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Dans ce numéro spécial intitulé Espaces francophones et opérations de paix, constituant l’édition 2013 du « Guide du maintien de la paix », le collectif d’auteurs s’interroge sur le degré de spécificité des opérations de construction ou de maintien de la paix dans les espaces francophones. Les contributions proviennent de traductions d’articles parus dans la revue International Peacekeeping (2012) dirigée par Bruno Charbonneau et Tony Chafer. Ces deux auteurs ont rédigé l’introduction, qui met en avant quelques caractéristiques : inégalité de traitement et de visibilité selon les sources (anglophones ou francophones), spécificités francophones associées à l’expérience de la colonisation française puis à son évolution vers la coopération de partenariat, ouverture européiste (Eurorecamp), implication des organisations internationales (Organisation des Nations Unies [onu], Union africaine [ua]), estompement de la France-Afrique militariste et ambiguë au profit de la promotion de l’État de droit et d’un ordre du jour néolibéral, recherche de nouvelles légitimités, Organisation internationale de la francophonie (oif) misant davantage maintenant sur l’influence politique.

La question est de savoir si les expériences francophones peuvent fournir ou non une perspective comparative capable de remettre en question les approches théoriques et les différents débats, d’autant plus que le passé colonial a une influence importante sur la façon de lire les interventions internationales, surtout en Afrique.

Plusieurs auteurs vont s’atteler à cette tâche. Morin, Théoux-Bénoni et Zahar analysent la francophonisation du maintien de la paix en lien avec l’augmentation exponentielle du nombre de Casques bleus dans les pays francophones. Ramel examine les instruments et les institutions de l’oif et leur articulation avec celles de l’onu. Liégeois s’attache à l’évolution du maintien de la paix de la Belgique en zone francophone tandis que Koepf présente les problèmes en lien avec les opérations de paix sous l’égide de la France en Afrique francophone subsaharienne. Besancenot décrit dans son chapitre la difficile émergence d’une pratique hexagonale de la réforme du secteur de la sécurité (rss). Nous trouvons ensuite deux études de cas : celle de Simonen sur l’analyse de la justification de l’intervention du gouvernement français en Côte d’Ivoire et la mission de l’onu en Haïti vue dans une perspective postcoloniale (Moreno, Vianna Braya et Siman Gomes). L’ouvrage se termine par les traditionnelles « fiches » documentaires, mine d’information à très haute valeur pédagogique, à savoir une chronologie (janvier 2011 à août 2012) et de multiples tableaux statistiques (56 pages). Enfin, relevons tout l’intérêt d’un index en fin de volume.

Plusieurs éléments importants sont mis en avant dans les différentes contributions. D’une part, l’importance de la communication en langue régionale dans la réussite des opérations de maintien de la paix (forces armées, bureaucratie, population, culture et moeurs) aboutissant à ce que la connaissance du français soit l’un des critères de sélection des Casques bleus, avec « appropriation géoculturelle transversale » (par subsidiarité) dudit maintien de la paix par les acteurs francophones. D’autre part, l’oif, par son statut, ses instruments et son orientation normative, peut intervenir à tout moment dans une crise ou un conflit, y compris en prévention de celui-ci. Ce continuum a pour caractéristique de devoir être engagé sur demande officielle des protagonistes au conflit, mobilisant d’autres acteurs (maires, parlementaires, juristes) avec l’aide d’un système d’alerte précoce jusqu’à la pratique d’envoyés spéciaux. À cet égard, la contribution de Frédéric Ramel fournit des informations précises sur un domaine largement méconnu autour des potentialités et des difficultés de l’oif, vu comme un tiers fournissant un complément diplomatique, en particulier dans ses rapports (et partage des tâches) avec les autres organisations internationales.

Pour Michel Liégeois, il faut relativiser le bénéfice opérationnel escompté lors de l’envoi de soldats francophones dans les zones de déploiement. Prenant pour exemple la Belgique, vu comme pays « minofrancophone », l’auteur met en évidence l’influence limitée du facteur linguistique dans la conduite de la politique belge en matière de participation aux opérations de paix, d’autant que, même au sein des pays de l’oif, souvent seule une minorité maîtrise la langue de Molière. En d’autres termes, « l’appartenance à l’oif ne constitue pas un indicateur valide de connaissance de la langue française dans le contexte des opérations de paix ». En outre, l’envoi de militaires francophones dans des zones anciennement coloniales francophones peut poser problème, indépendamment de la proximité linguistique. Au final, la décision de s’engager dans une zone relève davantage des intérêts politiques que d’une appartenance à l’oif.

Relevons aussi l’analyse de Sophie Besancenot, qui traite de l’origine linguistique de la réforme du secteur de la sécurité (rss), cette dernière mettant en lien la sécurité et le développement, avec une mise en évidence des États dits fragiles. La question première a été de déterminer si la difficile institutionnalisation de la rss par la France pourrait provenir de sa méfiance envers son origine anglophone et envers l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde). En vérité, l’explication pourrait plutôt provenir de la faiblesse des institutions françaises à formuler une approche à l’échelle de l’administration du concept et où coexistent « sécurité » et « développement », les postures autour des « 3 D » (défense, diplomatie et développement) n’étant pas partagées par les acteurs les plus méfiants. Ces derniers, en particulier les organisations non gouvernementales (ong) humanitaires et de développement, n’auraient pas en France de rôle stratégique dans les réformes sur le secteur de la sécurité, à la différence par exemple de Saferworld ou d’International Crisis Group.

Ouvrage collectif très dense, riche en information et particulièrement nuancé dans ses différentes approches, le Guide du maintien de la paix 2013 rejoint, par sa qualité, les autres éditions annuelles, sa lecture étant indispensable à toute personne voulant maîtriser le champ complexe des opérations de paix dans ses différentes composantes.