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Pour traduire le caractère révolutionnaire de l’oeuvre politique d’Auguste, Pierre Renucci disait en prologue à la biographie qu’il lui avait consacrée :

Le génie d’Auguste fut avant tout d’avoir été à l’origine d’une formule capable de faire vivre ensemble des hommes de cultures, de langues, de religions diverses en paix sans détruire leur particularisme, mais en leur donnant le sentiment d’appartenir à une même famille, d’habiter une maison commune[1].

Cependant, sur un point de vue purement structurel, ce nouveau régime portait en lui-même les germes d’une profonde instabilité. En effet, dans l’optique de ménager les susceptibilités des divers courants politiques de l’époque et surtout par prudence politique, Auguste évita d’adopter une position claire sur la question cruciale de la transmission du pouvoir et donc de sa continuité[2]. « Cette faiblesse congénitale »[3] du système selon les mots d’Eugène Albertini sera à l’origine de la majorité des guerres civiles que connaitra Rome sous l’Empire. Pendant plusieurs années, le concept d’usurpation fut utilisé pour qualifier l’entreprise de contestation de la « légitimité » d’un empereur régnant par un autre prétendant. Les historiens de l’Antiquité le privilégiaient à celui de coup d’État jugé trop contemporain et par conséquent anachronique. Toutefois, ces dernières années, on a assisté à une importante évolution conceptuelle et sémantique sur ce sujet : les spécialistes qui s’intéressent à l’histoire politique de l’empire n’hésitent plus à parler de coup d’État pour qualifier la réalité historique et politique de la contestation de la légitimité d’un empereur en fonction[4]. L’objectif général de cet article sera d’expliquer la justesse de cette transition conceptuelle et sémantique. Dans une première partie, nous décrirons et évaluerons la pertinence des concepts d’usurpation et de coup d’État dans le contexte historique romain. Dans une seconde partie, en nous basant sur les travaux d’Egon Flaig[5] et de Paul Veyne[6], nous élargirons l’analyse théorique du concept de coup d’État dans l’Empire romain. En vue de démontrer la validité de notre démarche nous la confronterons dans une troisième partie à un cas pratique : le coup d’État de Maximin le Thrace de 235 apr. J.-C.

Définition et évaluation des concepts d’usurpation et de coup d’État

Dans cette première partie, nous définirons les deux concepts d’usurpation et de coup d’État tout en évaluant leur pertinence dans le contexte politique et historique de l’Empire romain. Deux questions majeures vont guider notre démarche : qu’entend-on par usurpation de manière générale et par usurpation dans un contexte politique ? Et convient-il au contexte politique romain ?

Selon le Petit Robert, l’usurpation qualifie l’action d’acquérir sans droit, par la violence ou la fraude, un pouvoir, un bien, une dignité ou une identité auxquels on n’a pas droit. L’usurpation est donc fondamentalement un concept juridique qui fait intervenir deux protagonistes : le premier, le détenteur légal d’un bien ou d’une dignité et le second, l’individu qui se l’attribue indûment. Dans un contexte politique, l’usurpation viendrait à qualifier l’action de s’attribuer de manière frauduleuse un pouvoir, une autorité ou une dignité auxquels on n’a légalement ou juridiquement pas droit. Après cette définition de l’usurpation, analysons notre seconde préoccupation. Celle-ci concerne la convenance du concept d’usurpation dans la qualification de la réalité politique de prise ou de tentative de prise de pouvoir au détriment d’un empereur régnant. L’utilisation du concept d’usurpation nous paraît imparfaite en raison de deux lacunes majeures. La première a trait à son extrême imprécision. Car l’usurpation est un concept juridique comme nous l’indiquons plus haut. Par conséquent, la réalité politique de prise de pouvoir se trouve parfois mal exprimée par cette expression dans la mesure où il faut constamment préciser ce qui est usurpé (un pouvoir, un bien, une identité). La deuxième lacune relève du contenu moral qui résulte de son utilisation qui, elle-même, découle de son caractère juridique. L’usurpation et l’usurpateur font presque toujours l’objet de jugements de valeur essentiellement négatifs. En effet, l’usurpateur est presque toujours perçu comme le voleur, le fraudeur qui enfreint les règles établies en s’appropriant un bien ou une dignité indue. Joachim Szidat dans son analyse de la problématique de l’usurpation pour ce qui est de l’Antiquité tardive confirme la difficulté de son usage dans la qualification de la réalité politique de contestation de la légitimité d’un empereur régnant[7]. De plus, le problème qui se pose dans le contexte politique romain est que plusieurs empereurs dits « légitimes » sont arrivés au pouvoir en « l’usurpant », c’est-à-dire en écartant un empereur déjà en fonction.

En réalité, la frontière entre empereur légitime et usurpateur est très mince puisqu’il n’existait pas de règles formelles déterminant la légitimité de la transmission du pouvoir impérial. Joachim Szidat pense même que l’usage du concept de légitimité s’effectue de façon rétrospective lorsque les évènements se sont déroulés et que le compétiteur ou l’usurpateur est désormais empereur régnant[8]. À notre avis, dans la structure du principat, « l’usurpateur » est tout aussi légitime d’usurper que l’empereur en fonction de régner. C’est ce que confirme dans une certaine mesure Theodor Mommsen quand il affirme que dans le principat romain, l’usurpateur est aussi légitime qu’un empereur qui accède au pouvoir de manière non violente ; pour lui, il n’y a pas d’usurpateur en principe puisque tous les empereurs pourraient l’être potentiellement[9]. Dans cette perspective, pourquoi devons-nous porter un jugement de valeur négatif sur un individu quand ce dernier cherche à ravir le pouvoir à un autre individu qui l’a obtenu de la même manière ? Pourquoi devrions-nous qualifier Pescinnius Niger[10] ou Clodius Albinus[11] d’usurpateurs quand ces derniers se sont inscrits dans le même processus d’acquisition du pouvoir que Septime Sévère[12]? Comme l’indique Yann Le Bohec, un empereur légitime est en réalité un usurpateur qui a réussi. Joachim Szidat abonde dans le même sens quand il utilise le cas de l’empereur Vespasien au cours de la crise de 68-69 apr. J.-C. pour affirmer qu’un empereur passe du statut d’usurpateur à empereur légitime lorsqu’il arrive à se maintenir au pouvoir[13]. Nous ajouterons dans le même ordre d’idée qu’un usurpateur le reste parce qu’il a échoué dans sa tentative de prise de pouvoir. Ce fut le cas de Caius Julius Vindex[14] sous le règne de Néron, d’Antonius Saturninus[15] sous le règne de Domitien ou encore d’Avidius Cassius sous le règne de Marc Aurèle[16].

En résumé de tout ce qui précède, nous estimons que les jugements de valeur sont susceptibles de biaiser le caractère scientifique des recherches que nous effectuons sur l’histoire politique de l’Empire romain. Par conséquent, utiliser le terme d’usurpation nous parait inapproprié. C’est donc cette volonté de s’attacher au problème politique que pose cette situation de prise de pouvoir qui motive notre choix de soutenir la justesse de l’usage du concept de coup d’État[17]. Cependant, des questions pertinentes sont à élucider quant à son usage dans le contexte politique de l’Empire romain telles que : comment peut-on le définir ? Quels sont les problèmes qu’il suggère ? Nous tenterons d’y apporter des éléments de réponse dans cette section.

Plusieurs définitions peuvent être trouvées au concept de coup d’État. Nous en avons retenu trois qui, en substance, la résument. La première est celle donnée par le Grand Larousse illustré. Selon cet ouvrage, un coup d’État se définit comme une prise illégale du pouvoir par une personne ou un groupe de personnes qui exercent des fonctions au sein de l’appareil étatique. La seconde est celle donnée par Moktar Lakehal dans son Dictionnaire de science politique. Il définit le coup d’État comme une tentative de prise de pouvoir qui réussit ou échoue avec des moyens anticonstitutionnels ou illégaux, par une minorité de personnes civiles ou militaires prétendant à divers titres ou pouvoirs et donc contestant la légitimité de ceux qui occupent le sommet de l’État. La troisième définition, enfin, est celle donnée par Michel de Villiers dans son dictionnaire de droit constitutionnel. Selon lui, le coup d’État est une tentative pour prendre le pouvoir, ou s’y maintenir en dehors des procédures constitutionnelles. Plus loin, il poursuit pour affirmer que sa répétition est un symptôme clinique d’un défaut d’enracinement du régime.

Le rapprochement de ces trois principales définitions peut nous permettre de définir le coup d’État comme une entreprise de prise du pouvoir politique qui réussit ou qui échoue, mais qui s’effectue en dehors des règles ou modalités prescrites pour y accéder. Par ailleurs, il convient de relever que le coup d’État survient dans une société lorsque ses institutions sont en « crise », et qu’elles semblent incapables de définir un mode consensuel d’accession au pouvoir suprême. Cette situation peut également provenir d’une armée trop puissante, capable d’imposer ses vues au détriment des autres institutions de la société ou encore d’une rupture de confiance entre le détenteur du pouvoir suprême et les autres composantes sociales et politiques de l’État.

À la différence du concept d’usurpation, parler de coup d’État dans le contexte politique et historique de l’Empire romain a le bénéfice décisif de s’en tenir clairement au problème politique de prise « illégale » ou « anti consensuelle » du pouvoir qu’il pose tout en rendant secondaire le jugement de valeur qu’on pourrait porter sur tel ou tel individu qui en est l’auteur ou l’instigateur. Toutefois, cette définition fait ressortir une importante nécessité qui peut être perçue dans le contexte politique romain comme un handicap : celle de la nécessaire existence de règles précises régissant l’accession au pouvoir suprême. En effet, pour qu’il y ait coup d’État, il faut qu’il y ait existence de règles définissant la légalité du pouvoir de l’empereur romain puisque c’est à l’encontre de cette procédure légale qu’irait l’auteur du coup d’État.

Ainsi, pouvons-nous donc qualifier les entreprises de prise du pouvoir impérial de coup d’État dans la mesure où l’Empire romain n’avait pas de constitution formelle[18] permettant de qualifier la légalité ou l’illégalité d’une prise de pouvoir ou d’une transmission de pouvoir ? En effet, la légalité d’une autorité peut se définir comme étant la soumission tant du pouvoir que de l’administration à des règles sûres, objectives et dans le meilleur des cas formalisées par écrit et disposant d’un statut que chacun doit respecter[19]. Il est évident que les sociétés antiques ne pouvant s’inscrire dans ce concept contemporain de légalité, notre réflexion se concentrera sur le concept tout aussi majeur de la légitimité. Deux questions seront au centre de notre préoccupation. La première étant comment pouvons-nous, à partir de cas pratiques, définir la légitimité du régime impérial et la légitimité de l’empereur ? La seconde étant comment pouvons-nous définir théoriquement le concept de coup d’État dans le cadre politique et institutionnel de l’Empire romain ? Ou encore, comment pouvons-nous définir le coup d’État à partir de la pratique institutionnelle de l’Empire ?

Analyse théorique du concept de coup d’État dans l’Empire romain

Cette étape de notre étude nous permettra d’effectuer une analyse du régime impérial. Toutefois, il importe de relever qu’il ne s’agira pas de faire un large développement sur l’origine ou la nature du principat[20]. Nous nous attacherons à insister sur les aspects liés à la transmission du pouvoir de l’empereur et à son processus d’investiture.

De prime abord, clarifions le concept de légitimité qui sera abondamment utilisé dans cette partie. C’est Max Weber[21] qui nous servira de source principale dans cette perspective. En effet, Max Weber est l’un des plus grands penseurs modernes des sciences sociales. Ses travaux sur la légitimité ont grandement contribué à rendre intelligibles ses applications dans plusieurs domaines des sciences sociales[22]. L’histoire de l’Antiquité n’en a pas échappé malgré les réserves émises par certains chercheurs sur les limites de l’application des modèles wébériens de légitimité pour expliquer les tendances politiques antiques[23]. Pour cette analyse, nous convoquons certes les modèles de légitimité de Weber dans le but de mieux expliciter notre cadre conceptuel de la théorie de « l’acceptante » d’Egon Flaig.

Ainsi, dans son ouvrage Économie et Société[24], Weber définit la domination légitime comme étant la domination volontaire à un système de pouvoir auquel les sujets adhèrent[25]. La légitimité, selon Weber, fait donc clairement référence à une double relation de domination et d’obéissance[26]. Poursuivant son analyse, Weber distingue trois formes de légitimité du pouvoir[27]. Il convient tout d’abord de préciser que cette typologie wébérienne ne faisait pas référence à un État au sens contemporain du terme, mais plutôt à des structures de domination qui pouvaient être une Église, une entreprise ou un parti politique[28]. La première forme de légitimité qu’il décrit est la légitimité traditionnelle dans laquelle l’exercice de l’autorité repose sur la croyance quotidienne en la sainteté des traditions valables de tout temps et en la légitimité de ceux qui sont appelés à exercer l’autorité par ces moyens. Dans cette forme de légitimité, l’ordre est considéré comme légitime parce qu’il est censé être conforme à ce qui s’est toujours fait ou dit[29]. La seconde est la légitimité charismatique dans laquelle l’exercice de l’autorité de l’État repose sur la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire de la personne qui exerce la domination. Selon Laurent Fleury, le leader charismatique qui jouit de cette forme de légitimité s’oppose à la tradition ; il fonde sa domination sur la croyance par les dominés du caractère exceptionnel et décisif de ses aptitudes personnelles[30]. La troisième, enfin, est la légitimité rationnelle-légale dans laquelle l’exercice de l’autorité de l’État repose sur la croyance en la légalité des règles arrêtées et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens. Cette troisième forme de légitimité touche clairement le cadre de la légalité. Malgré cette distinction effectuée par Weber, il faut noter que ces formes de légitimité ne se rencontrent pas isolément. Dans les différentes réalités politiques, elles se traduisent par une combinaison de chacune d’elles : la légitimité d’un régime se retrouve très souvent être au carrefour de ces trois formes de légitimité. C’est ce qu’on constate lorsqu’il s’agit de l’Empire romain. En effet, en se fondant sur le témoignage de Tacite au début de ses Annales, on peut dire que, dès les tous débuts du règne de Tibère, plus personne ne désirait revivre l’époque républicaine et son corollaire de guerres civiles :

À l’intérieur, la situation était calme, sans changement dans les noms des magistratures, les plus jeunes citoyens étaient nés après la victoire d’Actium, et la plupart des vieillards eux-mêmes au milieu des guerres civiles ; combien en restait-il qui eussent vu la république ? La révolution était donc accomplie et il n’y avait plus aucun élément intact de l’ancien régime : tous rejetant l’égalité attendaient les ordres du prince[31].

On perçoit à travers le témoignage de Tacite que la légitimité du système apparait fortement consolidée dans l’esprit des Romains. Il s’agit ici d’une légitimité traditionnelle qui s’est consolidée à partir des expériences politiques traversées depuis l’ère des Imperatores[32]. C’est ce que confirme Paul Veyne quand il indique :

En termes Wébériens, l’Empire est un régime traditionnel qui se donne des fausses apparences formelles, constitutionnelles ; traditionnel veut dire qu’il est fondé sur des rapports de force qui, tout informels qu’ils sont agrées par l’opinion et tenus pour légitimes et aussi pour durables[33].

Cette légitimité traditionnelle de l’Empire s’est en grande partie construite et consolidée à partir de la légitimité charismatique d’Auguste son fondateur. Car, comme l’indiquait Robert Étienne à propos d’Auguste, sa préséance et son statut particulier qui le plaçaient au-dessus de toutes les institutions dérivaient de son auctoritas[34]. En d’autres termes, c’est la personnalité et le génie politique d’Auguste qui ont garanti la stabilité au régime et son acceptation au début du règne de Tibère. Auguste lui-même, dans ses Res Gestae, insiste sur le caractère décisif de son auctoritas dans la conduite des affaires de l’État :

Après avoir éteint les guerres civiles, lorsque j’ai reçu du consentement de tous, la direction des affaires publiques, le gouvernement de l’État a été de mon fait transféré de ma propre puissance au pouvoir du sénat et du peuple romain. Pour marquer sa reconnaissance envers moi, le sénat me décerna par décret le titre d’Augustus […] Dès lors, je l’ai emporté sur tous en autorité, mais je n’ai pas eu plus de pouvoirs qu’aucun de mes collègues dans mes diverses magistratures[35].

En clair, c’est l’autorité, le charisme de l’empereur, qui garantissent sa préséance sur l’ensemble des structures politiques de l’Empire et consolident par voie de conséquence la légitimité du régime. Comme le souligne Jean-Pierre Martin :

L’Auctoritas possédée par Auguste ne lui est pas attribuée et n’est pas reconnue par hasard. Elle lui vient de ses actions et de son parcours depuis la mort de César ; elle est la conséquence de ce qu’il a apporté à Rome et au monde romain, la paix issue de sa victoire[36].

La légitimité du système se conjugue et se renforce dans une certaine mesure avec la légitimité charismatique du prince, mais n’en dépend pas nécessairement. Egon Flaig[37], qui a analysé la question de la légitimité de l’empereur romain et du système impérial pour ce qui est du Haut-Empire nous donne une approche pertinente de la question. Il établit clairement une distinction entre la légitimité du régime et la légitimité du prince. Il conteste, à cet effet, la vision de Theodor Mommsen qui ne voyait aucune continuité institutionnelle dans le principat, mais une succession de règnes individuels[38]. Pour Egon Flaig, le régime impérial était légitime en ce sens qu’il bénéficiait de l’adhésion de l’ensemble des forces politiques du monde romain. Il se rapproche donc de la vision de Veyne sur la légitimité traditionnelle du système impérial. En d’autres termes, son existence était désormais suffisamment intégrée à l’imaginaire politique romain pour ne plus être contestable. C’est ce que confirme Jean Béranger quand il indique que même si la crise de 68-69 apr. J.-C., qui mit fin à la dynastie Julio-Claudienne, ébranla le régime, elle montra cependant que Rome ne pouvait plus faire marche arrière sur le plan institutionnel puisqu’en dehors du régime impérial aucun autre régime ne lui conviendrait[39]. Par conséquent, notre analyse se focalisera sur la « légitimité » de l’empereur qui, elle, a toujours fait l’objet de contestation et non pas sur le régime impérial en lui-même ; puisque tout au long de l’histoire impériale il n’a jamais été contesté.

Ainsi, à la différence du régime, l’empereur n’était pas légitime au sens strict du terme selon Egon Flaig, mais bénéficiait de ce qu’il nomme une « acceptance » (Akzeptanzsystem)[40]. Cette « acceptance », il la définit comme étant l’accord actif ou passif des forces politiques à accepter un individu comme chef, comme empereur. Les forces politiques en présence, ici, sont les Assemblées populaires, le Sénat et les Armées (garde prétorienne à Rome et les légions en province). Selon Egon Flaig, il existait une certaine corrélation et un équilibre mutuel entre les différentes forces politiques[41]. En fait, « l’acceptance » que décrit Egon Flaig, nous la concevons comme étant le résultat ou encore le produit de la légitimité charismatique du prince. En d’autres termes, c’est la légitimité charismatique du prince qui lui garantit la soumission des autres forces politiques de l’Empire et donc son « acceptance ». Ainsi, le prince, pour continuer à exercer sa domination, doit suffisamment alimenter le caractère extraordinaire et surnaturel de sa personne. Les vertus du bon prince, c’est-à-dire la virtus, la pietas, la justicia et la clementia[42] qui avaient justifié la prédominance d’Auguste sur les autres citoyens, doivent clairement s’exprimer dans les attitudes et les aptitudes du prince dans la perspective de garantir sa préséance chez les dominés et de maintenir sa légitimité. En clair, un empereur qui agit avec déférence vis-à-vis du Sénat ou qui fait preuve de bravoure au combat et qui remporte des batailles contribue à renforcer son charisme auprès des forces politiques et consolide son « acceptance ». Dans le contexte politique romain, cette « légitimité charismatique » ou « acceptance » du souverain a pour résultat la délégation momentanée du pouvoir que l’empereur reçoit de l’ensemble des forces politiques romaines. Fort des valeurs, du charisme et des compétences qu’il possède, l’empereur obtient la confiance des gouvernés au travers des forces politiques qui voient en lui la personne capable d’assurer la direction de l’Empire. Cette délégation de pouvoir trouve sa plus parfaite illustration dans le processus d’investiture de l’empereur. En effet, en nous appuyant sur la pratique politique élaborée depuis le Haut-Empire[43], on s’aperçoit que la première étape est l’acclamation des armées. C’est lors de cette étape que l’empereur reçoit le titre d’imperator. Les soldats sont donc les premiers, à travers le serment qu’ils prêtent, à faire preuve d’obéissance et de soumission à un individu en qui ils reconnaissent les qualités et le charisme nécessaires pour assurer la direction de l’Empire. Qu’importante et décisive qu’elle soit, la proclamation de l’armée ne légitime pas l’individu, mais donne une bonne indication sur ses chances d’approbation par les autres forces politiques s’il n’est pas en compétition avec un autre individu. La seconde étape du processus est le vote par le Sénat des senatus-consulta qui confèrent au nouvel empereur les pouvoirs légaux nécessaires en vue d’assumer ses responsabilités. Les sénateurs confirment ainsi le choix des soldats en déléguant à leur tour certains pouvoirs à un individu, dont le charisme l’a placé au-dessus des autres citoyens. Il est important de noter qu’en règle générale le Sénat se range assez souvent sur la position des soldats si la situation ne se complexifie pas avec la présence de plusieurs compétiteurs. La troisième étape est celle de la confirmation de ces senatus-consulta par les Assemblés populaires[44]. Le peuple souverain, réuni en Assemblée populaire, achève le processus amorcé par les soldats en déléguant lui aussi son pouvoir à un individu[45]. En résumé, l’analyse des étapes du processus d’investiture impériale confirme que le pouvoir que détient l’empereur romain est une délégation de pouvoir de l’ensemble des forces politiques que sont : le Sénat, les Armées (celles des provinces et de la garnison de Rome) et la plèbe romaine. Paul Veyne résume ce processus en des termes on ne peut plus clairs : « Le pouvoir impérial est une délégation, une mission confiée à un individu prétendument choisi ou accepté par le peuple romain »[46].

Il est important d’indiquer que l’analyse de ce processus de transmission du pouvoir sous l’Empire fait entrevoir une forte tendance à l’hérédité dans le processus de transmission du pouvoir. Ainsi, on a vu, sous les Julio-Claudiens, Auguste se plonger constamment dans sa lignée à la recherche d’un successeur valable. Cet exemple fera tache d’huile comme le note Jean-Pierre Martin quand il affirme : « L’exemple augustéen a toujours été suivi. Le successeur ne pouvait qu’être un membre de la domus Augusta, la famille impériale par le sang ou par l’adoption »[47]. Avec les Flaviens, cette tendance se confirmera. En effet, l’heureux concours de circonstances qui faisait de Vespasien le père de deux fils enracina encore plus l’aspect héréditaire du régime. C’est ce qu’exprime ici Paul Petit : « [Vespasien] profitant de la lassitude des esprits et des progrès de l’idée dynastique dans les armées et dans les masses, en province surtout, il proclama d’emblée l’hérédité du Principat en faveur de ses fils Titus et Domitien »[48]. La théorie de « l’adoption du meilleur » qui fut utilisée pour expliquer le processus de transmission du pouvoir sous les Antonins fut en réalité la poursuite de cette tendance héréditaire dans le choix du successeur[49]. Cette tendance héréditaire n’annule pas pour autant, la théorie de la délégation du pouvoir. Comme l’a démontré John Scheid, l’investiture du nouvel empereur suivait certains rites bien déterminés qui mêlaient éléments dynastiques et institutionnels. Aussi, l’empereur régnant, s’il le peut, associe son successeur à la gestion de l’Empire pour que ce dernier puisse non seulement être confronté à la gestion du pouvoir, mais également puisse recevoir l’adhésion des forces politiques. Ce successeur potentiel était toujours issu de la famille impériale. C’est ce que confirme John Scheid quand il dit : 

Légalement désigné comme collègue dans l’exercice de la puissance tribunicienne ou dans d’autres charges, le successeur était également lié d’une manière ou d’une autre, à la famille du princeps, et se voyait confier des tâches qui devaient lui permettre de conquérir renommée et popularité[50].

Pour Egon Flaig, dans le système de « l’acceptance », l’auteur du coup d’État est toujours celui qui a le contrôle de l’agenda politique dans la mesure où l’établissement d’une dynastie dépend de lui. En effet, le principe dynastique ou la transmission héréditaire du pouvoir est opérant seulement si un usurpateur n’a pas réussi à ravir le pouvoir au père de l’héritier présomptif. Dans le cas contraire, le processus dynastique s’arrête totalement. On peut donc conclure avec Paul Veyne que l’hérédité du trône n’était pas un principe de droit public, mais une pratique aristocratique admise par l’opinion[51].

En résumé, la transmission du pouvoir impérial faisait certes intervenir des aspects héréditaires, mais ne reposait pas exclusivement sur eux. Le futur empereur ne recevait pas le pouvoir parce qu’il était seulement le fils de tel ou tel empereur, mais parce qu’il était « accepté » par les forces politiques comme capable d’assumer la charge impériale. L’appartenance à la famille impériale était un atout non négligeable et parfois décisif, mais la « légitimité » du prince ne se fondait pas exclusivement sur elle. Aussi, si nous retournons à notre préoccupation fondamentale qui est celle de définir la légitimité impériale en vue de mieux expliquer le coup d’État, nous pouvons conclure qu’un empereur romain était « légitime » lorsqu’il disposait de la confiance active ou tacite de l’ensemble des composantes de la société romaine à travers le processus d’investiture. L’autre principale conséquence de la distinction entre la légitimité du système et celle de l’empereur établie par Egon Flaig est que cette légitimité charismatique qui fonde le pouvoir de l’empereur était en permanence contestable. En d’autres termes, la convergence des forces politiques sur laquelle s’appuyait l’empereur pouvait être rompue à tout moment lorsque ce dernier n’avait plus le charisme nécessaire pour maintenir sa position de domination. Cette légitimité dont disposait l’empereur romain n’était pas une légitimité constitutionnelle formelle, comme dans les démocraties contemporaines. Il ne disposait pas non plus d’une légitimité de droit divin comme dans les monarchies de droit divin de l’époque moderne ; son pouvoir n’était pas indiscutable. Il pouvait donc constamment perdre la confiance à lui accordée. Aussi, puisque le prince n’était que le mandataire des forces politiques du monde romain, il était en difficulté en cas de rupture de convergence entre lui et ses mandants. Il courait dès lors le risque d’être victime d’un coup d’État. C’est ce qu’exprime clairement Paul Veyne : 

Mais l’empereur étant un simple mandataire, chacun pouvait prétendre au trône. Cette mentalité agitée et ce manque de légitimité du souverain régnant, jointe à l’absence de règles de succession, font de l’instabilité politique le trait dominant de l’histoire impériale, avec son rythme haletant[52].

Le coup d’État peut donc se concevoir de façon théorique dans le contexte politique romain comme étant une réaction ou encore une conséquence à la rupture de confiance qui pourrait survenir à tout moment entre l’empereur et ses mandants que sont les forces politiques que nous avons identifiées plus haut. Il convient de préciser au sujet des mandants que l’armée romaine a toujours été au-devant de l’initiative de rupture de confiance à l’empereur. Toutefois, les évènements de 238 en Afrique proconsulaire ont montré que le peuple et le Sénat pouvaient eux aussi prendre cette initiative de retirer leur confiance à un empereur en fonction[53]. Par ailleurs, puisque la « légitimité » ou encore la « viabilité » du pouvoir du prince était fondée sur le consensus universorum de l’ensemble des composantes de la vie politique romaine, le coup d’État pouvait intervenir lorsque l’une de ses composantes jugeait que pour une raison ou une autre l’empereur avait failli et qu’il ne pouvait plus représenter l’Empire. On peut ainsi convenir avec Egon Flaig et Paul Veyne que le coup d’État était permanent, parce que consubstantiel à la structure politique du principat. Les périodes de stabilité du Haut-Empire étaient des exceptions plus que des règles.

Pour ce qui est du iiie siècle, le fait militaire sera au coeur de « l’acceptance » ou de la légitimité charismatique du prince. La monarchie militaire qu’a toujours été l’Empire se manifestera avec plus d’acuité au cours de cette période. Cette situation aura une conséquence majeure sur le processus de délégation du pouvoir à l’empereur. En effet, compte tenu du rôle majeur qu’ils joueront au cours de cette période dans le cadre de la protection des frontières de l’Empire face aux attaques des peuples extérieurs, les soldats deviendront, au détriment des autres forces politiques, la seule force dont le choix sera primordial dans le processus de choix d’un empereur. Dans ce contexte, la légitimité du prince sera fonction de sa capacité à s’adapter au modèle de bon empereur que vont établir les soldats. En effet, dans un contexte de crise militaire aux frontières, le bon empereur sera celui qui incarne les valeurs guerrières d’un chef militaire qui conduit ses troupes au combat avec bravoure et qui remporte les batailles. En cas d’échec ou encore de politique jugée trop molle face aux adversaires de l’Empire, son autorité était affaiblie et contestée par les soldats à travers le choix d’un autre empereur. Les étapes du processus de légitimation que nous avons identifiées plus haut resteront en vigueur, mais avec la préséance du choix des soldats. C’est ce que nous allons voir dans notre troisième partie avec l’analyse du coup d’État de Maximin le Thrace en 235 apr. J.-C.

Analyse pratique de la théorie du coup d’État : le coup d’État de Maximin le Thrace

Le coup d’État de Maximin le Thrace en 235 apr. J.-C. revêt un caractère important pour l’histoire politique de l’Empire romain. En effet, il marque d’une part, la prise du pouvoir impérial par un inconnu du système politique romain, Maximin le Thrace, et, d’autre part, il constitue conventionnellement le point de départ de la période de troubles politiques et sociaux du iiie siècle. Aussi, loin d’être un évènement isolé, le coup d’État de Maximin revêt une importance capitale qui nous permettra de valider notre analyse théorique du coup d’État dans l’Empire romain. Voici les questions majeures qui guideront notre démonstration : dans quel contexte est intervenu le coup d’État de Maximin ? Quels sont les facteurs politiques et militaires qui le justifient ou l’expliquent ? Quelle est l’analyse politique que nous pouvons effectuer pour valider notre définition du coup d’État ?

Les débuts du règne de l’empereur Sévère Alexandre nous sont relativement connus compte tenu de la diversité des sources d’information nous renseignant sur cette période. Ainsi, tous les auteurs anciens qui en ont fait mention sont unanimes à voir dans les débuts de ce règne le retour à une certaine stabilité politique interne après le règne tumultueux de son cousin et père adoptif Elagabal. Hérodien, malgré sa critique ultérieure des compétences militaires de Sévère Alexandre, insistait dès les débuts de son récit consacré à cet empereur sur les réformes effectuées par le nouveau régime. Il voulait ainsi mettre en exergue la rupture qui s’opérait avec le règne précédent[54]. Aurelius Victor, dans un parti-pris assumé, mettait en lumière les vertus du jeune souverain. Il le qualifiait même, de « génie supérieur à son âge »[55]. En partisan du parti sénatorial, il exprimait ainsi son adhésion à la politique d’ouverture au Sénat mise en place par le jeune souverain. L’auteur de la Vita Alexandri abonde dans le même sens en nous dressant tout au long de son récit un portrait idéalisé du nouvel empereur. La complaisance de ces deux derniers auteurs à l’endroit de Sévère Alexandre peut s’expliquer entre autres par le fait qu’écrivant bien après la période de tension du iiie siècle ces derniers voyaient dans le règne du jeune empereur la dernière époque de stabilité avant que Maximin le Thrace, par son coup d’État, ne propulse l’Empire dans le désordre du iiie siècle. De plus, ces deux témoignages peuvent être perçus comme le reflet d’une propagande sénatoriale postérieure. Toutefois, durant ses premières années de règne, Sévère Alexandre ne détenait pas la réalité du pouvoir. Il était en fait détenu par sa grande mère Julia Maesa et par sa mère Julia Mammaea[56]. Elles assuraient une sorte de régence jusqu’à la maturité du jeune empereur. C’est ce qu’indique Hérodien : « Son successeur fut Alexandre, mais il n’eut, de la dignité impériale, que l’apparence et le titre : l’administration de l’État et la direction de l’Empire étaient entre les mains de ces femmes »[57]. Ce sont elles qui mirent en place autour du jeune souverain un conseil composé des personnalités les plus éminentes du Sénat[58]. Il avait essentiellement pour signification politique de rassurer le Sénat sur l’importance de son rôle dans le nouveau régime[59].

Retenons en ce qui concerne le contexte interne que la vie politique de cette période était fictivement caractérisée par une implication plus grande du Sénat. En réalité, le pouvoir était détenu par les deux Augusta autour desquelles se rassembla une poignée de hauts dignitaires sénatoriaux et équestres. L’attention de ces principaux personnages politiques était tournée, au plan interne, vers une remise en ordre des institutions politiques et administratives et, au plan externe, vers une politique militaire moins expansionniste contrastant avec les règnes de Septime Sévère et Caracalla. Les affaires intérieures occupaient le premier plan dans les préoccupations impériales. En ce qui concerne les relations entre le nouvel empereur et les soldats, les sources nous rapportent quelques incidents qui, même s’ils n’ont pas fondamentalement affecté la stabilité du régime, témoignent de la difficile relation qu’avait Sévère Alexandre avec les soldats[60]. Ainsi, ce sont les questions militaires aux frontières de l’Empire qui vont créer les conditions de l’insurrection militaire de 235. En effet, de nouvelles conjonctions aux frontières orientales et rhéno-danubienne exigeront une attention toute particulière du jeune empereur et de son entourage. La mauvaise gestion de ces crises externes va être la cause fondamentale de la perte de sa légitimité et par conséquent du coup d’État dont il sera victime. Présentons donc la situation militaire aux frontières. Cette présentation se penchera sur les deux axes majeurs de l’époque : les frontières européennes, où nous assistons à l’intensification des attaques de la ligue des Alamans, et les frontières orientales, où on note une réorganisation de l’Empire iranien sous la houlette de la dynastie hostile des Perses sassanides, augmentant ainsi les risques de conflits dans les provinces de l’Empire qui lui sont frontalières.

L’Empire romain a toujours eu des relations contrastées avec ses voisins installés par-delà ses frontières. Ces relations étaient faites parfois d’échanges commerciaux[61], mais, le plus souvent, elles étaient de nature conflictuelle. L’ensemble de ces voisins était sommairement regroupé sous le vocable de « barbares »[62]. En Occident, les principaux adversaires étaient, pour les Romains, les Germani.

En effet, le Germain[63] était pour le Romain, le barbare par excellence; d’ailleurs le plus prestigieux des titres de victoire militaire qu’un empereur romain pouvait revêtir sous le Haut-Empire était celui de Germanicus Maximus[64]. Pour les Romains, leur territoire correspondait comme nous l’indique Tacite[65] à l’ensemble du pays qu’avaient soumis Drusus et son frère Tibère au cours de leurs campagnes à l’exclusion de la zone des Marcomans et des Quades avant le repliement romain à la suite du désastre de Varus. Pour la période qui concerne cette analyse, c’est la ligue des Alamans qui constitue la principale menace pour les frontières européennes de l’Empire. Selon Émilienne Demougeot[66], la ligue des Alamans serait composée de peuples suèves, précisément de Semnons qui auraient vassalisé les Chattes et les Hermundures. Pour John Drinkwater, les Alamans seraient une ancienne tribu suève sous un autre nom ou encore une nouvelle et distincte tribu suève membre de la confédération suève qui se forma autour de 200[67]. Dès 213[68], ils commencèrent à menacer les provinces de Germanie supérieure et de Rhétie, proches des champs Décumates. Ils furent vaincus par Caracalla pendant l’été 213[69]. Ce dernier leur imposa une paix fragile qui subsista jusqu’en 231, date à laquelle ils reprirent leurs attaques contre l’Empire avec plus d’agressivité et de régularité.

En Orient, les principaux adversaires étaient regroupés au sein d’une entité politique unique et stable, celle de l’Empire iranien[70]. Les Iraniens constituaient l’adversaire privilégié des Romains dans la région, et ce, depuis l’époque républicaine. Cependant, à partir de 220 apr. J.-C. environ se déroule un évènement majeur qui va profondément transformer les relations entre Rome et son puissant voisin oriental. En effet, un changement de dynastie s’opère au sein de l’Empire iranien. La dynastie des Parthes arsacides se trouve supplantée par leurs vassaux, les Perses sassanides[71].

Ces différents changements aux deux principales frontières de l’Empire vont donc contraindre le jeune empereur, qui avait fait des affaires intérieures la priorité de son action politique, à s’investir dans leur résolution. Cet investissement se traduira par la conduite de deux importantes campagnes militaires : la première à partir de 230 apr. J.-C. contre les Perses d’Iran et la seconde à partir de 234 apr. J.-C. contre la ligue des Alamans dans la région des champs Décumates. Cependant, celles-ci ne réussiront pas à stabiliser efficacement la situation militaire ; pis elles vont définitivement faire perdre au prince la confiance de son armée et donc son « acceptance ».

La première expédition est celle menée contre les Perses. Nous disposons sur cette campagne d’importantes sources d’information[72]. En effet, l’ensemble des auteurs anciens l’évoquent dans leurs différents ouvrages. Cependant, les développements qu’ils en font et les conclusions qu’ils en tirent pour la compréhension de l’action de Sévère Alexandre dans cette campagne diffèrent d’un auteur à un autre. Celui de la Vita Alexandri, s’appuyant sur les abréviateurs du ive siècle, évoque dans un récit assez éparpillé[73] les préparatifs de la campagne. Il s’attache à mettre en exergue la sévérité de l’empereur en évoquant la discipline qui régnait au sein des troupes[74] ; il ne donne de détails ni sur le déroulement des opérations militaires ni sur la part prise par l’empereur sur le théâtre des opérations. Néanmoins, il met un point d’honneur à insister sur la sévérité de l’empereur. Pour Cécile Bertrand-Dagenbach[75], cette insistance de l’auteur de la Vita Alexandri sur la sévérité de l’empereur s’inscrit dans une démarche d’opposition à Hérodien. Il poursuit le dessein avoué de corriger l’image négative laissée par l’historiographie grecque quant à la valeur militaire de Sévère Alexandre. En face de cette première tradition, on note une seconde tradition, conduite par les auteurs d’origine grecque : Dion Cassius et Hérodien. L’ouvrage de Dion Cassius s’achevant à cette période, nous n’avons de cet auteur qu’un bref récit du début de cette campagne[76]. Hérodien, par contre, nous en donne le récit le plus complet et le plus détaillé. De plus, son statut de témoin oculaire des évènements qu’il relate est un gage non négligeable de fiabilité. Son récit se divise en quatre parties : l’annonce des intentions belliqueuses d’Artaxerxès[77], les efforts diplomatiques de Sévère Alexandre pour résoudre le conflit[78], le début du conflit[79] et le retour à Rome[80]. À en croire Hérodien, les débuts de l’offensive romaine furent assez délicats pour les troupes romaines. Le contingent qui devait traverser l’Arménie éprouva quelques difficultés liées à une situation géographique assez hostile[81]. Cependant, il put atteindre la Médie et y remporta plusieurs succès face aux soldats iraniens. Considérant la posture délicate de son armée dans cette zone, Artaxerxès décida de concentrer ses efforts vers les régions orientales où se trouvait le second contingent romain[82]. Cette offensive iranienne fut dévastatrice pour les troupes romaines d’autant que Sévère Alexandre, à la tête du troisième contingent romain, ne put honorer sa part d’engagement militaire[83]. En définitive, tout porte à croire que le conflit s’acheva sans une avance décisive des deux parties engagées. Cette hypothèse se confirme dans les divergences d’interprétation entre les auteurs anciens. Pour Hérodien, cette confrontation s’acheva par la défaite des troupes romaines : « Vaincus, les Romains n’avaient pas lutté sans bravoure et même parfois porté préjudice à l’ennemi ; ils n’avaient dû leur mort qu’à l’infériorité numérique dans laquelle ils s’étaient trouvés »[84]. En revanche, l’auteur de la Vita Alexandri, s’appuyant encore sur toute une tradition d’abréviateurs du ive siècle[85] évoque un véritable succès. Ce succès fut même couronné par un triomphe dans les rues de Rome[86]. Il fait référence à des acclamations que le Sénat aurait attribuées à l’empereur victorieux. Il aurait ainsi reçu les titres de Parthicus Maximus et de Persicus Maximus[87]. Marie-Louise Chaumont estime que le rapide retrait des forces iraniennes des territoires, enjeux du conflit, a permis à l’entourage de l’empereur de proclamer une victoire fictive[88]. Pour notre part, nous pensons que la campagne orientale de Sévère Alexandre se serait soldée par un demi-succès que les autorités romaines auraient repris à leur compte à travers l’attribution d’un titre de victoire à l’empereur dans le but de louer sa bravoure militaire tout en renforçant sa légitimité charismatique aux yeux des soldats comme chef de guerre[89]. Les auteurs favorables à Sévère Alexandre, dont celui de la Vita Alexandri, insistèrent sur ces rapports officiels tandis que les plus critiques, dont Hérodien, mirent en exergue les hésitations et les erreurs tactiques de l’empereur. Revenons maintenant sur l’aspect le plus important pour notre analyse ; il s’agit des répercussions de cette campagne sur la vie politique de l’Empire et surtout sur l’image de Sévère Alexandre au sein de ses troupes. La question qui nous intéresse est celle de savoir si cette campagne perse a permis ou non d’alimenter le charisme de l’empereur au sein des troupes ? A-t-elle contribué à consolider son « acceptance » ? Pour Hérodien, cette campagne orientale eut des conséquences négatives sur l’image d’Alexandre aux yeux des soldats. Beaucoup d’entre eux commencèrent à douter des capacités de chef militaire de leur empereur : « L’armée en conçut un très profond découragement, et la réputation d’Alexandre en fut fortement ternie : il avait échoué faute d’intelligence et de chance »[90]. On peut supposer que le succès mitigé de la campagne perse amplifia des doutes quant à la capacité de l’empereur à faire face aux défis militaires auxquels se trouve confronté l’Empire en ce début de iiie siècle. On peut plus spécifiquement supposer que le goût trop prononcé de Sévère Alexandre pour la négociation d’issues diplomatiques aux différents conflits, l’influence de sa mère et surtout sa lenteur à exécuter les tâches militaires qui lui incombent sont à l’origine de ces prémices d’insurrections.

La seconde grande campagne du règne de Sévère Alexandre fut celle livrée contre la ligue des Alamans[91]. Cette campagne était encore plus délicate pour les autorités romaines, eu égard à la proximité des régions concernées avec l’Italie[92]. En effet, après la fin du conflit iranien, l’empereur fut informé des nouvelles incursions barbares en Germanie. Il s’agissait en fait d’incursions causées par la ligue des Alamans. Ainsi, selon Émilienne Demougeot, sur le limes de l’Altmühl, le fort de Gunzenhausen fut emporté de même que ceux de Pfünz, Böhming et Weissenburg. Elle révèle également qu’il serait probable que les Alamans aient envahi les champs Décumates à partir des routes de Gunzenhausen et Cannstatt[93]. Il convient de rappeler que les champs Décumates correspondent au secteur transrhénan de la province de Germanie supérieure, compris entre le Rhin et le Danube (sud-ouest de l’Allemagne actuelle). L’annonce de cette nouvelle mit en émoi les soldats illyriens qui composaient le gros du contingent romain lors du conflit iranien : 

Ces nouvelles ébranlèrent Alexandre et désolèrent les soldats originaires d’Illyrie, qui se crurent frappés d’un double malheur, en songeant à ce qu’ils avaient subi en luttant contre les Perses et à ce qu’ils éprouvaient, chacun en apprenant la mort des leurs, tués par les Germains[94].

Ils estimaient que leur patrie vidée de ses soldats était à la merci des Alamans. Pour Hérodien, ces soldats estimaient que cet état de fait résultait d’une erreur de jugement de la part de l’empereur : « Ils s’indignaient donc et accusaient Alexandre d’avoir abandonné à l’ennemi, par incurie ou couardise, les provinces orientales et par ailleurs de temporiser et d’hésiter à s’occuper des provinces septentrionales »[95]. Après la présentation de la situation sur le terrain, Alexandre décide d’entrer en campagne. Il déploie ainsi une forte armée composée notamment de soldats auxiliaires venus des régions orientales[96]. Cependant, arrivé sur les lieux de combats, l’empereur décide de privilégier l’option diplomatique dans le règlement du conflit. Il envoie donc des émissaires proposer la paix aux Germains en compensation du versement de tribut : « Mais il décida d’envoyer des émissaires entamer des pourparlers de paix avec l’ennemi. Il s’engageait à exaucer toutes les demandes de celui-ci et assurait qu’il possédait de l’argent à profusion »[97]. Cette politique d’achat de la paix par l’empereur, du reste identique à celle que pratiquaient certains de ses prédécesseurs tels que Commode et Macrin, fut cette fois-ci mal perçue par les soldats illyriens dont nous évoquions plus tôt le mécontentement. Ils y virent une forme de défaitisme et d’humiliation. L’image que les soldats se faisaient de leur empereur n’était pas celle que leur faisait voir Sévère Alexandre. Ils attendaient de lui plus de courage et de fermeté vis-à-vis des adversaires Alamans. Pour ces soldats, seule une action militaire forte et vigoureuse pouvait mettre fin aux incursions barbares. C’est ce qu’exprime Hérodien : 

Mais les soldats supportaient mal ces délais inutiles et s’irritaient à l’idée que l’empereur, loin de montrer de la vaillance ou de l’ardeur à combattre, ne s’intéressât qu’aux courses de chars et aux plaisirs alors qu’il eût dû attaquer les Germains et punir leurs actes d’audace[98].

Dès lors que Sévère Alexandre et ses conseillers sénatoriaux choisirent de s’éloigner de cette ligne radicale, ces derniers décidèrent de se doter d’un chef plus à même d’incarner les valeurs d’un véritable chef de guerre et meneur d’hommes, car c’était ce qu’ils attendaient de leur empereur dans l’état actuel de la situation militaire de l’Empire.

L’assassinat de Sévère Alexandre constitue le point d’achèvement de l’insurrection et donc du coup d’État qui porta Maximin le Thrace au pouvoir. Plusieurs versions de cet évènement ont été rapportées par les auteurs anciens. Pour l’auteur de la Vita Alexandri, la mort de l’empereur serait survenue en Bretagne ou en Gaule à la suite d’une mutinerie de soldats[99]. En effet, ces derniers, ne supportant pas son extrême sévérité, décidèrent de l’assassiner. La seconde version de cet assassinat est celle transmise par Zosime. Pour Zosime donc, la révolte de l’armée, dont découlerait l’assassinat de l’empereur, serait le fait des légions stationnées en Pannonie et en Mésie. Pour des raisons non indiquées, ces légions se rebellèrent contre Sévère Alexandre et acclamèrent Maximin comme empereur. Maximin, à la tête de ces soldats révoltés, aurait marché sur l’Italie. C’est donc en quittant la région rhénane pour aller à la rencontre de Maximin et de ses troupes séditieuses qu’Alexandre fut assassiné dans un endroit que l’auteur ne nous indique pas[100]. Il paraît difficile d’accorder plus de crédit à la version de Zosime, puisque nous savons que Maximin n’a jamais marché sur l’Italie comme l’indique l’ancien. Hérodien semble ici encore nous fournir le récit le plus structuré et le plus fiable. Selon lui, l’assassinat d’Alexandre eut également pour origine une mutinerie provoquée par des soldats qui seraient originaires de Pannonie. Pour ces derniers, Alexandre était incapable de mener la guerre en cours et surtout de la remporter. Ils décidèrent donc de mettre à l’écart l’empereur et de porter leur choix sur leur instructeur, un nommé Maximin. Ils estimaient que ce dernier, eu égard à ses qualités physiques et à sa proximité avec eux, était plus à même d’incarner les valeurs de l’empereur et du chef de guerre qu’ils attendaient dans l’état actuel de la situation :

Aussi les jeunes gens de l’armée, dont la grande majorité était composée de Pannoniens, aimaient-ils la bravoure de Maximin et raillaient-ils Alexandre […] Ils décidèrent alors d’éliminer Alexandre et de proclamer empereur et Auguste, Maximin leur compagnon de lutte et de tente, que son expérience et sa bravoure paraissaient rendre apte à mener la guerre en cours[101].

Dans un premier temps comme il est d’usage chez le bon empereur, Maximin refusa l’offre à lui adressée par les soldats avant de l’accepter à la suite des insistances de ces derniers[102]. Sévère Alexandre, quant à lui informé de la sédition en cours, se lamente plus que n’agit : il croit encore à la loyauté des soldats de sa garde[103]. Pourtant, le jour suivant ces derniers se rétractèrent et rallièrent le camp de Maximin. Ayant désormais reçu l’acclamation de la majorité des soldats, Maximin ordonna l’exécution de Sévère Alexandre[104].

Que pouvons-nous retenir de la présentation de ces différentes versions ? On peut conclure que l’assassinat de l’empereur Sévère Alexandre fut la résultante d’une mutinerie de soldats, mécontents de l’attitude de l’empereur. Étaient-ils excédés par la sévérité de leur empereur comme l’indique l’auteur de la Vita Alexandri ? Ou pensaient-ils que la manière dont Alexandre conduisait les opérations en Germanie n’était pas de leur goût, comme le souligne Hérodien ? Nous rejoignons pour notre part la position d’Hérodien dans la mesure où l’auteur de la Vita Alexandri confirme ailleurs que les soldats se seraient éventuellement rebellés pour dénoncer la mollesse de l’empereur et l’avarice de sa mère[105]. En définitive, les griefs soulevés par les soldats sont de plusieurs ordres : ils se résument au refus de la politique molle et hésitante de Sévère Alexandre et de ses conseillers sénatoriaux et à l’influence trop pesante de la mère de l’empereur. Ces soldats seraient vraisemblablement de jeunes recrues originaires de Pannonie auxquelles se seraient jointes plus tard les autres légions du Danube et de Germanie qui avaient été mobilisés en prévision du conflit germain. Ainsi, au tout début de l’année 235 sont assassinés Sévère Alexandre et sa mère Julia Mammaea à Mayence en plein conflit contre les Alamans. Cet assassinat concrétise le coup d’État dont on trouve les origines dans le mécontentement indiqué plus haut.

En définitive, les soldats retirèrent leur confiance à un individu parce qu’il n’avait plus la légitimité charismatique pour les conduire à la victoire et décidèrent de confier le destin de l’Empire à un autre candidat. Comme nous l’indiquions précédemment, la toute-puissance de l’armée faisait d’elle la seule structure capable de faire et de défaire un empereur. L’empereur, en perdant la confiance de la principale force qu’était l’armée, venait de perdre son autorité comme empereur.

Les raisons de ce changement sont à chercher dans la mutation de l’imago impérial qui s’apparente à une nouvelle donne psychologique au sein des troupes. Il découle à notre avis des réformes militaires de Septime Sévère[106]. Septime Sévère fut, à la suite d’Auguste, l’un des empereurs qui réforma considérablement l’armée romaine. Cette réforme de l’armée par Septime Sévère intervint après la fin de ses campagnes contre ses deux concurrents Pescennius Niger en Orient et Clodius Albinus en Bretagne. Il est toutefois nécessaire pour sa bonne compréhension de la replacer dans son contexte politique. En effet, Septime Sévère, après l’élimination de ses rivaux, avait pour objectif de fonder une dynastie avec ses deux fils Caracalla et Geta. Cependant, il comprit très tôt que cette politique dynastique était en profonde contradiction avec les voeux de l’élite sénatoriale. Pour celle-ci, cette mesure apparaissait comme une rupture avec la tradition des premiers Antonins de « l’adoption du meilleur ». Elle craignait que par cette ambition dynastique, l’Empire ne retombe dans une situation identique à celle de Commode, le dernier Antonin. Le projet dynastique de Septime Sévère ne pouvait donc que lui mettre à dos les élites sénatoriales. En conséquence, pour conduire à bien son projet, l’empereur s’assura du soutien des soldats[107]. La réforme militaire qui en découla participa de cet objectif. Pour Yann Le Bohec, l’objectif de Septime Sévère était clair : fonder sa politique sur la force militaire sans tenir compte ni du Sénat, ni du peuple de Rome, ni même des provinces[108]. Pierre Cosme est plus mesuré ; pour lui, les changements intervenus sur le limes peuvent expliquer les réformes militaires de Septime Sévère et non pas uniquement l’envie de gagner leur soutien. Septime Sévère voulait renforcer l’adhésion à l’Empire de ceux qui devaient la défendre en améliorant leur sort[109]. Cette réforme se déclinait sur deux axes : l’amélioration les conditions de vie des soldats à travers plusieurs mesures de nature socio-économique et le renforcement du poids politique de l’armée[110]. Il est indéniable que le pouvoir impérial reposait depuis ses origines sur le soutien de l’armée. Cependant, force est de reconnaître que les réformes militaires de Sévère, d’une part, et l’orientation politique qui en découlait, d’autre part, donnèrent encore plus de poids aux soldats dans le débat politique. Cette profonde militarisation du régime sévérien se traduisait par une proximité accrue entre l’empereur et ses soldats, mais également par le raffermissement du lien de fidélité qui les unit à lui. Sous le règne de Caracalla, cette orientation politique va se confirmer. En effet, ce dernier était tellement proche de ses troupes qu’ils finirent par l’appeler « compagnon d’armes » selon le témoignage d’Hérodien[111]. L’une des conséquences de cette orientation politique résolument tournée vers l’armée va être la transformation de l’image que les soldats se faisaient de leur empereur. C’est ce que nous qualifions de transformation de l’imago impérial. L’aspect militaire de la personne impériale prendra progressivement le pas sur le personnage politique. L’empereur sera de plus en plus perçu par les soldats comme le chef militaire qui partage une certaine proximité avec ses troupes, qui montre de la bravoure au combat et, bien plus, qui triomphe au combat. Pour y arriver, l’empereur devait réunir un certain nombre de qualités militaires que sont le courage, la bravoure et le refus de compromis face aux barbares. L’attitude hésitante et même lâche de Sévère Alexandre lors de la campagne germaine a poussé les soldats à lui retirer leur confiance parce qu’il ne correspondait plus à l’image du bon empereur qu’ils se sont construite depuis le règne de Septime Sévère. D’une militarisation accentuée du régime sous Septime Sévère et Caracalla, on arrive, sous Sévère Alexandre à une politique plus conciliante vis-à-vis de l’Assemblée. Cette attitude a certainement eu un impact négatif sur la réputation de l’empereur parmi les soldats et a donc affecté son « acceptance ».

Nous venons d’achever notre analyse sur la justesse de l’usage du concept de coup d’État dans la qualification de la réalité politique de prise du pouvoir ou de tentative de prise de pouvoir au détriment d’un empereur dit « légitime ». Nous avons expliqué que la légitimité d’un empereur romain découle de sa capacité à convaincre les forces politiques de ses aptitudes à conduire les desseins de l’Empire. La légitimité de l’empereur romain se fonde donc sur la convergence de vue de ces forces politiques à accepter un individu comme empereur. Il faut indiquer que ces forces politiques n’ont pas eu le même poids dans le processus « d’acceptance » de l’empereur au cours de l’histoire de l’Empire. Au troisième siècle, l’armée romaine deviendra la principale force politique qui va supplanter les autres forces politiques. En conséquence, le choix de l’armée sera le plus décisif et le plus déterminant à gagner. Dans cette dynamique, le coup d’État dans le contexte historique et politique de l’Empire romain se trouve être une réaction ou encore une conséquence de la rupture du lien qui lie le souverain régnant de ses mandants que sont les forces politiques et spécifiquement pour le troisième siècle entre l’empereur et ses soldats. Pour étayer notre analyse, nous avons montré comment Sévère Alexandre avait été victime d’un coup d’État parce que l’armée romaine lui avait retiré sa confiance puisqu’il n’incarnait plus à ses yeux les valeurs d’un bon empereur dans le contexte de guerre aux frontières qui était celui de l’année 235 apr. J.-C.

Trois conclusions sont à tirer de l’ensemble de notre analyse. La première est que le coup d’État est consubstantiel à la structure politique du régime impérial. La seconde conséquence qui découle de la première est que, loin d’être un symptôme ou une marque de défaillance du système, le coup d’État doit être appréhendé comme un processus régulateur du système, c’est-à-dire un outil politique permettant au système de sélectionner et de trouver en son sein la personne qui dispose du charisme nécessaire pour diriger l’Empire à un moment précis. La dernière conséquence, enfin, est que, puisque le coup d’État est un élément régulateur du système, il est préférable, en analysant le problème politique qu’il pose, d’utiliser un concept qui l’exprime clairement sans y adjoindre un quelconque jugement de valeur.