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Introduction

L’eau constitue l’une des ressources naturelles les plus importantes pour la survie de l’humanité et le développement socio-économique des nations. Aliment à part entière, toute eau destinée à la consommation humaine doit être disponible continuellement, en quantité suffisante, et ne doit pas présenter de risques pour la santé. Selon l’OMS et l’UNICEF (2000), 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à une eau de boisson saine. Des estimations plus récentes (WHO, 2005) indiquent que cette situation entraîne chaque année la mort de 1,6 million d'enfants par maladies diarrhéiques et près de 4 millions d’êtres humains par des maladies liées à l’eau et à l’environnement. D’après BUISSON (2001), les diarrhées comptent parmi les maladies les plus fréquentes et les plus répandues dans le monde et constituent la première cause de mortalité infantile dans les pays en développement. En Afrique sub-saharienne, les diarrhées infantiles constituent un problème de santé publique, en raison de la prolifération des germes entéropathogènes transmis le plus souvent par l’eau de boisson non traitée.

Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (2010), l’accès à l’eau potable au Burkina Faso s’est nettement amélioré ces dernières années avec un taux national d’accès qui est passé de 18,3 % en 1993 pour atteindre 66,3 % en 2007. Les Nations Unies (2010) estiment que ces bons résultats ont permis au pays d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) dans ce secteur.

Des études récentes (AOUBA, 2012), ont montré que la situation n’est pas pour autant satisfaisante malgré les efforts faits par les gouvernements, notamment en milieu rural où les populations sont confrontées à la gestion optimale des points d’eau. Selon DIANOU et al. (2003, 2004, 2011), MAHRH (2011), PN-AEPA (2006), ROSILLON et al. (2012b) et TRAORE (2003), la qualité de l’eau consommée par les populations dans certaines zones rurales du Burkina Faso, au-delà de l’aspect quantitatif, est très préoccupante du fait de la concurrence de points d’eau traditionnels, du manque d’entretien des ouvrages hydrauliques, de l’insuffisance de l’hygiène et de l’assainissement et du manque de méthodes appropriées de désinfection à l’échelle familiale. Toujours d’après DIANOU et al. (2004, 2011), KOUKOUNARI et al. (2007) et TRAORE (2003), certaines eaux de rivière et de marigot continuent d’être utilisées en milieu rural pour la consommation humaine, notamment dans la vallée du Sourou. Il ressort clairement la nécessité de traiter les eaux de consommation dans certaines régions rurales pour un accès effectif à l’eau potable et pour l’atteinte des OMD dans ce secteur.

La coagulation-floculation est une méthode permettant d’éliminer la turbidité constituée, d’une part, de matières en suspension (minérales et organiques) ainsi que de matières organiques dissoutes et, d’autre part, de microorganismes pathogènes (bactéries, parasites et virus) (DEGREMONT 2005; DESJARDINS 1997). Ce procédé très important constitue la première étape du traitement conventionnel des eaux et utilise généralement le sulfate d’aluminium comme coagulant. Outre ces substances chimiques, des études ont montré l’efficacité de certaines substances organiques en tant que coagulant. Au regard de l’état de pauvreté des populations rurales au Burkina Faso, les méthodes viables pour le traitement des eaux, outre leur performance, doivent être simples, accessibles et de moindre coût. D’après FOLKARD et Sutherland (2002), les technologies associées au traitement de l'eau doivent être aussi simples que possible, robustes et abordables à installer et à entretenir dans les pays en développement. Ainsi, plusieurs études (FABY et ELELI, 1993; JAHN, 1988a; KABORE, 2011) ont montré l’efficacité des graines de Moringa oleifera dans la clarification des eaux et l'élimination des microorganismes pathogènes.

La présente étude vise à mieux documenter l’influence des concentrations de Moringa oleifera et du temps de décantation pour un traitement optimum en fonction de différentes caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques des eaux de consommation et à évaluer, en fonction des concentrations de Moringa oleifera, l’abattement des bactéries et des parasites intestinaux. L’étude vise aussi à évaluer l’effet du traitement sur certains paramètres physico-chimiques d’intérêt sanitaire, notamment les nitrates et nitrites ainsi que sur la qualité organoleptique des eaux.

1. Matériel et méthodes

Pour cette étude, les propriétés floculantes des graines de Moringa oleifera ont été exploitées pour réaliser la coagulation-floculation pour la clarification et l’élimination des microorganismes des eaux. La démarche a consisté à appliquer différents traitements à base de coagulant de graines de M. oleifera à des échantillons d’eau brute de différentes provenances du Burkina Faso utilisée pour la consommation humaine, puis à suivre leurs caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques. L’efficacité des traitements a été évaluée en comparant les caractéristiques des échantillons traités à celles des échantillons non traités et aux normes de référence de l’OMS pour les eaux de consommation.

1.1 Sites d’étude et échantillonnage

Quatre sites, dont 75 échantillons d’eau provenant des barrages N° 3 de la ville de Ouagadougou (Ouaga 3) et de Loumbila (périphérie de Ouagadougou) dans la province du Kadiogo et utilisés pour l’approvisionnement en eau potable de la ville de Ouagadougou après traitement ainsi que ceux de la rivière Gana et du puits busé à grand diamètre de Bouaré dans la province du Sourou ont été retenus pour cette étude. Sur chaque site, les échantillons d’eau ont été collectés en triplicata dans des flacons stériles puis conservés à 4 °C dans des glacières et rapidement transportés au laboratoire pour les traitements et analyses.

1.2 Préparation du coagulant de Moringa oleifera

Les graines mûres et sèches de M.oleifera obtenues au Centre National de Semences Forestières (CNSF) ont été décortiquées puis broyées selon la technique décrite par FOLKARD et Sutherland (2002). La poudre fine obtenue a été utilisée pour la préparation de la solution mère de coagulant de M. oleifera. Pour cela, 20 g de poudre de graines ont été dilués dans 1 litre d’eau distillée stérilisée et le mélange agité durant une heure afin d’extraire le coagulant qui a été utilisé pour traiter les eaux.

1.3 Traitement des échantillons d’eaux

Au laboratoire, les échantillons ont été traités en triplicata avec des concentrations croissantes de coagulant de graines de Moringa oleifera afin de pouvoir déterminer les doses adéquates en fonction des caractéristiques des différents échantillons. Pour réaliser les jar-tests, 500 mL de chaque échantillon d'eau ont été introduits dans des béchers d’un floculateur à commande électrique à six postes (FC6S Jar-Test Velp Scientifica) suivi de l’ajout de différents volumes de coagulant. L’agitation des eaux après introduction du coagulant s’est faite en deux phases : une agitation rapide à 150 tours•min‑1 pendant cinq minutes et une agitation lente à 45 tours•min‑1 pendant 15 minutes.

1.4 Caractéristiques physico-chimiques du coagulant et des échantillons d’eau

Les caractéristiques physico-chimiques des eaux brutes ainsi que celles du coagulant extrait des graines de M. oleifera ont été déterminées. Les paramètres physico-chimiques de potabilité des eaux de boisson ciblés ont été la turbidité, le pH, les concentrations en nitrates, nitrites, calcium, magnésium, sulfates, la dureté totale, la matière organique et les matières en suspension. La turbidité, le pH et la température ont été mesurés avant et toutes les 30 minutes durant deux heures, puis 24 heures après traitement pour tous les échantillons afin de déterminer les conditions optimales et les facteurs influençant le traitement. Les autres paramètres ont été déterminés aux conditions optimales afin d’évaluer l’effet des traitements sur la composition physico-chimiques des eaux.

La turbidité a été mesurée à l’aide d’un turbidimètre de laboratoire (550 IR WTW); le pH et la température avec un pH-mètre couplé à un thermomètre (330i WTW; pH électrode Sen Tix 41).

La matière organique a été déterminée par la méthode de perte au feu de la matière sèche. Pour cela, 100 mL d’eau ont été filtrés et calciné à 550 °C pendant deux heures dans un four de marque Optima selon le principe de la norme française NF 90-105. Les concentrations en calcium, magnésium, et dureté totale ont été déterminées selon les méthodes titrimétriques dont les principes sont conformes aux normes françaises, respectivement NF T 90-016 pour le calcium-magnésium, et NF T 90-003 pour la dureté totale. Les dosages des concentrations en nitrates, nitrites et sulfates ont été réalisés par la méthode de spectrophotométrie avec le spectrophotomètre Lange Hach DR 3800, selon les méthodes 8051, 8039, 8507 respectivement pour les sulfates, nitrates et nitrites du manuel des spectrophotomètres DR (2000,2010, 2500, 2800, 3800).

1.5 Caractéristiques microbiologiques des eaux

Les indicateurs microbiologiques de pollution fécale des eaux (Escherichia coli, Coliformes fécaux, Streptocoques fécaux et kystes de parasites) ont été déterminés sur tous les échantillons avant et aux conditions optimales de traitement. Les coliformes fécaux, E. coli et streptocoques fécaux ont été déterminés suivant la méthode de filtration sur membrane et étalement sur les milieux de culture spécifiques. Le milieu RapidE.coli pour E. coli et les coliformes fécaux et le milieu bile esculine pour les streptocoques fécaux. L’incubation a été faite à 44,5 °C pendant 24-48 heures dans une étuve thermostatée au laboratoire. Les kystes de parasites ont été concentrés et dénombrés au microscope suivant la méthode recommandée par WHO (2004).

Les analyses ont été effectuées dans les deux jours qui ont suivi le prélèvement, respectivement au laboratoire de l’Office National de l’Eau et de l’Assainissement pour les paramètres physico-chimiques, et au laboratoire de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé pour les paramètres microbiologiques.

1.6 Analyse statistique

Tous les résultats obtenus ont été soumis à une analyse de variance (ANOVA) avec le logiciel statistique XLSTAT-Pro 7.5 et les moyennes ont été comparées en utilisant le test de Newman Keuls au seuil de probabilité p = 5 %.

Les paramètres mesurés ont été évalués suivant les normes WHO (2011) pour la qualité des eaux de boisson.

2. Résultats et discussion

2.1 Caractéristiques physico-chimiques des eaux et du coagulant

Le tableau 1 montre les résultats des paramètres physico-chimiques des eaux brutes et du coagulant utilisé pour le traitement. Il en ressort que les graines de M. oleifera sont riches en minéraux, notamment les nitrates et les sulfates, et en matière organique. Cela pourrait entraîner une augmentation de la concentration de ces minéraux et de la matière organique dans les eaux traitées. En ce qui concerne l’échantillon du Gana, les valeurs élevées des paramètres physico-chimiques sont dues aux multiples usages et à la forte activité humaine dont le site fait l’objet. En effet, le site est une rivière où l’eau est utilisée pour les activités domestiques, récréatives ainsi que pour la consommation humaine et animale. Cela explique la turbidité élevée et les fortes concentrations en matières organiques et en certains minéraux.

Tableau 1

Caractéristiques physico-chimiques du coagulant et des eaux brutes des différents sites

Physico-chemical characteristics of coagulant and raw water of different sites

Caractéristiques physico-chimiques du coagulant et des eaux brutes des différents sites

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2.2 Évolution de la turbidité des eaux en fonction du temps de décantation pour différentes concentrations de coagulant de M. oleifera

Bien que la turbidité ne soit pas un indicateur direct de risque pour la santé, BRATBY (2006) a montré une forte relation entre l'abattement de la turbidité et celui des microorganismes. Aussi, la turbidité peut fournir de la nourriture et un abri aux agents pathogènes favorisant ainsi leur prolifération et des flambées de maladies d'origine hydrique (ALTAHER et ALGHAMDI, 2011), d’où l’importance de ce paramètre dans le traitement et la stabilité des eaux. La figure 1 présente l’évolution de la turbidité des eaux en fonction du temps de décantation et des concentrations de M. oleifera pour les différentes eaux.

Figure 1

Évolution de la turbidité des eaux en fonction du temps de décantation pour différentes concentrations de Moringa oleifera  : (a) Loumbila, (b) Ouaga3, (c) Gana, (d) Bouaré

Evolution of the water sample turbidity in relation to the settling time for different concentrations of Moringa oleifera: (a) Loumbila, (b ) Ouaga3, (c) Gana, (d) Bouaré

Évolution de la turbidité des eaux en fonction du temps de décantation pour différentes concentrations de Moringa oleifera  : (a) Loumbila, (b) Ouaga3, (c) Gana, (d) Bouaré

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De ces figures, il ressort que la clarification des eaux est rapide durant les trente premières minutes et lente après une une heure de décantation pour les différentes concentrations de M. oleifera. Cela s’observe pour tous les échantillons d’eau exceptés ceux de Ouaga 3 et Bouaré.

Pour les eaux brutes de Ouaga 3 qui présentaient une faible turbidité initiale (9,06 NTU) due à l’absence de colloïdes et de matières en suspension, l’introduction du coagulant a entraîné une augmentation de la turbidité des eaux suivie d’une décantation lente des particules (Figure 1b). M. oleifera est un coagulant primaire qui provoque la formation de ponts entre les colloïdes. Du fait de la faible présence de très peu de colloïdes dans l’eau brute, la matière organique du coagulant de M. oleifera entraine une augmentation de la turbidité. La turbidité des eaux après traitement est restée élevée par rapport à la turbidité initiale durant une heure et décroît pour atteindre des valeurs de l’ordre de 2 NTU au bout de 24 heures pour toutes les concentrations de M. oleifera, valeurs de turbidité conformes à la norme OMS pour l’eau de boisson. L’abattement de la turbidité observé a été de 24,69 % pour deux heures de décantation et 76,34 % pour 24 heures avec 300 mg•L‑1 de coagulant. Pour cet échantillon, les concentrations de coagulant utilisées (100-300 mg•L‑1) sont assez élevées, au regard de la faible turbidité initiale de l’échantillon. Les eaux de faible turbidité nécessitent des doses assez élevées car la probabilité de collisions des particules est faible (FABY et ELELI, 1993). Le traitement classique de coagulation-floculation et sédimentation n’est pas très efficace sur ces types d’eau lorsque l’on utilise les graines de M. oleifera (FOLKARD, 1997; JAHN, 1988a). Ainsi, FOLKARD (1997) a proposé que pour ces types d’eaux (turbidité inférieure à 35 NTU), la méthode de contact floculation-filtration qui consiste à introduire le coagulant dans l’eau brute juste avant l’entrée dans un filtre est l’idéale. Pour cette méthode, la floculation et le dépôt des flocs se font directement dans le filtre, rendant le traitement plus efficace.

Le traitement de l’échantillon de Bouaré (eau de puits contenant de fines particules d’argile) a aussi nécessité des concentrations assez élevées (400-800 mg•L‑1) au regard de la turbidité initiale (150 NTU). Pour cette eau, l’abattement de la turbidité obtenu pour un temps de décantation de deux heures et 24 heures et pour une concentration de 800 mg•L‑1 de M. oleifera a été de 75,34 % et 87,58 % pour des valeurs respectives de turbidité de 36,7 et 18,5 NTU. Ces valeurs de turbidité sont nettement supérieures à celle recommandée par l’OMS (≤ 5 NTU). La formation de très petits flocs observée pour cette eau entraîne une clarification lente et imparfaite (Figure 1d). Cela s’explique par les faibles poids moléculaires des particules (argiles) qui sédimentent très lentement.

Concernant l’échantillon du Gana qui présentait une turbidité élevée (6 681 NTU), de fortes concentrations de coagulant (> 7 g•L‑1 ) ont été utilisées. Un abattement rapide de la turbidité au bout de 30 minutes de décantation a été observé pour toutes les concentrations de M. oleifera. La concentration de 8 g•L‑1 de M. oleifera donne la meilleure turbidité aussi bien pour deux heures (262 NTU) et 24 heures (74 NTU) de décantation pour cette eau pour des abattements respectifs de 96,07 % et 98,88 %. Au-delà de cette concentration, la turbidité de l’eau reste uniformément élevée due à un excès de matière organique du coagulant (Figure 1c). Toutefois, bien que la clarification soit très importante, le traitement demeure inefficace pour obtenir de l’eau propre à la consommation même au bout de 24 heures. Ainsi, les échantillons fortement chargés en matières organiques (turbidité > 1 000 NTU) nécessitent des doses de M. oleifera très élevées (FOLKARD, 1997).

En ce qui concerne l’échantillon d’eau de Loumbila, la concentration de 250 mg•L‑1 de M. oleifera donne la meilleure valeur de turbidité aussi bien pour deux heures (6 NTU) que 24 heures de décantation (4 NTU) pour des abattements de 90,18 % et 93,7 % respectivement au bout de deux et 24 heures de décantation. À cette concentration, la turbidité obtenue après 24 heures de décantation (4 NTU) repond à la norme fixée par l’OMS (Figure 1a).

Les graines de M. oleifera contiennent un polypeptide basique, plus précisément un ensemble de poly-électrolytes cationiques actifs de 12-14 kDa (KATRE et al., 2008; NDABIGENGESERE et al.,1995; OKUDA et al.,1999). Ces poly-électrolytes de charge positive neutralisent les colloïdes des eaux troubles car la majorité de ces colloïdes ont une charge négative (FOILD et al., 2002). De l’ensemble des résultats, il ressort que l’efficacité du traitement des eaux avec les graines de M. oleifera varie d'une eau à une autre. Les doses requises dans le traitement des eaux au M. oleifera varient en fonction du taux de matière organique présent dans l’eau, de la turbidité initiale de celle-ci et de la nature des éléments à floculer, notamment celle des argiles (FABY et ELELI, 1993; FOLKARD, 1997).

Les temps de décantation compris entre 1,5 et 2 heures ont permis une élimination très significative de la turbidité des eaux. Bien que des temps de décantation de 24 heures donnent les meilleures valeurs de turbidité, la qualité organoleptique des eaux est fortement affectée (odeur, goût, aspect) du fait de la présence de matière organique des graines de M. oleifera. En accord avec nos résultats, JAHN (1988a) a conseillé une décantation de 1-2 heures, suivie d’une filtration et chloration, afin d’éliminer les particules et les microorganismes résiduels en suspension.

Selon FOLKARD et al. (2002), la dose de graines de Moringa oleifera nécessaire pour le traitement se situe entre 75 et 200 mg•L‑1, selon la turbidité initiale de l'eau. Nos études ont montré que pour des eaux moyennement turbides (75-100 NTU), la dose optimale de coagulant se situe entre 250 et 300 •L‑1 pour obtenir des valeurs répondant à la norme de potabilité des eaux de boisson (échantillons de Loumbila). Pour des eaux contenant des particules d’argiles, les concentrations nécessaires sont également élevées du fait du faible poids moléculaire des particules qui sédimentent très lentement. C’est le cas de l’échantillon de Bouaré pour lequel une concentration de 800 mg•L‑1 a été utilisée pour ramener la turbidité de 150 à 18,5 NTU. Ces résultats montrent qu’en fonction du degré de pollution des eaux les concentrations de coagulant varient. Toutefois FOLKARD (1997), FOLKARD et SUTHERLAND (1992) ont montré que l’abattement de la turbidité n’est pas proportionnel à la quantité de M. oleifera mais tient compte aussi de la qualité de la graine (l’origine de l’arbre), c'est-à-dire de la concentration en protéines actives.

2.3 Influence du traitement sur le pH des échantillons d’eaux

Les pH des eaux utilisées pour cette étude sont proches de la neutralité (entre 7 et 8). Les variations de pH enregistrées avant et après traitement sont comprises respectivement entre 0,15-1,73 unité pH. Ainsi, la composition chimique (pH, conductivité) des eaux évolue peu après traitement au M. oleifera (FOLKARD, 1997). Cela est en accord avec nos résultats qui indiquent que le traitement influe peu sur le pH de l’eau dont la variation n’est pas statistiquement significative sauf pour les échantillons du Gana où la dose utilisée est très élevée.

2.4 Effet du traitement sur les paramètres physico-chimiques des eaux

Le tableau 2 présente les résultats de l’analyse de variance des concentrations de nitrates, nitrites, calcium, magnésium, matières organiques, matières en suspension et la dureté totale des eaux déterminées avant et aux conditions optimales de traitement.

Tableau 2

Analyse de variance de paramètres physico-chimiques en fonctions de la source de l’échantillon et du traitement au Moringa oleifera

Analysis of variance of aqueous physico-chemical parameters in relation to sampling source (site) and treatment with Moringa oleifera

Analyse de variance de paramètres physico-chimiques en fonctions de la source de l’échantillon et du traitement au Moringa oleifera

CM = carrés moyens; ** = significatif au seuil de 1%.

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Il en ressort que le traitement a un effet très significatif sur tous les paramètres ciblés (p<0,0001). Une baisse très significative des concentrations de nitrates, calcium, magnésium et dureté totale a été observée pour tous les échantillons, contre une augmentation de celles des sulfates, matières organiques et matières en suspension pour tous les échantillons excepté celui du Gana.

Le tableau 3 présente l’évolution des paramètres physico-chimiques des eaux avant et après traitement.

Tableau 3

Paramètres physico-chimiques moyens des eaux avant (Av) et après (Ap) traitement au Moringa oleifera

Mean physico-chemical parameters of water samples before (Av) and after (Ap) treatment with Moringa oleifera

Paramètres physico-chimiques moyens des eaux avant (Av) et après (Ap) traitement au Moringa oleifera

Pour chaque paramètre, les valeurs qui ont une lettre en commun dans une ligne ne sont pas significativement différentes selon le test de Newman-Keuls au seuil de 5 %.

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Pour les échantillons de Loumbila et de Ouaga3 qui contenaient de faibles concentrations de nitrates (1 mg•L‑1), le traitement a induit une augmentation de près de 100 % qui pourrait être due à la présence de nitrates dans le coagulant (cf. Tableau 1). Ce léger apport en nitrates n’affecte nullement la qualité de ces eaux dont le seuil de tolérance est de 50 mg•L‑1 (WHO, 2011).

Pour les échantillons de Gana et Bouaré, par contre, les concentrations en nitrates ont significativement baissé respectivement de 98 et 60 % aux conditions optimales de traitement. La coagulation avec des graines de M. oleifera est basée sur l'adsorption et la neutralisation dans l'eau de particules chargées négativement (colloïdes) et de métaux par des charges positives des protéines actives (VIKASHNI et al., 2012). Ce mécanisme pourrait expliquer l’élimination des nitrates, nitrites ainsi que du calcium, magnésium et de la dureté totale avec les colloïdes pour ces échantillons (p<0,0001). Pour tous les échantillons, une augmentation des sulfates (50 à 150 %), des matières organiques (30 à 100 %) et des matières en suspension (35 à 48 %) a été observée avec le traitement excepté celui du Gana pour lequel une baisse des matières organiques et des matières en suspension a été observée. Malgré l’apport d’ions sulfates dans l’eau traitée par le coagulant, les concentrations finales dans les eaux traitées répondent à la norme OMS dont le seuil est fixé à 250 mg•L‑1. Du fait du taux élevé de matières organiques dans le coagulant, le traitement a induit une augmentation de la concentration de matières organiques dans les eaux traitées. En accord avec nos résultats, FATOMBI et al. (2009) ont montré que les graines de Moringa oleifera contiennent près de 94 % de matières organiques et entraînent une augmentation du taux de matières organiques dans l’eau traitée (entre 100 à 400 %), et également de la DBO et DCO.

Le traitement de l’échantillon du Gana a entraîné une baisse des concentrations de matières organiques et en suspension. Le test de corrélation entre la turbidité, la concentration de matières organiques et celle de matières en suspension a montré que ces paramètres suivent une tendance significativement positive. Les corrélations (r) obtenues sont de 0,988 pour la turbidité et les matières en suspension, 0,990 pour la turbidité et les matières organiques et 0,998 pour les matières organiques et les matières en suspension (Tableau 4). Les concentrations initiales en matières organiques et matières en suspension étant très élevées pour cet échantillon, la coagulation-floculation a entraîné également leur sédimentation. Il ressort ainsi que les taux de matières organiques et en suspension influencent l’efficacité du traitement.

Tableau 4

Corrélation entre turbidité, matière organique et matière en suspension

Correlation between turbidity, suspended matter and organic matter

Corrélation entre turbidité, matière organique et matière en suspension

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2.5 Évolution des indicateurs microbiens dans les échantillons d’eau en fonction du traitement au M. oleifera

Les teneurs en indicateurs microbiens de contamination fécale des eaux avant et après traitement au M. oleifera sont présentées par la figure 2.

Figure 2

Évolution des indicateurs microbiens de contamination fécale dans les échantillons eaux en fonction des concentrations Moringa oleifera : (a) Loumbila, (b) Ouaga3, (c) Bouaré; (d) Gana

Evolution of microbial indicators of fecal contamination in water samples in relation to the concentration of Moringa oleifera: (a) Loumbila, (b) Ouaga3, (c) Bouaré, (d) Gana

Évolution des indicateurs microbiens de contamination fécale dans les échantillons eaux en fonction des concentrations Moringa oleifera : (a) Loumbila, (b) Ouaga3, (c) Bouaré; (d) Gana

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L’analyse microbiologique des surnageants des échantillons d’eau traités a montré une élimination très importante de tous les germes au bout de deux heures de décantation. Pour les échantillons d’eau de Loumbila et Ouaga3 (Figures 2a, 2b), l’abattement des coliformes fécaux est statistiquement significatif au seuil 5 % pour toutes les concentrations de M. oleifera testées (p<0,0001). Les concentrations de 250 mg•L‑1 et 300 mg•L‑1 conduisent également à une élimination totale d’E. coli et des streptocoques fécaux respectivement pour ces deux échantillons. 250 mg•L‑1 de M. oleifera a permis un abattement de 100 % des streptocoques fécaux et d’E. coli et 82 % des coliformes fécaux. Par contre, pour l’échantillon de Ouaga3, la concentration de 300 mg•L‑1 de coagulant a permis un abattement de 100 % d’E. coli et 75 % des coliformes fécaux. Aucun kyste de parasites n’a été retrouvé dans les échantillons d’eau de ces deux sites.

Quant aux échantillons d’eau de Bouaré et du Gana, bien que des réductions significatives (p<0,0001) des teneurs en coliformes fécaux, E. coli et streptocoques fécaux soient obtenues aux concentrations de M. oleifera donnant les meilleures clarifications (800 et 8 000 mg•L‑1 respectivement), les teneurs finales de ces indicateurs de pollution fécale restent toutefois supérieures aux seuils recommandés par l’OMS (2011) pour l’eau de boisson (Figures 2c, 2d). Pour l’échantillon de Bouaré (Figure 2c) les abattements ont été de 74 % pour les coliformes fécaux, 87 % pour E. coli et près de 90 % pour les streptocoques fécaux. Aucun kyste de parasites n’a été retrouvé dans cet échantillon. Le traitement s’est révélé moins performant surtout pour l’échantillon du Gana très pollué au plan bactériologique. Les abattements obtenus pour cet échantillon ont été de l’ordre de 95 % pour les coliformes fécaux, 96 % pour les E. coli et 94 % pour les streptocoques fécaux. Quant aux kystes de parasites, principalement ceux de Giardia intestinalis détectés dans les échantillons de ce site, l’abattement a été de 100 %. Sur un plan d’ensemble, les eaux de ces deux sites demeurent impropres à la consommation humaine.

L’efficacité du traitement sur les microorganismes est fonction du degré de pollution initiale des eaux. Aussi, les abattements microbiens sont fonction des caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques initiales de l’eau brute et proportionnels à l’abattement de la turbidité (BRATBY, 2006). En effet, étant donné que les microorganismes sont rattachés aux particules en suspension, leur sédimentation entraîne également celle des microorganismes. Ces facteurs expliquent ainsi les différences observées au niveau des abattements obtenus. Ainsi, plus la clarification est parfaite et la qualité microbiologique initiale acceptable, plus la qualité microbiologique de l’eau traitée est meilleure. Le traitement au M. oleifera est suffisant si l’eau à traiter est de bonne qualité bactériologique (JAHN, 1989). Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus par FOLKARD et SUTHERLAND (1992) puis FABY et ELELI (1993). Selon JAHN (1989), l’inconvénient majeur est l’apport de matière organique apportée par les graines qui peut favoriser, à long terme, la croissance bactérienne dans l’eau traitée, d’où la nécessité d’un temps de stockage relativement court (pas plus de 24 heures). En effet, l’abondance des bactéries dépend de la quantité de substances nutritives présentes dans l’eau sous forme de carbone organique (sucre, acides aminés, acides organiques, etc.). Une eau potable ne doit contenir que 0,5 à 2 mg•L‑1 de carbone organique dissout afin de garantir sa stabilité du point de vue microbiologique (LAUTENSCHLAGER K. et al., 2010). Ainsi, du fait de la présence de matières organiques dans l’eau traitée, le temps de stockage doit être réduit pour éviter une recontamination de l’eau traitée à travers la prolifération de microorganismes.

Sur un plan d’ensemble, les résultats de cette étude font ressortir que lorsque l’eau brute n’est pas trop chargée en microorganismes, le traitement par coagulation-floculation avec les graines de M. oleifera peut être suffisant pour avoir de l’eau potable. Par contre, lorsqu’elle a une turbidité élevée et est trop chargée en microorganismes, le traitement par coagulation-floculation apparaît insuffisant pour avoir de l’eau potable et les eaux doivent subir un traitement additionnel avant toute consommation.

3. Conclusion et perspectives

L’eau potable est un enjeu sanitaire majeur pour les populations, en particulier dans les pays en développement. Les méthodes simples et peu coûteuses de traitement des eaux sont un critère essentiel de la durabilité des processus dans ces pays. Selon JAHN (1988b), les plantes utilisées pour la floculation doivent remplir certaines conditions. Elles doivent être faciles à produire et leur coagulant facile à doser. En outre, elles ne doivent pas présenter de toxicité. Les graines de M. oleifera répondent très bien à ces critères. Les plantes utilisées doivent aussi être cultivables dans de nombreux pays sans nécessiter trop d’espace. M. oleifera est particulièrement facile à cultiver de manière intensive et est adapté à la plupart des zones tropicales. Bien que l’efficacité des graines soit fonction de la qualité initiale de l’eau brute, le traitement permet une nette amélioration de la qualité des eaux de consommation.

À partir de ces résultats prometteurs il sera intéressant d’étendre la recherche sur des méthodes de réduction de la matière organique résiduelle dans l’eau traitée afin de stabiliser l’eau traitée et d'étendre la durée de conservation.