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Ce numéro fait suite aux numéros 78 de Présence Francophone et vol. 43, nº 1 d’Étudeslittéraires. Il rassemble huit figures du roman africain que la critique historique et diachronique distingue généralement à la suite du contexte d’émergence. Les analyses des oeuvres et des romanciers qui le constituent se proposent, chacune à sa manière, de montrer comment le roman africain est un puissant instrument qui décrypte le réel, figure l’Histoire et déchiffre les rouages et les mécanismes de la société. Cette période court, pour ce numéro, d’Ahmadou Kourouma, qui, en 1968, avec Les soleils des indépendances, a assuré au roman africain un grand rayonnement triomphant, à Léonora Miano, qui célèbre, à sa façon, la grande réorientation de ce roman susceptible d’absorber le discours social dans sa diversité. Si Kourouma nous enchante par l’expression du désenchantement relative à la désillusion des indépendances, la mise en scène du discours social à propos de l’identité des Africains dits de la diaspora intéresse Miano. À une comédie humaine répond une autre. Il y a donc une sorte de témérité ou même de coup de force incompréhensible à chercher à mettre en relation les romanciers africains avec la notion baudelairienne de modernité.

Dans sa recension, publiée dans Acta fabula de février 2013, du numéro de Présence francophone que j’ai récemment dirigé, Pierre Halen m’invitait à articuler plus explicitement, « pour la clarté du débat », cette notion de « modernité ». D’abord, il nourrissait un soupçon, voire une suspicion sur « l’idée (idéalisante, forcément) de la beauté mystérieuse » par rapport à l’environnement social et historique du roman africain, c’est-à-dire à l’engagement par lequel le définit généralement la critique. En deuxième lieu, l’individualité du sujet moderne, qui l’enveloppe dans sa solitude, contraint l’artiste à s’enfermer dans « la fonction auteur », et à s’écarter de la « fonction de porte-parole d’une communauté quelconque, ou de héraut d’une cause ». Enfin, pour Pierre Halen, il conviendrait d’articuler « cette conception – baudelairienne – de la modernité (qui en soi, a tout de même produit un discours essentiellement conservateur à propos de – l’Art pour l’Art) et la question du désenchantement, voire du dés(sen)gagement idéologique. » Je pensais la notion trop connue par les spécialistes pour devoir y revenir.

Reprenons donc. Baudelaire construit sa théorie de la modernité de 1845 à 1862, soit pendant 17 ans, en rattachant l’oeuvre d’art à la fois à la beauté et aux sollicitations immédiates du monde contingent. Dans un premier temps, la modernité se confond avec le « rapport perpétuel, simultané, de l’idéal avec la vie. »[2] En 1845, Baudelaire évoque et formule le motif du « moderne », le « côté épique » de « la vie actuelle »[3]. Une année après, il affine sa théorie et approfondit la perspective : « Toutes les beautés contiennent, comme tous les phénomènes possibles, quelque chose d’éternel et quelque chose de transitoire, - d’absolu et de particulier. »[4] Chaque époque a sa beauté, selon Baudelaire, et chaque artiste possède la capacité d’« idéalisation ordinaire et accoutumée »[5].

Mais Baudelaire va progressivement conceptualiser sa notion de la modernité, se voulant attaché au monde de son temps, dont il parle et qu’il interpelle : « le spectacle de la vie élégante et des milliers d’existences flottantes qui circulent dans les souterrains d’une grande ville […] nous prouvent que nous n’avons qu’à ouvrir les yeux pour connaître notre héroïsme »[6]. De ce fait, il historicise, paradoxalement, la beauté, alliant l’ancien et le nouveau, l’antique et le moderne, la beauté absolue et la beauté particulière. En 1863, Baudelaire consacre un article au dessinateur Constantin Guys qui va nous permettre de saisir l’imbrication des éléments de la définition : « Ainsi il va, il court, il cherche ». […] Il cherche ce quelque chose qu’on nous permettra d’appeler la modernité; car il ne se présente pas de meilleur mot pour exprimer l’idée en question. Il s’agit, pour lui, de dégager de la mode ce qu’elle peut contenir de poétique dans l’historique, de tirer l’éternel du transitoire. »[7] Comme on peut s’en rendre compte, ce raisonnement circulaire ne permet pas de dégager avec aisance une définition de la modernité : le chiasme nous fait découvrir une équivalence entre le poétique et l’éternel, l’historique et le transitoire.

Mais Baudelaire amalgame dans le même paragraphe une autre définition qui apporte à la première un complément d’information : « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable », et puis, « il y a une modernité pour chaque peintre ancien »[8]. C’est là, me semble-t-il, l’essentiel de la théorie baudelairienne de la modernité : « Le beau est fait d’un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément, qui est comme l’enveloppe amusante, titillante, apéritive, du divin gâteau, le premier élément serait indispensable, inappréciable, non adapté et non approprié à la nature humaine. Je défie qu’on découvre un échantillon quelconque de beauté qui ne contienne pas ces deux éléments. »[9] Baudelaire passe d’un état de la modernité à l’autre : moderne était l’éternité de poésie disséminée dans l’histoire, il désigne maintenant la contingence dont relève la moitié de l’art. Si la modernité caractérisait la vie, elle est définie désormais comme la moitié de l’art. La beauté de l’oeuvre d’art dépend de sa capacité à absorber « la beauté passagère, fugace de la vie présente, le caractère de ce que le lecteur nous a permis d’appeler la modernité. »[10]

La modernité baudelairienne dépasse donc l’opposition entre l’art « pur » ou l’art pour l’art, et l’art « impur », ou l’art aux prises avec la représentation du monde. On peut observer l’antagonisme entre les deux directions de l’espace littéraire à travers les deux dédicaces, de symétrie inégale, que Baudelaire aménage dans le dispositif paratextuel des Fleurs du mal, l’une à Théophile Gautier au début du recueil, l’autre à Maxime Du Camp en tête du poème « Le Voyage » qui clôture le recueil. Pour Baudelaire, il ne s’agit pas de chercher à réconcilier les contraires, mais de s’écarter de l’un et de l’autre, car la beauté, ainsi que l’exprime la figure de l’oxymore, est une tension entre l’énoncé et son énonciation, l’imaginaire et le réel, le présent et l’intemporel, le général et le particulier, l’éternel et le transitoire, l’ancien et le moderne, le rêve et la réalité. Elle absorbe toutes les contradictions de l’époque et la diversité du milieu, comme on peut le lire dans « Spleen et Idéal » indiquant les deux directions simultanées de l’homme. L’artiste se dote ainsi de la capacité d’être à la fois « à sa guise lui-même et autrui », annonçant le « je est un autre » de Rimbaud.

Quant à la relation entre la modernité et le désenchantement, elle traduit précisément la lucidité de l’artiste qui jette sur lui-même et sur le monde un regard mélancolique et ironique, parce qu’il a perdu ses illusions en constatant le chaos du monde et la lente agonie de sa vie. C’est là une figuration indicielle du contact serré avec le réel : le je baudelairien n’est pas coupé du monde. Le poème « Les foules » fait rimer les mots « Multitude, solitude ». Vaporisé, le sujet est l’effet et non pas l’origine de sa parole, mais il fait réfléchir dans son oeuvre le désordre du monde figuré.

La modernité baudelairienne peut s’appliquer à toutes les littératures du monde, quelles que soient leurs histoires tortueuses. Depuis son émergence, dans les années 1920, la littérature africaine repose sur un principe de rupture et s’appuie sur la conviction qu’elle peut être une praxis, c’est-à-dire un acte par lequel on réagit aux sollicitations de l’Histoire et on veut retrouver l’équilibre et l’unité perdue du monde. Les écrivains africains ont compris, dès les origines, que la littérature nécessitait une indépendance (on dit aujourd’hui une autonomisation) absolue et une articulation avec le discours social. Il est parfois contradictoire que les premiers écrivains aient été aussi des hommes politiques. Mais les écrivains ont ainsi absorbé les contradictions fécondes de leur époque.

Pourtant, une certaine critique du roman africain, qui a figé la lecture de celui-ci à travers des classifications calquées sur le modèle de la littérature française, nous a habitués à des tonalités binaires tranchées : romans de refuge dans la tradition (ou le passé), romans de la modernité, romans du désenchantement, romans du dépassement... Dans ce contexte, la modernité est vue comme étant le privilège de l’Occident, ainsi que le pensait Max Weber, alors que l’Afrique est présentée comme étant liée à sa tradition ou à ses traditions (tam-tam, oralité, parenté, communion des vivants et des morts et avec tout l’univers), conceptualisée par les anthropologues occidentaux. En d’autres termes, la tradition est une marque des pays sous-développés qui ne pouvaient accéder à la modernité (occidentale s’entend), c’est-à-dire au progrès, que par l’esclavage et la colonisation. D’où donc le salut de ces peuples grâce à la mission civilisatrice.

Selon cette tradition critique, le roman africain se caractérise par une constellation de traits divers : l’engagement, la contestation de l’ordre colonial (ou de la suprématie occidentale), la dénonciation de nouveaux pouvoirs et de leurs violences structurelles, la continuité de l’oralité à l’écriture (qui explique, dit-on, le mélange de genres), l’empreinte massive de l’Histoire, la falsification de la mémoire, les dictatures noires, la déréliction du continent, le chaos, l’absurdité, la folie, interprétés comme le manque de repères du continent[11]. D’où la prépondérance des lectures diachroniques et thématiques. Mais ces traits sont-ils spécifiques au roman africain? Je confirme que ce ne sont pas ces traits ni leur simple agrégation qui fondent la spécificité du roman africain, pas même le fait qu’ils prennent chez l’un ou l’autre romancier un relief nouveau, mais bien leur mode d’articulation, ou mieux encore le système global dans lequel ils se trouvent agencés[12]. Ainsi, la vérité du social africain ne provient pas de la description de la déréliction du continent, ni des violences coloniales ou postcoloniales, mais de la capacité du roman à créer un univers, à mettre en scène une fable, à allégoriser les rapports humains, à déchiffrer la société en transformant des paroles triviales en des artefacts linguistiques et en déployant détours et artifices. Tout cela dit une écriture, au sens où l’entend Barthes, c’est-à-dire des stratégies discursives par lesquelles se construisent des fictions, des mises en scènes, des positions et prises de position. Ce qui implique la notion de scénographie.

Quant à la périodisation en trois ou quatre phases qu’établissent les historiens de la littérature africaine, si elle offre l’avantage de faire apparaître les lignes de rupture et de continuité d’une phase à l’autre, il convient de souligner que, en littérature, les ruptures autant que les continuités sont apparentes et illusoires. Au demeurant, cette périodisation est de peu d’importance. Il s’agit, pour moi, de savoir en quoi ces textes fondent la modernité. Lorsque Césaire affirme que la poésie est une « arme miraculeuse », il souligne que la négritude se présente contre l’ordre du discours de la suprématie occidentale. C’est là l’expression d’une farouche indépendance contre la sphère du pouvoir politique (dont Césaire acceptera bien d’être député à l’Assemblée nationale française), au moment même où l’esthétique reste celle de l’avant-garde du moment, à savoir le surréalisme.

La réaction inaugurale de la négritude marque un processus qui, progressivement, fera de la littérature le lieu d’une résistance et donc d’un pouvoir et une interrogation sur les contraintes et les limites de ce pouvoir. Pourquoi ne pas admettre que ce lieu et cette interrogation constituent la modernité de cette littérature africaine et que la négritude aura été, en ses contradictions mêmes, l’instance de leur double émergence. Si la poésie de la négritude exprime le « cri » des peuples noirs humiliés et offensés, ce cri est habillé, son esthétique reste mêlée : le choc des images fait entrechoquer le rythme du tam-tam africain, l’appel des légendes et des mythes, la passion de sa faune et de sa flore qui traduisent un ré-enracinement, avec la cale du bateau, le rythme de la révolution surréaliste, mais aussi le discours des anthropologues occidentaux. En d’autres termes, la résistance ou la contestation sociale s’accompagne d’une réflexion sur la beauté de la poésie, c’est-à-dire les deux moitiés de l’art, dont parlait Baudelaire.

Quant au roman africain, admettons que l’Histoire n’exerce plus l’emprise sur lui comme dans les années 1950, du temps des grandes constructions à multiples entrées de Mongo Beti ou d’Ousmane Sembene. De plus, le roman africain, comme tout autre, ne peut plus se contenter aujourd’hui de l’empire de l’Histoire; il veut être aussi oeuvre de création. « L’ère du soupçon », comme l’exprime la belle formule de Nathalie Sarraute, a amené les romanciers à prendre des libertés avec les fondements du romanesque, qu’il s’agisse de l’intrigue et des personnages. La littérature est devenue objet du texte littéraire, le roman s’est tourné vers lui-même, a sculpté bien sa forme, la référence au monde a cédé la place à une référence à soi.

Notre lecture actuelle des grands romanciers du passé, comme Mongo Beti, Ousmane Sembene, Ousmane Socé, Seydou Badian… nous amène à prendre conscience que le rapport mimétique de leurs textes avec le monde que nous accordions à leurs romans était une illusion. Nous savons aujourd’hui que les procédés d’une rhétorique et des stratégies discursives couvraient l’apparente transparence de ces romans. On a commencé à démasquer les ruses, les ambiguïtés et l’incertitude des discours. Ainsi, les classifications et classements des romans du passé récent (que des critiques ne considèrent pas comme « contemporains ») commencent à devenir des dénominations floues et à montrer leurs limites. Mais le roman africain reste lié à une double histoire, littéraire et socio-politique. Ses enjeux restent les mêmes : ils consistent en la relation entre le roman (ou le littéraire en général), et la pratique de la littérature, sa lecture. Il s’agit de déterminer la fonction de la littérature vis-à-vis de la société. Ce numéro se consacre à mettre à l’épreuve cet enjeu à même les textes de huit figures du roman africain.

Anthony Mangeon et Justin Bisanswa examinent le social dans l’oeuvre romanesque d’Alain Mabanckou. Mangeon soutient que la « grande cohérence » des fictions de Mabanckou réside dans l’écriture du sujet et la construction « d’un espace fictionnel bien circonscrit, jusque dans ses ouvertures. » Pour lui, les romans sont constitués de « cahiers » ou de « confessions », qui livrent des « témoignages personnels qui visent, à travers leur lecteur, un surdestinataire fantasmé. » Il remarque l’ancrage des romans dans « l’espace géographique et social du Congo, leur univers se trame à partir de continuelles circulations entre le Nord et le Sud du Congo, et cela à l’échelle locale et à l’échelle globale. » Mangeon relève le retour des noms de certains personnages (Pauline Kengué, Angoualima, Moki, Benos, Préfet…) et des villages (Louboulou, Batalebé) d’un récit à l’autre. Il observe la structuration du corps social, « dans ses tensions, ses conflits, ses équilibres ou ses homéostasies », « selon une logique relationnelle du redoublement systématique – lequel va du désir mimétique (…) aux duplications et interférences entre monde humain et monde animal, voire entre « réalité » et « monde de l’invisible ».

Dans un deuxième temps, Mangeon veut comprendre la part du mythe dans la construction du social, ainsi que les moyens par lesquels la littérature recrée le sens du mythe. Il montre comment les processus d’imitation et d’identification sont mis en relief dès le premier roman (Bleu-Blanc-Rouge), alors que African Pyscho inaugure la pratique du traitement burlesque du thème du double, comme on peut le voir à travers le personnage de Masala-Masala de Blanc Bleu Rouge qui se prend pour l’ombre ou le double de Moki, ou celui de Grégoire Nakobomayo, dans African Psycho, qui avait choisi le tueur en série Angoualima comme modèle social.

Mangeon analyse « être une ombre » ou « doubler » qui consistent, pour lui, à « singer les Parisiens », « se faire imitateurs » de leurs us et coutumes sans pour autant obtenir les mêmes résultats. L’enjeu est donc la distinction sociale à acquérir ou à conserver en possédant les attributs des Parisiens, dont l’élégance de la langue, les us et coutumes. Ce qui amène les immigrants congolais à Paris à s’attribuer des « noms des stations de métro comme pseudonymes ». Ainsi s’explique la relation de fascination-répulsion, de rivalités et de conflits avec le pays d’en face ou de l’autre rive où le désir mimétique s’inverse en mépris des imitateurs envers ceux que l’on veut imiter. On est en face de la duperie et de la duplicité de l’être humain qui provoque la violence et des « victimes émissaires », prioritairement des femmes. Nakobomayo veut « liquider » les filles de joie » « du pays d’en face ». Mangeon estime que cette violence qui s’exerce sur la femme, surtout lorsque celle-ci est de la même ethnie que son bourreau, traduit une haine de soi qui double le désir mimétique et ne peut s’expliquer que par le « désir d’Occident » ou la domination symbolique de la France. Pour Mangeon, « le sens du social se trouve dans le mythe ». Cet univers mythique traduit l’importance que les « sociétés bantoues » accordent à l’imaginaire et à la domination du symbolique dans leur tentative de déchiffrer le réel. Le monde africain que représente Mabanckou est caractérisé, selon Mangeon, par une interrelation entre le monde humain et le monde animal, ou entre les vivants et les morts, qui peut s’observer à travers les « redoublements magiques ».

Par ailleurs, Justin Bisanswa ouvre son étude sur Mabanckou par une sorte de bilan de la critique consacrée à l’oeuvre du romancier. Il remarque l’intérêt accordé à l’ironie et à l’humour, ou à l’analyse sociologique de la « Sape » (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes »), qui irradient sur une large partie des fictions. La critique s’attache aussi aux représentations des Africains aliénés, et aux clichés et stéréotypes à propos du Noir et à ses rapports avec le Blanc ou à la colonisation (sorcellerie, mysticisme, occultisme, sauvagerie, superstitions, ressentiment ou humiliation). Enfin, l’immigration a souvent attiré l’attention des commentateurs de Mabanckou.

Bisanswa a montré les conditions d’émergence de l’écrivain, son mode d’intervention et sa position dans l’espace littéraire. Cet « outsider » qui faisait de la littérature en dilettante a pris le roman à rebrousse-poil au moment où s’épuisait l’énergie créatrice. Mabanckou est, en fait, un cas singulier, car il va se servir du roman policier pour nourrir les ressorts de ses intrigues romanesques. Pour Justin Bisanswa, usant d’un discours second, la représentation dualiste des groupes sociaux, leurs classements et leurs antagonismes sont au coeur des fictions de Mabanckou. En effet, à travers les rivalités et les conflits qui hantent les personnages, la distinction est la grande question qui traverse tous ses romans. Est donc en jeu l’analyse de la machinerie sociale avec ses féroces et sournois rapports de domination qui s’expriment notamment par les drames du paraître.

Les fictions de Mabanckou sont donc faussement innocentes ou naïves. Le romancier est attentif au pouvoir d’évocation des attributs vestimentaires qui indexent une interaction entre les personnages et les usages extérieurs. La surgnifiance découle d’un objet insignifiant au départ. Cette insistance sur le détail et sa mise en scène bouleversent la hiérarchie habituelle entre l’essentiel et l’accessoire. Mais toute la cohérence des composantes des récits concourt à faire du personnage le pivot de l’intrigue. Fusionnant subtilement la narration et la description, Mabanckou exprime ainsi des aspects du quotidien de l’activité humaine qui étaient considérés comme périphériques. Mais la narration stagne, mimant le train lent de la vie, banalisant l’écriture. On songe au naturalisme. Des notations plates ou de « petits faits » traduisent bien les effets de réel, mais ceux-ci indexent une réalité dont il faut décrypter les signes. Le roman devient le lieu d’une enquête policière qui permet de débusquer l’identité des acteurs sociaux.

La logique sociale révèle ses deux faces dans la narration de Mabanckou. D’une part, c’est dans les éléments de son milieu que se reconnaît l’acteur social et que celui-ci identifie ses partenaires. D’autre part, dès que le même individu s’éloigne de son environnement social, les codes le déroutent, et il perd ses repères. Il est la figuration métonymique de l’univers social. La satire sociale se lit à travers une ironie joyeuse et cruelle.

Kasereka Kavwahirehi met en relation le drame des personnages du roman, Raymond et Gaston Poaty, avec le droit. Il étudie comment le roman de Tchicaya UTam’si, Ces fruits si doux de l’arbre à pain, investit le droit. Le roman interroge l’antagonisme entre, d’une part, la prétention du droit à tout trancher et à tout ordonner rationnellement, et, d’autre part, le mystère insondable de la vie : « Il y a la science et le profond mystère de la vie. La science s’épuisera, la vie demeurera », dit le narrateur. Kavwahirehi montre les contradictions et ambiguïtés des personnages du roman. Mais ces contradictions dépassent la question du fait d’être africain vis-à-vis des valeurs occidentales. Elles disent les ambivalences et les tiraillements de tout être, face à son époque, face à son milieu, et l’éclatement de nos identités, au point de les fusionner, jusqu’à comprendre la perception contradictoire du monde.

Le juge Raymond Poaty mesure à chaque instant les dangers à dire le droit et à protéger les faibles contre les puissants. Il ne parvient pas non plus à assurer la cohésion ni l’harmonie familiale, incapable de rationaliser les rapports entre sa femme, directrice d’école, et leur fille. Mais cet homme de loi est aussi magicien, rôle qu’il n’assume pas pleinement. Le droit moderne qu’il applique ne lui permet pas d’identifier les responsables d’un crime rituel qui trouble la paix sociale. Si la magie aide le juge Poaty à élucider le mystère de ces crimes sur des petites filles immolées par le président pour augmenter sa volonté de puissance, il ne peut pas, en revanche, juger l’instigateur de ces sacrifices, faute de preuves matérielles de sa culpabilité. Pour le juge, l’autre justice a déjà puni le coupable. Il existe donc deux justices, celle du monde visible et celle du monde invisible. Elles résultent de deux visions du monde inconciliables.

C’est là que le roman généralise le débat : le juge est présenté comme l’incarnation d’une justice positive dont il mesure les limites, sans considération du monde invisible dans lequel ils vivent. Le narrateur ironise sur les gens instruits qui prétendent que la justice invisible relève de la superstition. Le roman narre ainsi le double jeu qui mine le nouvel État africain héritier de la justice coloniale et qui jette dans ses marges une dimension essentielle de la vie. D’où le caractère fictif et fétichiste de l’État africain qui nie le réel en important des codes et dispositifs d’ordonnancement du discours et de rationalisation de la vie et des rapports sociaux : « On ne peut pas juger nos moeurs avec des lois qui ignorent tout de nos moeurs. » Raymond Poaty démissionnera de sa fonction de juge pour se consacrer aux enquêtes sur les sacrifices humains et à la dénonciation des trahisons des puissants au pouvoir. Il disparaîtra sans avoir laissé de traces.

Mais, au-delà de la thématique souvent ressassée de l’écartèlement entre la tradition et la modernité, l’analyse de Kasereka Kavwahirehi attire l’attention sur les contradictions du sujet moderne à qui la liberté dont il est pourvu force la communication et la circulation dans des milieux et des cultures, mais qui se trouve pris dans les rets des sinueux dispositifs juridiques comme une mouche dans une toile d’araignée. On comprend que la puissance de ce qui vient d’ailleurs est illusoire, que le passé expliquait le monde simplement et le sanctionnait. Mais tout cela signifie aussi que le personnage ploie sous l’emprise du texte, à travers menues notations qui permettent d’élucider conditions et situations. L’étrangeté et le fantastique social émergent du réel même qui est plus irrationnel, malgré la tentation de le rationaliser et de l’ordonner.

Bacary Sarr s’intéresse aux dynamiques et enjeux interculturels du texte littéraire africain en prenant l’exemple de Peuls de Tierno Monenembo. Il dégage la complexité de la dynamique textuelle constituée par l’interaction et l’interférence des multiples phénomènes relationnels et interculturels qui tissent le texte : le paganisme, l’islam et l’Occident. Selon Bacary, le texte de Monenembo « semble désarticuler une certaine configuration historiographique et littéraire » grâce à une narration complexe à tonalité épique qui repose sur l’histoire culturelle et politique des Peuls et de l’actuelle Guinée Conakry. Pour Bacary, « Monenembo explore les substrats identitaires de ses personnages dans leur opacité et l’expérience de leur mémoire collective, qui révèlent toutes les turbulences d’un monde dans lequel le réel et l’Histoire bégayent à retrouver leur cohérence ».

Sous le couvert des dates historiques précises, le roman enchevêtre les temporalités, entrelace les rythmes de la narration et les mouvements des personnages historiques à l’intérieur de configurations de l’imaginaire collectif et ethnique. Pour Bacary, les mutations des sociétés ouest- africaines fonderaient l’hybridité du texte africain, comme on le remarque dans le dispositif énonciatif du roman marqué par l’oralité dans les séquences épiques, les réminiscences des contes, des légendes ou du griot sérère. Les personnages peuls sont donc porteurs du croisement des cultures et des fictions identitaires. On découvre le caractère hétérogène des références linguistiques (sérère, peul, arabe), l’articulation des références historiques avec l’opacité identitaire, le mélange de tons (ironie, raillerie, gravité épique des figures des théocraties peules), la linéarité du récit à tonalité historique et les distorsions du sujet énonciatif.

Sonia Lemoigne-Euzenot confronte le roman de Kossi Efoui à l’image photographique. La photographie permet d’appréhender le point de vue de celui qui a capté ce que Kossi Efoui nomme « le dépaysement », c’est-à-dire la réalité ou le « toucher du monde ». Il y a donc la notion de vision (le point de vue) qui s’accompagne de celle d’écran, comme le savait Zola. Interrogeant la forme littéraire dans trois romans (Solo d’unrevenant, La polka, La fabrique de cérémonies), Lemoigne-Euzenot rend compte de la superposition du discours et de l’image, des temporalités décalées, des substrats narratifs, celui de la photographie et de ses codes et celui du discours. Elle remarque que le discours ne reproduit pas les photographies, mais le récit représente mentalement les photographies. La photo, selon elle, déclenche d’autres images dans la mémoire involontaire. Et d’affirmer que « La plasticité des romans de Kossi Efoui naît des formes artistiques qui modèlent, qui pétrissent les regards qui se croisent et qui se complètent. » Les mots sont donc un moyen d’exorcisme qui combat « la blessure d’exister ».

Sylvère Mbondobari étudie les représentations du peuple dans le roman policier francophone à travers l’enchevêtrement de trois discours. Le premier, sociologique, représente l’exclusion, la marginalité et souligne les enjeux et les limites des transformations sociales en Afrique, notamment la dimension rurale des villes africaines. Le discours anthropologique met en scène le crime par la représentation des rituels, des traditions et des coutumes, notamment par le biais de l’oralité et de l’anthropologie. Sur le plan thématique, l’enquête policière porte sur le mystère qu’entoure ce rituel. Le roman apparaît comme un moyen d’explorer la société africaine traditionnelle à partir du prisme du crime et de la violence. Enfin, le discours politique dénonce les dérives et les abus politiques.

Prenant pour illustration L’archer bassari de Modibo Keita, Mbondobari montre la proximité du roman avec le conte, la fable et l’épopée. Le roman conçoit une division manichéenne des espaces, la ville s’oppose à la campagne; le peuple, en tant que gardien des traditions et ferment des valeurs ancestrales, s’oppose aux dominants, perçus comme les méchants, punis, pour faire triompher la justice. Par l’humour et l’ironie, le roman policier est donc un extraordinaire instrument de contestation de la dictature de la classe dominante.

Dans une lecture mimétique, Mawuloe Koffi Kodah considère « l’échec socioculturel, politique et économique de Fama » comme « celui des pays africains au lendemain des indépendances politiques que présente » le roman Les Soleils des indépendances. Pour lui, « la fiction est intrinsèquement liée à la réalité socio-politique et économique du continent africain ». Le pessimisme, selon Kodah, se manifeste à travers les personnages (Fama, Salimata, Tiécoura, Balla, Hadj Abdoulaye) sont poussés vers la mort, en dépit des efforts qu’ils déploient pour s’en sortir. L’espace est dichotomique, on y découvre l’opposition rituelle entre la ville (la capitale), foyer de la misère et du déshonneur, et le village (Togobala), « espace desséché », environnement sinistre, frappé par la déchéance.

Buata Malela, interrogeant la « postmodernité de Léonora Miano », estime, pour sa part, que « la stratégie littéraire est située entre l’univers culturel et médiatique » et que le discours littéraire de Mianao « s’inscrit dans un mouvement d’écart par rapport à la modernité de ses prédécesseurs et à leur conception du processus identitaire. Une invention de soi fondée sur les métarécits. » En effet, selon Buata, c’est sur une culture diasporique que repose la posture identitaire de Miano, mêlant son esthétique littéraire avec la musique populaire noire américaine. Aussi Miano se constitue-t-elle sa propre postmodernité en s’écartant des prises de position de ses prédécesseurs et de certains de ses contemporains. Son émergence dans l’espace littéraire coïncide avec les dégâts sociaux liés à la crise économique en France et avec la résurgence de la question communautaire dans l’espace public. Miano, dans ses romans, participe à ce discours identitaire qui déborde sur le champ artistique, intellectuel, médiatique et politique en créant le concept d’ « afropéen ». Elle se définit comme auteur d’expression française, mais de culture africaine et afro-américaine. Elle avoue être influencée par le jazz et la Soul, musique noire. Pourtant, cette culture noire américaine est plus étudiée que vécue réellement.

Miano diversifie le cadre référentiel du discours en abordant les thématiques de l’identité nationale, de l’immigration, de l’exil, de la sexualité, de la folie et de la création esthétique. Sur le plan esthétique, elle promeut une écriture hybride dans sa forme et dans son contenu. Face à la promotion d’une identité nationale, elle revendique une identité frontalière. Contre l’enfermement dans une africanité ancestrale, elle se veut afropéenne, c’est-à-dire une africaine d’Europe.

Olga Hél-Bongo analyse Le bel immonde de V. Y. Mudimbe à la lumière des procédés d’écriture. À cet effet, elle s’intéresse aux figures de la rupture : l’hypotypose dans les scènes de bar traduit la discordance entre la banalité de la représentation et la subtilité du discours; la métalepse interroge la capacité autoréflexive du roman de se commenter et de se refléter, d’une part dans le miroir des autres romans de Mudimbe et, d’autre part dans les trois temporalités à travers le commentaire sur le passé, le présent et l’avenir. La citation reflète et commente l’action du récit au moment de son déroulement. La chanson est une sorte d’avertissement qui commente et annonce un événement avant qu’il ne se passe. L’anamorphose montre le caractère immonde de l’action, qui se mime par la lenteur avec laquelle s’installe la perversité du langage, ou de « la patience avec laquelle le récit mudimbien dévoile l’éclatement de l’horreur sur le plan visuel, énonciatif, thématique et autométatextuel ».

Nyunda ya Rubango montre, dans une sorte de panorama analytique de la littérature congolaise qui narre la guerre au Congo (notamment à l’est du Congo) et ses horreurs : millions de morts, vols, viols, pillages, enrôlement des enfants dans les milices armées. Ces textes sont écrits en français et en langue swahili. Rubango les classe selon les genres : poésie, théâtre et prose (romans, nouvelles, chroniques, récits autobiographiques, etc.), bande dessinée, musique.

Comme le montre cette brève présentation, la position de chaque auteur varie en fonction de sa trajectoire, et chaque romancier a son propre mode ou modèle de déchiffrement de la société, de sorte que le roman semble un laboratoire fictionnel qui accueille diverses expériences de figuration. C’est la raison pour laquelle j’écrivais que la modernité est une expérience de la singularité. Il n’y a pas deux romanciers qui soient semblables. Dans la configuration de ce numéro, Ahmadou Kourouma confère au roman africain une grande assise. Il articule, même dans la banalité de ses prises de position (selon lesquelles il voulait africaniser, casser la langue française et faire parler ses personnages en malinké) une expérience formaliste avec une revendication sociale. Contre le discours grave et assuré de ses prédécesseurs, Kourouma engage le roman vers une certaine légèreté ironique. Le discours exhibe ses incertitudes, ses hésitations, laisse voir ses procédures, avoue ses artifices et atténue ainsi l’illusionnisme du roman passé.

Tchicaya U Tam’si met en relation le roman avec les questions anthropologiques et philosophiques notamment à propos de la connaissance et de l’application du droit. Mudimbe représente l’écriture de la distinction et du roman subjectif. Mais celui-ci s’accompagne d’une corrélation avec la sphère sociale, comme pour dire que c’est à travers des destins singuliers qu’on rejoint les préoccupations de la collectivité. Mais ce roman subjectif de Mudimbe s’accompagne d’une démarche herméneutique qui l’amène à surinterpréter les signes. Pour Tierno Monenembo, tout un passé est à la source du roman, et celui-ci exprime tout un monde, il est tout un monde. Monenembo multiplie le cadre de référence en enchevêtrant des temporalités et des cultures à travers les prismes qu’il déploie. Il a orienté le roman vers le fantastique et la fable. Kossi Efoui fait voir les tranches de vie et les tableaux, où il mêle la photographie et le discours littéraire. Le cas d’Alain Mabanckou est singulier. La formule de son romanesque qui repose sur le genre policier s’écarte des prétentions de grandes créations. Mais, avec beaucoup de subtilité, son roman moyen élargit son audience en récupérant avec éclat les stéréotypes et clichés vis-à-vis desquels une grande littérature prenait des distances. Passant de la biographie à la tranche de vie, Mabanckou se mire peut-être au travers de ses fictions. Mais cette autobiographie est inséparable des causes de la collectivité.

Léonora Miano entre en littérature tardivement par une porte latérale ou marginale, c’est-à-dire par le biais des études anglaises au doctorat. Ainsi, elle joue en solitaire et réussit sa percée par la littérarisation de tout un discours social sur la diaspora africaine en France en se réinventant une position de classe, c’est-à-dire une affiliation avec la diaspora afro-américaine, faute de filiation, par la musique populaire.

C’est donc toute une tradition que les huit figures romanesques dessinent dans ce numéro. En dépit des apparences, les écrivains se sont relayé des uns aux autres tout un héritage et tout un travail de transmission. Le numéro a montré que les lignes du roman africain sont fluctuantes. Mabanckou rejette la négritude ou cherche à s’en démarquer en pastichant bien les stéréotypes que les poètes de la négritude ont combattus. Les vers de Césaire reviennent comme une ritournelle dans Black Bazar. Il est vrai que la puissance de la construction et de l’architecture du roman africain de Mongo Beti à Kourouma, et de Kourouma à Mabanckou se meurt. Le numéro réécrit le double mouvement de ces textes qui se veulent à la fois perpétuation et reniement de l’héritage. Mais cette dénégation est un aveu qui double l’histoire du roman africain de l’Histoire tout court.

En revanche, tous ces romanciers sont habités par la pression du social tout en cherchant le raffinement formel pour l’autonomisation de la littérature mais aussi en s’adressant à une large audience, faisant du roman le genre le plus légitimé qui va « doubler » les autres genres ou les absorber. Pourtant, ces expériences romanesques montrent que l’investissement dans l’émancipation du roman varie d’un écrivain à l’autre. Tierno Monenembo, Tchicaya U Tam’si et V. Y. Mudimbe incarnent le moment fort, celui où la représentation du monde se conjugue avec une revendication formaliste. Mudimbe déplace le principe autonomiste en introduisant dans la représentation la figuration indicielle, la subjectivité, les digressions, le commerce entre le roman et l’essai.

Les huit figures qui ont défilé tour à tour dans ce numéro ont construit huit mondes différents sur les plans socio-historique, de l’écriture et de l’imaginaire, en passant de Kourouma à U Tam’si, de Mudimbe à Monenembo, de Monenembo à Efoui, d’Efoui à Modibo Keita, de Mabanckou à Miano. La visée apparente de tous ces romans est de contribuer à la connaissance du monde, de faire éclater sa vérité, d’en démonter les failles, afin de le réformer. Kourouma montre les désillusions des indépendances naissantes en Afrique et en appelle à une grande vigilance pour gérer les rapports entre classes et entre groupes ou groupements sociaux. U Tam’si démonte la confiscation des droits des masses populaires et de l’opposition par les puissants. Mudimbe dévoile avec une implacable ironie l’émergence des rébellions contre l’arbitraire des gouvernants au lendemain des indépendances africaines. Mabanckou traduit les rivalités et les conflits entre les groupes sociaux pour l’acquisition ou le maintien de la distinction. Efoui photographie les misères des « gens de peu ». Miano prend acte de l’éclatement des identités des Africains de la diaspora en Europe. Monenembo creuse d’un roman à l’autre la problématique de l’histoire du sujet peul qui s’invente au cours d’une remémoration.

L’art de presque tous ces romans est bien plus engagé qu’autoréflexif et consiste à narrer la médiocrité des routines quotidiennes des héros épiques. Ces héros insatisfaits pensent réaliser leurs rêves trompeurs au sein d’un milieu hostile, dans un horizon qui se ferme, et dans des expériences décevantes. Le roman se transforme en un récit d’aventures selon le schéma ascension, puis chute, prospérité et faillite, ou, pour reprendre Balzac, grandeur et décadence, splendeurs et misères. Façon de souligner l’impossibilité de toute représentation stable. Manière de faire entendre que le roman africain est quête effrénée d’une vérité, mais d’une vérité dont l’établissement est sans cesse reporté. Mais cette vérité est moderne : fugace, fugitive, fuyante, transitoire, relative, incertaine, elle se dérobe à la prise. Elle est aussi poétique.