Corps de l’article

Durant l’année 2005, on estimait à 30 000 le nombre de personnes itinérantes (PI[1]) à Montréal (RAPSIM, 2008). Ces PI présentent souvent d’importants problèmes concomitants de santé (troubles mentaux, dépendances, etc.) et sociaux (ex. : judiciarisation) (Foster et al., 2009). Selon une méta-analyse regroupant 29 études publiées entre 1979 et 2005, la prévalence chez les PSI serait en moyenne de 38 % pour la dépendance à l’alcool, de 24 % pour la dépendance aux drogues, de 23 % pour les troubles de personnalité, de 13 %, pour les troubles mentaux graves, et de 11 % pour la dépression majeure (Fazel et al., 2008). De plus, 25 % des PI posséderaient un double diagnostic de trouble mental et de dépendance (Breakey, 2004). Cette pluralité de problèmes complexifie la possibilité d’intervenir efficacement auprès de cette population (Fleury et al., 2010).

On peut difficilement circonscrire le réseau de service en itinérance au Québec, car il n’existe pas de programmes spécifiques à cet effet dans la structure par programmes du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) (Fleury et al., 2010). Outre les grands refuges, peu d’organismes sont dévoués exclusivement aux PI. Les PI présentant des problèmes concomitants utilisent les mêmes ressources que la population à risque d’itinérance (PRI) ou non. Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) regroupe 93 organismes intervenant auprès des personnes itinérantes ou à risque d’itinérance (PIRI), mais ces organismes sont répertoriés au MSSS selon leur fonction principale (santé mentale, VIH/SIDA, etc.) ou la population desservie (femmes, jeunes, etc.). De plus, d’autres organismes non répertoriés peuvent aussi offrir des services aux PIRI. Les caractéristiques des organismes desservant les personnes itinérantes ou à risque d’itinérance (OIRI), celles de la clientèle qu’ils desservent ainsi que leur appréciation de l’accessibilité aux services demeurent en grande partie méconnues. Par ailleurs, plusieurs études internationales se sont intéressées aux déterminants de la collaboration interorganisationnelle, principalement chez les organismes sans but lucratif (OSBL ; Foster et Meinhard, 2002 ; Guo et Acard, 2005 ; Sowa, 2009 ; Fleury et al., 2012). Selon les auteurs, la collaboration interorganisationnelle serait associée à des facteurs tels l’historique de la collaboration, le besoin de s’adapter aux changements (Sowa, 2009 ; Powell, 1990), celui de sécuriser ses ressources dans un contexte de rareté (Provan et al., 1996 ; Zuckerman et D’Aunno, 1990) ou d’obtenir une légitimité (Gray et Wood, 1991 ; Provan et Milward, 1991). Cependant, à notre connaissance, aucune étude n’a porté sur les OIRI.

Issu d’une recherche plus large portant sur l’implantation d’un projet de recherche et de démonstration sur la santé mentale et l’itinérance (At Home/Chez Soi ; Goering et al., 2011), cet article a pour objectifs 1) de dresser un portait des organismes desservant les PIRI adultes de Montréal et 2) d’examiner les déterminants de leurs relations interorganisationnelles. Un portrait des OIRI est d’abord présenté, faisant état de leur période de fondation et du territoire couvert, des services offerts, de leur clientèle, des structures de gouvernance et des budgets des organismes ainsi que de leur personnel. Les relations interorganisationnelles des OIRI sont par la suite examinées à partir de leur participation aux regroupements ou tables (comités) de concertation, des références[2] (orientations) effectuées et reçues, des protocoles d’entente et des collaborations informelles mais significatives et récurrentes développées. Le niveau de satisfaction quant aux relations interorganisationnelles, les changements de dynamiques perçus ainsi que l’appréciation de l’accessibilité aux services sont par la suite étudiés. Finalement, nous présenterons les variables associées à la collaboration interorganisationnelle.

Description du territoire et contexte de l’étude

L’étude se déroule dans la région de Montréal. Le système sociosanitaire de cette région comprend 12 réseaux locaux de services, chacun regroupé autour d’un centre de santé et des services sociaux (CSSS). Les PIRI ainsi que les organisations qui en prennent charge sont principalement concentrés au centre-ville.

Historiquement, les services aux PIRI (refuges, soupes populaires, etc.) ont d’abord été pris en main par les communautés religieuses, les organismes de charité et les fondations privées (MSSS, 2008). À partir des années 1970, les crises économiques et les réformes institutionnelles (ex. : désinstitutionnalisation) ont provoqué un accroissement et une diversification (femmes, jeunes autochtones, etc.) des PIRI, suscitant la création de plusieurs organismes communautaires (OC), la plupart regroupés dans le RAPSIM (RAPSIM, 2003), fondé en 1974.

L’année 1987, Année internationale du logement des sans-abris, a favorisé l’implication de nouveaux acteurs dans le domaine de l’itinérance. Ainsi, est mis sur pied le Comité des sans-abris de la Ville de Montréal, situé au centre-ville, regroupant des représentants du MSSS, du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) et des OC (MSSS, 2008). Également, le RSSS développa des services spécifiques pour les PI. Le principal établissement public dévoué à l’itinérance est le CSSS Jeanne-Mance qui détient un mandat régional dans ce domaine. Il dessert plus de 4000 PI par année avec ses programmes « équipe itinérance », « clinique des Jeunes de la rue » et « urgence psychosociale ». Le Centre de réadaptation en dépendance de Montréal – Institut universitaire dessert pour sa part les PI ayant des problèmes de toxicomanie par l’entremise de son « programme itinérance/sans domicile fixe ». Par ailleurs, les urgences des différents hôpitaux de Montréal assument à tour de rôle, chaque semaine, le traitement des PI (Fleury et al., 2010).

La Ville de Montréal s’implique depuis 1987 dans le domaine de l’itinérance, plus spécifiquement par ses programmes dans le secteur de l’habitation (Office municipal d’habitation [OMH]), élaborés en collaboration avec la Société d’habitation du Québec, et qui priorisent le logement social (MSSS, 2008). Un autre intervenant clé en itinérance, depuis 1999, est le gouvernement fédéral par le biais des programmes d’Initiative de partenariats en action communautaire (IPAC) et d’Initiative de partenariats de lutte contre l’itinérance (IPLI) (Fleury et al., 2010), lesquels ont permis la mise en place de logements pour les personnes à faible revenu.

En juin 2008, la question de l’itinérance est venue à l’avant-plan avec l’instauration par le gouvernement du Québec d’une commission parlementaire. Le Plan d’action interministériel en itinérance 2010-2013, rendu public en décembre 2009, qui en résulta, priorisait les mesures, reconnues comme de bonnes pratiques en itinérance tel le modèle Housing First[3] (Fleury et al., 2010). C’est dans ce contexte social et politique particulier que Montréal a été l’un des cinq sites au Canada sélectionnés par la CSMC pour l’implantation du projet pilote At Home/Chez Soi (2009-2013). Le projet montréalais avait pour objectifs de loger 300 PI tout en leur assurant un suivi intensif ou d’intensité variable en fonction de la sévérité de leurs troubles mentaux. Le projet s’accompagnait de plusieurs sous-études, dont l’une consacrée à une cartographie des OIRI à Montréal.

Méthodologie

L’étude utilise un devis quantitatif transversal. L’étude a été menée auprès de 152 OC et de quatre établissements du RSSS[4], susceptibles de desservir des PIRI dans la région de Montréal. Les OC devaient offrir des services directement à la population, desservir une population adulte (18 à 65 ans), et recevoir un financement minimum de l’État. Ils ont été sélectionnés à partir d’une liste préétablie d’organismes financés par l’ASSSM et d’un répertoire des ressources en itinérance (Centraide du Grand Montréal, 2008). La sélection des OIRI a ensuite été validée par un comité consultatif (de pilotage) formé de 11 décideurs d’organisations clés oeuvrant dans le domaine de l’itinérance à Montréal. Lors de la collecte des données, 44 organismes ont été exclus, car ne répondant pas aux critères de sélection de la recherche, ou parce que représentant une sous-division[5] d’un organisme déjà identifié. L’échantillon final se compose de 112 OIRI, soit 108 OC et 4 établissements du RSSS.

Les données ont été colligées à partir d’un questionnaire autoadministré, posté aux OIRI d’octobre 2010 à novembre 2011. Certaines données (budget, nombre de services offerts, principal champ d’expertise des organisations) ont été également extraites des rapports d’activités pour l’année financière 2008-2009, obtenus par le biais de l’ASSSM. Le questionnaire, adapté d’une recherche précédente (Fleury et al., 2012), a été élaboré par l’équipe de recherche et validé par les membres du comité consultatif. Pré-testé auprès de huit OIRI, il incluait 40 items de type catégoriel, continu ou avec échelles de Likert de deux à cinq niveaux. Les items étaient regroupés en huit dimensions : 1) information sur le répondant ; 2) territoires couverts ; 3) profils des organismes ; 4) profils de la clientèle au cours des 12 derniers mois ; 5) fonctionnement interne ; 6) financement ; 7) relations interorganisationnelles et satisfaction ; et 8) accessibilité aux services de santé et aux services sociaux. Remplir le questionnaire nécessitait en moyenne 45 minutes. Après quatre relances téléphoniques ou postales en moyenne (minimum 0, maximum 7), le taux de réponse des OIRI au questionnaire a été de 61 % (n = 68 ; 64 OC et 4 publics). Afin d’assurer la confidentialité du traitement des données, un numéro a été attribué à chaque OIRI. L’étude de type multisite a reçu l’approbation de cinq comités d’éthique d’établissements sollicités.

Analyses statistiques

Des analyses descriptives ont été réalisées sur l’échantillon total des OIRI (n = 68) et, si pertinent, sur les types D’OIRI. Ces derniers ont été définis en huit types selon la classification du MSSS[6] : 1) personnes démunies (n = 15) ; 2) santé mentale (n = 13) ; 3) maisons d’hébergement pour femmes violentées ou en difficulté (n = 9) ; 4) VIH/SIDA (n = 9) ; 5) jeunesse (n = 7) ; 6) alcoolisme/toxicomanie et autres dépendances (n = 6) ; 7) maisons d’hébergement pour hommes en difficulté (n = 6) ; et 8) CSSS (n = 3). Les analyses portant sur les deux dernières dimensions du questionnaire (relations interorganisationnelles/satisfaction ; accessibilité aux services) ont été calculées en fonction d’échelles variables, transférées sur une échelle de 0 à 100.

Figure 1

Modèle conceptuel des variables influençant l’intensité des relations interorganisationnelles

Modèle conceptuel des variables influençant l’intensité des relations interorganisationnelles

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Pour les analyses multivariées, les variables indépendantes ont été regroupées en trois catégories (Figure 1). La première catégorie comporte les variables caractérisant l’organisation, la seconde, les variables décrivant la clientèle et la troisième, les informations sur la qualité des relations interorganisationnelles et de l’accès aux services. La variable dépendante (intensité des relations interorganisationnelles) a été construite à partir de la somme des références entre les organisations (reçues et envoyées), des relations informelles significatives et récurrentes et des ententes formelles entre organisations. Des échelles de type Likert et une liste exhaustive d’organisations (avec possibilité d’ajout) étaient présentées aux répondants et aux répondantes, afin qu’ils indiquent l’intensité de leurs relations interorganisationnelles. Le score total (de 0 à 336) a été standardisé pour obtenir un score Z.

Selon le type de variables, des tests de chi-deux ou de t pour échantillons indépendants ont été effectués pour déterminer l’association entre chaque variable indépendante et l’intensité des relations interorganisationnelles. Les associations ayant une valeur de p inférieure ou égale à 0,05 ont été retenues, et ces variables intégrées dans l’analyse multivariée. Enfin, un modèle linéaire multivarié basé sur la technique backward (p in = 0,05 et p out = ,07) a été utilisé pour identifier les déterminants de la collaboration interorganisationnelle. Les analyses ont été effectuées par catégorie séparément. Les variables des deux premières catégories ont ensuite été analysées conjointement, et les variables significatives ont été introduites avec la catégorie 3 pour obtenir le modèle final.

Résultats

1) Portrait des OIRI : Fondation et territoires couverts

La grande majorité des OIRI (53/68 ; 78 %) ont été fondés à partir de 1982, soit 44 % entre 1982 et 1991, 21 % entre 1992-1999 et seulement 13 % à partir de 2000. Cependant, la quasi-totalité (5/6 ; 83 %) des maisons d’hébergement pour hommes en difficulté ont été fondées avant 1982, dont trois au xixe siècle. Les OIRI ont été mises en place à 80 % par les acteurs de la communauté (société civile) et à 16 % par des communautés religieuses. Environ la moitié des OIRI couvrent un à cinq territoires de CSSS (35/68 ; 51,4 %), 44,1 % toute la région (30/68) et 4,4 % possèdent un mandat suprarégional. La majorité des OIRI desservent les CSSS situés au centre-ville ou dans sa périphérie : Jeanne-Mance (75 %), Lucille-Teasdale (57 %), de la Montagne (51 %), Coeur-de-l’Île (51 %) et Sud-Ouest-Verdun (50 %).

Services offerts

Les OIRI offrent en moyenne six services diversifiés à leur clientèle (Tableau 1), (e.-t. = 2,6). Les maisons d’hébergement pour hommes en difficulté dispensent le plus grand nombre de services (8,5 ; e.-t. = 2,9). La majorité des OIRI offrent des services d’activités et loisirs, et d’accueil et référence.

Tableau 1

Répartition des organismes desservant les personnes itinérantes ou à risque d’itinérance (OIRI) en fonction du nombre de services offerts à la clientèle (n = 68)

Répartition des organismes desservant les personnes itinérantes ou à risque d’itinérance (OIRI) en fonction du nombre de services offerts à la clientèle (n = 68)

Index : CSSS = centre de santé et de services sociaux ; MTS = maladies transmises sexuellement ; VIH = virus de l’immunodéficience humaine ; sida = syndrome de l’immunodéficience acquise.

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Clientèle desservie

Près de la moitié de la clientèle (42 %) ayant fréquenté les OIRI au cours des douze derniers mois sont des PI et encore 40 % des PRI. Les hommes constituent la majorité (59 %) des PIRI. La moitié des PIRI (51 %) ont entre 25 à 50 ans, et la grande majorité est francophone (74 %). Les problèmes de dépendance (alcoolisme, drogues et jeu pathologique) sont identifiés chez 45 % des PIRI (32 % ont des problèmes de drogues, 31 %, d’alcoolisme, et 10 %, de jeu). Le tiers des PIRI ont des troubles modérés de santé mentale (33 %) et des difficultés avec la justice (32 %) et 24 % des troubles mentaux graves.

Gouvernance et budget

Le conseil d’administration des OIRI rassemble en moyenne huit représentants (e.-t. = 3,06). Le groupe le plus fortement représenté (Moy. = 3 ; e.-t. = 2,8) est celui des représentants de la communauté. Le budget[7] annuel moyen des OIRI s’élève à 864 835 $ (Tableau 2), variant de 16 888 $ (pour un OIRI pour personnes démunies) à 6 027 174 $ (pour une maison d’hébergement pour hommes en difficulté). En tout, 56,3 % des OIRI disposent d’un budget annuel de 500 000 $ ou plus pour organiser leurs activités. Cependant, 73 % des OIRI pour personnes démunies disposent d’un budget annuel inférieur à 300 000 $.

Le budget moyen en provenance du Programme SOC (Soutien aux organismes communautaires, financé par le MSSS)[8] est de 284 436 $ ou 33 % du budget annuel des OIRI. La vaste majorité des 2/3 restant provient de dons privés (autres sources : fédéral, municipal, Centraide, etc.). La proportion du budget annuel des OIRI pour personnes démunies, en alcoolisme/toxicomanie et autres dépendances, et des maisons d’hébergement pour hommes en difficulté provenant du SOC est nettement inférieure à celle des autres types d’OIRI (Tableau 2). Finalement, 52 % des OIRI considèrent que leur niveau de financement est inadéquat.

Tableau 2

Répartition des organismes selon les budgets (global et programme SOC) et les types d’OIRI

Répartition des organismes selon les budgets (global et programme SOC) et les types d’OIRI

* La part du budget global de 3 CSSS de Montréal, dont des services sont dispensés dans le domaine de l’itinérance, est non spécifiée ; de même que celle d’un centre de réadaptation en dépendance du réseau public de Montréal.

Index : SOC = soutien aux organismes communautaires (programme du MSSS) ; CSSS = centre de santé et de services sociaux ; e.-t. = écart-type ; OIRI = organismes desservant les personnes itinérantes ou à risque d’itinérance ; VIH = virus de l’immunodéficience humaine ; sida = syndrome de l’immunodéficience acquise.

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Personnel

Le nombre moyen de personnes rémunérées au sein des OIRI est de 21 (e.-t. = 29,8). Les intervenants représentent 57 % du personnel rémunéré au sein des OIRI, le ratio le plus élevé (76 %) se retrouvant chez les OIRI jeunesse, le plus faible (46 %) chez les OIRI pour personnes démunies. La rétention du personnel est considérée assez problématique pour 44 % des OIRI et très problématique pour 12 %. En plus du personnel rémunéré, les OIRI comptent en moyenne 130 bénévoles (médiane = 15) avec un nombre moyen d’heures travaillées par ceux-ci au cours des douze derniers mois de 5 813 (médiane = 600). Les 10 OIRI comptant le plus grand nombre de bénévoles en ont en moyenne 712 (médiane = 200) contre 18 (médiane = 11) pour les autres. Le nombre de bénévoles est plus élevé au sein des maisons d’hébergement pour hommes (1368 ; médiane = 175). Les principales activités des bénévoles sont l’organisation/l’animation (48 %) et la cuisine ou le ménage (46 %).

2) Relations interorganisationnelles : Participation aux regroupements ou tables de concertation

La quasi-totalité des OIRI (91 %) participent à un regroupement d’OC. Plus de la moitié des OIRI sont membres du RAPSIM (59 %), 27 % sont membres de la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal (FOHM) et 19 % du Réseau alternatif et communautaire des organismes en santé mentale de l’île de Montréal (RACOR). Par ailleurs, près de la moitié participe à une table de concertation en itinérance (48 %) ou en santé mentale (40 %).

Références effectuées et reçues

Le score moyen d’intensité des références effectuées par les OIRI au cours des douze derniers mois vers les services offerts aux PIRI est de 22 (sur 100), contre 16 pour les références reçues. Quel que soit le type d’OIRI, le score moyen des références effectuées vers les OC est plus élevé (Tableau 3). Le score moyen des références reçues des OC est plus élevé quel que soit le type d’OIRI à l’exception des maisons d’hébergement pour hommes en difficulté, où les références reçues proviennent davantage du RSSS.

Protocole d’entente et collaborations informelles significatives et récurrentes

Les OIRI ont en moyenne deux protocoles d’entente signés avec les organismes du RSSS ou de l’intersectoriel (é.-t. = 3,0). Plus du tiers des OIRI (38 %) ne possèdent aucun protocole d’entente signé. C’est le cas de la majorité des OIRI en VIH/sida (89 %) et de ceux pour personnes démunies (53 %). Un plus grand nombre d’OIRI ont des protocoles d’entente avec les organismes de l’intersectoriel (44 %) qu’avec le RSSS (32 %). Les OIRI possédant des protocoles d’entente avec le RSSS les ont signés surtout avec les centres hospitaliers (16 %) et les CSSS (13 %), tandis que sur le plan de l’intersectoriel, les protocoles d’entente sont principalement signés avec l’OMH (22 %), les municipalités (21 %) et les centres locaux d’emploi (19 %). Le score moyen d’intensité des collaborations informelles significatives et récurrentes est de 35 (sur 100) entre les OIRI et respectivement les organismes du RSSS et les différents types d’OC et de 17 avec l’intersectoriel.

Tableau 3

Répartition des organismes selon les budgets (global et programme SOC) et les types d’OIRI

Répartition des organismes selon les budgets (global et programme SOC) et les types d’OIRI

Index : CSSS = centre de santé et de services sociaux ; OIRI = organismes desservant les personnes itinérantes ou à risque d’itinérance ; VIH = virus de l’immunodéficience humaine ; sida = syndrome de l’immunodéficience acquise.

*

Score moyen établi sur une échelle de 0 à 100.

**

Les données relatives aux références reçues par les CSSS ne sont pas spécifiées.

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Niveau de satisfaction / changement dans les relations interorganisationnelles

Le taux de satisfaction des relations interorganisationnelles (de correctes à très satisfaisantes) des OIRI est de 68,1 % (Tableau 4). Les OIRI jugent de manière plus positive leurs relations avec les OC que celles entretenues avec les organismes de l’intersectoriel ou du RSSS. Cela est vrai pour chaque type d’OIRI, à l’exception de ceux pour personnes démunies qui sont davantage satisfaits de leurs relations avec l’intersectoriel. Par ailleurs, la plupart des OIRI ne notent aucun changement dans leurs relations interorganisationnelles depuis la réforme de la santé et des services sociaux en 2005, avec les organisations suivantes : hôpitaux psychiatriques (48 %) ; CSSS (53 %) ; centres hospitaliers généraux et municipalités (60 %) ; autres établissements du RSSS (ex. : centres de désintoxication) (62 %) ; ASSS (63 %) ; et autres OC (66 %).

Tableau 4

Taux de satisfaction des relations avec les différents secteurs d’organisations en fonction du type d’OIRI (n = 68)*

Taux de satisfaction des relations avec les différents secteurs d’organisations en fonction du type d’OIRI (n = 68)*

Index : CSSS = centre de santé et de services sociaux ; OIRI = organismes desservant les personnes itinérantes ou à risque d’itinérance ; VIH = virus de l’immunodéficience humaine ; sida = syndrome de l’immunodéficience acquise.

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Appréciation de l’accessibilité aux services

Le score moyen d’appréciation de la gamme de services offerts sur le territoire des OIRI pour les PIRI sur 100 est de 35. L’accessibilité aux professionnels et la disponibilité en termes d’heures d’ouverture sont les principaux problèmes identifiés, avec des scores moyens respectifs de 27 et de 39. L’accessibilité à un médecin de famille et à un psychiatre sur leur territoire est très inadéquate ou inadéquate selon la majorité des OIRI, avec respectivement 91 % et 78 %.

Le score moyen d’appréciation générale de l’adéquation des services à répondre aux besoins des PIRI est évalué à 38 (sur 100). Les services jugés les plus inadéquats par les OIRI sont les logements privés (81 %), les logements sociaux (76 %), les services d’hébergement (60 %), les services de soutien au logement (58 %), les services bancaires (57 %) et les services juridiques (53 %). Finalement, la presque totalité des OIRI accorde de l’importance à la complémentarité entre le réseau communautaire et le RSSS (95 %) ou entre le communautaire et l’intersectoriel (94 %).

Déterminants de la collaboration

Les scores globaux de collaboration obtenus selon un score Z varient entre 3,23 et -1,45 (moyenne = 0,005 ; é.-t. = 1). Les OIRI pour personnes démunies ; en santé mentale et en alcoolisme/toxicomanie et autres dépendances performent principalement en dessous de la moyenne globale de collaboration. Les CSSS et les maisons d’hébergement pour hommes en difficulté performent au-dessus de la moyenne (Tableau 5). Dans le modèle multivarié, quatre variables sont corrélées à l’intensité des relations interorganisationnelles : le nombre de services offerts, l’appréciation des relations avec les organismes du RSSS, le pourcentage d’anglophones et le pourcentage de clients ayant des problèmes de jeu. Le nombre de services offerts (β = 0,11 ; p = 0,02) et l’appréciation des relations avec les organismes du RSSS (β = 0,04 ; p = 0,006) augmentent significativement le niveau de collaboration.

Tableau 5

Déterminants de la collaboration inter organisationnelle

Déterminants de la collaboration inter organisationnelle

R2 = 40,10 %

Index : CSSS =c entre de santé et de services sociaux ; VIH =v irus de l’immunodéficience humaine ; sida = syndrome de l’immunodéficience acquise ; E.-T. = écart-type.

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Discussion

L’objectif de cette étude était de présenter un portrait des OIRI de la région montréalaise et d’identifier les déterminants de la collaboration interorganisationnelle. Le taux de réponse de 61 % est excellent pour ce type de recherche où le taux est généralement en dessous de 50 % (Hager et al., 2003).

Les principaux services offerts par les OIRI (activités et loisirs, accueil/références) sont ceux les plus couramment offerts par les OC en général (Proulx et Boudreault, 2009 ; Dubé et al., 2009), sauf l’hébergement et le soutien/accompagnement/parrainage qui sont surreprésentés. L’importance des services d’hébergement va de soi, la question du logement étant au coeur de la problématique de l’itinérance et s’explique peut-être par l’insatisfaction quasi généralisée des OIRI concernant les logements privés ou sociaux ou les services d’hébergement ou de soutien au logement offerts dans la région. Par ailleurs, le nombre élevé d’OIRI offrant des services de soutien/accompagnement/parrainage dans la communauté s’explique sans doute parce qu’une vaste proportion de leurs clients manquent d’autonomie en raison de leurs problèmes concomitants. Précisons toutefois que la définition du soutien/accompagnement/parrainage est ici très large, et que très peu d’OIRI ont pour mandat d’offrir du soutien d’intensité variable.

Concernant le financement des OIRI, la proportion du budget provenant du Programme SOC (33 %) est nettement inférieure à celle (64 %) des OC québécois en santé mentale, tel qu’il est indiqué dans une étude récente (Grenier et Fleury, 2009). Elle est cependant supérieure à celle d’une autre étude (23 %) portant sur l’ensemble des OC de la région de la Capitale-Nationale (Dubé et al., 2009). La présence des OIRI pour personnes démunies et des maisons pour hommes en difficulté explique les faibles pourcentages signalés à la fois dans notre étude et celle de Dubé et al., 2009. Ces deux types d’OIRI, fondés souvent par des communautés religieuses (Favreau, 1989), dépendent davantage des dons des particuliers et des fondations privées que du financement public. En outre, ces deux types d’OIRI, et à une moindre échelle ceux en alcoolisme/toxicomanie et autres dépendances, laissent une place plus importante aux bénévoles que les autres types d’OIRI. Les OIRI qui ont besoin d’un grand nombre d’intervenants et d’intervenantes avec une formation professionnelle (santé mentale, jeunesse, etc.) sont davantage financés par le Programme SOC.

Le nombre de services offerts et de personnes rémunérées de chaque OIRI dépend fortement de son budget. Or, le niveau de financement est considéré comme inadéquat par la majorité des OIRI, lesquels sont presque tous des OC. Le sous-financement des OC a d’ailleurs été souvent dénoncé par le RAPSIM et d’autres regroupements. Le sous-financement a des conséquences importantes sur la rétention du personnel ainsi que sur le développement ou le simple maintien des services offerts (RASPSIM, 2007). Il en résulte une perte d’expertise, au profit du RSSS, ainsi qu’une rupture dans la continuité des interventions (RAPSIM, 2007, RRNISMQ, 2004). Les demandes de financement nécessitent par ailleurs beaucoup de temps et d’énergie de la part des OIRI et provoquent une compétition entre ces derniers (Grenier et Fleury, 2009). La rareté des ressources (Provan et al., 1996) peut ainsi entraver la collaboration interorganisationnelle.

Quant à la proportion d’individus ayant des troubles mentaux ou d’alcoolisme/toxicomanie parmi la clientèle des OIRI, elle se compare à celle signalée dans la littérature internationale (Fazel et al., 2008). Ces problèmes concomitants expliquent notamment la nécessité pour les OIRI d’entretenir des relations avec d’autres organismes.

Les OIRI ont tissé des liens solides entre eux, que ce soient par l’entremise de regroupements d’organismes ou de tables de concertation. Ils ont aussi tendance à se référer davantage entre eux plutôt qu’avec les organismes du RSSS ou les ressources intersectorielles. Les maisons d’hébergement pour hommes en difficulté font figure d’exception, étant les seuls OIRI à effectuer plus de référence vers le RSSS que vers les autres OC et à en recevoir également davantage. Cette particularité provient sans doute du rôle central occupé par ces OIRI, lesquels englobent les grands refuges, et de leur légitimité (Gray et Wood, 1991) dans le domaine de l’itinérance. C’est vers eux qu’est dirigée toute la clientèle masculine adulte ayant besoin d’un refuge temporaire pour la nuit. Inversement, on peut présumer que ces OIRI adressent davantage de clients présentant des problématiques trop lourdes (santé mentale, dépendance, etc.) aux ressources du RSSS répondant à leurs besoins spécifiques.

Les relations que les OIRI entretiennent avec leurs partenaires sont très majoritairement de type informel. Cela est particulièrement vrai pour les OIRI pour personnes démunies et ceux en alcoolisme/toxicomanie et autres dépendances, qui sont les ressources les moins nanties. Selon la littérature, les plus petits organismes ont moins tendance à s’engager dans des relations formalisées (Foster et Meinhard, 2002 ; Grenier et Fleury, 2009). Par ailleurs, les OIRI ont davantage tendance à formaliser leurs relations avec le réseau intersectoriel qu’avec le RSSS. Ce phénomène s’explique probablement par le rôle joué par les municipalités, plus particulièrement la Ville de Montréal par l’entremise de l’OMH, dans le domaine du logement social. On peut penser qu’en formalisant leurs rapports avec le réseau intersectoriel (municipalités, Office municipal d’habitation, etc.), les OIRI obtiennent des ressources financières supplémentaires qui garantissent leur survie ainsi qu’une reconnaissance officielle de leur part (Gadoury et al., 2006 ; Gray et Wood, 1991).

L’étude indique également que les OIRI envoient et reçoivent en général relativement peu de références de la part du RSSS, sont peu satisfaits de leurs relations avec les organismes du RSSS et très insatisfaits de l’accessibilité des services et des professionnels de ce dernier. L’insatisfaction est surtout notable chez les OIRI pour personnes démunies, mais aussi chez les OIRI dont la mission principale concerne l’alcoolisme/toxicomanie et autres dépendances, et le VIH/sida. Il est possible que ces types d’OIRI craignent davantage l’effet qu’une formalisation de leurs relations avec le RSSS aurait sur leur autonomie (Duval et al., 2005 ; Grenier et Fleury, 2009). Plusieurs d’entre eux ont été fondés dans le but de développer des modèles de pratiques distinctes de celles prônées par le RSSS (Roy, 2008) et leurs relations avec ce dernier prennent souvent encore la forme d’une « coopération conflictuelle » (Lamoureux, 1994 ; Duval et al., 2005). Les organismes plus radicaux et revendicateurs collaborent beaucoup moins avec le RSSS que les plus modérés (Emerick, 1990).

Concernant les déterminants de la collaboration interorganisationnelle, il est logique que les maisons d’hébergement pour hommes en difficulté, pour les raisons précédemment mentionnées, ainsi que les CSSS soient les types d’OIRI entretenant le plus de collaboration. Dans le cas des CSSS, chacun d’entre eux a pour mandat d’améliorer l’intégration des services entre les organismes de son territoire, ceci afin de mieux répondre aux besoins de la population qui y réside.

L’association entre le degré de collaboration interorganisationnelle et le nombre de services offerts par l’OIRI est cohérente avec la littérature. Les organismes offrant le plus de services sont plus attrayants pour des partenaires éventuels et ont donc davantage d’opportunités d’entretenir des relations avec d’autres organisations (Foster et Meinhard, 2002). L’association entre le degré de collaboration interorganisationnelle et l’appréciation des relations avec les organisations du RSSS est également cohérente. Comme la plupart des OC, les OIRI entretiennent avec leurs partenaires des relations basées sur la confiance (Grenier et Fleury, 2009).

L’association entre le degré de collaboration interorganisationnelle des OIRI et le pourcentage d’anglophones parmi leur clientèle peut s’expliquer par un dédoublement dans la demande de services, ces OIRI devant solliciter des ressources à la fois des réseaux anglophones et francophones. Finalement, la tendance constatée entre le degré de collaboration et les problèmes de jeu s’explique peut-être par les défis spécifiques reliés à cette problématique. Selon les études internationales, les personnes ayant des problèmes de jeu ont plus de difficultés à s’adapter, présentent plus d’impacts négatifs (finance personnelle ou familiale, conflits familiaux, etc.) que celles qui n’ont pas ce problème (Castellani et al., 1996), et ont souvent d’autres problèmes concomitants de dépendance et de santé mentale (Lesieur et Heineman, 1988 ; Shaffer et al., 2002). Aussi la population pauvre, comme les PIRI, est plus à risque de présenter des problèmes de jeu que la population générale, car elle espère améliorer significativement sa qualité de vie en gagnant à la loterie ou à d’autres jeux de hasard (Shaffer et al., 2002).

Conclusion

Cet article présente certaines limites. Premièrement, certaines informations telles que les prévalences des différents diagnostics doivent être interprétées avec prudence, car il s’agit d’estimation de la part des OIRI répondants. On peut également s’interroger sur la fiabilité ou l’objectivité des OIRI concernant l’intensité et la qualité de leurs relations interorganisationnelles. Les réponses des OIRI sont probablement teintées par l’idéologie ou les opinions politiques de leurs dirigeants et de leurs intervenants. Une approche qualitative aurait permis de mieux faire ressortir cet aspect. Par ailleurs, il nous a été impossible dans le cadre de cette étude de comparer les caractéristiques des OIRI montréalais avec celles d’organismes intervenant en itinérance dans d’autres villes ou pays.

Cette étude a toutefois comblé d’importantes lacunes en mettant en lumière la diversité et le dynamisme des OIRI à Montréal. Elle a montré que le réseau de l’itinérance montréalais inclut une pluralité de secteurs (santé mentale, jeunesse, VIH/sida, etc.), ayant tissé entre eux des liens de collaboration significatifs, mais généralement informels. La collaboration des OIRI avec le RSSS gagnerait toutefois à être davantage accrue et améliorée, cela afin de répondre aux problèmes concomitants auxquels sont confrontées les PIRI. Des corridors de services pourraient ainsi être constitués afin de faciliter la prise en charge des PIRI ayant des problèmes spécifiques, tels le jeu pathologique et les troubles graves de santé mentale, par des services spécialisés, ce qui permettrait aux OIRI non spécialisés de mieux prendre en charge les cas plus légers. Enfin, la question d’un financement adéquat des OIRI demeure un enjeu crucial, particulièrement en vue de permettre à ces derniers de conserver leur expertise.

Sigles et acronymes

  • ASSSM : Agence de la santé et des services sociaux de Montréal

  • CSMC : Commission de la santé mentale du Canada

  • CSSS : Centre de santé et de services sociaux

  • MSSS : Ministère de la Santé et des Services sociaux

  • OC : Organismes communautaires

  • OIRI : Organismes desservant les personnes itinérantes ou à risque d’itinérance

  • OMH : Office municipal d’habitation

  • PI : Personnes itinérantes

  • PIRI : Personnes itinérantes ou à risque d’itinérance

  • PRI : Personnes à risque d’itinérance

  • RAPSIM : Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal

  • RSSS : Réseau de la santé et des services sociaux

  • SOC : Soutien aux organismes communautaires