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1. Introduction et problématique

La Suisse, comme d’autres pays d’Europe, attire de plus en plus d’étudiants des deux sexes, ressortissants du sud qui souhaitent approfondir leurs connaissances dans les universités et les hautes écoles spécialisées (HES), comme le montrent Bolzman, Guissé et Fernandez (2006). Les étudiants africains sont toutefois minoritaires (Office fédéral de la statistique, 2005) et se trouvent confrontés à des difficultés d’ordre administratif (permis de séjour), financier (manque de bourses d’études), socio-culturel (adaptation au pays d’accueil, réseau social) qui entravent leur processus de formation. Cet article se base sur les résultats d’une recherche menée auprès des étudiants d’Afrique subsaharienne dont l’objectif était d’analyser leurs conditions d’apprentissage et d’intégration dans la Haute École Spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO), dans les domaines de santé et de travail social. Ouvert en 1998, cet établissement est considéré comme une université de métier qui offre des formations et des prestations de services dans six grands domaines de formation : Ingénierie et architecture, Économie et services, Design et arts visuels, Santé, Travail social, Musique et arts de la scène. Notre recherche a été menée dans les hautes écoles spécialisées santé-social suivantes : Haute École de santé Arc de Delémont/Neuchâtel, Haute École cantonale vaudoise de la santé, Haute École de santé La Source, Haute École de travail social de Genève, Haute École de santé Genève – radiologie médicale.

La problématique de départ de notre recherche a été motivée par des plaintes informelles des enseignants reliées à leur travail pédagogique avec les étudiants d’Afrique subsaharienne. Dans les écoles de soins infirmiers, les enseignants avaient remarqué, d’une part, que les étudiants africains subsahariens rencontraient régulièrement des problèmes d’apprentissage auxquels les premiers avaient des difficultés à répondre et, d’autre part, que tous les moyens habituels mis en place pour les étudiants autochtones, efficaces la plupart du temps, n’étaient pas adaptés aux styles d’apprentissage des étudiants africains qui avaient suivi leur cursus scolaire dans leurs pays d’origine. Ces remarques se sont vues confirmer par un mini-sondage auprès de différents enseignants et étudiants dans une école de santé. Les explications données par ces enseignants étaient d’ordre culturel. Ils l’exprimaient en ces termes : C’est culturel, ils n’ont pas la même formation dans leur pays, ils ne s’adaptent pas. Pour les étudiants, les raisons évoquées étaient d’ordre communicationnel et relationnel : L’enseignant ne me comprend pas, il n’entre pas dans ma façon de m’exprimer, de présenter les choses, il est raciste, il me dévalorise. De telles explications ne permettaient donc pas de comprendre et d’analyser les obstacles réels à l’apprentissage afin de mettre d’autres moyens en place et de dépasser ces difficultés.

Ainsi, la recherche visait à répondre à la question principale suivante : À quelles difficultés ou facilités d’apprentissage les étudiants d’Afrique subsaharienne se trouvent-ils confrontés dans une formation professionnelle suisse de santé et de travail social où l’humain est au centre de la formation ?

Sur le plan scientifique, la recherche se proposait d’apporter, en articulant des théories de l’interculturalisation, de la communication interculturelle et de l’apprentissage de l’adulte, une contribution au développement des connaissances scientifiques dans le domaine d’apprentissage et d’intégration des étudiants étrangers. C’est ce qui constitue la particularité de notre réflexion, car ces théories ont rarement été confrontées, articulées sur la problématique des adultes en formation. Mieux comprendre le concept d’interculturalisation, à partir des données de l’enquête sur terrain, nous est apparu indispensable pour son application dans les institutions de formation. Aussi, les étudiants africains sont dans une situation minoritaire et doivent s’adapter à un système éducatif suisse complexe par rapport à celui de leur pays d’origine. Comme le précisent Eckmann et Bolzman (2002, p. 41), La perspective d’interculturalisation articule les notions de diversité et d’égalité de chances dans la formation à tous les niveaux.

Ce qui suit se divise en quatre parties : la première est consacrée au contexte théorique où sont définis les concepts clés en rapport avec le sujet. La deuxième partie portant sur la méthodologie présente les sujets de l’échantillon et les méthodes de recueil des données. La troisième partie consiste à analyser les données de l’enquête. Enfin, la quatrième partie permet de discuter des résultats.

2. Contexte théorique

2.1 Le concept d’acculturation

C’est en 1880 que Powell, anthropologue américain, propose le concept d’acculturation pour désigner la transformation des modes de vie et de pensée des immigrants au contact de la société américaine. En 1936, Redfield, Linton et Herskovits ont clarifié ce concept en en donnant la définition suivante : L’acculturation est l’ensemble des phénomènes qui résultent d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles (patterns) culturels initiaux de l’un ou des deux groupes (Redfield, Linton et Herskovits, 1936 : cité par Cuche, 1996, p. 54).

Dans les années 1960, il y a eu extension du concept d’acculturation à la dimension psychologique, d’où le terme d’acculturation psychologique (Graves, 1967). En psychologie interculturelle, Berry (1976) a étudié le processus d’acculturation en situation de migration et de contact entre deux groupes culturels différents : l’un dit dominant et l’autre non dominant. Dans cette situation, il montre que l’acculturation s’accompagne de changements physiques (nouveau milieu, nouvel habitat, etc.), de changements biologiques (nouvelle alimentation, nouvelles maladies, métissage, etc.), de changements politiques (nouvelles lois, devoirs et droits), de changements économiques (emploi salarié, etc.), de changements culturels (langue, religion) et de changements sociaux (nouvelles relations interindividuelles et intergroupales).

Le concept d’acculturation peut cependant être élargi au contact indirect entre les cultures à travers le développement des médias, la mondialisation de l’information et de l’économie et la modernisation des sociétés dites traditionnelles à la suite de l’introduction des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

D’un point de vue psychologique, le processus d’acculturation touche l’identité personnelle, les attitudes, les habiletés, les motivations (Berry, 1980). Certains de ces changements ont des conséquences positives (l’amélioration des conditions économiques). D’autres se manifestent sous forme de problèmes psychologiques : confusion identitaire, stress d’acculturation qui se manifeste par des problèmes de santé mentale (dépression, angoisse, etc.). Dans notre recherche, nous nous sommes basés sur le cadre d’analyse de l’acculturation plus dynamique et interactif repris par Berry en 1997. L’acculturation est envisagée comme un processus impliquant plusieurs autres variables comme le montre la figure suivante :

Figure 1

Cadre d’analyse de l’acculturation (adapté de Berry, 1997)

Cadre d’analyse de l’acculturation (adapté de Berry, 1997)

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Le cadre d’analyse de l’acculturation proposé par Berry (1997) prend en compte le contexte sociopolitique, économique et culturel aussi bien du pays d’origine que celui du pays d’accueil dans lequel l’immigré a vécu. La situation sociopolitique, économique et culturelle du pays d’origine peut avoir un impact sur le processus d’acculturation de la personne dans le pays d’accueil. Ce processus peut être influencé par la situation de migration (migration forcée : guerre, violence politique…, migration volontaire : études, raisons professionnelles) dans laquelle l’individu se trouve. Dans le pays d’accueil, le contexte sociopolitique fait allusion aux conditions d’accueil des immigrés, notamment en ce qui concerne l’octroi ou le refus de l’asile quand il s’agit des réfugiés et l’insertion socioprofessionnelle et culturelle (emploi, participation aux activités culturelles, appui social).

Sur le plan individuel, le cadre d’analyse de l’acculturation insiste sur le vécu, l’histoire et l’expérience personnels de l’immigré dans le pays d’origine (âge, sexe, éducation, statut social, distance culturelle : langue, religion), les caractéristiques psychologiques (motivations pour la migration, attentes, traits de personnalité) ainsi que sur les facteurs modérateurs pendant l’acculturation dans le pays d’accueil (durée, attitudes et comportements, stratégies et ressources, appui social, attitudes de la société : préjugés et discrimination). Dans l’étude du processus d’acculturation des étudiants d’Afrique subsaharienne, nous avons tenu compte des variables mentionnées dans le cadre théorique de Berry et les avons abordées selon les points de vue suivants : environnemental et social, personnel, et selon le processus d’apprentissage des étudiants dans la formation initiale et sur les lieux de stage.

2.2 Adaptation psychologique, socioculturelle et scolaire des étudiants étrangers

L’adaptation psychologique, socioculturelle et scolaire des étudiants étrangers a fait l’objet de certaines recherches francophones et anglophones. Selon Oberg (1958) et Reinicke (1986 : cité par Habimana et Cazabon, 2005, p. 204), les étudiants étrangers passent par différents niveaux d’adaptation suivant une courbe en forme de W, constituée d’une période de lune de miel avec le nouvel environnement, suivie d’un choc culturel, d’un ajustement graduel à la culture d’accueil, d’un choc du retour et, enfin, d’une réadaptation à la culture du pays d’origine. Le choc culturel peut être vécu sur quatre plans : environnemental, universitaire, social et personnel par l’étudiant étranger. Sur le plan des études universitaires, l’étudiant étranger vit le stress engendré par le fait de devoir se familiariser avec un système complexe, qui nécessite des ajustements rapides. Sur le plan social, il s’agit des problèmes relationnels aussi bien avec la communauté universitaire – y compris avec d’autres étudiants étrangers – qu’avec la communauté hors campus. Les problèmes personnels sont d’ordre financier, politique, affectif et familial. En se référant à l’analyse clinique de deux cas d’étudiants étrangers pris en charge par un service de consultation psychologique de l’université, Habimana et Cazabon (2005, p. 205) montrent l’existence des symptômes de détresse psychique chez certains étudiants étrangers. Les auteurs soulignent que ces problèmes restent peu étudiés, puisque les recherches se limitent principalement aux difficultés d’adaptation des étudiants étrangers.

En France, une recension des écrits de recherche sur l’acculturation des étudiants étrangers met en évidence trois tendances qui se dégagent des recherches analysées par Coulon et Paivandi (2003, p. 39) :

  • Les auteurs qui s’intéressent aux difficultés ou aux troubles psychologiques occasionnés par cette expérience migratoire estudiantine, mais aussi aux ressources mobilisées par les étudiants étrangers (Latreche, 1999 ; Murphy-Lejeune, 2000).

  • Les auteurs qui abordent le sens des échanges et des liens sociaux des étudiants étrangers dans le pays d’accueil, leur vécu et leur expérience, la façon dont ils vivent ces différences et ruptures, la séparation et l’éloignement familial, l’acculturation produite par des contacts prolongés et multiformes avec une autre culture, un autre mode de vie, un système de valeurs différent (Borgogno et Vollenweider-Andresen, 1998 ; Martins, 1974).

  • Les recherches qui montrent les aspects positifs de l’acculturation des étudiants étrangers (Koumba, 1992 ; Paivandi, 1999). Koumba (1992) qui a mené une recherche sur les étudiants gabonais en France indique que l’expérience française permet aux étudiants d’être confrontés aux normes de deux sociétés ayant pour eux valeur de référence. Cette situation engendre chez ces derniers une dynamique personnelle et sociale à l’origine des changements sur le plan identitaire.

Au sujet des recherches portant sur les difficultés psychologiques dues à l’expérience migratoire estudiantine, nous pouvons aussi mentionner une recherche récente de Brisset, Safdar, Lewis et Sabatier (2010). Ces auteurs ont comparé l’adaptation psychologique et socioculturelle d’étudiants universitaires vietnamiens en France et d’étudiants français faisant une année préparatoire d’entrée à l’université. Des questionnaires et des échelles pour mesurer l’adaptation psychologique et culturelle, l’anxiété, l’attachement et le support social ont été utilisés. Les résultats de la recherche montrent que l’anxiété et l’attachement sont des facteurs qui interviennent dans le processus d’adaptation psychologique aussi bien des étudiants vietnamiens que français. Cependant, il existe des différences importantes dans le processus d’adaptation entre les étudiants vietnamiens et les étudiants français, différences liées aux contextes socioculturels du pays d’origine de chaque groupe étudié. Ainsi, par exemple, dans le processus d’adaptation, les étudiants vietnamiens trouvent plus de ressources sociales dans la communauté de leurs compatriotes étudiants que dans celle des étudiants français.

En Australie, l’étude de Leung (2001) examine l’adaptation psychologique d’étudiants étrangers (chinois qui ne sont pas nés en Australie), d’étudiants migrants de deuxième génération (nés en Australie) d’origine européenne et asiatique ainsi que d’étudiants anglo-australiens. Les résultats indiquent des différences entre les groupes quant à la solitude, le sentiment d’efficacité sur le plan personnel, et la satisfaction sur le plan des études. Chez les étudiants étrangers, le sentiment de contrôle joue un rôle important dans leur adaptation psychologique et universitaire tandis que chez les étudiants immigrants/étrangers, c’est plutôt le soutien social. L’auteur suggère un soutien éducatif des étudiants étrangers qui tienne compte des difficultés spécifiques de chaque groupe.

En Suisse, peu d’études ont porté sur les étudiants étrangers. Nous pouvons cependant mentionner une recherche de Bolzman et Guissé (2010) qui ont abordé la précarité socioéconomique des étudiants étrangers du sud (Africains et Latino-Américains) en formation dans la Haute École Spécialisée de Suisse Occidentale (cantons francophones de Genève et de Vaud), plus précisément dans les filières de santé et d’ingénieurs qui accueillent le plus grand nombre d’étudiants étrangers. Soixante-quatre étudiants interviewés ont évoqué non seulement des obstacles à la mobilité pour venir étudier (difficultés d’obtention d’un visa) en Suisse, mais aussi les conditions de vie précaires dans lesquelles ils vivent dans le pays des études. La précarité de ces étudiants est due à plusieurs facteurs, notamment à des problèmes financiers et administratifs comme le renouvellement du permis de séjour conditionné par la réussite des études.

Les différentes recherches sur les étudiants étrangers que nous avons mentionnées se limitent à l’adaptation psychologique et socioculturelle sans vraiment approfondir ses conséquences sur l’apprentissage et, plus particulièrement, sur le rapport au savoir des étudiants étrangers. Dans la plupart des cas, ces recherches portent sur les étudiants universitaires suivant une formation académique et non sur les étudiants en formation professionnelle confrontés à des situations pratiques et aux interactions avec les usagers sur les lieux de stage. Par ailleurs, elles se centrent seulement sur les étudiants et ne considèrent pas les autres acteurs qui sont les enseignants, les conseillers d’études et les responsables de stage. Notre étude s’intéresse aux étudiants d’Afrique subsaharienne, minoritaires dans une formation professionnelle en santé-social, afin de répondre aux questions secondaires suivantes :

Qu’est-ce qui pourrait être mis en place afin de diminuer l’écart entre les représentations de la formation des étudiants africains lorsqu’ils viennent faire leurs études en Suisse, et la réalité parfois tout autre qu’ils découvrent petit à petit ?

Quels sont les moyens pédagogiques, didactiques à mettre en place dans l’espace de formation (structure, cursus, contenus…) afin d’avoir une action efficace permettant de dépasser les difficultés scolaires des étudiants africains ?

L’analyse du processus d’apprentissage des étudiants d’Afrique subsaharienne dans les hautes écoles spécialisées permet une meilleure compréhension de ce qui se passe dans tout apprentissage ordinaire avec des personnes d’autres cultures. Le choix s’est porté sur les étudiants africains, non pas pour stigmatiser cette population mais, bien au contraire, dans le but de fournir des outils, des instruments permettant de surmonter des obstacles auxquels les étudiants étrangers se trouvent confrontés.

2.3 L’apprentissage

La définition classique de l’apprentissage est le processus d’acquisition de pratiques, de connaissances, de compétences, d’attitudes ou de valeurs culturelles par différentes méthodes telles que l’observation, l’imitation, l’essai, la répétition, la présentation. Dans notre recherche, nous avons étudié le processus d’apprentissage des étudiants africains en mettant l’accent sur le rapport au savoir défini comme : l’ensemble d’images, d’attentes et de jugements qui portent à la fois sur le sens et la fonction sociale du savoir et de l’école, sur la discipline enseignée, sur la situation d’apprentissage et sur soi-même (Charlot, 2002, p. 93).

Le rapport au savoir comprend trois formes de rapport : le rapport épistémique, le rapport identitaire et le rapport social (Charlot, 2002). Le rapport épistémique concerne l’acte d’apprendre, apprendre des savoirs, savoir utiliser des objets ou apprendre à maîtriser une relation comme la relation à soi ou la relation aux autres. Le rapport identitaire se réfère à l’histoire de l’individu. Apprendre fait sens pour un sujet par rapport à son histoire, à ses attentes, à ses projets, à ses repères, à sa conception de la vie, à ses rapports aux autres, à l’image qu’il a de lui-même et à l’image qu’il veut donner aux autres. C’est cette identité qui permet une cohérence n’excluant ni transformations, ni contradictions ; ce sont des repères, des représentations qui permettent d’organiser le monde.

Pour ce qui est du rapport social, le sujet se trouve dans une certaine position sociale par rapport à sa culture d’origine, le niveau d’études de ses parents, la place du savoir dans la famille, le rapport à la culture, sa trajectoire personnelle, son parcours de formation, ses expériences professionnelles. C’est le rapport au savoir de tout sujet qui s’inscrit dans un espace social avec ses idéologies politiques, culturelles, économiques. Sur le plan de l’apprentissage, selon Charlot (2002), deux mouvements sont concernés : la connexion entre le sujet et le savoir et entre le savoir et le sujet. Il y a la notion de sens et d’efficacité de l’apprenant également, comment ce que l’étudiant a appris, raisonne en lui, quel sens il lui confère. Car c’est bien ce sens qui lui permettra de s’engager dans une activité et qui contribuera à ce qu’il s’approprie le savoir.

L’analyse du rapport au savoir dans le processus d’apprentissage des étudiants d’Afrique subsaharienne vise à mieux comprendre le sens que ces derniers donnent à la formation dans les hautes écoles spécialisées santé-social, comment le processus d’apprentissage y est vécu, comment l’étudiant se mobilise et se met en activité, comment il intègre des connaissances et leur donne sens ou non.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

La recherche a porté sur 27 étudiants dont la majorité vient du Cameroun : 17, soit 56 % et 5, soit 20 % originaires du Congo. Le Niger, la Guinée, le Togo ainsi que le Rwanda sont représentés de façon équivalente (un étudiant chacun). Trois étudiants sont binationaux par mariage : un Congolais-Suisse et deux Camerounais-Suisses. La moitié des étudiants rencontrés (50 %) a entre vingt et un et trente ans, avec une plus grande proportion de femmes (20) que d’hommes (7). Dans les domaines de la santé et du social en Haute École Spécialisée de Suisse occidentale, le nombre de femmes est en effet plus élevé que celui d’hommes.

La moyenne d’âge générale de ces étudiants est de trente et un ans et demi. Cette moyenne est plus élevée que pour l’ensemble des autres étudiants des hautes écoles spécialisées santé-social. En effet, selon le Rapport de la Haute École Spécialisée – santé-social, au chapitre 6 : Statistiques des étudiants au 15/11/2006, 58 % des étudiants, toutes filières confondues, ont entre 21 et 24 ans, 21 % ont moins de 20 ans, 14 % ont entre 25 et 29 ans et 7 % ont plus de 30 ans. Cette moyenne d’âge de trente et un ans et demi pourrait s’expliquer par plusieurs hypothèses : une arrivée tardive en Suisse après des études post-baccalauréat au pays (sept étudiants), une autre formation suivie en Suisse (trois étudiants) de type module de complément de formation pour répondre aux critères d’admission, ou, enfin, un long temps de régularisation administrative, notamment pour les personnes réfugiées politiques (un étudiant).

Sur le plan administratif, l’ensemble des étudiants était en règle. Les étudiants étaient bénéficiaires d’un permis de séjour pour étudiant, sauf deux personnes qui étaient en phase de régularisation de leur permis. En ce qui concerne leurs conditions de séjour, il apparaît que, dans l’ensemble, des solutions pour assurer le quotidien avaient été trouvées. Sept étudiants bénéficiaient d’une bourse d’études suisse, trois étaient accueillis dans des familles suisses et huit étaient mariés avec enfants. Les situations sont donc extrêmement variées. Les petits emplois et l’aide de la famille au pays ou en Suisse sont évoqués par l’ensemble des étudiants, mais avec une certaine discrétion. En ce qui concerne leur cursus scolaire, tous les étudiants répondaient aux critères d’admission des hautes écoles spécialisées, pour le titre et pour les aptitudes personnelles. Vingt et un étudiants avaient un baccalauréat option scientifique obtenu dans leur pays d’origine (12 ans de scolarité). Les autres avaient suivi au bénéfice d’une formation en Suisse permettant l’accès aux hautes écoles spécialisées (diplôme de culture générale option paramédicale, certificat de spécialiste en développement, école d’ingénieurs). Toutefois, l’analyse des dossiers pédagogiques a montré que la majorité des étudiants d’Afrique subsaharienne (68 %) semblait présenter des difficultés durant ses études. Les échecs et les examens de rattrapage étaient fréquents, parfois même à chaque module. Pour certains, les difficultés semblaient persister tout au long de la formation.

3.2 Instrumentation

Pour cette étude, nous avons privilégié des méthodes qualitatives, c’est-à-dire six entretiens compréhensifs de groupe composé de trois à six étudiants, 13 entretiens semi-directifs avec les enseignants et 11 entretiens avec les praticiens formateurs ainsi qu’une analyse des dossiers administratifs de 27 étudiants.

Le choix de mener des entretiens de groupe était motivé par la volonté de faciliter l’interaction des étudiants qui pouvaient rebondir sur le discours des uns et des autres. Ces entretiens ont été réalisés en se basant sur des situations emblématiques pouvant être vécues par les acteurs interrogés. Elles ont été construites à l’issue des entretiens exploratoires avec des anciens étudiants (deux étudiants des écoles de santé et un étudiant du travail social) qui ont fréquenté les écoles concernées par la recherche. Les principaux thèmes abordés dans les entretiens compréhensifs sont :

  • L’acculturation et l’intégration des étudiants dans les hautes écoles spécialisées ;

  • La compréhension de l’étudiant africain par les enseignants , et de la communication entre ces deux acteurs (enseignants/étudiants) ;

  • L’encadrement pédagogique et le rapport au savoir ;

  • Les représentations des enseignants et responsables de stage de l’étudiant africain et de ses connaissances ;

  • Les rapports avec les usagers, clients, patients.

Les entretiens semi-directifs effectués avec des enseignants visent à donner des informations sur leurs représentations du vécu avec les étudiants. Ils mettent également en évidence ce qui pourrait être mis en place pour une meilleure intégration de ces derniers dans les hautes écoles santé social. Quant aux entretiens avec des praticiens formateurs qui encadrent les étudiants sur les lieux de stage, ils visent à cerner les difficultés et les facilités d’apprentissage éprouvées par les étudiants en situation pratique, lors d’un stage ou dans la prise en charge d’un patient. La durée de chaque entretien était en moyenne d’une heure à deux heures. Les entretiens ont eu lieu durant la période d’octobre 2007 à mars 2008.

L’analyse des dossiers administratifs d’étudiants a fourni des données biographiques telles que l’âge, le sexe, la nationalité et l’origine, auxquelles s’ajoutent la profession des membres de la famille proche et le cursus scolaire. D’autres éléments importants de l’histoire de vie de l’étudiant mentionnés dans son autobiographie ont été considérés. Il s’agit notamment de la date d’arrivée en Suisse, des conditions et des ressources financières ainsi que des motivations à suivre la formation.

3.3 Méthode d’analyse des données

L’analyse de contenu des données d’entretiens est qualitative pour comprendre le sens donné par les interviewés aux différents thèmes de la grille d’entretien. Tous les entretiens ont été retranscrits mot à mot. L’analyse de chaque entretien a d’abord été faite séparément par deux chercheurs, puis il y a eu une mise en commun pour avoir un avis partagé sur le sens du contenu analysé. Dans un premier temps, l’analyse thématique de contenu a été horizontale, c’est-à-dire que nous avons analysé chaque entretien, thème par thème, pour mieux comprendre l’idée générale donnée par l’interviewé à chaque thème et situer ses réponses dans le contexte de son vécu personnel. Dans un second temps, nous avons effectué une analyse thématique verticale portant sur tous les entretiens dans le but d’avoir une vision comparative des interviewés sur chaque thème. La catégorisation a consisté à regrouper les thèmes en catégories prédéfinies en fonction des axes principaux de la recherche, à savoir : communication interculturelle, rapport au savoir et théorie de l’apprentissage et interculturalisation.

Il convient de souligner que nous n’avons pas pu utiliser de logiciel d’analyse de données qualitatives. Son utilisation aurait sans doute donné plus de précisions dans les résultats de l’analyse.

3.4 Considérations éthiques

En ce qui concerne les considérations éthiques, les étudiants ont signé un accord permettant l’analyse de leur dossier administratif et leur participation à l’entretien. Ils ont été assurés de l’anonymat concernant leur identité ainsi que de celui de leur école. Les enseignants et les praticiens formateurs ont donné leur accord verbalement lors d’un contact préalable à l’entretien et ont été assurés eux aussi que leur identité et leur institution de travail resteraient anonymes. Les entretiens avec les enseignants et les praticiens formateurs ont été menés par des chercheurs appartenant à d’autres sites de formation afin d’assurer l’anonymat vis-à-vis des collègues. Enfin, les participants à l’étude ont été invités à participer à la conférence qui avait pour but de présenter les résultats de la recherche.

4. Résultats

Comme nous l’avons mentionné plus haut, l’acculturation de ces étudiants a été abordée sous trois aspects : 1) environnemental et social ; 2) personnel ; 3) processus d’apprentissage et lieux de stage.

4.1 Sur les plans environnemental et social

Les étudiants interviewés parlent de difficultés d’adaptation liées à un nouvel environnement occidental : par exemple, le rythme de vie quotidienne très différent de celui de leur pays d’origine, le mode de vie en Suisse, la mentalité des gens, le fonctionnement de la société suisse… autant d’expériences difficiles à vivre pour ceux qui découvrent pour la première fois l’Europe, comme on peut le constater dans le témoignage suivant :

Ce qu’elle vient de dire, on a deux mondes en face, nous on dit on a le temps, quand on voit ici, tout va vite, on peut avoir des problèmes, déjà le fait de s’adapter à ce rythme de vie là, qui est vraiment pour nous à double vitesse, ce sont des problèmes. Surtout quand on est confronté aux soucis d’ordre financier, au problème de logement. Il y a des petits problèmes, on a une lettre qui vient de la police, tous ces problèmes-là quand ils s’ajoutent à une formation, ça devient lourd, notre esprit ne peut pas appréhender tout à la fois, on cherche du travail tout le temps, on cherche à évacuer ce qui est bizarre avant de s’attaquer à ce qui concerne notre formation. Ça ce sont des aspects culturels qui sont réels et auxquels il faut en tenir compte

N° 2,TSGR2, 43-53

Cet extrait d’entretien montre une situation de choc culturel que certains étudiants vivent lors de leur premier contact avec la société occidentale. En plus du choc culturel, les étudiants interviewés sont souvent seuls, sans famille et avec un réseau social très restreint, voire inexistant. Certains évoquent des problèmes relationnels avec les membres de la société d’accueil et les difficultés d’avoir des amis. Ils mentionnent par exemple les problèmes liés à l’intégration dans un groupe de travail avec leurs collègues de la société d’accueil pour des raisons diverses : les étudiants autochtones ne leur font pas confiance, certains ont des préjugés et des stéréotypes à propos de leurs compétences et ils les dévalorisent.

4.2 Sur le plan personnel

Les problèmes évoqués sont d’ordre financier et administratif (prolongation de permis de séjour conditionnée par la réussite des études). La plupart des étudiants n’ont pas de bourse d’études et ont de la peine à trouver du travail pour financer leurs études. Dans ces conditions, ils ont de la difficulté à être assidus aux cours parce qu’ils doivent chercher du travail ; une situation qui a des répercussions sur leur réussite scolaire et, par conséquent, sur la prolongation de leur permis de séjour. Le processus d’acculturation affecte aussi l’identité des étudiants africains. Ces derniers, privés de leurs repères habituels, vivent une expérience difficile, une mise à l’épreuve de leur identité faite de résistances, d’ambivalences et d’efforts pour construire de nouveaux repères (Merhan et Baudouin, 2007, p. 213). En effet, certains étudiants ont évoqué des sentiments identitaires négatifs antinomiques avec les sentiments de valorisation et de confiance favorisant une estime de soi positive, propre à les faire s’engager dans leur formation de manière profitable. Il est vrai que ces sentiments négatifs apparaissent plus fréquemment et intensément dans une école de la santé où les deux groupes d’étudiants rencontrés ont saisi l’occasion – à travers les entretiens de groupes – pour faire état de leur désarroi. Face à la souffrance et au sentiment de dévalorisation, les étudiants font part de stratégies identitaires. Il s’agit par exemple de : resserrer les liens avec ses compatriotes, relativiser les propos discriminants, s’imposer et ne pas se laisser faire, se mettre en retrait et s’adapter à la société d’accueil, etc. 

4.3 Sur les plans du processus d’apprentissage et des lieux de stage

Avant d’aborder le processus d’apprentissage des étudiants africains dans la haute école spécialisée, il est important de comprendre les compétences exigées par cette école selon les meilleures pratiques (best practices) régissant la mise en oeuvre du Processus européen de Bologne pour les universités et hautes écoles. Ces compétences sont regroupées en compétences spécialisées et systémiques, compétences méthodologiques et compétences sociales.

4.3.1 Les compétences spécialisées et autres

Les compétences spécialisées font référence à l’aptitude à travailler de manière autonome et à s’adapter à des situations nouvelles, tandis que les compétences méthodologiques concernent les aptitudes pratiques : utilisation de l’ordinateur, gestion de l’information, utilisation d’instruments et de matériel. Les compétences cognitives sont la capacité d’analyse et de synthèse, les aptitudes à comprendre des idées, des pensées et à les influencer alors que les compétences instrumentales font référence à la gestion du temps, les stratégies d’apprentissage et la résolution de problèmes. Quant aux compétences sociales, elles concernent les aptitudes à penser de manière critique et autocritique. Selon les enseignants et praticiens formateurs, certaines compétences mentionnées semblent poser des difficultés aux étudiants, du fait qu’elles ne sont pas enseignées ou développées dans les écoles où les étudiants d’Afrique subsaharienne ont étudié avant de venir en Suisse. Ainsi, par exemple, selon les enseignants et les praticiens formateurs interrogés, les étudiants d’Afrique subsaharienne ont un grand respect face à l’autorité. Ils paraissent soumis au pouvoir et à l’autorité que représentent le médecin, le chef, l’aîné, l’enseignant, le praticien formateur.

Ces témoignages d’étudiants soulignent la non-maîtrise de certaines compétences ci-haut mentionnées :

Je ne pourrais pas parler au nom de l’Afrique, en tout cas au Bénin, c’est ex cathedra, l’élève écoute le professeur, c’est comme ça, et là on t’interroge si le professeur veut bien et c’est à ce moment-là que tu pourras répondre, on n’interrompt pas le prof, on nous a enseigné des choses jusqu’à présent. C’est vrai qu’on a du mal à aller contre le prof et, d’autre part, on n’apprend pas à avoir l’esprit critique, c’est vrai qu’on l’a, mais c’est comme aller en opposition au donneur du savoir quelque part

N° 3, TSGR1 384-392

Oui, on m’a reproché ça, la mémorisation, parce qu’en Afrique, c’est comme ça qu’on a appris, (…) quand j’étais en dernière année de l’école primaire (CM2, dix ans environ dans le système français), c’était comme ça, c’est-à-dire vous avez des petits résumés à la fin de chaque leçon, et ces résumés-là, il fallait les connaître, et le seul moyen de connaître était d’apprendre par coeur (…). À la fin de chaque cours, il fallait appeler deux ou trois élèves qui passaient devant la classe pour réciter la leçon précédente, c’était comme ça... Peut-être que cette pédagogie, elle n’est pas adaptée à ici (…), avec le temps je comprends qu’il faut sortir vraiment l’essentiel parce que c’est ça qu’on va te demander, (…) moi j’ai été victime de ça durant mon parcours ici. Peut-être que ma pédagogie, ma méthodologie n’était pas adaptée, mais je suis tombé dans le même piège, parce que pour moi la seule manière d’apprendre ou de comprendre les choses c’était ça, mais ce n’est qu’après on a eu des cours de méthodologie, comment apprendre, des trucs comme ça. J’ai compris qu’il y avait des gens qui avaient des mémoires visuelles et d’autres qui avaient des mémoires auditives

N° 5,TRGR 260-276

4.3.2 Une différence de représentations

Comme le soulignent ces étudiants, l’éducation formelle dans la plupart des pays africains connaît une situation problématique pour différentes raisons, notamment le transfert des systèmes éducatifs des pays colonisateurs, le manque d’infrastructures et de ressources humaines. Sur le plan architectural et relationnel, certains spécialistes de l’éducation en Afrique (Ngakoutou, 2004) notent un déséquilibre entre le milieu urbain et le milieu rural dans certains pays africains en ce qui concerne l’implantation des établissements. L’architecture des classes reflète également une relation de dominateurs (estrade, bureau, tableau, maître) et dominés (élèves). Dans la classe, l’élève est en effet seul face aux modèles et au savoir-vérité. Sur le plan pédagogique, les enseignants ne sont pas souvent qualifiés et doivent faire face à des classes pléthoriques, ce qui pose un problème d’encadrement pédagogique. Dans ces conditions, il est par exemple difficile de favoriser le travail en groupe et l’esprit critique des apprenants.

Les représentations différentes que les étudiants d’Afrique subsaharienne ont de leur rapport au savoir, de leur rapport à l’enseignant et de leur rôle professionnel posent également quelques difficultés sur le plan de leur formation et sur le plan de leur pratique professionnelle. Pour la majorité de ces étudiants qui ont été scolarisés dans leur pays, la relation à l’enseignant se manifeste par exemple dans une attitude de respect pour ce dernier, car il détient la connaissance ; c’est le maître qui donne la parole, l’étudiant ne peut pas intervenir. À ce sujet, un étudiant s’exprime en ces termes :

Moi ce que j’aimerais dire, même si ça rejoint ce qu’elle a dit, le bon élève en Afrique est celui qui intervient quand le maître lui donne la parole. Nous on a toujours tendance à attendre qu’on nous sollicite qu’on prenne la parole. Si on ne se sent pas sollicité et encore ça va dépendre de l’éducation de notre personnalité parce qu’il y a des gens qui sont timides même s’ils savent la réponse à la question qui est posée, ils ne vont pas oser lever le doigt… mais il y a quelque chose qui serait bon à savoir à ce niveau-là, c’est que nous on vient d’une culture qui voudrait que la parole se donne, on vous passe la parole, et c’est à ce moment-là que vous pouvez la prendre

N° 2,GR1-51

Dans les hautes écoles spécialisées, les étudiants africains se trouvent confrontés à des situations nouvelles d’apprentissage. Ils ont besoin d’un moment d’adaptation, voire de formation à la pédagogie du pays d’accueil, car cette dernière est basée sur la réflexivité, l’autonomie et prépare à l’autorégulation, au changement, où le jugement critique est indispensable. L’apprentissage est interactif, la parole se prend. La motivation à apprendre dans ce nouveau système pédagogique est donc une exigence, faute de quoi l’étudiant ne peut être autonome. C’est un tout autre système que celui que ces étudiants connaissent.

4.3.3 Des différences problématiques pour le rôle professionnel

Par ailleurs, les visions différentes du rôle professionnel représentent quelque chose d’important et peuvent être problématiques au sein de la pratique professionnelle quotidienne. Cela pouvant parfois induire un manque de positionnement professionnel, une confusion des rôles (infirmier/patient, infirmier/aide-soignant ou assistante en soins de santé). Construire du sens peut s’avérer dès lors difficile si nous partons du principe qu’il s’agit, comme le dit Barbier (2000), de la co-construction entre des représentations venant de l’éducation antérieure de l’individu et des représentations en lien avec les expériences qu’il vit. Comme le sujet construit ses représentations en fonction de ce qu’il considère souhaitable par rapport à ses expériences antérieures, le sens n’est donc pas directement lié à la question de l’erreur, mais plutôt à la question de la rationalité ou l’irrationalité. Et, comme l’affirme toujours Barbier, l’irrationalité est présente lorsqu’on ne perçoit pas le sens que prend pour un individu son propre comportement ; ce qui nous montre comment des confusions peuvent, par exemple, s’installer dans la pratique professionnelle, dans des prises de position attendues, dans des travaux écrits.

Dans l’extrait ci-après d’un praticien formateur, nous pouvons remarquer ce même questionnement à propos de l’étudiant africain :

(…) pour moi, c’est vraiment l’histoire de se positionner en tant que professionnel qui n’arrivait pas à se mettre en place. Je relisais (…) je me souviens qu’on a essayé de discuter, dès le début j’ai vu que cela ne serait pas évident de se positionner en tant que professionnel, il était là auprès des personnes âgées mais comme le petit-fils de tout le monde, ou comme le fils de tout le monde, et je me disais cela va être compliqué du coup de lui demander un positionnement juste professionnel dans sa démarche

N° 3,PF2-277

Le fait d’être dans une position inférieure en tant qu’étudiant, sur le plan hiérarchique ou sur le plan d’une personne plus âgée, induit des comportements qui peuvent parfois être problématiques par peine à s’affirmer, à se positionner dans un rôle professionnel alors attendu. Certains se sentent tiraillés entre les valeurs différentes : celles du pays d’origine et celles du pays d’accueil.

Sur les lieux de stage, quelques étudiants évoquent des comportements racistes de la part de certains patients qui ne souhaitent pas être soignés ou lavés par des Noirs, situation qui est mal vécue comme le précise Jeanne, étudiante en sciences infirmières :

Ce qui est difficile pour nous, c’est de gérer nos études, et puis quand on est sur les lieux de stage, il faut gérer le côté après les soins, s’occuper de tout ce qui va autour, est-ce que je serai accepté, si quelqu’un m’insulte à cause de la couleur de la peau. Il y a beaucoup de choses qu’on est obligé de gérer en dehors de ça et ça, ce n’est pas vraiment pris en compte, même dans notre évaluation

N° 4,GR1

Les témoignages des étudiants et de ceux des enseignants font état de conflits de valeurs culturelles différentes vécus par les premiers. Cette situation est de nature à causer un blocage sur le plan de l’apprentissage pour ceux qui n’arrivent pas à se décentrer et à comprendre les valeurs d’une autre culture. Un étudiant, par exemple, nous a révélé son échec de stage parce qu’il n’arrivait pas à donner des instructions aux personnes âgées dans une démarche d’élaboration d’un projet. Dans sa culture, ce sont plutôt les plus jeunes qui doivent apprendre des plus âgés.

5. Discussion des résultats

Comme d’autres études l’ont montré (Brisset, Safdar, Lewis et Sabatier, 2010 ; Habimana et Cazabon, 2005 ; Latreche et Geisser, 2001), l’acculturation des étudiants d’Afrique subsaharienne à la Haute École Spécialisée de Suisse occidentale concerne aussi bien le nouvel environnement social de l’étudiant, l’adaptation à un nouveau système éducatif, l’acquisition des nouvelles valeurs culturelles et la maîtrise des conditions d’intégration. Ces étudiants, surtout ceux qui viennent d’arriver en Suisse, doivent faire d’énormes efforts pour s’adapter au nouveau système : attitudes à adopter envers les professeurs, choix des cours, recherche de partenaires pour les travaux de groupe, système d’évaluation, rapport au savoir, savoir-faire et savoir-être, métier d’étudiant. Ils vivent un choc culturel qui nécessite des aménagements rapides, comme le montrent les travaux d’Oberg (1958) et de Reinicke (1986) sur l’adaptation psychologique des étudiants étrangers.

Leur acculturation se fait avec difficulté, étant donné l’existence d’une grande disparité entre l’enseignement reçu dans le pays d’origine, considéré comme trop théorique par les étudiants, et l’enseignement professionnel, plus adapté au contexte suisse. À ce sujet, Martins (1974) estime que l’adaptation scolaire et sociale de l’étudiant sera facilitée si la distance culturelle entre les deux systèmes éducatifs (celui du pays d’origine et celui du pays d’accueil) est moindre, et si l’étudiant étranger est convenablement orienté même avant ses études à l’étranger.

Parmi les difficultés évoquées par les étudiants d’Afrique subsaharienne, il y a lieu de citer celles relatives au rapport au savoir de l’étudiant dans les deux systèmes de formation (suisse, africain). L’étudiant africain doit pouvoir appréhender et articuler deux visions du monde et deux cultures très différentes, ce qui n’est pas simple dans une situation sociale souvent délicate. Cela nécessite du temps, des espaces pédagogiques adéquats. Dans notre recherche, nous avons constaté que la structure de la formation dans les hautes écoles spécialisées ne propose pas ces espaces ou alors les propose sous forme de balbutiements. Entre autres, il n’y a pas d’accueil organisé ni formalisé pour les étudiants étrangers dans les écoles concernées par notre étude, pas d’informations particulières sur le système suisse de formation ni sur le fonctionnement de la société suisse, ce qui nous éloigne d’une interculturalisation de la formation pensée dans le cadre théorique. Or, plusieurs enquêtes (Coulon et Paivandi, 2003) indiquent que l’absence d’une politique d’accueil, le manque d’informations et/ou une mauvaise orientation sont les problèmes les plus importants qu’éprouvaient les étudiants étrangers, et constituent l’une des causes de l’échec scolaire.

D’autres difficultés d’apprentissage des étudiants d’Afrique subsaharienne en rapport avec leur processus d’acculturation concernent les problèmes de communication interculturelle. Cette dernière est comprise comme tout rapport d’interaction qui s’établit lorsque les partenaires sont en présence. C’est ce qui se passe entre des individus ou groupes appartenant, selon leurs dires, à des cultures différentes comme les usages sociaux et communicationnels de la culture (Abdallah-Preitceille et Porcher, 1999). Dans notre recherche, la communication interculturelle fait référence aux interactions entre les enseignants et les étudiants, à la façon d’exprimer certaines choses, aux mots utilisés dans la communication, à la sélection et au décodage des informations, au langage non verbal ; variables qui sont à l’origine des incompréhensions entre ces deux acteurs. Pour les étudiants d’Afrique subsaharienne, certains enseignants ont des préjugés et des stéréotypes sur leurs compétences. D’autres ne font aucun effort pour se décentrer et comprendre les cultures africaines auxquelles les étudiants peuvent se référer dans leur formation.

Comme nous l’avons mentionné, certains étudiants développent des stratégies pour faire face à ces difficultés d’apprentissage, mais d’autres ont exprimé, lors des entretiens, un malaise psychologique caractérisé par l’isolement. Ils déplorent l’absence de prise en charge surtout dans des situations problématiques qu’ils vivent en particulier sur les lieux de stage. Ce mal-être psychologique ressenti par certains étudiants africains a aussi été observé par d’autres auteurs (Latreche, 1999 ; Murphy-Lejeune, 2000) qui ont travaillé sur les étudiants étrangers en France. Par ailleurs, il convient de souligner que le processus d’acculturation n’a pas que des effets négatifs sur l’apprentissage des étudiants d’Afrique subsaharienne, il est aussi vécu de manière positive par certains étudiants qui affirment avoir appris d’autres méthodes d’apprentissage et acquis d’autres connaissances indispensables à leur pratique professionnelle. L’acculturation leur a également permis de se remettre en question afin de s’adapter à la Haute École Spécialisée de Suisse occidentale et au contexte socioculturel du pays d’accueil. Cette constatation corrobore les résultats de recherches de Koumba (1992) et Paivandi (1999) qui mettent l’accent sur les aspects positifs de l’acculturation des étudiants étrangers.

Limites de la recherche ?

La recherche a porté sur un petit échantillon hétérogène d’étudiants d’Afrique subsaharienne et par conséquent les résultats ne peuvent pas être généralisés. Par ailleurs, les étudiants interviewés venaient majoritairement du domaine de la santé plutôt que de celui du travail social. Certains témoignages des étudiants sont ainsi à situer dans un contexte de formation en santé.

6. Conclusion

Cet article avait pour objectif de montrer, à partir d’une recherche sur les étudiants d’Afrique subsaharienne inscrits dans la Haute École Spécialisée santé-social en Suisse romande, les effets de l’acculturation sur l’apprentissage. Les entretiens compréhensifs de groupe avec les étudiants, les entretiens semi-directifs avec les enseignants et avec les praticiens formateurs ont été menés pour recueillir les données d’enquête qualitative. Une analyse des dossiers administratifs d’étudiants a aussi été effectuée. Les résultats de la recherche permettent de mieux comprendre la complexité de la formation de ces étudiants qui se fait dans une interaction touchant plusieurs paramètres : le contexte socioéducatif aussi bien du pays d’origine que celui du pays d’accueil, les lieux de pratique professionnelle, le processus d’acculturation des étudiants, leurs conditions d’accueil et de séjour en Suisse, leurs interactions avec les étudiants autochtones ainsi que les représentations des enseignants et des praticiens formateurs de l’apprentissage des étudiants africains. Autant d’éléments qui permettent de ne pas réduire les difficultés d’apprentissage de certains étudiants à une logique centrée uniquement sur des différences culturelles ou des lacunes linguistiques. Ces difficultés doivent être comprises en considérant les représentations antinomiques du rôle professionnel par l’étudiant africain et de ses exigences dans le positionnement face à l’autorité, à la prise de décision, à la place du professionnel vis-à-vis des patients/usagers et des autres professionnels. Afin qu’ils puissent entrer dans l’apprentissage professionnel et qu’on puisse mieux répondre à leurs besoins en tant qu’étudiants étrangers, il est indispensable de leur donner du temps pour qu’ils s’approprient le système de formation du pays d’accueil ; à partir de leurs expériences antérieures, de les confronter à la réalité vécue et de les soutenir dans la construction du sens nouveau dès que leur formation démarre. Le soutien aux étudiants peut se réaliser essentiellement à travers les mandats de tutorat / conseiller aux études ou de suivi de formation pratique par les praticiens formateurs dans des accompagnements individuels. La mise en place d’un bureau d’accueil et d’intégration par la Haute École Spécialisée – à l’exemple de ce qui se pratique à l’Université de Genève – peut favoriser l’intégration des étudiants étrangers en leur permettant non seulement de connaître le fonctionnement de l’école et de la société suisse, mais aussi de développer leurs ressources sociales (rencontres, accès au logement, accès au travail).

Pour conclure, nous estimons que l’interculturalisation de la formation dans les institutions d’enseignement supérieur qui accueillent les étudiants venant d’autres cultures est l’une des réponses au processus d’intégration scolaire et sociale de ces étudiants. L’interculturalisation est comprise comme un concept global concernant de nombreux paramètres qui touchent tant l’institution (admission et accueil des étudiants étrangers, diversité culturelle du personnel enseignant, formation aux compétences interculturelles pour tous les acteurs, diversités d’approches conceptuelles, contenus, etc.) que la situation personnelle et sociale des étudiants étrangers se trouvant dans une position minoritaire (Eckmann, 2004). Afin de pouvoir développer une institutionnalisation de l’interculturel sur tous les plans, une volonté institutionnelle est indispensable. Elle devrait susciter et encourager de véritables changements en intégrant, dans le processus réflexif, tous les acteurs du processus pédagogique. Avec la mondialisation, la mobilité internationale des étudiants est un phénomène d’actualité qui mérite d’être approfondie sous différents aspects. D’autres pistes de recherche sont à explorer comme les politiques d’admission et d’intégration des étudiants étrangers ainsi que la prise en charge psychosociale des étudiants se trouvant dans des situations problématiques d’apprentissage et d’intégration dans le pays d’accueil. Ces nouvelles recherches pourraient utiliser des méthodes quantitatives (test χ2, analyse factorielle…) et qualitatives comme la méthode des chocs culturels proposée par Cohen-Emerique (2011) ou des entretiens sous forme de récit biographique (Baudouin, 2010).