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Neuf textes de qualité sur les rapports tendus entre les universitaires et les médias constituent ce volume, rapports vus – un peu – de l’intérieur et – beaucoup – de l’extérieur. Au moment où les médias peinent à surmonter les différentes crises qui les frappent, une analyse des conséquences de ces changements sur le rôle des intellectuels dans le processus d’information de la population est une entreprise originale, et il est heureux que les universitaires québécois s’interrogent sur le journalisme et les médias. Il n’est pas étonnant qu’ils le fassent à travers le prisme avec lequel ils sont le plus à l’aise, soit leur propre rôle au sein des médias et leurs rapports avec les journalistes. À ce titre, les expériences de certains universitaires, notamment celles de Sami Amoun et Corinne Gendron, peuvent instruire leurs collègues sur les pièges à éviter. Il est dommage, en revanche, que les attentes à l’égard des pratiques journalistiques semblent se niveler par le bas aussi vite que ces pratiques elles-mêmes le font, et qu’on vise davantage à s’y ajuster qu’à les contester.

Ainsi explique-t-on les difficiles rapports entre universitaires et journalistes par les contraintes auxquelles ces derniers sont soumis, comme si elles étaient inéluctables, presque naturelles. D’ailleurs, l’expression « mutations du journalisme », souvent utilisée, illustre bien cette position : les mutations ne sont pas présentées comme le résultat de décisions humaines, pourtant en cause dans ces changements de pratiques journalistiques, changements qui renforcent l’opposition entre un discours universitaire « compliqué » et un journalisme de plus en plus superficiel se contentant bien souvent d’une approche où « le témoignage » fait figure de vérité. À titre de simples citoyens, les universitaires devraient s’interroger sur les effets de ces transformations, sachant que les journalistes eux-mêmes sont critiques devant ces changements. Les universitaires devraient plutôt devenir leurs alliés, en tant que citoyens soumis à ces contraintes, au lieu d’entériner la situation.

Aux yeux de Corriveau et de Saint-Jean, d’ailleurs, ces contraintes sont des concessions mercantiles menant à des dérapages éthiques. Saint-Jean les replace avec bonheur dans leur contexte historique : il n’en a pas toujours été ainsi et, pourrions-nous ajouter, il n’en est pas ainsi partout dans le monde. Preuve de plus que le fonctionnement actuel du journalisme québécois est le résultat de décisions administratives guidées par les seuls intérêts économiques des entreprises qui le contrôlent. Nullement une fatalité.

Lacombe fait également la démonstration que des pratiques professionnelles « traditionnelles », soit pédagogiques et axées sur l’intérêt public, sont encore possibles, même si elles représentent un espace de plus en plus congru de la programmation des médias audiovisuels et même de la presse de référence. Ainsi croit-il que « l’indépendance de l’universitaire est plus grande que celle de tous les autres métiers, y compris le [s]ien ». Cette réflexion aussi est conjoncturelle. L’indépendance des journalistes et les exigences éthiques de la profession sont les seuls remparts contre la marchandisation de l’information, et d’autres pratiques permettraient de réserver une plus large place à la profondeur, à l’analyse, à la réflexion. Des pratiques grâce auxquelles il ne fait aucun doute que les universitaires seraient à la fois plus souvent invités par les médias et se trouveraient plus à l’aise dans le rôle qui leur est confié.

Cet ouvrage a l’immense intérêt de souligner la faiblesse du questionnement des universitaires sur l’information en général, sur le travail des journalistes et l’organisation de leur travail et sur leurs effets sur notre société. Ayons collectivement plus d’ambition pour les journalistes et les méthodes journalistiques !