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La réflexion que le professeur de finance du Royal Melbourne Institute of Technology Imad Moosa développe au fil de ce livre part du constat que les politiciens américains ne manquent pas une occasion d’accuser la Chine de manipuler sa devise, le yuan. La sous-évaluation du yuan serait le résultat d’une pratique volontaire et agressive de la part des autorités chinoises pour mieux positionner leur pays au sein du commerce mondial. Moosa accuse les économistes américains de droite de fournir des études biaisées, idéologiques et insuffisamment basées sur les faits et l’observation rigoureuse de la dynamique commerciale existant entre la Chine et les États-Unis. Le livre vise donc à pourfendre cette vision sur les politiques économiques chinoises en s’attaquant à ce que son auteur perçoit comme étant des mythes et qui méritent d’être confrontés aux faits à l’aide d’indicateurs crédibles. Il convient de souligner d’emblée que ce livre diffère du paradigme dominant en économie, et tout particulièrement en politique commerciale. L’attaque de Moosa contre les travaux de think tanks américains, dont l’influent Peterson Institute for International Economics basé à Washington, vise une remise en question de leur argument d’autorité, basé justement sur ce paradigme dominant.

Quels sont, selon Moosa, les mythes véhiculés au sujet de la Chine et qui sont à l’origine de l’élaboration de ce livre ? Ils sont nombreux. Outre la manipulation volontaire de leur devise, les Chinois seraient accusés d’accumuler des réserves de manière excessive, d’engranger trop d’économies et de dépenser insuffisamment, de violer les règles du Fonds monétaire international (fmi) et de l’Organisation mondiale du commerce (omc) et de causer des déséquilibres économiques mondiaux. À cela s’ajoute le reproche de nuire à l’économie mondiale en favorisant un développement de l’économie chinoise stimulé par l’exportation et de contribuer à causer une crise financière mondiale. De plus, il serait reproché aux politiques chinoises d’engendrer une augmentation des prix du pétrole et de procéder à l’achat massif d’entreprises mondiales. Ce comportement causerait un préjudice majeur à l’économie américaine, et par extension à l’économie mondiale.

Il est certain que les politiques chinoises dérangent et font régulièrement l’objet de critiques. Moosa prend clairement le parti de la Chine et vise à démontrer que ces accusations sont erronées. Selon lui, l’État chinois agit en toute légalité et ne fait qu’utiliser les leviers qui sont à sa disposition pour assurer le développement de son économie. En somme, il réfute toutes les affirmations selon lesquelles la Chine serait un mauvais citoyen mondial. Selon l’auteur, les politiques chinoises ne sont ni illégales, ni immorales. Il accuse les détracteurs de la Chine de lui reprocher des pratiques égoïstes et de chercher à amener les autorités chinoises à mettre en place des politiques plus altruistes. Moosa soutient que tout pays souverain peut mener les politiques macroéconomiques qu’il juge opportunes pour son économie. Ainsi, il réfute toute affirmation touchant la dévaluation du yuan, s’opposant aux auteurs américains qui estiment que le yuan est sous-évalué de l’ordre de 40 % par rapport au dollar américain et que les politiques chinoises visent à maintenir cette situation afin de continuer à inonder massivement le marché américain de produits chinois.

Plus de la moitié de l’ouvrage est consacrée à une analyse du système monétaire international. Soulignons que le retour sur l’histoire du système monétaire mondial est bien mené. Un chapitre porte sur les distorsions et l’instabilité excessive des taux de change. Un autre se penche sur les causes et les solutions aux questions de taux de change. Moosa étoffe son argumentaire dans un chapitre consacré aux raisons qui, selon lui, font en sorte qu’une réévaluation de la valeur du yuan ne soit ni souhaitable ni susceptible de fonctionner. Un chapitre porte sur la moralité et la légalité des politiques chinoises. Il tourne ensuite son attention vers les politiques américaines et vers le déficit commercial des États-Unis, définis comme étant un problème attribuable essentiellement à l’économie américaine. Moosa cite beaucoup la revue The Economist pour identifier les mythes et les attaques américaines et occidentales à l’égard des pratiques chinoises. Une longue réflexion sur l’utilité du célèbre indice Big Mac comme outil de comparaison de la valeur des devises est menée par Moosa. Selon lui, cet indice est erroné et ne permet pas de conclure à une manipulation du yuan. Il faut dire que cet indice relève plus du monde journalistique que des ouvrages économiques savants. Bien que des économistes mentionnent cet indice de comparaison du coût du hamburger Big Mac dans le monde, il ne faut pas oublier que cet indice de parité de pouvoir d’achat a été justement développé par The Economist. Moosa y accorde certainement trop d’importance.

Ce livre intéressera les chercheurs travaillant sur la Chine, les questions de politique commerciale et les États-Unis, mais risque de ne pas réussir à réfuter, à leurs yeux, la majorité des énoncés cités plus haut. En définitive, l’ouvrage a pour mérite de stimuler la réflexion concernant les pratiques mercantilistes chinoises et les positions américaines en matière de politique commerciale à l’endroit de la Chine. Il est possible que certains des reproches formulés par les économistes qui appartiennent au courant dominant soient exagérés et que les torts se trouvent partagés dans cette relation commerciale sino-américaine complexe, et c’est précisément pour cette raison qu’il aurait été pertinent de proposer un travail plus neutre.