaître les points de convergence et de divergence en même temps que leurs performances. De même, des enquêtes et entretiens semi-directifs ont menés auprès de 64 chefs d’exploitation à Ndiam Baba et Laïndé Ngobara, deux villages constituant le territoire d’attache d’éleveurs Mbororo Djaafun ayant des habitats sédentarisés du bassin de la Bénoué, au Nord-Cameroun (Kossoumna Liba’a, 2008). La recherche a porté sur l’évolution de leurs conditions d’accès et de gestion des zones de pâturage et des couloirs à bétail négociés, leurs contraintes et leurs rapports avec les agro-éleveurs, les autorités administratives et traditionnelles. De même, 50 agro-éleveurs migrants des villages voisins autour de Ndiam Baba et de Laindé Ngobara sont interviewés sur leurs rôles dans les opérations de délimitation et de gestion des espaces de pâturage, l’évolution de leurs conditions d’accès à ces ressources naturelles, l’évolution de leurs rapports avec les éleveurs Mbororo. Des investigations sont menées auprès des autorités traditionnelles (chef de chaque village et laamiido[1]) et administratives (Sous-préfet, chefs des services d’arrondissement de l’élevage, de l’agriculture, du domaine) sur leurs rôles dans les opérations de mise en place des conventions locales de gestion des ressources naturelles et des territoires et dans le respect des règles établies, mais aussi dans leur perception des actions menées dans ce sens par les différents projets de développement. Les responsables des volets gestion des terroirs des projets ESA (Projet Eau-Sol-Arbre), GESEP (Projet de Gestion Sécurisée des Espaces Pastoraux), TERDEL-GIE (Territoires et Développement Local-Groupement d’Intérêt Economique) et DPGT (Projet de Développement Paysannal et de Gestion des Territoires) sont interviewés sur les méthodes et outils utilisés, le bilan et les impacts de leurs activités et les difficultés rencontrées au cours du processus de concertation et de négociation.

Dans le cadre de l’analyse de l’impact des conventions locales nous nous appuyons sur la grille d’analyse de Gueye et Tall (2003, p. 157-162) qui s’articule autour des quatre axes suivants : i) une participation signifiante au développement socio-économique des populations locales (impacts économiques); ii) une contribution importante à la préservation et gestion durable des ressources naturelles (impacts écologiques); iii) une tendance vers un partage équitable et pacifique des ressources naturelles (impacts sur la prévention des conflits); iv) une tendance à faciliter la décentralisation au niveau rural (impacts institutionnels).

Problématique

Les différentes facettes et formes d’expression des conventions locales renferment un certain nombre de caractéristiques communes que Graefen, Kirsch-Jung et Banzhaf (2005) ont mis en évidence. Elles sont toutes des arrangements locaux, élaborés par les populations visant une gestion durable et décentralisée des ressources naturelles et des territoires. Généralement, elles définissent des normes ou règles à respecter ainsi que des sanctions en cas d’infractions. Elles découlent ainsi de la volonté des populations de codifier leur propre comportement vis-à-vis de l’utilisation et de la gestion des ressources naturelles et des territoires. Les structures cautionnaires s’engagent à respecter les résolutions volontaires des populations et d’en tenir compte dans leurs actes administratifs. En plus, la redéfinition du rôle de l'État a permis de déléguer des tâches et des responsabilités nouvelles à la société civile renforcée par les processus de décentralisation. La démarche présentée est testée dans un espace particulièrement tendu par la dégradation du milieu naturel et les conditions de vie des populations. Elle est conçue pour introduire les paysans dans les arènes de la décision territoriale et leur permettre de contribuer à la connaissance et à la transformation de leur territoire (Ait-Alhayane, 2010). Ainsi, les conventions locales ont-elles permis aux collectivités de bénéficier d’un outil performant de la gestion de leurs affaires en matière de gestion des ressources naturelles et des territoires? La participation des communautés constituait-t-elle une condition sine qua non de l’efficacité et de la durabilité des interventions en matière de gestion des ressources naturelles? Le processus de décentralisation étant à peine amorcé, quelle était la place que pouvait continuer à jouer les autorités administratives dans la reconnaissance officielle des conventions locales en faveur de la conservation et la gestion durable des ressources naturelles?

Présentation

La définition de règles d’accès et de contrôle des ressources naturelles communes s’est imposée en tant que nécessité à plusieurs égards. Ainsi, différentes formes d’articulation de conventions locales se sont parallèlement développées au fil du temps dans différents contextes, en termes de zones géographiques, de thématiques abordées et de structures d’appui. Dans les zones sahéliennes, les premiers projets d’appui à la gestion des ressources naturelles et des territoires mis en place sont intervenus dans des contextes de crises naturelles, notamment les sécheresses (Marty, 2001). Les pays comme le Tchad ou le Niger ont mis en place une politique d’amélioration du réseau hydraulique pastoral (puits, mares) avec pour objectifs la sécurisation de la mobilité des troupeaux (transhumance) et un suivi d’impact sur l’évolution des ressources végétales. Plus tard, c’est l’évolution du contexte social qui a amené les partenaires techniques et financiers à appuyer la mise en place des projets visant à valoriser durablement les ressources naturelles en responsabilisant les communautés locales et en redéfinissant le rôle du gouvernement. Ces projets encourageaient une politique nationale d’assistance et une base législative, accroissaient les capacités locales et les qualifications de gestion et facilitaient la réalisation des investissements au niveau des communautés avec des moyens simples et moins coûteux en réponse à la dégradation des ressources naturelles et pour satisfaire les besoins ruraux de base (Jeffrey, 1998). Enfin, le contexte de généralisation de l’insécurité foncière exacerbée par l’affaiblissement des institutions étatiques en matière de gouvernance locale des ressources naturelles et l’appropriation exclusive de sa régulation par les autorités coutumières ont été également à l’origine de projets d’appui à la gestion des ressources naturelles. Ces projets se sont engagés dans des opérations de délimitation négociée des espaces de pâturage, des pistes à bétail dans le souci évident de préserver l’élevage, de limiter les conflits entre les différents acteurs, de mieux gérer les ressources naturelles et de sécuriser les activités qui y sont menées (Seignobos et Teyssier, 2002). Ils ont également favorisé la mise en place des accords et arrangements locaux qui visent à limiter par les différents usagers eux-mêmes l’exploitation des ressources naturelles dans le but de concilier les prélèvements avec les capacités de renouvellement de ces ressources (Graefen et al., 2005).

Réactions

Plusieurs réponses sont apportées au cours des siècles par de nombreuses sociétés soudano-sahéliennes dans le cadre de la gestion des ressources naturelles et des territoires qui les supportaient depuis le XVe siècle. A la fin du XVe siècle, l’accès aux ressources naturelles a préoccupé les monarques anciens comme en témoignent les correspondances émises par d’illustres juristes musulmans tels qu’Askia Mohamed de Gao (Norris, 1975) et le Sultan Mohamed Sattafan de l’Aïr (Cuoq, 1975). Des réglementaires célèbres ont par ailleurs vu le jour, en particulier au début du XIXe siècle avec Chekou Amadou et la Dina du Massina (Gallais, 1984), mais aussi Ousman Dan Fodio de Sokoto. La tradition orale rapportait en effet qu’Ousman Dan Fodio distinguait les trois zones suivantes à propos des dégâts champêtres : i) la zone agricole où l’éleveur paie les dégâts commis par ses animaux le jour comme la nuit; ii) la zone pastorale où l’éleveur ne paie ni le jour ni la nuit; iii) la zone de transition où l’éleveur paie les dégâts uniquement la nuit. Par-delà l’existence de calamités naturelles et de rapports de force inégaux, des formes d’organisation ont réussi à se faire reconnaître comme légitimes pendant de longues durées. En général, des mécanismes de gestion plus soucieux, visant la préservation du patrimoine communautaire, sont présents dans la quasi-totalité des sociétés traditionnelles. Les institutions traditionnelles, personnifiées par les chefs coutumiers, ont mis en place des dispositifs réglementaires visant à limiter l’accès aux ressources vitales, dans le souci de les préserver pour l’avenir du groupe. Grâce à leur caractère sacral, le respect de ces règles était une obligation absolue pour l’ensemble des utilisateurs, et l’accès aux ressources faisait l’objet des négociations mutuellement respectueuses et profitables. La gestion des bourgoutières (plaines pastorales), les consensus historiques autour des zones agricoles et pastorales, les accords sur les droits de parcage au niveau des résidus de récolte, les règles à respecter lors de la chasse et la pêche, les rites liés à la pratique des feux de végétation, etc., sont des exemples qui illustrent l’efficacité de ces dispositifs traditionnels (Graefen et al., 2005). En plus de ces règles d’accès, des mécanismes endogènes de règlement des conflits ayant évité leur éclatement et des répercussions négatives sur l’intégralité et la pérennité des ressources existaient. Toutefois, probablement les consensus étaient plus faciles à trouver dans des contextes de démographie plus faible et d’espaces disponibles beaucoup plus immenses qu’aujourd’hui.

À partir des années 60, des changements structurels ont profondément modifié la problématique de l’accès aux ressources naturelles et des territoires avec l’instauration de l’État moderne avec ses appareils, ses découpages et ses nouvelles règles de gestion de l’espace. À cela, il faut ajouter les modifications des droits d’accès et de la tenue foncière, l’augmentation de la pression humaine et animale, les changements des rapports entre agriculteurs et éleveurs et la diminution des anciennes complémentarités, la réduction des ressources fourragères, les aléas du climat et du marché beaucoup plus sensibles, etc. (Marty, 2001). Les États ont réagi en instaurant de nouvelles mesures. Après les indépendances, chaque pays a ainsi évolué de façon propre, notamment au plan juridique. Les institutions traditionnelles de gestion des ressources naturelles ont perdu leur influence d’antan. Avec la mise en place des législations forestières et la nationalisation des terres, le rôle et le pouvoir des services forestiers sont renforcés, ce qui a complètement étouffé les mécanismes locaux de régulation. Au lieu de composer avec les potentialités locales en matière de conservation, l’accent est mis sur la répression des contrevenants par les agents des services des forêts. Seignobos et Teyssier (2002) constatent qu’au Cameroun, les textes réglementaires modernes se sont révélés inadaptés pour favoriser une gestion durable des ressources naturelles. Ils sont soit non appliqués, soit inconnus par les populations, et parfois aussi des administrations chargées de les appliquer, laissant ainsi un vide quant à l’organisation de leur exploitation rationnelle. Face à la cohabitation dans un environnement conflictuel des règles traditionnelles et modernes qui crée un flou néfaste et ouvre la porte à des pratiques d’appropriation et de contrôle peu équitable des ressources naturelles, les années 80 et 90 voient l’apparition successive d’approches novatrices en matière de gestion des ressources naturelles et des territoires. Ces conventions locales sont toutes caractérisées par une stimulation de la participation des populations et par une volonté accrue de baser les interventions sur les besoins directement diagnostiqués par les populations elles-mêmes.

Orientations

Ici nous donnons six orientations sur les facteurs de viabilité des conventions locales et de ceux à prendre en compte pour améliorer la situation. La réussite et la viabilité des conventions locales dépendent premièrement des facteurs endogènes qui sont liés à l’approche d’initiation participative et d’accompagnement et à la qualité de la démarche maîtrisée avec une suite d’étapes séquentielles précises qui a mené à leur élaboration. Elles dépendent également des facteurs exogènes faisant référence au contexte dans lequel les conventions locales se mettent en place et évoluent, qui peut être soit favorable ou défavorable vis-à-vis de leur efficacité et de leur viabilité.

La première orientation se focalise sur l’analyse du niveau d’articulation des conventions locales avec les institutions traditionnelles de gestion des ressources naturelles. En effet, les conventions locales renferment de nouvelles dispositions, mais s’inspirent parfois des dispositions antérieures plus favorables, mais qui se sont effondrées par suite du changement de contexte tels que les législations nouvelles, le renforcement du rôle des services techniques de l’État, l’affaiblissement parallèle des autorités traditionnelles… comme c’est le cas au Sénégal (Gueye et Tall, 2003). Deux projets[2] dans leur démarche d’intervention passent par une étape de recensement systématique des règles traditionnelles de gestion, pour ensuite évaluer, conjointement avec les populations, leur pertinence actuelle, avant de greffer sur cette analyse les nouvelles dispositions, qui s’imposent par les problématiques actuelles. La prise en compte des dispositions traditionnelles comporte l’avantage que les populations locales s’y reconnaissent facilement et que leur pertinence n’est plus à prouver. Toutefois, la revalorisation des règles traditionnelles de gestion renferme généralement aussi une certaine revalorisation du rôle des institutions traditionnelles de gestion. Pour les projets, le pari est souvent délicat parce que cette revalorisation est parfois perçue comme un retour en arrière par rapport aux acquis de l’État moderne. Il en est ainsi du repositionnement des Touaregs dans les processus de concertation au sein d’un terroir historiquement géré par eux, ce qui ne veut pas dire réinstaurer la monarchie d’antan dans l’Oudalan burkinabé (Oedraogo, 1998). Il en est de même du cas du repositionnement de certains chefs de canton au Tchad qui continuent à revendiquer un rôle fort dans la société en instaurant des systèmes de contrôle sur les ressources naturelles et en procédant au prélèvement des taxes coutumières (Aminou, 2002). D’autres chefs se sont repliés sur un rôle d’observateur en attendant de voir les conséquences que les concertations auront vis-à-vis de leurs intérêts. C’est le cas extrême constaté au Nord-Cameroun où les chefs traditionnels s’opposent catégoriquement, craignant une menace à leur autorité et réagissant par des sabotages (Seignobos, 2002, p. 25-29).

La deuxième orientation nous amène à nous interroger sur la volonté des groupes impliqués de s’engager dans des dispositifs de surveillance. La réussite de ce principe « d’auto surveillance » repose sur la coopération de tous les concernés qui inclut aussi le courage de dénoncer des contrevenants même si ceux-ci sont des parents, des notoriétés ou des autorités coutumières ou administratives. Parfois, les stratégies peuvent renfermer aussi la mise en place des comités de surveillance ou de vigilance (cas au Tchad) où les Comités Villageois de Surveillance font des sorties conjointes. Ce contexte est encore plus aisé au Sénégal (Gueye et Tall, 2003) et au Burkina Faso (Oedraogo, 1998), où les normes en termes de comportements adéquats et de bonnes pratiques semblent suffisamment rentrées dans les esprits pour que la question de la surveillance ne se pose pas en tant que tel.

En troisième lieu, nous analysons le rôle stratégique du suivi et l’évaluation pouvant renforcer la légitimité des conventions locales. La mise en relief de leurs impacts peut également jouer un rôle important dans le renforcement de leur légitimité. En ce qui concerne les projets étudiés, seul le Projet de Conservation et de Gestion des Ressources Naturelles (PCGRN) au Tchad a mené une telle expérience, poursuivi par le Programme de Développement Rural Décentralisé de Mayo Dallah du Lac Léré et de la Kabbia (PRODALKA). Des dispositifs de suivi y sont conçus de sorte qu’ils puissent être directement mis en oeuvre par des paysans formés à cet effet. Il est à déplorer que tous les autres projets d’appui à la gestion des ressources naturelles et des territoires étudiés au Cameroun, au Mali, au Tchad, au Burkina Faso, au Bénin et au Sénégal n’aient pas mis en place un suivi-évaluation socio-anthropologique rigoureux et performant, permettant de suivre les actions de terrain, de mesurer les réactions des différents acteurs, d’anticiper ou du moins de repérer rapidement les éventuelles dérives, et d’ajuster la démarche. Au Nord-Cameroun, les premières opérations de démarcation des espaces de pâturage et des pistes à bétail menées par le projet de Développement Paysannal et de Gestion des Terroirs dans le bassin de la Bénoué ont commencé en 1995 et ont pris fin en 2001. Après la fin du projet en 2002, le Projet Eau Sol Arbre a pris le relai et a maintenu dans un volet la reconduite des opérations de démarcation foncière dans d’autres zones. Ce projet a continué à négocier certaines zones sans évaluer celles que le précédent projet a délimitées. Ainsi, plus de dix ans après les premières opérations, aucun suivi n’a été assuré pour améliorer le contenu des résolutions prises et leurs résultats et effets sur les bénéficiaires (Thézé, Teyssier et Hamadou, 2002).

La quatrième orientation se focalise sur l’équité sociale des solutions apportées. Elle s’applique aux conventions locales dans le sens où les règles définies dans le cadre d’une convention locale doivent garantir un dispositif suffisamment juste pour que chacun des différents groupes d’acteurs puisse trouver son compte. Parmi les groupes en risque de marginalisation, figurent souvent les producteurs migrants, les éleveurs transhumants et, d’une autre manière aussi, les femmes. Au Nord-Cameroun, la régulation à base coutumière pour l’accès aux ressources naturelles et aux territoires, fortement liée aux enjeux socio-politiques et fortement monétarisée, n’est pas toujours fondée sur des principes d’équité. En effet, la démarche d’investigation des jugements coutumiers est souvent escamotée. Les accusés comme les plaignants sont plus souvent jugés en fonction de ce qu’ils représentent : éleveurs mbororo, migrants... (Seignobos et Teyssier, 2002). Dans un contexte de rareté des ressources naturelles et d’une compétition accrue vis-à-vis de l’accès à certaines ressources clés tels que les terres de bas-fonds, les plaines pastorales, le bois de chauffe, etc., il existe un certain réflexe d’accaparement de ces ressources par les populations initiatrices des conventions locales, à l’aide de l’instauration des droits d’accès exclusifs à leur propre égard. C’est le cas constaté dans les espaces de pâturage délimités par les projets de développement au Nord-Cameroun que les éleveurs considèrent comme leurs territoires (Kossoumna Liba’a, 2008). Dans certaines situations, ce sont les éleveurs transhumants dont les conditions d’accès peuvent être particulièrement drastiques. Ailleurs, ce sont les populations locales qui cherchent à appliquer des systèmes de redevances pour le droit de pâturage ou le droit d’abreuvement et c’est par exemple le cas de la zone pastorale de Barani à l’Ouest du Burkina Faso. Au Tchad, les acteurs locaux prélèvent des redevances usurières par rapport à l’utilisation des bourgoutières, dans un système parallèle de contrôle sur ces ressources très convoitées, sans que ceci fasse l’objet de dispositions officielles dans le cadre des conventions. De telles dispositions discriminatoires appliquées à certains groupes affectent le droit des citoyens d’accéder librement aux ressources naturelles qui ne font pas l’objet d’une appropriation privative ou exclusive, légalement reconnue, à l’exception des ressources ayant fait l’objet des contrats d’exploitation spécifiques (Barraud, Sekou et Intartaglia, 2000). De même Graefen et al. (2005) relèvent que la question de l’équité se pose aussi au niveau du partage des bénéfices des conventions locales.

Cinquièmement, notre opinion s’attarde sur la légalité des dispositions réglementaires vis-à-vis des lois et des textes. En effet, les premières conventions locales ont été mises en place en dehors de tout cadre formel impliquant l’État (Diallo, 2003). Souvent, elles sont le produit d’initiatives locales et ponctuelles. Les règles de gestion adoptées ont généralement émergé de la volonté des populations locales de prendre en main la gouvernance locale de leurs ressources locales, sans se référer aux lois et règlements en vigueur régissant la gestion des ressources naturelles au niveau national. Par conséquent, la mise en oeuvre de ces conventions locales s’est souvent heurtée à l’applicabilité des sanctions, dont la compétence, selon les textes, ne relève pas des structures locales de gestion informellement mises en place. Les détenteurs des prérogatives de police forestière qui sont soit les forestiers soit les sous-préfets, seuls compétents en matière de sanctions, ne sont pas non plus censés se référer aux conventions locales pour le traitement de cas d’infractions amenés à leur égard. Ils argumentent que ces conventions ne sont pas en conformité avec les textes en vigueur. Au Nord-Cameroun et au Bénin, les projets confrontés au problème d’applicabilité et de viabilité des conventions locales appuyées par eux ont souvent fait l’appel à des juristes pour un nettoyage des dispositions non conformes aux textes et pour leur donner un aspect formel qui répond aux exigences des documents juridiques. Sur cette base, les sous-préfets ou forestiers pouvaient apporter leur signature, attestant par-là que les conventions étaient en conformité avec les dispositions nationales.

Notre sixième et dernière opinion se fonde sur la rentabilité socio-économique. En effet, le critère de rentabilité économique affecte la viabilité des conventions locales dans le sens où les populations impliquées sont d’autant plus motivées à s’investir dans l’application collective des règles, qu’elles en tirent des bénéfices qui se répercutent directement sur leur niveau de vie. En contrepartie, cette recherche de retombées économiques ne doit pas se faire au détriment de conditions qui doivent garantir la durabilité de la ressource. Une bonne convention locale est celle qui contribue à l’amélioration des conditions de vie des populations tout en préservant les capacités de renouvellement des ressources. Graefen et al. (2005) montrent que les différents types des sources de revenus peuvent découler des efforts de réhabilitation et de gestion des ressources naturelles fournis par les populations rien que par l’application de quelques restrictions auxquelles elles se sont soumises. Les plus importantes potentialités économiques sont les suivantes : commercialisation des produits de cueillette au Sénégal, potentiel qui réside dans la valorisation économique des plantes médicinales, qui réapparaissent dans les forêts reconstituées; les énormes quantités de bois de chauffe et de bois d’oeuvre qui peuvent être prélevées des espaces forestières soumises au régime de mise en défens dans les 6 pays; surplus de revenus qui résulte de l’économie des dépenses du fait de la réduction des coûts de gestion des conflits; services qui peuvent être créés par rapport à l’exploitation touristique de la chasse au Bénin et au Tchad; surplus tirés par les éleveurs du fait des performances zootechniques supérieures grâce aux potentialités pastorales supérieures; surplus des captures au niveau de la pêche et les effets de redistribution des revenus sur les prestataires de service et les autres acteurs. Dans la perspective d’assurer la viabilité des conventions locales, il paraît important que l’application des règles puisse générer suffisamment des revenus afin de pouvoir rémunérer la fonction du suivi quotidien de la convention, faute de quoi celle-ci ne serait plus assurée.

Actions

Les actions menées dans le cadre des conventions d’appui à la gestion des ressources naturelles ont eu des conséquences diverses. La présentation de leurs impacts suit une classification par rapport à la nature écologique, économique, sociale ou institutionnelle des impacts.

Sur le plan écologique, les conventions locales ont contribué de manière significative à la préservation et à la gestion durable des ressources naturelles. Dans les zones soudaniennes et guinéennes du Tchad, du Bénin, du Cameroun…, les ressources naturelles disposent encore d’un potentiel de régénération assez important grâce aux réseaux hydrographiques et la qualité des sols. Les mesures de réglementation et des mises en défens, temporaires ou intégrales aboutissent en un temps relativement court à un regain assez spectaculaire des ressources halieutiques, des bourgoutières ou certaines zones de production forestière. Par contre dans les conditions sahéliennes, compte tenu des conditions climatiques et pédologiques peu favorables à un regain rapide de la productivité de certaines ressources, les impacts sont moins spectaculaires. Cependant, prenant en considération l’extrême rareté de certaines ressources clés tels que l’eau, le bois et les pâturages dans ces zones, les impacts observables paraissent d’autant plus précieux pour les populations, qui peuvent en tirer d’énormes avantages par rapport à leurs besoins essentiels et vitaux, tels que le bois de chauffe, l’eau potable et d’abreuvement, les produits de cueillette, les produits de la pharmacopée, etc. Les conventions locales ont ainsi permis une réhabilitation parfois spectaculaire du couvert végétal. Ainsi, les populations des communes de Boukoumbé et d’Ouaké au Bénin et des villages de Ndiam Baba et Laïndé Ngobara au Nord-Cameroun ont pu améliorer ou préserver la couverture végétale de leur sol grâce à la gestion des feux de végétation. Les principes instaurés dans les conventions locales visent en effet à interdire la pratique des feux de végétation tardifs et de prescrire des mesures de précautions, tels que les pare-feux, les feux de renvoi, les feux précoces, les feux de correction, les feux de contre-saison et les feux d’aménagement. Dans le cas de la zone de Kishi Beiga au Nord du Burkina Faso, les populations évoquent que depuis la mise en vigueur de la convention locale, les populations locales ont renoncé à la coupe des jeunes repousses d’épineux pour la confection des enclos et comme bois de cuisine. Une reprise spontanée de la couverture ligneuse, essentiellement constituée d’espèces épineuses telles que Acacia radiana, Acacia seyal et Balanites aegyptica, aurait été observée (Graefen et al., 2005). Quasiment le même type d’impact était observable dans la région de Kaolack au Sénégal, qui a disposé de conditions climatiques nettement plus favorables. Les populations locales y appliquaient le principe de mises en défens sur des petites bandes résiduelles de savane, afin d’y reconstituer une végétation ligneuse pouvant remplir un certain nombre de fonctions écologiques et économiques. Dans la zone du Siné Saloum au Sénégal, une amélioration du taux de couverture végétale de 80% en moyenne après 5 ans de protection dans les aires mise en défens est confirmée par les résultats des inventaires floristiques. Totalisées sur l’ensemble de la zone d’intervention du PAGERNA (Projet d’Appui à la Gestion des Ressources Naturelles), les populations locales ont mis en défens 334 aires sylvo-pastorales, qui couvrent au total 21,522 ha soit 5,5 % de la superficie totale (Mbodji, 2005). Les conventions locales ont également permis une stabilisation importante des réseaux hydrographiques. Au Bénin et au Sénégal, les projets ont appuyé la mise en place des plantations forestières, avec pour but de protéger des bassins versants des barrages, des lacs, des sources d’eau et des plaines rizicoles. L’apport des conventions locales a résidé dans la protection de ces plantations forestières contre les feux de végétation et toute autre menace, ayant pu affecter leur pérennité tels que les mises en culture proche des berges, les coupes et l’élagage des arbres, etc., ce qui a permis de réduire des phénomènes d’ensablement ou de comblement. Un deuxième impact important a été que les points d’eau protégés par ces plantations en combinaison avec des pratiques anti-érosives en amont, gardaient généralement plus longtemps l’eau et stabilisaient les fonctions régulatrices de l’eau. Au Tchad, ce même type d’effet est obtenu par la protection des forêts galeries, qui bordent les nombreux cours d’eau de la région du Mayo Kebbi (Barraud et al., 2000). Les populations peuvent y mener des cultures de contre saison nécessitant d’importantes quantités d’eau. Dans l’espace forestier de Dori (Lund, 1999), parmi les espèces végétales rares, dont la réapparition spontanée est favorisée, figurent Nauclea latifolia, Crataeva religiosa, Combretum lecardii, Ficus thonningii, Grewia bicolor, Mitragyna inermis, Fagara zanthoxyloides, etc. Un inventaire floristique fait dans une mise en défens de 23 ha à Saré Goury, dans la région du Fatick au Sénégal, a relevé l’existence de 65 espèces ligneuses. Parmi les espèces rares en progression figurent aussi des plantes médicinales comme Securidaca longepedunculata, Ozoroa insignis, Ficus thonningii, etc. (Mahamat Issaka, 2004). Enfin, les conventions locales ont contribué à une réhabilitation des bases productives des ressources pastorales. En effet, un peu partout où les conventions locales ont contribué à la reconstitution des aires à intérêt forestier se développaient souvent aussi des pâturages riches. Favorisé par les effets synergiques d’une plus grande densité de ligneux, le recouvrement herbacé des sols devenait beaucoup plus dense. Outre cet aspect quantitatif en termes de biomasse, la composition en termes des espèces évoluait également dans le sens d’une meilleure valeur fourragère de ces pâturages et par conséquent une réduction significative des besoins d’aliments de bétail de soudure. Selon les déclarations des producteurs rencontrés à cet égard (Graefen et al., 2005), les relations causes à effet de cette régénération de pâturages se situaient à plusieurs niveaux. Nous avons premièrement la baisse de l’érosion superficielle, hydrique et éolienne, qui réduisait le taux de semences lessivées ou enlevées par le vent. Deuxièmement, la fréquence des troupeaux permettait l’enfouissement des graines dans le sol, l’importation de semences dans les fèces favorisant la présence de certaines espèces, l’amélioration des conditions hydriques du sol et la stimulation du développement de certaines espèces. etc. Dans le Nord du Burkina Faso, dans la zone du Programme Sahel Burkinabé, le gain en termes de biomasse exploitable compensait très largement le manque à gagner que les éleveurs et agro-éleveurs, transhumants et sédentaires, ont subi en renonçant à l’émondage/élagage des arbres, puis à la coupe des arbustes pour la confection des enclos (Programme Sahel Burkinabé, 2004). Dans la forêt villageoise de Sambandé au Sénégal, l’amélioration des pâturages se traduisait aussi par la substitution des espèces envahissantes telles que Cassia obtusifolia, qui indiquent une dégradation accrue des capacités productives des sols par les espèces ayant des effets bénéfiques sur le sol comme Bracharia ramosa, Chloris pilosa, Dactylotenium aegyptium, Andropogon pinguipes, Pennisetum pedicellatum, Eragrostis tremula et Alysicarpus ovalifolius (Mahamat Issaka, 2004).

Les conventions locales ont également eu un impact important sur la prévention des conflits en enlevant des inégalités par rapport aux droits et possibilités d’accès aux ressources naturelles et en établissant des mécanismes plus paisibles de communication et de concertation entre les différents groupes. Cet état de fait se traduisait par un certain nombre de manifestations telles que l’émergence d’un esprit consensuel entre groupes antagonistes comme des sédentaires et transhumants, des autochtones et migrants, etc., l’établissement de la transparence dans la gestion des ressources naturelles, le caractère dissuasif des pénalités applicables par rapport aux contraventions, la menace de sanctions morales tels que l’exclusion. Les conventions locales préconisaient en outre des mesures préventives telles que le zonage de l’espace agropastoral et la constitution de zones explicitement pastorales, la délimitation des couloirs de passage ou pistes d’accès, la détermination consensuelle des dates de levée de champs, etc. À Kishi Beiga au Burkina Faso, la moyenne des conflits est passée de 60 à 10 conflits par an, soit une diminution de 82 %, du fait d’une application des mécanismes de prévention de conflits (Graefen et al., 2005). À Ndiam Baba et Laïndé Ngobara au Nord-Cameroun, les relations d’échanges et de complémentarité se sont recrées et multipliées (Kossoumna Liba’a, 2008). Les conventions locales permettaient également de mettre en place des instruments de régulation et d’atténuation des conflits par des règlements à l’amiable entre les groupes d’usagers. Au Burkina Faso, les populations adoptaient des mécanismes de gestion alternative des conflits qui sont gérés localement en évitant l’implication de l’État (Graefen et al., 2005). Au Nord-Cameroun les conventions locales ont permis de traiter 67 points litigieux entre 1997 et 2002. De même 242 km de démarcation sont négociés, tracés, cartographiés et matérialisés par des bornes. Ainsi, 13 aires pastorales et plusieurs couloirs à bétail sont négociés (Thézé, Teyssier et Hamadou, 2002). Au Tchad, l’activité de la commission mixte a permis un respect effectif des axes de transhumance et une diminution de la fréquence et de la gravité des conflits alors qu’au Bénin, au Mali, en Côte-d’Ivoire et au Burkina Faso, nous assistons à la facilitation des résolutions des conflits entre et au sein des communautés sur la détermination des terres de culture et des limites, mais aussi entre les communautés agricoles et pastorales ambulantes. Plusieurs exemples montraient également que les conventions locales ont permis aux populations vulnérables comme les éleveurs d’accéder plus facilement aux ressources communes tels que des voies de circulation, des superficies de pâturage beaucoup plus importantes et l’accès à des sources d’eau d’abreuvements gratuits. Au Burkina Faso, au Sénégal et au Cameroun, les conventions locales ont contribué à supprimer les pratiques de rackets[3] auprès des éleveurs transhumants pour avoir le droit de rester au niveau du terroir. La situation antérieure était caractérisée par des parcours obstrués et de zones de pâturage trop réduites ou contenant des champs pièges. Les bénéfices liés à la réduction des conflits se situaient au niveau de l’économie des préjudices, notamment au niveau des dommages subis comme par exemple le broutage et le piétinement des récoltes, l’abattage d’animaux, les dommages corporels, etc., ainsi qu’au niveau des coûts connexes de la gestion de ces conflits résultant de leur traitement devant les instances administratives ou coutumières. A Laïndé Ngobara au Nord-Cameroun, les éleveurs Mbororo perdaient des sommes élevées de l’ordre de 80 000 Fcfa en 1995, de 50 000 Fcfa en 1996 et de 450 000 Fcfa en 1997 pour le maintien des espaces de pâturage et des couloirs de transhumance, avant l’intervention du projet de Développement Paysannal et de Gestion des Terroirs pour la renégociation des espaces de pâturage. Depuis 1997, année des négociations et de plantation des bornes dans ce campement, aucune dépense liée à la zone n’a été signalée. Pourtant des cas similaires à ceux pour lesquels ils débloquaient de l’argent se sont présentés (Madoum, 1997).

Les conventions locales sont enfin des instruments pouvant faciliter la décentralisation au niveau rural. L’établissement d’un dialogue constructif est un préalable indispensable à une gouvernance[4] locale efficace et durable des ressources naturelles. Cet impact institutionnel peut s’analyser d’abord à travers les éléments tels la mobilisation locale forte autour de l’enjeu de la meilleure gestion des ressources naturelles; ensuite, grâce à l’émergence des organisations efficaces prenant en charge la gouvernance locale des ressources naturelles, avec l’exécution d’un programme de travail annuel bien défini confiée à un bureau exécutif pour sa mise en oeuvre et pour son suivi, comme c’est le cas au Bénin, au Tchad et au Mali. Enfin, nous pouvons évoquer l’émergence de nouveaux leaders tels que l’association villageoise, les ONGs et les collectivités locales porteurs d’un engagement fort pour le développement local ainsi que l’implication des ressources humaines de proximité dans les réflexions, concertations et processus décisionnels.

Conclusion

Les projets de développement des conventions locales de gestion des ressources naturelles appuient l’émergence des instances capables de prendre des décisions adéquates pour la gestion des ressources naturelles et des territoires dans divers pays de la zone soudano-sahélienne d’Afrique tels que le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Bénin, le Cameroun et le Tchad. Ce processus participatif voit l’émergence des règles communes d’accès, de contrôle et de protection des ressources naturelles, ce qui contribue fortement non seulement à la préservation et à la gestion durable mais aussi et surtout à un partage équitable et pacifique des ressources naturelles. Cette réussite est favorisée par l’implication plus ou moins forte selon les pays, des autorités administratives et traditionnelles, mais aussi et surtout des acteurs concernés à la définition des règles.

Horizon

Les projets d’appui à la gestion des ressources naturelles ont certes connu globalement des succès à la fois sur le plan écologique, économique, sociologique et institutionnel, mais ces conventions restent fragiles et fortement dépendantes des structures des projets qui souvent soutiennent entièrement le coût des interventions. Ces expériences innovantes ont besoin d’un cadre juridique et administratif car elles sont dans presque tous les cas en marge des législations nationales. Par conséquent, face à la forte pression continue sur l’espace et les ressources naturelles, avec des risques forts de conflits, un changement législatif s’impose pour entériner et valider ces démarches. Ces démarches qui viennent se greffer ou supplanter les instances existantes telles que les autorités traditionnelles, administratives et judiciaires, jouent encore un rôle fragile. Mieux, les instances existantes doivent nécessairement être revalorisées dans les cas d’arbitrage, de médiation et de conciliation dans les situations de transformation notamment avec les processus de décentralisation effectifs ou en cours dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne.