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1. Introduction

Au Québec, l’enseignement au niveau collégial a pris le tournant des approches par compétence dès 1993 (Gouvernement du Québec, 1993). Il s’agissait notamment de renouveler la formation, d’ajuster les programmes en fonction du marché du travail et de mettre en oeuvre une véritable stratégie de réussite des études (Barbeau, 1995). Dès lors, les cégeps (acronyme de collèges d’enseignement général et professionnel) deviennent habilités à élaborer et à mettre en oeuvre leurs propres programmes d’études par compétences, grâce à une décentralisation d’une partie des responsabilités du ministère de l’Éducation vers les collèges. Conséquemment, à la suite de la mise en place de cette réforme, un changement de culture ayant un impact sur toutes les tâches de l’enseignant, dont l’évaluation des apprentissages, s’est imposé aux enseignants. Dorénavant, les pratiques pédagogiques ne peuvent plus être isolées des pratiques d’évaluation des apprentissages, et ces dernières devraient être vues non plus comme un moment distinct de l’enseignement, mais plutôt comme une interaction dynamique entre la démarche de l’enseignant et les apprentissages de l’étudiant. Cette interaction se caractérise notamment par une intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques et se situe dans un profond changement de vision et d’organisation.

Ces changements, issus des plus récentes politiques d’évaluation des apprentissages du ministère de l’Éducation du Québec (Gouvernement du Québec, 2003), soulignent l’importance du passage du paradigme de l’enseignement à celui de l’apprentissage. Ils accordent une place non négligeable à la régulation dans l’enseignement afin que l’évaluation se fasse en vue d’une contribution à la réussite éducative. Pour bien comprendre cet aspect, il faut savoir qu’au Québec, chaque cégep adopte et révise sa propre politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages (PIEA). Celle-ci présente les orientations de l’établissement en matière d’évaluation et encadre le processus d’évaluation des apprentissages. Les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages sont examinées de près par la Commission de l’évaluation de l’enseignement collégial (CÉEC) qui veille à garantir la qualité de l’évaluation, laquelle sert à sanctionner les études. De plus, comme l’enseignement et l’évaluation des apprentissages se font au quotidien, les enseignants doivent établir, pour chacun des cours qu’ils donnent, un plan de cours détaillé, parfois issu d’un plan-cadre qui vise à uniformiser une partie de l’enseignement à dispenser. Le plan de cours précise notamment le contenu notionnel et les modalités d’évaluation.

1.1 Problématique

L’évaluation des apprentissages est l’une des tâches les plus exigeantes du métier d’enseignant au collégial (Tardif, 2006). Dans certaines disciplines, les enseignants doivent évaluer et encadrer beaucoup d’étudiants, mais les enseignants en arts s’en tirent à bon compte, puisque la taille des groupes est souvent moyenne et parfois faible. En revanche, le processus d’évaluation en enseignement des arts est tout aussi complexe et suscite des questions spécifiques, notamment au sujet de la subjectivité des évaluateurs et des difficultés à évaluer adéquatement la créativité, la performance et le processus de création. La difficulté à obtenir, particulièrement dans le cas de la danse, des traces matérielles pour asseoir le jugement fait également l’objet de questionnements. De plus, dans la plupart des domaines artistiques, les contextes sont à la fois pratiques et théoriques : les apprentissages doivent se faire de façon concomitante et permettre aux étudiants de conjuguer des savoirs artisans et des savoirs théoriques (Gosselin, Camelo, Larocque et Corbeil, 2000 ; Gosselin et Le Coguiec, 2006). Ces questions de complexité, très présentes en arts, s’ajoutent aux exigences ministérielles quant à la visée intégratrice de l’évaluation des apprentissages, vue dorénavant comme une aide à l’apprentissage.

Ces obstacles ne sont pas nouveaux. Pourtant, malgré l’existence de plusieurs recherches en enseignement des arts au Québec (notamment Gagnon-Bourget, 2000, 2006 ; Gosselin, Potvin, Gingras et Murphy, 1998 ; Richard, 2005), leurs fruits atteignent davantage les enseignants des niveaux primaire et secondaire et, pour de multiples raisons, plus difficilement ceux des collèges (Leroux, 2010). La nature théorique de certaines études et le fait qu’elles comportent peu d’ancrage véritable dans la pratique enseignante au collégial peuvent expliquer partiellement ces difficultés de transfert d’un ordre d’enseignement à un autre (Lord, 1998). À ce sujet, il est intéressant de noter qu’au Québec, les sommes d’argent allouées en 2004-2005 aux enseignants-chercheurs en arts ne représentaient que 0,7 % de l’aide financière accordée dans tous les domaines de la recherche universitaire (Côté, 1997 ; Gouvernement du Québec, 2007). Certes, les enseignants d’arts disposent de beaucoup de documentation, mais celle-ci contient davantage des outils pédagogiques qu’une réflexion sur l’intégration de l’évaluation dans l’enseignement.

D’ailleurs, selon plusieurs auteurs (Bruneau, 1993 ; Corbo, 2006 ; Flibotte, 1987 ; Grégoire, 1987), les difficultés ressenties par les enseignants d’arts en matière d’évaluation des apprentissages mettent généralement en cause un sentiment de manque de compétence et un manque d’instrumentation et de soutien. Les problèmes reliés à l’arrimage des orientations gouvernementales aux pratiques évaluatives en classe et le manque de formation en évaluation des apprentissages ont des conséquences non négligeables sur les outils d’évaluation développés par les enseignants et sur la place qu’ils accordent à l’évaluation des apprentissages. Souvent, les modalités auxquelles recourent les formateurs ne constituent qu’une suite d’évaluations singulières qu’ils relient d’une façon subséquente l’une à l’autre (Tardif, 2006, p. 2). Ces façons de faire, couplées aux formations peu fréquentes en évaluation, constituent encore aujourd’hui des obstacles aux changements de vision demandés par les politiques et ne favorisent guère une compréhension approfondie des principes de l’intégration de l’évaluation dans la démarche pédagogique (Leroux, 2010).

C’est là que s’insère le bien-fondé de notre recherche qui est avant tout de documenter les pratiques d’évaluation des apprentissages en arts au collégial. En intervenant directement sur ces pratiques, nous pensons, à l’instar de Langevin et Bruneau (2000), que les enseignants aideront davantage les étudiants à devenir des acteurs réflexifs de premier plan et des agents producteurs d’apprentissages significatifs et transférables. Si les politiques d’évaluation des apprentissages proposent que celle-ci prépare l’étudiant à être évalué tout en le soutenant adéquatement dans la progression de ses acquis, notre projet propose, quant à lui, de préparer les enseignants à intégrer harmonieusement l’évaluation dans leur enseignement dans ce même but de soutien aux apprentissages.

1.2 Question de recherche

Notre problème de recherche repose conséquemment sur ces trois constats. La complexité à évaluer les apprentissages en arts, le peu de recherches dans ce domaine et le manque de formation en évaluation des enseignants de collèges modulent les pratiques évaluatives des enseignants et déterminent la place de l’évaluation dans leur démarche pédagogique. Notre principale question de recherche s’articule donc ainsi : Comment les enseignants de collège en arts plastiques et en danse contemporaine intègrent-ils l’évaluation des apprentissages dans leur démarche pédagogique ?

2. Contexte théorique

2.1 L’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages à l’enseignement

Les écrits contemporains en évaluation des apprentissages soulignent, souvent de manière isolée, différents principes qui sont sous-jacents à l’évaluation des compétences. Ces principes ont toutefois la particularité de supposer une intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques. Raîche, Cantin et Lalonde (2005) ainsi que Raîche (2006) ont tenté d’identifier et de regrouper ces différents principes selon une structure constituée de quatre grandes dimensions : apprentissage, authenticité, équité et intégration. Dans le cadre de notre recherche, nous avons porté notre attention uniquement sur la dernière dimension, l’intégration, que nous avons étudiée dans le contexte des arts plastiques et de la danse contemporaine au collégial.

Partiellement abordée par Rogiers (2001), l’intégration des pratiques évaluatives appelle des actions basées sur les trois aspects suivants : 1) intégrer les modalités d’évaluation à l’enseignement ; 2) viser à ce que les modalités d’évaluation soient intégrées les unes aux autres ; et 3) intégrer les modalités d’évaluation et les apprentissages au sein du programme d’études dans l’esprit d’une approche programme (Dorais, 1990 ; Raîche, Leduc, Meunier et Talbot, 2009).

2.1.1 Les modalités d’évaluation intégrées à l’enseignement

Cet aspect se trouve au coeur de la démarche de l’enseignant. Si ce dernier adopte la posture où enseigner signifie aider l’étudiant à réussir les tâches dévaluation et à le soutenir dans ses apprentissages, il devrait utiliser dans sa pratique l’évaluation comme un levier pour son enseignement. Dans ce projet de recherche, il s’agissait de voir comment l’enseignant intègre ses évaluations dans sa démarche pédagogique, en premier lieu par le biais de la planification : a-t-il planifié ses évaluations, et dans l’affirmative, comment l’a-t-il fait ? Nous faisons référence ici au développement des tâches d’évaluation, à leur cohérence avec le programme de formation et avec les politiques, à leurs adaptations au contexte de classe, etc. En deuxième lieu, comment l’enseignant communique-t-il avec ses étudiants ? Ceux-ci devraient connaître à l’avance les modalités et les critères d’évaluation, et bien comprendre ce qui est attendu d’eux lors de la réalisation de la tâche. Ils devraient également recevoir régulièrement de la rétroaction sur la progression de leurs apprentissages ainsi que sur leurs résultats. En troisième lieu, cet aspect de l’intégration tient compte de l’autonomie et de l’engagement de l’étudiant dans l’apprentissage : l’évaluation devrait être signifiante et motivante pour lui et faire en sorte qu’il soit actif tout au long de la séquence d’enseignement.

2.1.2 Les modalités d’évaluation intégrées les unes aux autres

Comme le mentionne Louis (2004), les approches pédagogiques qui ont cours actuellement dans les écoles québécoises ne favorisent pas suffisamment une articulation adéquate entre l’évaluation à fonction formative et celle à fonction sommative. La question de la relation entre ces deux formes d’évaluation est centrale pour l’intégration des pratiques. Le plan pédagogique devrait, selon Guy (2004), s’articuler autour d’une harmonisation des fonctions formative et sommative de l’évaluation plutôt qu’autour de leur dissociation. Penser le formatif non seulement pour informer l’étudiant sur la nature des apprentissages à faire, mais également pour le préparer au sommatif, rend plus efficace tout le processus pédagogique. Ainsi, il apparaît souhaitable de concevoir des tâches d’évaluation qui préparent à celles de fin de trimestre ou des tâches qui s’insèrent dans les suivantes à la manière des poupées russes, de façon à ce que chaque tâche aide à réussir la suivante (Raîche, 2006). Les exercices qui préparent aux tâches d’évaluation favorisent également une harmonisation du formatif et du sommatif et rend conséquemment le formatif signifiant pour l’étudiant. De plus, l’intégration des tâches d’évaluation les unes aux autres est facilitée par une utilisation judicieuse de l’autoévaluation et de la coévaluation. En offrant aux étudiants l’occasion de faire le point sur leurs apprentissages et de réfléchir sur les stratégies qu’ils adoptent en apprenant, l’autoévaluation et la coévaluation les amènent à mieux gérer leurs apprentissages et à se responsabiliser face aux tâches demandées (Louis, 2004). Avec les données issues de ces évaluations, l’enseignant peut planifier la tâche suivante en tenant compte des façons d’apprendre des étudiants. Il ajuste alors son enseignement en intégrant les tâches d’évaluation les unes aux autres, chacune étant au service d’une autre.

2.1.3 Les modalités d’évaluation des apprentissages intégrées au programme d’études

Cet aspect de l’intégration va au-delà de la seule salle de classe. Il concerne avant tout les notions de transfert des apprentissages et de l’authenticité des tâches d’évaluation, et il se met en place par une planification des apprentissages à faire en cohérence avec le programme d’études. Une telle vision suppose que les enseignants utilisent des tâches d’évaluation qui permettent à l’étudiant de faire des liens avec les autres cours du programme, de comprendre à quoi serviront les apprentissages dans les cours subséquents et de saisir la relation entre ce qu’il apprend en classe et un éventuel métier ou encore la vie quotidienne. Il s’agit aussi de veiller à ce que les équipes d’enseignants et leurs collaborateurs soient guidés par une idée directrice qui est de suivre et de favoriser la progression de chaque apprenant. En somme, dans l’intégration au programme d’études, l’évaluation des apprentissages est vue comme un levier et une source de motivation pour tous les acteurs concernés.

2.2 Écrits professionnels et gouvernementaux sur l’intégration

La préoccupation de l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques se retrouve notamment chez les décideurs et les responsables des systèmes éducatifs. Cette préoccupation n’est pas apparue spontanément, et on la voit se profiler depuis plusieurs années. Ainsi, déjà en 1979 (Gouvernement du Québec), le ministère de l’Éducation du Québec, dans son énoncé de politique et son plan d’action de l’époque, indique que par une mesure et une évaluation appropriées, il incombe à la commission scolaire (celle-ci gère les établissements scolaires publics du primaire et du secondaire), et plus particulièrement aux enseignants, de suivre les élèves, de déceler leurs aptitudes, leurs difficultés et de favoriser leurs apprentissages. On voit déjà poindre la préoccupation de l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques, même si à cette époque la tendance est beaucoup plus de limiter l’évaluation à des fins certificatives, soit à la sanction des études, au détriment de l’évaluation formative (De Lorimier, 1988). La dernière politique d’évaluation des apprentissages du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (Gouvernement du Québec, 2003) reflète beaucoup plus clairement les tendances académiques récentes pertinentes pour le collégial ainsi que les principes énoncés précédemment.

Mentionnons aussi qu’en dehors de la province de Québec, une étude montre que ce sont parfois les enseignants qui font des pressions sur le gouvernement pour permettre une meilleure intégration des pratiques d’évaluation aux pratiques pédagogiques, arguant que l’approche centrée sur les résultats de leur gouvernement nuit à l’implantation de cette intégration et les forcent à enseigner spécifiquement pour les épreuves provinciales (Ontario secondary schools teachers Federation, 2003). Dans ce cas-ci, il semblerait donc que ce soit les intervenants en provenance des établissements scolaires qui prennent les devants.

2.3 L’évaluation des apprentissages en arts plastiques et en danse contemporaine

La documentation à propos de l’évaluation des apprentissages en arts se retrouve surtout au niveau primaire et secondaire, principalement à cause des exigences ministérielles (Gagnon-Bourget, 2006 ; Gosselin, 2006 ; Lavender, 1996 ; Smith-Autard, 1994). Bien que ces auteurs abordent l’évaluation en salle de classe aux niveaux scolaires précédant le collégial, certains de leurs travaux peuvent être utiles pour aborder les pratiques évaluatives au collégial. Toutefois, les objectifs de formation diffèrent. Chez l’enfant du primaire, il s’agit surtout de développer ses aptitudes à créer et à développer ce que Gosselin (2006, p. 18) appelle un équilibre émotivorationnel. Il ne s’agit pas d’en faire des artistes. Au collégial, la formation vise plutôt à ce que l’étudiant développe une capacité à créer, un sens critique et des habiletés techniques suffisantes pour participer à des activités artistiques telles que des spectacles. Évidemment, la formation est plus spécifique et prépare les jeunes adultes à une voie artistique.

2.3.1 L’évaluation en arts plastiques

Vingt-cinq des quarante-huit cégeps offrent un programme préuniversitaire en arts plastiques. La formation permet à l’étudiant de s’initier en atelier à l’utilisation de différents matériaux, à expérimenter la création à travers les formes, les dimensions et les couleurs, et à réfléchir au sens de sa démarche pour arriver, éventuellement, à se définir en tant qu’artiste. Les programmes visent donc à développer la créativité de l’étudiant, qui se caractérise par la curiosité, l’esprit de recherche et le sens de l’esthétique et de la critique. Tout au long de son parcours, l’étudiant est appelé à produire des oeuvres d’art et un portfolio et à inscrire son travail en regard des grandes tendances de l’art contemporain. Les compétences s’échelonnent de la reproduction de procédés techniques à la réalisation et à la diffusion d’une oeuvre personnelle, en passant par l’interprétation du monde sensible et la reconnaissance des oeuvres à différentes époques.

Il faut noter que les cours en arts plastiques sont parfois techniques, parfois théoriques et parfois artistiques. Rappelons que, jusqu’en 1964, les cours de dessin se donnent principalement dans les écoles des beaux-arts, en atelier, et qu’on évalue surtout le produit fini. Les objectifs pédagogiques visent alors la maîtrise des moyens d’expression liés à l’épanouissement de la personnalité. Lorsque ces écoles s’intègrent au nouveau système d’enseignement collégial et universitaire, implanté dans les années 1960, il s’agit moins de former des artistes que de développer la créativité des étudiants, ce qui a un impact sur les manières d’évaluer. De plus, l’enseignement des arts devient une discipline de pointe : beaucoup d’emplois pour les enseignants d’arts sont créés en peu de temps et le cours de pédagogie artistique reçoit une reconnaissance officielle grâce au brevet spécialisé dans l’enseignement des arts plastiques (Couture, Joyal, Landry, Lemerise, Lussier et Wallot, 1980). En même temps que les objectifs des cours deviennent plus spécifiques, l’évaluation des apprentissages s’oriente vers l’expérience créatrice et l’intention artistique. De nos jours, dans les collèges québécois, l’évaluation en arts plastiques porte surtout sur la démarche et la production ainsi que sur l’appréciation des oeuvres d’art (Gagnon-Bourget, 2006). En outre, les enseignants évaluent la capacité de l’étudiant à planifier son travail, à faire aboutir une réalisation avec ingéniosité et dextérité, à utiliser les supports numériques, à faire preuve de créativité, à exercer son esprit critique, à construire du sens à partir de documents, à s’exprimer d’une façon claire et argumentée, etc. Cela sans compter les aspects affectifs reliés à la création artistique comme l’ouverture, l’estime de soi, l’autocritique (Bruneau, 1993 ; Gagnon-Bourget, 2006 ; Tardif, 2006). Soulignons à ce sujet les travaux de Gaillot (2006, 2009) qui nous éclairent sur comment évaluer en arts en tenant compte des nouvelles approches évaluatives. Pour lui, un bon enseignant maîtrise l’évaluation des apprentissages. Lorsque ce dernier prend du recul par rapport aux contenus disciplinaires et arrive à voir les possibles de l’apprenant en termes de devenir et d’autonomie, il s’efforce de relever les circonstances où l’élève réussit. Gaillot (2009) suggère de faire plus d’évaluation positive et d’éviter de pratiquer l’évaluation pénalisante.

2.3.2 L’évaluation des apprentissages en danse contemporaine

Notons d’abord quelques particularités de l’évaluation des apprentissages en danse. Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’enseignement de la danse se fait surtout dans les écoles privées qui ne décernent aucun diplôme, à moins que l’élève n’ait reçu une formation sur une méthode reconnue (comme celles de Cechetti, Graham, Dalcroze, Delsarte, etc.). Puisque la relation maître-élève est primordiale et que les apprentissages se réalisent surtout par la voie de l’imitation, l’évaluation des apprentissages se fait surtout à l’aide de l’observation des capacités physiques, de l’expressivité, de la capacité du corps à mémoriser et du sens de l’effort. Le processus d’audition pour faire partie d’une troupe ou pour entrer dans une école qui se trouve déjà bien en place dans la culture de la danse. Il s’agit essentiellement d’évaluation à interprétation normative destinée à comparer les candidats entre eux. Par exemple, dans le but de sélectionner des candidats pour faire partie de la troupe des Grands Ballets Canadiens, Ludmilla Chiriaeff évaluait l’adhésion physique au style, la qualité de l’interprétation des oeuvres de répertoire, les lignes corporelles et la performance globale (Forget, 2006). L’évaluation des apprentissages se fait alors principalement en observant les élèves exécuter une danse. Cette pratique d’observation est encore très utilisée, autant dans les écoles privées qu’au primaire ou au collégial, mais elle doit dorénavant se transformer en un procédé didactique efficace pour aider l’étudiant à apprendre. Il lui faut cibler des tâches précises et correspondre à des objectifs bien définis (Bruneau et Turcotte, 1995).

Actuellement au Québec, cinq cégeps offrent une formation préuniversitaire en danse (Saint-Laurent, Vieux-Montréal, Montmorency, Sherbrooke, Drummondville), dont deux sont spécialisés en danse contemporaine. Les formations offertes permettent d’atteindre un niveau de maîtrise en danse suffisant pour être admis dans les programmes universitaires et dans les programmes professionnels menant à une carrière d’interprète, de chorégraphe ou d’enseignant. Il s’agit d’apprendre les techniques de la danse, l’interprétation et la création chorégraphique. Les cours sont donc : 1) techniques (mieux connus sous l’expression classe de danse) ; 2) théoriques – l’histoire, la somatique, l’anatomie, la gestion de carrière ; et 3) artistiques où la composition, l’interprétation et l’appréciation sont enseignées. Chaque année, la production d’un spectacle de fin d’études vient couronner le cheminement des étudiants. C’est l’occasion idéale de réaliser la synthèse des apprentissages acquis et d’en faire la démonstration en concevant, en produisant et en diffusant un spectacle complet.

Compte tenu de ce contexte, évaluer en danse est une tâche complexe qui s’appuie essentiellement sur le fait qu’elle est encore souvent enseignée comme un langage technique et physique et transmise par la tradition orale et d’un corps à un autre (Bruneau, 1993). À cela s’ajoute l’obligation, pour l’enseignant, de mettre en place un continuum de situations d’apprentissage favorisant l’expérimentation physique, l’exploration d’une gestuelle personnelle, l’exécution de danses de répertoire, l’interprétation, l’appréciation d’autres oeuvres chorégraphiques, etc. Une perspective formative devrait aussi être prise en compte, et la nécessité d’obtenir des traces matérielles pour que l’enseignant puisse étayer son jugement relativement au développement des compétences est devenue incontournable. Bien que Bruneau (1992 ; Bruneau et Turcotte, 1995) ait bien documenté les difficultés reliées à l’évaluation des apprentissages en danse, il n’en demeure pas moins qu’à l’échelle du Québec, seule une poignée de chercheurs s’intéressent à ce sujet, et ils le font généralement par le biais de l’éducation esthétique (Bruneau, 1993 ; Chaîné et Bruneau, 1998 ; Émond et Raymond, 2006 ; Lord, 1998).

2.4 Le manque de formation en évaluation des apprentissages

Préalablement à leur engagement dans un collège ou un cégep, la plupart des enseignants du collégial en arts plastiques et en danse contemporaine ont reçu peu ou pas de formation en évaluation des apprentissages. Nous n’avons d’ailleurs retracé aucune étude sur ce sujet. Cela peut s’expliquer en partie par le fait qu’ils sont avant tout des praticiens de leur discipline et par le fait que les conditions d’embauche n’exigent pas de formation spécifique en enseignement. Cette situation n’est d’ailleurs pas propre aux arts ni propre au Québec. Hämäläinen (2002) parle des enseignants de danse en Finlande, laissés à eux-mêmes dans le processus d’évaluation, et Guelpa (1997) rappelle qu’il est très peu question de formation des maîtres lorsque les arts sont au menu. Il n’est conséquemment pas surprenant de constater que pour enseigner en arts plastiques dans la plupart des collèges québécois, il faut : un diplôme universitaire en arts plastiques ou en enseignement des arts (le niveau maîtrise, c’est-à-dire cinq années universitaires, est un avantage) ; un dossier professionnel détaillé ou un portfolio ; une expérience polyvalente est parfois exigée ; une expérience en enseignement ou une formation en pédagogie est un atout, mais n’est pas obligatoire.

C’est donc dire qu’un artiste de haut calibre, reconnu par ses pairs, peut vraisemblablement se retrouver à évaluer des étudiants sans avoir aucune formation en évaluation des apprentissages. En danse contemporaine, seule une expérience pratique de qualité et approuvée par les pairs est exigée pour enseigner au collégial. Aucune formation spécifique n’existe au Québec pour enseigner la danse au collège. Certains enseignants d’arts (mais ce n’est pas uniquement le propre des arts) enseignent donc au collège en apprenant sur le tas comment évaluer les apprentissages et comment intégrer l’évaluation à leur enseignement. Même si six universités québécoises dispensent une formation en enseignement des arts plastiques aux ordres primaire et secondaire, aucune n’offre à ce jour de programme en enseignement des arts au collégial. Les besoins de formation en évaluation des apprentissages sont bien présents et les demandes grandissantes (Francoeur, 2001).

Bruneau (1993) expose d’ailleurs le malaise de certains enseignants de danse du primaire et du secondaire à évaluer leurs élèves, malgré leur brevet en enseignement de la danse. L’expertise de l’enseignant repose en grande partie sur sa formation pratique et sur sa connaissance du milieu de la danse : ses compétences pratiques présument de ses compétences pédagogiques (Bruneau, 1993, p. 695). Dans une perspective d’évaluation des apprentissages, l’enseignant en danse se voit dans l’obligation de rendre compte de l’atteinte d’objectifs, de témoigner de la progression des apprentissages, de reconnaître les principes d’appréciation, d’encadrer les élèves dans la réalisation de compositions dansées, etc. Bref, l’évaluation des apprentissages en classe de danse est complexe et fort différente de la réalité de la pratique artistique professionnelle. Il en va de même pour les enseignants de danse au cégep, souvent moins formés que ceux du primaire et du secondaire en évaluation des apprentissages.

2.5 Objectif spécifique de recherche

À la lumière de la recension des écrits, nous supposons que les enseignants d’arts plastiques et de danse au collégial intègrent l’évaluation des apprentissages à leur enseignement par la voie formative. Cette proposition s’appuie en partie sur le fait qu’en arts, les enseignants s’attardent tout autant aux processus et à la démarche créative qui ont donné lieu à l’oeuvre qu’au produit artistique. Cette remarque prend en compte le malaise, que plusieurs auteurs ont documenté, ressenti par les enseignants d’arts lors des évaluations des apprentissages, malaise dû à la contribution non négligeable de la subjectivité au processus d’évaluation et conséquence du manque de formation des enseignants. Ainsi, notre objectif principal de recherche s’est articulé de la façon suivante : décrire et analyser l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques des enseignants d’arts au niveau collégial.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

L’échantillon est formé d’enseignants travaillant dans les cégeps de Drummondville, Montmorency, Saint-Laurent, Sainte-Foy, Saint-Jérôme et Vieux-Montréal. Ces six cégeps ont été sélectionnés en fonction des critères suivants : ils offrent des programmes de formation dans les deux disciplines artistiques visées, ils représentent plusieurs régions du Québec et sont francophones. Les sujets enseignent à temps plein, comptent au moins cinq ans d’enseignement à leur actif, et leur domaine d’enseignement principal est l’une des deux disciplines visées. Ils ont été sélectionnés en fonction de leur disponibilité, de leur intérêt pour la recherche et des cours qu’ils donnent. En effet, ces cours devaient répondre aux critères suivants : être des cours pratiques et compter un minimum de 15 étudiants âgés d’au moins 18 ans. Pour répondre à nos questionnaires, nous souhaitions obtenir la collaboration d’au moins deux professeurs par département par cégep. Les étudiants inscrits à un seul des cours donnés par les enseignants participants de chacun des collèges ont également répondu aux deux questionnaires.

La collecte de données s’est faite auprès de 17 enseignants des six collèges, 4 en arts plastiques et 13 en danse contemporaine ainsi qu’auprès de 287 de leurs étudiants. Les tableaux 1 et 2 fournissent quelques caractéristiques de ces enseignants et de leur cégep.

Tableau 1

Nombre de participants à l’étude

Nombre de participants à l’étude

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Tableau 2

Caractéristiques des participants à l’étude

Caractéristiques des participants à l’étude

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3.2 Instrumentation

Notre approche méthodologique a été déterminée à partir d’une identification des éléments dans lesquels l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques est présente. Avec les responsables du projet dans les cégeps participants, nous avons convenu que les politiques et les documents d’évaluation élaborés par les enseignants étaient des sources de données utiles pour identifier ces éléments. Toutefois, comme ils ne reflètent pas nécessairement les pratiques en salle de classe, nous avons ajouté deux questionnaires afin d’accroître la fiabilité. Ainsi, trois sources constituent les données (les documents d’évaluation fournis par les enseignants n’ont pas été utilisés à titre de source de données, mais simplement comme documents de référence) :

  • les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages (PIEA) ;

  • un questionnaire sur l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages à l’enseignement administré à l’aide des iPods touch au printemps et à l’automne 2010 auprès des enseignants et de leurs étudiants ;

  • un questionnaire en ligne adapté d’une enquête réalisée par Blais, Laurier, Van der Maren, Gervais, Lévesque et Pelletier (1997) portant sur les pratiques évaluatives.

Les enseignants devaient répondre aux questionnaires en fonction d’un cours de création ou d’interprétation donné. Le premier questionnaire provient d’une étude à grande échelle menée par Raîche, Leduc, Meunier et Talbot (2009) qui s’appuyait sur quatre principes : l’apprentissage, l’équité, la planification et l’intégration. Ce questionnaire a été mis à l’épreuve sur un petit échantillon avant d’être administré à l’aide des iPods touch qui choisissaient aléatoirement une quarantaine d’items à partir d’une banque d’items formulés pour chacun de ces quatre principes. Le tableau 3 présente quelques exemples d’items portant sur l’intégration.

Le second questionnaire (Blais et al., 1997) a été administré en ligne, et l’adaptation s’est faite avec les manipulations suivantes : modifications de quelques questions pour refléter davantage les milieux artistiques ainsi que le contexte de création, et non-utilisation des questions concernant les instruments d’évaluation. Il est à noter que les enseignants nous ont fourni les documents pertinents en lien avec leurs pratiques d’évaluation ainsi que leur plan de cours pour un cours précis afin de nous permettre de bien comprendre le contexte de leur classe.

Tableau 3

Exemples d’items concernant l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques

Exemples d’items concernant l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques

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3.3 Méthode d’analyse des données

Notre méthode d’analyse combine des données quantitatives à des données de nature plus qualitative. Pour les données quantitatives issues des deux questionnaires, des analyses statistiques descriptives ont été effectuées (moyenne, pourcentage). Ces mêmes questionnaires contenaient aussi des items à réponses longues que nous avons analysées en compilant les données avant de les regrouper selon les aspects de l’intégration (intégrer les modalités d’évaluation à l’enseignement, les unes aux autres et au programme d’études). Pour analyser les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages, nous avons effectué des analyses de contenu en ayant également comme grille de lecture les aspects de l’intégration. Ceux-ci nous ont servi de points de repère pour cibler les éléments clés de l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques. Par la suite, il nous a été possible de créer un profil de l’intégration des enseignants en arts au collégial et d’élaborer des pistes d’action pour répondre à leurs besoins en formation ou en soutien pratique.

3.4 Considérations éthiques

Les cégeps participants ont été contactés par l’intermédiaire des directeurs des études ou des coordonnateurs de département, par téléphone ou par courriel en fonction des disciplines artistiques qu’ils offrent. Après avoir reçu toutes les autorisations (éthiques ou non) pour procéder à la recherche, les cégeps nous ont proposé des enseignants disposés à faire partie de l’étude. Ensuite, nous avons joint chacun de ces enseignants par téléphone et par écrit afin de l’informer sur la recherche et d’obtenir son consentement. Les enseignants ont eux-mêmes demandé aux étudiants s’ils souhaitaient participer à l’étude en répondant en classe à un questionnaire d’une durée de 15 minutes. Les avantages et les retombées de cette étude pour les pratiques évaluatives ont également été soulignés afin que les participants aient la pleine mesure de leur engagement. Les étudiants et leurs enseignants ont consenti à participer à l’étude directement sur les iPods touch, à la première page du questionnaire en ligne. Toutes les réponses du questionnaire programmé dans les iPods touch étaient codées. Cependant, pour le questionnaire en ligne, la chercheuse principale a eu accès aux données de chacun des enseignants puisqu’il leur avait été mentionné que le principal avantage pour eux était d’obtenir, s’ils le désiraient, le profil personnalisé de l’intégration de leurs pratiques d’évaluation des apprentissages à leurs pratiques pédagogiques. Enfin, les enseignants ont été informés des résultats de l’étude par le biais d’une lettre de remerciement jointe à leur profil d’intégration commenté par la chercheuse. Ils seront également tenus informés des publications scientifiques résultant de l’étude.

4. Résultats

4.1 Concernant les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages

Comme nous l’avons mentionné en introduction, chaque collège doit adopter sa propre politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages (PIEA) qui est examinée de près par la Commission de l’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC). À partir de règles prescrites par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), les cégeps élaborent une politique institutionnelle d’évaluation des apprentissages qui tient compte des spécificités de l’établissement et des priorités qu’il se donne.

L’analyse des politiques des cégeps participants montre que l’intégration à l’enseignement est plus présente que l’intégration des modalités les unes aux autres ou que l’intégration au programme d’études. La communication, la rétroaction, l’autonomie et la régulation sont les aspects les plus développés, en partie au détriment de la planification. Notons que presque toutes les politiques prescrivent que les enseignants doivent informer à l’avance les étudiants des critères d’évaluation. De plus en plus exigée par les politiques des établissements scolaires et par les instances qui veillent à leur application, l’obligation de communiquer adéquatement les résultats d’évaluation aux étudiants fait dorénavant partie de la vie courante des enseignants et elle revêt une importance majeure dans le cadre d’une approche par compétences.

L’intégration des modalités d’évaluation les unes aux autres est sommairement abordée dans ces mêmes politiques. En effet, aucune forme d’interaction n’est mentionnée et rien n’est spécifié quant aux exercices qui devraient préparer les étudiants aux tâches d’évaluation. Les politiques semblent respecter une certaine liberté académique et laissent la responsabilité de leur classe aux enseignants, ce qui apparaît cohérent avec une approche par compétences.

Les tableaux 4 et 5 présentent une partie de l’analyse des réponses au questionnaire en ligne et de l’analyse des politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages.

Tableau 4

Extrait des résultats du questionnaire en ligne sur les pratiques

Extrait des résultats du questionnaire en ligne sur les pratiques

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Tableau 5

Extrait des résultats des politiques d’évaluation des apprentissages pour l’aspect de l’intégration à l’enseignement

Extrait des résultats des politiques d’évaluation des apprentissages pour l’aspect de l’intégration à l’enseignement

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Les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages mentionnent toutes au moins un élément concernant les tâches qui préparent aux modalités d’évaluation finales. Qu’il s’agisse d’évaluation continue, d’une harmonisation ou d’une intégration claire entre les fonctions formative et sommative au moyen d’une concertation entre les enseignants, les mentions au sujet de l’intégration sont assez explicites. Quant à l’intégration des tâches d’évaluation au programme d’études, ce sont les liens avec les autres cours qui représentent le mieux cet aspect. Une seule des politiques consultées souligne concrètement une progression vers la compétence en situant les apprentissages des cours les uns par rapport aux autres. Finalement, aucun lien avec la vie quotidienne n’est prescrit dans ces politiques. Une seule mentionne que les évaluations doivent se rapprocher du contexte d’utilisation de la compétence et mérite ainsi d’être soulignée pour son souci de l’authenticité.

4.2 Concernant les pratiques et l’intégration (questionnaires)

L’analyse des réponses aux deux questionnaires permet de mentionner que les enseignants planifient leurs évaluations, que ce soit pour respecter les règles des politiques en place ou pour diversifier les moyens d’évaluer les apprentissages. Les enseignants se montrent également soucieux de bien communiquer les résultats de l’évaluation aux étudiants, oralement et par écrit, et de leur donner des rétroactions. Toutefois, ils collaborent peu avec leurs collègues lorsqu’il est question d’évaluation des apprentissages. L’utilisation de l’autoévaluation et de l’évaluation par les pairs est assez partagée parmi les répondants, puisque la moitié seulement dit avoir recours à ces modalités. Ces dernières sont d’actualité, et on notera qu’il semble y avoir encore beaucoup à faire pour qu’elles soient concrètement intégrées en salle de classe. Le comportement, la présence au cours et la participation active ne sont pas pris en considération dans la notation par une majorité d’enseignants.

La mémorisation, la compréhension, la capacité d’analyse, les habiletés de résolution de problèmes et l’esprit critique sont aussi fréquemment évalués par les enseignants. La production (l’oeuvre) et le parcours de création sont des modalités d’évaluation utilisées par les enseignants interrogés. Leur préoccupation à utiliser des modalités d’évaluation qui font appel à des habiletés de niveau supérieur est en lien avec le développement d’outils en vue d’assurer une progression des apprentissages et une adaptation des enseignements à cette dernière.

À la lumière de ces constats, nous pouvons conclure : 1) que les enseignants participants font la preuve d’une intégration de leurs pratiques d’évaluation des apprentissages à leur enseignement ; 2) qu’ils intègrent un peu les modalités d’évaluation les unes et aux autres ; et 3) qu’ils répondent à propos du transfert et de l’authenticité aux règles prescrites par les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages consultées. L’intégration des pratiques d’évaluation est donc présente de manière sporadique et elle se manifeste un peu partout dans l’activité pédagogique, à commencer par les politiques et jusque dans la préparation et la prestation de l’enseignement.

5. Discussion des résultats

Parmi les trois aspects de l’intégration – intégrer les modalités d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques, intégrer les modalités les unes aux autres et les intégrer au programme d’études – le premier semble être le plus facile à réaliser par les enseignants participants. Comme les politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages s’inscrivent dans la mouvance des approches par compétences, il n’est pas étonnant de constater que certaines de leurs dispositions sont en lien avec la pratique pédagogique. En effet, dans les six politiques que nous avons consultées, une par cégep, nous retrouvons le fait que l’évaluation des apprentissages est partie intégrante du processus d’enseignement et qu’elle est un acte pédagogique permettant aux enseignants ainsi qu’aux étudiants de se renseigner sur l’état de l’intégration des compétences afin d’ajuster les actions d’enseignement, d’encadrement et d’apprentissage. L’évaluation des apprentissages est perçue dans ces politiques comme un processus continu et interactif entre l’enseignant et l’étudiant. De par leur nature, elles encadrent les pratiques des enseignants et constituent un point d’ancrage pour favoriser l’intégration de l’évaluation à l’enseignement au moyen de la planification, de la régulation et de la communication des résultats d’évaluation aux étudiants. Les deux autres aspects de l’intégration sont moins présents dans les politiques consultées, mais la préoccupation à harmoniser davantage les fonctions formative et sommative de l’évaluation demeure bien réelle. Il faut dire que pour le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, depuis longtemps, l’évaluation des apprentissages est un acte pédagogique s’insérant dans un processus de développement et d’ajustement des apprentissages, plutôt que dans un mécanisme de sélection et d’élimination des élèves (De Lorimier, 1988). Toutefois, il reste beaucoup à faire pour que l’intégration des pratiques évaluatives aux pratiques pédagogiques se fasse sur une base quotidienne et en un tout harmonieux.

Les tendances académiques récentes ainsi que les principes énoncés dans cette recherche se retrouvent assez clairement dans les politiques gouvernementales. Par exemple, les fonctions et le processus énoncés dans ces politiques qui concernent l’évaluation des apprentissages mettent en relief, entre autres : 1) la nécessité de favoriser le paradigme de l’apprentissage ; 2) l’importance de la régulation de la démarche de l’élève à celle de l’enseignant ; et 3) le fait que les deux fonctions principales de l’évaluation sont l’aide à l’apprentissage et la reconnaissance des compétences. De plus, l’évaluation y est vue comme une contribution à la réussite éducative. Ces dimensions s’insèrent dans les aspects de l’intégration et nos résultats, notamment l’analyse des politiques institutionnelles d’évaluation des apprentissages et celle des documents d’évaluation, sont cohérentes avec cet arrimage des pratiques prescrit par les politiques.

Émond et Raymond (2006) constatent que, face aux multiples combats que les enseignants doivent mener simplement pour conserver leur fragile programme de danse, optionnel au secondaire, ils cèdent à la tentation de ne pas changer leurs pratiques d’évaluation des apprentissages fortement ancrées dans le paradigme de l’enseignement. Les réformes scolaires au Québec suscitent un changement de vision important pour les enseignants et pour tous les intervenants en éducation : ils n’évaluent plus seulement les talents techniques des élèves, mais aussi leurs réponses aux attentes, leurs démarches dans la résolution de problèmes, leur engagement dans la tâche d’évaluation, etc. Autrement dit, le passage vers le paradigme de l’apprentissage se fait avec certaines résistances chez les enseignants en danse au secondaire. Ceux-ci doivent considérer l’évaluation différemment et voir en elle une condition nécessaire à l’apprentissage (Sarrasin, 2006). Au contraire, chez les enseignants du collégial, notre étude révèle une ouverture et une volonté de leur part à adapter leurs pratiques évaluatives aux nouvelles réalités et exigences institutionnelles tout en tenant compte de multiples facteurs comme l’hétérogénéité des classes (notamment en ce qui a trait au niveau de maîtrise du mouvement) et aux connaissances inégales des étudiants sur la danse.

Avant de conclure, soulignons quelques limites de l’étude. La première concerne la sélection aléatoire des items par les iPods touch qui a considérablement diminué la quantité des données obtenues portant uniquement sur l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages à l’enseignement et qui a rendu impossible une analyse aussi complète que celle que nous aurions désirée. Pour obtenir des données plus informatives, il faudrait effectuer de nouveau une collecte de données uniquement avec les items portant sur l’intégration des pratiques d’évaluation. La deuxième limite correspond au fait que les deux questionnaires utilisés nous ont fourni des perceptions de la part des enseignants et des étudiants qu’il faut interpréter avec prudence. Par ailleurs, l’échantillon comportait peu d’enseignants. Ce problème d’échantillonnage s’explique en partie par des difficultés à recruter suffisamment d’enseignants dans les programmes visés, malgré de multiples tentatives, et par des contraintes de temps (le projet étant assujetti aux conditions des bourses postdoctorales). Les résultats doivent conséquemment être toujours contextualisés.

Enfin, nous constatons par notre étude que l’évaluation des apprentissages en arts plastiques et en danse pose certains problèmes d’ordre technique et artistique. Compte tenu du manque de formation en début de carrière et de la grande part de subjectivité, les enseignants s’en sortent plutôt bien en ce qui concerne l’intégration des tâches d’évaluation. Ce constat est établi à partir d’un croisement entre nos résultats provenant du questionnaire sur les pratiques et les documents d’évaluation fournis par les enseignants (utilisés comme données secondaires). L’élaboration et la remise des grilles d’évaluation aux étudiants, la précision des consignes de réalisation et la présence d’une variété d’outils d’évaluation montrent un souci de transparence et d’objectivité de la part des enseignants d’arts. Il faut noter enfin que les conceptions de l’évaluation des apprentissages, les façons de la planifier, de la développer et de l’appliquer font partie intégrante de leurs pratiques courantes depuis longtemps et comportent des similitudes avec les approches par compétences et avec les principes mis de l’avant par le passage vers le paradigme de l’apprentissage.

6. Conclusion

L’objectif principal de la présente recherche était de décrire et d’analyser l’intégration des pratiques d’évaluation des apprentissages aux pratiques pédagogiques chez les enseignants d’arts au niveau collégial. Nous supposions au départ que les enseignants en arts utilisent la fonction formative de l’évaluation comme un moyen d’intégration et que le manque de formation en évaluation des apprentissages induit parfois des malaises dans les manières d’évaluer les apprentissages.

L’utilisation de l’évaluation à fonction formative par les enseignants est notable : en témoignent, d’une part, leurs documents d’évaluation et, d’autre part, l’intégration à l’enseignement, qui touche beaucoup à la fonction formative, soit l’aspect le plus présent dans leurs pratiques. Les enseignants s’accommodent bien en effet du caractère progressif et constructif de ce type d’évaluation, car, somme toute, évaluer, c’est échanger et partager une visée sans qu’il y ait pour autant continuellement une cible à atteindre (Gaillot, 2009). Ponctuellement, les évaluations à interprétation certificative viennent répondre à cette exigence de sanctionner. La mission des enseignants, particulièrement en arts, est aussi de s’ouvrir à l’imprévu lors des évaluations à fonction formative et d’accompagner l’étudiant dans toute démarche d’apprentissage, ce qui en fait une opération complexe et permanente.

À la lumière des résultats, deux nouvelles avenues de recherche seraient à explorer ultérieurement. En premier lieu, le questionnaire sur l’intégration des pratiques pourrait être revu et administré dans sa forme individuelle, c’est-à-dire uniquement avec les questions qui touchent l’intégration et sans que les iPods touch ne choisissent aléatoirement les questions. Pour ce faire, nous pourrions recruter de nouveaux professeurs pour élargir notre échantillon, particulièrement en arts plastiques, et ainsi obtenir un portrait plus fidèle des pratiques. En second lieu, il serait également pertinent de mesurer avec précision la formation en évaluation des apprentissages afin de déterminer si les activités de formation qui sont offertes sont adéquates ou afin de développer des formations ciblées sur les problématiques en arts.

Malgré les contraintes, cette étude essentiellement descriptive nous a permis de documenter l’évaluation des apprentissages en arts plastiques et en danse contemporaine chez les enseignants de collège. L’utilité d’une telle démarche repose sur une insertion des résultats dans les programmes de formation d’enseignants au postsecondaire, déjà effectuée au Programme court en pédagogie de l’enseignement supérieur de l’Université du Québec à Montréal. En examinant les pratiques d’évaluation des enseignants en arts, souvent délaissées par le milieu de la recherche, notre étude propose une démarche à visée intégratrice bien ancrée dans l’actualité des réformes éducatives et impliquant tout autant les enseignants que les formateurs à l’enseignement supérieur.