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Introduction

Avec les groupes, les réseaux d’entreprises s’imposent comme figures majeures de notre système productif. Pour l’OCDE (1993, dans Joffre, 1998, p. 52), le réseau est « l’association explicite ou implicite d’agents, d’entreprises manufacturières et de services, d’institutions évoluant dans des domaines complémentaires et ayant pour objet de rapprocher des ressources variées, de développer des relations de confiance entre les membres de ces groupes et de réduire les coûts d’obtention de ces ressources, diminuant ainsi l’incertitude à court et long terme sur le marché ». Ces structures transactionnelles (Fréry, 1998) se démarquent des firmes fordistes : les liens interentreprises se hiérarchisent, la logique de marché pénètre l’organisation, les enveloppes juridiques de l’entreprise coïncident de moins en moins ; on peut donc les qualifier d’hétérarchies (Hedlund, 1986). Largement étudiés en économie industrielle et en stratégie, les réseaux d’entreprises le sont peu en GRH, même si les réseaux « labellisés » comme les systèmes productifs locaux (SPL) et les pôles de compétitivité intéressent les chercheurs de la discipline ; d’autant plus que si l’influence de la taille des entreprises sur leurs pratiques de GRH a été démontrée (Mahé de Boislandelle, 1988, p. 21-48), les incidences du regroupement en réseau restent peu connues.

Le questionnement suivant semble alors pertinent : Comment le réseau peut-il contribuer à « élever » le niveau de GRH des partenaires et quels sont les facteurs favorisant une GRH de réseau ? Notre réflexion s’appuie sur la théorie des réseaux sociaux (Granovetter, 1985) et du capital social (Nahapiet et Ghoshal, 1998). À notre sens, la production et la mobilisation d’un capital social sont l’un de ces facteurs dans la mesure où elles contribuent à créer un environnement propice à l’amélioration de la fonction RH. L’étude présentée porte sur le réseau CAMDIB[1], SPL de 30 entreprises de la filière Travail des métaux du Sud de la France. Elle participe à la réflexion actuelle sur les pratiques de GRH des rapprochements entre firmes juridiquement indépendantes, dans des territoires géographiquement identifiés (Bernon, Grillet, Quint et Trouve, 2006 ; Culié, Defélix, Retour et Valette, 2006). Soutenus par les pouvoirs publics, ces partenariats peuvent faciliter l’accès des PME aux dispositifs de GRH. La première partie analyse les faiblesses présumées des PME en matière de GRH et les effets vertueux de la mise en réseau. La théorie du capital social permet de comprendre comment les pratiques de GRH peuvent s’y développer et constitue notre principal cadre conceptuel. Cette première partie aboutit à la proposition d’une problématique, d’un cadre d’analyse et à la présentation de la méthodologie de l’étude. La seconde partie, consacrée aux résultats de l’étude, met en évidence les conditions du développement d’une dynamique sociale parmi les partenaires et les effets du capital social sur l’environnement de la fonction RH et sur les pratiques de GRH au sein du réseau.

1. Le réseau, une réponse aux faiblesses des PME en matière de GRH ? Les apports de la théorie du capital social

Après avoir pointé les faiblesses des PME en matière de GRH (1.1), nous montrerons, à la lumière de la théorie des réseaux sociaux et du capital social, que la mise en réseau peut contribuer à « élever » le niveau de leurs pratiques et à faire émerger une GRH de réseau (1.2). Puis nous présenterons le terrain et la méthodologie de l’étude (1.3).

1.1. La GRH en PME : des limites liées uniquement à la taille ?

Nul n’ignore le poids des PME dans les pays développés : en Europe, 96 % des entreprises ont moins de 20 salariés, leur taille moyenne est de six salariés. Les PME[2] procurent deux tiers des emplois et près de 45 % de la valeur ajoutée. « Modèle de proximité » (Torrès, 1999), elles ont leurs propres atouts ; elles renversent les hypothèses d’économie d’échelle, de champ et d’expérience qui fondent la supériorité présumée de la grande entreprise (Marchesnay, 1991), mais leurs faiblesses expliquent leur vulnérabilité économique et leurs difficultés en matière de GRH.

1.1.1. Des pratiques contingentes de l’environnement de la fonction

L’influence de la taille sur les pratiques et le niveau de GRH est indéniable. Selon Mahé de Boislandelle (1988), le degré d’élaboration des politiques de GRH dépend de l’effectif. L’environnement de la fonction détermine aussi les pratiques, selon cet auteur :

tout système de gestion se trouve déterminé avec plus ou moins de force par un ensemble d’éléments structurels qui constitue son environnement. Ces éléments structurels peuvent être de nature très diverse : technique, réglementaire, normative, morale, idéologique, économique, etc. Si l’on regarde, de ce point de vue le système de gestion du personnel de l’entreprise, on peut admettre qu’il subit deux séries d’influence : celle de « tout le reste de l’entreprise » dans laquelle il est inclus et celle de l’environnement de l’entreprise, au même titre que tous les autres organes ou fonctions qui forment cette dernière.

Mahé de Boislandelle, 1988, p. 42-43

De même, Vilette (2007) justifie les faiblesses des petites entreprises par le contexte : faible formalisation des politiques, procédures et pratiques de GRH, ressources financières, matérielles et humaines limitées, faible expertise en GRH, forte centralisation sur le propriétaire-dirigeant, résistance au changement (personnel et dirigeant), inadéquation des démarches socioéconomiques et politiques. Corroborés par d’autres études (Garand et Fabi, 1991 ; Garand, 1992), ces résultats montrent une grande hétérogénéité des pratiques de GRH des PME que la taille n’explique qu’en partie.

1.1.2. Les difficultés d’accès aux dispositifs pour les salariés

La culture sociale des dirigeants permet pourtant aux PME de dépasser ces handicaps et d’offrir à leurs salariés des dispositifs, même peu formalisés, n’ayant rien à envier à ceux des grandes entreprises. Fondés sur la proximité dirigeants-salariés, ils concernent surtout la gestion des emplois et la valorisation des hommes. Cependant, l’accès des salariés de PME aux dispositifs de GRH reste en deçà de celui de leurs homologues de GE, dans les différents axes du mix social (Mahé de Boislandelle, 1988, p. 143). Les disparités concernent particulièrement le statut d’emploi (souvent plus précaire en PME qu’en GE[3]), les dispositifs de rémunération et d’épargne salariale[4], l’accès à la formation professionnelle et le dialogue social, souvent inexistant ou embryonnaire, dans les PE. Le recrutement, généralement réservé au dirigeant (Bernon, Grillet, Quint et Trouvé, 2006), se caractérise par des sources peu formelles (Vilette, 2007), des freins à l’embauche, une faible attractivité des postes (Fabi, Lacoursière et Raymond, 2009 ; Paradas, 2007), une main-d’oeuvre souvent locale, aux qualifications mal adaptées aux profils des postes. Les outils de management des PME sont peu normalisés et la coordination est plutôt non formalisée (Paradas, 2007), en raison surtout du rôle central du dirigeant (d’Amboise et Garand, 1995), ce qui induit des processus peu organisés, des contraintes d’accès et d’utilisation de l’information (Jaouen et Tessier, 2008).

Dans quelle mesure le regroupement des PME peut-il faire évoluer leur GRH ? De nombreuses PME se regroupent dans des réseaux plus ou moins formalisés. Selon l’Enquête sur les relations interentreprises (Erie) de 2003[5], près de trois entreprises industrielles sur quatre coopèrent avec une autre. À notre sens, la mise en réseau des PME peut faire progresser leurs pratiques de GRH, pas seulement parce qu’elle leur permet d’obtenir des aides publiques ; elle modifie aussi l’environnement de la fonction en créant un effet de taille même si les membres restent juridiquement indépendants et surtout, en contribuant à la production d’un capital social susceptible de faire progresser leurs pratiques.

1.2. Les réseaux d’entreprises, leviers de la GRH en PME : les apports de la théorie du capital social

La littérature souligne les effets vertueux des groupements interfirmes sur les pratiques de GRH (1.2.1). La théorie du capital social fournit un cadre d’analyse original et riche de ces effets (1.2.2).

1.2.1. La contribution des réseaux à la GRH : les enseignements de la littérature

La littérature relève surtout l’apport des réseaux labellisés pour la GRH ; le fonctionnement des pôles de compétitivité implique une GRH adaptée à la collaboration (Culié, Defélix, Retour et Valette, 2006 ; Defélix, Colle et Rapiau, 2007) et soulève de nouveaux questionnements sur la GRH de réseau.

Au milieu des années 1990, les pouvoirs publics français prennent conscience des enjeux des réseaux qui sensibilisent les PME aux problématiques des RH. Ils initient, dès 1997, une politique de développement des SPL caractérisés, selon le glossaire de la DIACT[6], par « une concentration de PME-PMI, sur un territoire géographiquement limité et défini par elles, spécialisées dans un secteur d’activité, autour d’un métier ou autour d’un produit, concurrentes et complémentaires, pouvant s’appuyer sur une structure d’animation et associant les autres acteurs du territoire ». Ces dispositifs contribuent à « ancrer » les entreprises, à réduire leur vulnérabilité et à permettre leur développement dans les territoires (Mirabaud, 2005). Ces constats ont conduit le CIADT[7], en 2001, à inciter les SPL à coopérer en matière de GRH, notamment pour la formation (Pecqueur, 2005), plus généralement pour la gestion collective des RH (CDIF, 2005). La dimension humaine a aussi été réaffirmée pour les pôles de compétitivité autour de quatre axes (Culié et al., 2006) : les plans prévisionnels de recrutement, les formations collectives, la gestion collective des RH du réseau et les structures communes comme les groupements d’employeurs (GE).

Les quelques études disponibles montrent les apports des regroupements pour l’évolution de la GRH. Selon Soto Maciel (2007), par exemple, l’appartenance à un SPL accroît la visibilité des membres par une communication commune sur le marché du travail. L’échange d’information facilite le recrutement, en limite les coûts (mise en relation des acteurs institutionnels locaux et des organismes de formation, pratiques informelles comme la recommandation et les échanges de candidats, etc.). Le réseau favorise ainsi l’accessibilité au capital humain (Soto Maciel, 2007). Associations à but non lucratif, les groupements d’employeurs facilitent la mutualisation de compétences et d’emplois, une réflexion sur la GPEC (Bouchez, 2003) et sont les vecteurs d’une nouvelle relation d’emploi, basée « sur un cercle vertueux de compétitivité territoriale » (Martin, 2006, p. 19). Le « pôle mobilité », présenté par Defélix, Colle et Rapiau (2007), montre aussi les enjeux d’une gestion collective et territorialisée des compétences : « l’idée est de mutualiser les moyens (bilans de compétence, coaching, conseil en création, recensement d’opportunités d’emplois…) et d’aller vers des détachements/transferts dans d’autres entreprises ».

Si le réseau peut contribuer à améliorer les pratiques de ses membres, il peut aussi développer sa propre GRH, mutualisée. L’échange de connaissances sur les pratiques de gestion est un aspect important : « les dirigeants apprécient l’échange de pratiques managériales et notamment, celles liées à la GRH » (Soto Maciel, 2007, p. 342). Finalement, « le réseau favorise des pratiques innovantes en GRH dans la mesure où il “tire” tous les membres du réseau vers les meilleures pratiques » (Géniaux et Mira-Bonnardel, 2003, p. 1254). Outre les enjeux liés aux ressources financières, la mutualisation des RH amène de nouvelles compétences grâce aux détachements/transferts dans le cas des « pôles de mobilité » (Defélix, Colle et Rapiau, 2007). Ces échanges impactent le transfert des compétences et savoirs, l’employabilité et la mobilisation des salariés, avec des perspectives de carrière élargies. L’étude de Géniaux et Mira-Bonnardel (2003) de quatre réseaux de PME montre les enjeux d’une gestion collective des compétences. La GRH de chaque partenaire est organisée selon une stratégie commune en matière de ressources et compétences. Le partenariat a besoin d’une reconnaissance et d’une spécification des compétences des membres du réseau et « la GRH joue un rôle majeur pour [l’]identification et [l’]évaluation des différentes ressources et compétences disponibles au sein de la firme » (Géniaux et Mira-Bonnardel, 2003, p. 1254). Dans ce contexte, la GRH renforce les apprentissages collectifs. Les échanges au sein du réseau créent des « compétences environnementales » (Defélix, Dietrich et Retour, 2007) : le transfert de savoir-faire étant légitimé, la relation au savoir des dirigeants évolue vers une vision territoriale. Ces échanges pallient la faible expertise en GRH, formalisent les politiques et pratiques de GRH, rompent l’isolement des dirigeants, sources des faiblesses des PME en matière de GRH (d’Amboise et Garand, 1995). Les ressources procurées renforcent la dynamique sociale et l’émergence d’une GRH de réseau ouverte sur le territoire (Defélix, Colle et Rapiau, 2007 ; Defélix, Dietrich et Retour, 2007 ; Soto Maciel, 2007 ; Martin, 2006). Enfin, se basant sur l’étude de six SPL, Bobulescu et Calamel (2009) montrent que la GRH mutualisée permet de gérer les fluctuations du marché du travail et le besoin de compétences spécifiques essentiel pour la croissance du SPL. Pour ces auteurs, les SPL peuvent apporter des solutions aux défis de la GRH des PME à condition qu’ils organisent la proximité, par le biais de quatre principaux facteurs. Ces différents facteurs impactent les stades de développement de la GRH commune, la communication étant le premier stade ; viennent ensuite la formation et le recrutement et, enfin, la gestion des compétences.

L’émergence d’une GRH ambitieuse est l’un des principaux défis des entreprises réseau (Rorive, 2003). Les travaux recensés montrent l’impact positif des coopérations sur les pratiques de GRH de leurs membres, mais ces effets vertueux sont liés à une dynamique sociale. La théorie du capital social permet d’expliquer ses mécanismes.

1.2.2. Une GRH « collective » favorisée par la mise en relation des partenaires et par les ressources qu’elle procure

Avec ces maillages, des entreprises, surtout des PME pour les SPL, se regroupent autour de projets communs à finalité économique fortement liés au territoire, d’où les termes « réseaux à base territoriale » ou « réseaux territorialisés » (Ehlinger, Perret et Chabaud, 2007). La théorie des réseaux sociaux (Granovetter, 1985) permet d’analyser les relations de coopération entre organisations (Baret, Huault et Picq, 2006) et d’identifier les ressources produites par ces regroupements.

Issu de la sociologie des réseaux, le capital social, soit « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisé d’interconnaissance et d’interreconnaissance » (Bourdieu, 1980, p. 2), s’est imposé en gestion comme un concept phare. Cet ensemble de ressources, accessibles grâce aux réseaux sociaux (Putman 1995 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998), est à la fois la relation et la ressource qu’elle procure. Les travaux recensés abordent davantage les caractéristiques des réseaux sociaux que les ressources dont ils facilitent l’accès, et souvent, l’unique ressource étudiée est l’information (Baret, Geraudel et Mothe, 2005). Burt (1992) a largement analysé les échanges d’information ; or, le capital social a de plus amples vertus. Il améliore l’efficience des actions (diffusion d’information, réduction de l’opportunisme dans les relations des membres du réseau et diminution des coûts de transaction ; Josserand, 2004), contribue aux transferts de connaissances et au développement du capital intellectuel (Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Adler et Kwon, 2002 ; Inkpen et Tsang, 2005) et favorise les innovations (Bouty, 2000). Le réseau est enfin un espace d’apprentissage technologique et relationnel (Ferrary et Pesqueux, 2004). S’il favorise le développement de ressources stratégiques, le capital social connaît des limites : les réseaux sociaux perdent parfois de leur influence ou sont affaiblis par des événements imprévus, comme le départ d’un membre important (Huault, 2004). Les institutions locales peuvent toutefois réguler les crises d’un district industriel en mobilisant des réseaux de partenaires institutionnels, d’infrastructures locales, d’organismes de formation, de services spécialisés qui créent un environnement propice à la viabilité des entreprises.

Ces travaux soulignent les enjeux des réseaux et suggèrent qu’ils produisent du capital social grâce aux relations et aux capacités d’apprentissage qui en sont issues, dépassant la transmission d’informations. Ces effets vertueux bénéficient à la GRH, levier du développement stratégique des entreprises. Selon la théorie fondée sur les ressources (Barney, 1991 ; Prahalad et Hamel, 1990), les ressources immatérielles, les compétences individuelles et collectives prévalent dans la création et le maintien d’un avantage concurrentiel durable. La perspective relationnelle de la théorie des ressources (Dyer et Singh, 1998) esquisse un rapprochement avec celle du capital social : l’avantage compétitif est de type coopératif et résulte de la capacité à préserver ou à enrichir un capital relationnel (Dyer et Singh, 1998). Si pour la théorie des ressources « classique », les ressources sont obtenues et contrôlées par une seule et même entreprise, l’approche relationnelle fonde l’avantage compétitif sur la mise en relation qui dépasse les frontières de l’entreprise et provient des réseaux interfirmes. Les actifs spécifiques relationnels sont créés, par exemple, par une expérience de coopération commune des partenaires qui établissent ainsi des connaissances, des routines et un langage communs.

Cette revue de littérature nous amène à poser notre hypothèse de recherche : la mise en réseau crée un effet de taille, mais ne suffit pas à faire évoluer les pratiques de GRH des entreprises qui en sont membres. De même, l’accès à des ressources financières, qui peut être un facteur initial de motivation, ne suffit pas à créer une dynamique collective. Si l’on se reporte à l’analyse de Mahé de Boislandelle (1988, p. 15-18), l’environnement de la fonction RH est particulier : il est à la fois interne à chacune des entreprises-membres, interne et externe au réseau. Le territoire y joue un rôle central. À notre sens, le capital social créé par les membres est l’une des conditions du développement de la GRH du réseau et l’un des facteurs clés de l’environnement de la fonction RH. La figure 1 illustre cette analyse.

Sur cette base, nous posons une question centrale qui constitue notre problématique : quelles sont les conditions favorables à l’émergence d’une GRH de réseau permettant d’apporter des solutions appropriées aux problèmes de GRH dans les PME ? Soucieux d’identifier les facteurs à l’oeuvre, nous chercherons à mettre en évidence les effets des relations nouées, des ressources produites et des actions mises en oeuvre par les partenaires sur la GRH au sein du réseau.

1.3. L’étude en profondeur d’un cas : la GRH au sein d’un SPL

La recherche réalisée porte sur un réseau d’entreprises de la filière du Travail des métaux, CAMDIB. Nous présentons le terrain (1.3.1), la grille d’analyse et la méthodologie de l’étude (1.3.2).

Figure 1

Cadre conceptuel : l’environnement de la fonction RH et les effets supposés du capital social au sein d’un réseau interentreprises

Cadre conceptuel : l’environnement de la fonction RH et les effets supposés du capital social au sein d’un réseau interentreprises
Source : Adapté de Mahé de Boislandelle, 1988, p. 16.

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1.3.1. Le terrain de l’étude et son contexte : le SPL CAMDIB

CAMDIB a été créé en 1996 et labellisé SPL en 1999, sous la forme d’une association, autour de quatre métiers principaux : tôlerie-emboutissage-chaudronnerie, mécanique, traitement de surface, mobilier urbain d’éclairage. Son territoire est délimité par le bassin d’emplois de Béziers, périmètre d’action des acteurs publics et parapublics liés à sa création et à son développement. En 1995, une étude commandée par la Direction des services économiques et de l’emploi, le conseil général et la DRIRE montre que les filières Travail des métaux et mécanique ont le plus de poids en termes d’emploi et de valeur ajoutée sur le bassin. CAMDIB est né de la volonté des pouvoirs publics (DRIRE, Europe, État, Région et conseil général), des institutionnels locaux (CCI, MEDEF) et des 13 industriels fondateurs souhaitant se regrouper pour rompre leur isolement et leur dépendance à l’égard d’un donneur d’ordres unique implanté sur le territoire[8], et pour pallier leur petite taille. Le SPL est créé dans une optique défensive. Plus ancien des réseaux régionaux, c’est aujourd’hui un SPL dynamique : le nombre d’entreprises a plus que doublé (30 PME), le chiffre d’affaires a crû fortement (85 millions d’euros de CA annuel) et 225 emplois ont été créés en dix ans. Il compte actuellement 1 123 salariés, soit près de 20 % des effectifs du secteur du travail des métaux et 18 % du CA de ce secteur en région. La gouvernance de ce SPL est organisée ainsi : la présidence revient à tour de rôle aux dirigeants membres et l’animation est confiée à un cabinet extérieur ayant un rôle déterminant dans le développement du SPL. Ce cas a été choisi du fait de son caractère précurseur dans la région et parce que ce réseau est exclusivement constitué de PME.

1.3.2. La grille d’analyse et la méthodologie de l’étude

S’il importe de mettre en évidence les « résultats » du réseau CAMDIB, il convient surtout de relever les facteurs qui les ont favorisés : il s’agit de comprendre comment le capital social s’est construit, quels facteurs y ont contribué, quelles ont été les difficultés éprouvées. Une analyse à la fois chronologique (les étapes du cycle de vie du réseau) et conceptuelle (les dimensions du capital social et de la GRH) est donc nécessaire.

Pour conceptualiser le capital social, nous avons retenu une approche multidimensionnelle à l’instar de Nahapiet et Ghoshal (1998) qui identifient trois dimensions.

  • La dimension structurelle représente les liens du réseau, sa configuration. Cette dimension rejoint l’analyse structurelle issue de la sociologie des réseaux sociaux.

  • La dimension relationnelle a trait à la nature des relations interindividuelles dans le réseau : relations de confiance, normes, obligations et identification sociale, en référence essentiellement aux travaux de Coleman (1990) et de Putman (1995).

  • La dimension cognitive correspond aux représentations partagées, interprétations et systèmes de compréhension réciproques. Nahapiet et Ghoshal (1998) ajoutent cette dimension pour lier capital social et intellectuel. L’approche gestionnaire du capital social gagne à intégrer la dimension cognitive.

Ces trois dimensions sont simultanément présentes dans les réseaux sociaux et peuvent être reliées entre elles. Alors que la primauté est donnée à la dimension structurelle dans les travaux en sociologie des réseaux (Coleman, 1988 ; Burt, 1992 ; Lazega, 1998), pour Nahapiet et Ghoshal (1998), un réseau efficace eu égard à sa structure n’est pas forcément le meilleur moyen pour développer un capital social du point de vue relationnel ou cognitif, les dimensions relationnelles et cognitives pouvant se révéler importantes pour la problématique étudiée et son contexte.

Confrontés à des phénomènes peu ou mal connus et disposant de peu d’éléments d’analyse théoriques, nous avons adopté une approche exploratoire et contextuelle. Notre étude de cas unique est donc essentiellement exploratoire. Dans cette perspective, nous nous sommes appuyés sur une méthodologie qualitative et multi-acteurs, basée sur le recours et le traitement de différentes sources de données.

Des données primaires

Il s’agissait d’appréhender les représentations des « parties prenantes » : 40 entretiens semi-directifs ont été menés et enregistrés auprès de membres du réseau (11 dirigeants, DRH d’une entreprise du SPL, président), du directeur de l’usine « grand donneur d’ordres », de responsables publics locaux (CCI, DRTEFP, DRIRE, ANPE, Maison de l’emploi, conseil régional, communauté d’agglomération, mairie, sous-préfecture), du cabinet qui anime le SPL, de responsables syndicaux et de représentants des deux autres réseaux locaux.

Les thèmes du guide d’entretien ont été définis à partir des concepts mobilisés. Le guide a notamment été conçu pour que les membres du SPL précisent leurs représentations du fonctionnement du SPL à partir des trois dimensions du capital social évoquées précédemment et des effets du capital social engendré par la mise en réseau.

Les données des entretiens ont fait l’objet d’une analyse de contenu thématique (Bardin, 1996). Elles ont été complétées par le récit de l’animateur, mémoire du SPL, qui permet une lecture historique des actions du réseau, et par les discussions au cours des restitutions des résultats[9] aux parties prenantes, dont les débats ont été retranscrits puis analysés.

Des contacts réguliers avec l’animateur du réseau permettent d’ajuster, d’étoffer les informations initiales et de réaliser un suivi longitudinal pour mieux appréhender l’évolution du réseau (Angot et Josserand, dans Thiétart et al., 2007). Cette ouverture méthodologique (Wacheux, 1996) contextualise l’étude, en enrichit les résultats et renforce leur validité.

Des données secondaires

Le recueil de données secondaires visait plusieurs objectifs :

  • la compréhension de l’évolution du réseau (Wacheux, 1996) ;

  • la connaissance des pratiques et des résultats du SPL (recrutements, évolution du chiffre d’affaires, actions réalisées, dépenses de formation…) ;

  • la validation : il s’agissait d’affiner les résultats de l’étude et d’objectiver les discours des répondants.

Nous avons utilisé une méthode documentaire (Angot et Josserand, dans Thiétart et al., 2007) basée sur l’analyse de données secondaires internes (documents fournis par l’animateur du SPL, projets, études, compte rendu de réunions de pilotage, bilans) et externes : PQR, presse économique régionale et nationale, supports de communication d’institutions territoriales.

Si notre démarche est exploratoire, elle ouvre néanmoins de réelles pistes de recherche et propose des éléments de réponse que nous allons maintenant développer.

2. Les conditions à réunir pour développer une GRH de réseau : les enseignements du cas CAMDIB

La présentation des résultats s’articule autour de deux axes : le premier met en évidence trois principaux facteurs favorables à l’émergence d’une GRH de réseau adaptée aux PME (2.1). Le second souligne l’importance des dimensions stratégiques et territoriales de la GRH comme éléments structurants de la GRH de réseau (2.2). Ces résultats sont ensuite discutés (2.3).

2.1. L’importance de l’environnement territorial, de l’entrepreneur institutionnel et des actions collectives

Trois facteurs opérants sont mis en évidence, conditions à réunir pour développer une GRH de réseau. Tout d’abord, les caractéristiques de l’environnement territorial mettent en exergue une réelle volonté de certains acteurs locaux dans un contexte d’absence ou de faible culture de coopération (2.1.1). Ensuite, l’un des principaux leviers est le rôle de l’animateur que nous qualifierons par la suite d’entrepreneur institutionnel (2.1.2). Enfin, les actions collectives en GRH renforcent le capital social et une inscription territoriale du réseau (2.1.3).

2.1.1. L’environnement territorial du SPL : un engagement des parties prenantes, mais une absence de culture de coopération

Dans le cas de CAMDIB, la volonté initiale des acteurs locaux (Medef, CCI) et des pouvoirs publics (DRIRE, conseil régional, conseil général) de réduire la dépendance de la filière à l’égard du donneur d’ordres et de proposer des solutions territoriales pérennes et des financements (cofinancement de 50 % du coût total des actions engagées) a permis le démarrage et le développement du SPL. Les parties prenantes actives au moment de sa constitution sont essentiellement les pouvoirs publics et les institutions locales. Au cours de cette phase d’émergence, elles ont favorisé la mise en relation des entreprises d’une même filière. Même si en apparence le contexte territorial a facilité l’émergence du SPL, ce contexte pouvait néanmoins constituer un frein important.

Les entrepreneurs fondateurs du réseau ne se connaissaient pas, malgré une proximité essentiellement géographique. Et au départ, toutes les conditions semblaient réunies pour que CAMDIB ne voie pas le jour : « l’individualisme » des dirigeants, leur absence de « recul », leur positionnement comme concurrents avant même de se connaître, des « méfiances » fortes envers des filiales d’un groupe (adhérentes à CAMDIB), perçues comme des menaces pour les TPE, le positionnement des acteurs institutionnels parfois ambigu, un territoire a priori « replié » sur lui-même (Eggrickx, 2000). Les entrepreneurs du SPL n’ont aucune expérience préalable de coordination et développent une posture « attentiste » : la création du SPL doit davantage à l’impulsion donnée par des acteurs institutionnels et publics. Questionnements et réticences caractérisent donc le contexte de l’émergence de ce réseau.

Plus globalement, le territoire lui-même était caractérisé par une faible tradition de coordination, sachant que le territoire comme ses ressources peuvent être appréhendés comme des construits sociaux (Kahn, 2007) résultant de jeux d’acteurs en relation les uns avec les autres et développant une dynamique collective d’apprentissage de la coordination. La capacité à coordonner un ensemble d’acteurs hétérogènes constitue l’une des principales ressources territoriales. Arriver à inciter les acteurs à coopérer pour construire des ressources collectives en infrastructures, en R-D et en formation représente la compétence la plus fondamentale (Mendez et Mercier, 2006). Le contexte territorial d’implantation du SPL CAMDIB comporte un certain nombre de particularités soulignant un manque de ressources relationnelles :

  • Une dynamique collective d’apprentissage de la coordination peu présente montrant une faible proximité organisée : absence d’apprentissage préalable des acteurs territoriaux à se regrouper dans des structures collectives. CAMDIB est le premier réseau régional. Il n’y a pas, au moment de sa création, de préclusterisation, ni de capital social préexistant dans cette filière ni même plus largement, sur le plan territorial. Ce SPL est créé de toutes pièces par l’intervention des acteurs publics et institutionnels locaux.

  • Un acteur collectif peu présent ou à construire. Les institutions, pouvoirs publics, organismes liés à l’emploi et à la formation agissent de façon isolée. Les expériences de coopération territoriales sont quasiment inexistantes.

  • Des acteurs qui ont du mal à se positionner : des organismes liés à l’emploi et à la formation qui ont du mal à se positionner sur le plan territorial ; positionnement complexe des pouvoirs publics. Les pouvoirs publics sont facilitateurs, mais exercent aussi des pressions liées au financement des actions du réseau et à leur évaluation. Une absence de culture du dialogue social territorial est également à relever.

  • Une filière industrielle caractérisée par un faible niveau de qualification, un accès difficile au capital humain, des PME fragilisées et isolées, un modèle de GRH, « arbitraire managérial », prédominant.

  • Un besoin de légitimation : des réticences assez soutenues nécessitant de légitimer le réseau.

  • Un faible dynamisme territorial, peu de ressources territoriales.

L’absence de culture initiale de coordination territoriale, le fait qu’il soit le premier réseau en région explique en grande partie les attentes fortes et hétérogènes qui pèsent au démarrage sur ce réseau. Par exemple, l’État représenté par la DRTEFP[10] (actuelle DIRECCTE[11]) fixe des objectifs précis, objectifs et évaluations mieux appropriés aux cadres administratifs qu’ils représentent qu’à l’élaboration de projets collectifs par des entrepreneurs.

Finalement, ce contexte territorial a priori peu propice, caractérisé surtout par une absence d’apprentissage de la coopération entre les différents acteurs économiques et sociaux, par de la formation et de l’emploi agissant à des niveaux différents et avec une influence variable, ne constitue pas un frein majeur au développement du SPL. Au contraire, ce développement semble favoriser la construction d’un acteur collectif et d’une proximité progressivement organisée (Rallet et Torre, 2005 ; Zimmerman, 2008), propice à une extension territoriale des actions engagées, notamment dans le domaine de la GRH. Les pressions des pouvoirs publics facilitant le financement du SPL permettent au démarrage de structurer le réseau et de renforcer la dimension structurelle du capital social. Mais cela ne semble pas suffisant. Nos résultats montrent le rôle prépondérant de l’animateur du réseau, véritable levier pour la GRH du SPL.

2.1.2. L’animateur, entrepreneur institutionnel : un levier pour la GRH du SPL

Les actions collectives du SPL ont été facilitées par l’animateur et les pouvoirs publics. La capacité de l’animateur, « relais » entre le SPL, les pouvoirs publics et le territoire à établir des connexions avec les acteurs pertinents, détenteurs de ressources, est déterminante : il est « facilitateur de capital social ». CAMDIB s’institutionnalise peu à peu par la mise en évidence d’intérêts communs, l’élaboration de projets et d’actions collectives qu’il porte et qui mobilisent du capital social. L’animateur a réussi à favoriser la performance économique en intégrant le capital social dans les choix stratégiques du SPL. En créant une représentation commune des enjeux stratégiques relationnels, il amène les entreprises à se « voir » autrement, à passer de la concurrence à la coopération et à instaurer de la confiance : entraide, soutien personnel, transfert de connaissances tacites et influence sociale. Notre étude cerne mieux le rôle de l’animateur, mais soulève des interrogations sur sa délicate contribution au développement de pratiques sociales au sein du SPL, placé au centre de forces contradictoires (dirigeants, pouvoir public, institutions locales), comme le rappelle ce représentant de la DDTEFP : « par moment, l’animateur a été ressenti comme un supplétif aux problématiques de GRH qui étaient difficilement prises en compte par les différentes entreprises… ». La position de l’animateur et sa sensibilité à la GRH conditionnent ainsi l’émergence d’une GRH de réseau, qu’il porte en interne et aux frontières du SPL et de son territoire. Ses actions ont dû compenser momentanément le manque d’intérêt des entrepreneurs pour la GRH et l’absence de ressources territoriales. Pour atteindre les objectifs en termes d’emploi et de formation fixés par les financeurs publics, par exemple, l’animateur a dû organiser la publicisation des résultats tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du réseau, publicisation qui renforce au fur et à mesure le processus d’institutionnalisation, la légitimité et la consolidation du réseau. Elle favorise en outre l’actualisation, le maintien et le développement futur du capital social, qui sont à la fois la relation et la ressource qu’elle procure. Afin de vérifier que les relations constituent du capital social, l’animateur doit aussi s’assurer de leur efficacité (ressources produites et/ou partagées) (Lin, Ensel et Vaughn, 1981).

Ainsi, en l’absence de préclusterisation et avec un capital social territorial peu robuste, le rôle de l’animateur semble central. Alors qu’il aurait pu se centrer sur le développement d’un capital social préalable au développement d’actions collectives, il va agir conjointement, les actions collectives en GRH servant à développer les dimensions relationnelles et cognitives du capital social. Le développement du capital social, la structuration d’une GRH de réseau et, plus largement, d’une GRH ouverte sur son territoire sont portés par des actions collectives d’envergure.

2.1.3. Des actions collectives qui renforcent le développement du capital social et une inscription territoriale du réseau

La légitimité du réseau et le renforcement des liens au sein du SPL, comme avec le territoire, reposent sur des actions collectives essentiellement centrées sur les aspects relatifs à l’emploi et à la formation.

Les premières actions ont été des réunions impulsées par la DRIRE et des visites d’entreprises pour que les dirigeants de CAMDIB apprennent à se connaître. Peu à peu, des modalités de fonctionnement du SPL se sont instaurées : règles d’entrée, rythme des réunions, philosophie et orientation générale, parallèlement aux actions collectives qui ont favorisé l’émergence et la mobilisation du capital social.

Actions initiales : mise en évidence d’intérêts communs à partir de l’identification des ressources et compétences de chaque entreprise. Elles permettent aux dirigeants des PME de sentir, d’exprimer et d’anticiper collectivement les risques d’une trop forte dépendance à l’égard d’un grand donneur d’ordres. S’ensuit la mise en évidence de la nécessité de se diversifier, analyse qui a conduit à la formulation d’une problématique collective. Ces actions se sont focalisées, sur la base de diagnostics, sur les aspects commerciaux qu’elles ont structurés, avec la mise à niveau et la formation des entrepreneurs et des entreprises qui ont supposé l’identification des ressources et compétences de chaque entreprise. Ce qui a accentué la prise de conscience d’intérêts communs, renforcé les compétences des dirigeants, tout en les sensibilisant aux enjeux stratégiques de la mise en réseau.

Actions de formation. La formation des salariés, basée en grande partie sur un engagement de développement de la formation (EDDF), est un enjeu pour CAMDIB[12]. Le SPL a favorisé l’accès à des subventions et la mutualisation des actions. L’EDDF a nécessité une analyse des besoins de formation et une réflexion des dirigeants sur les compétences de leurs salariés, voire l’élaboration de référentiels de compétences. L’appartenance au réseau a facilité l’accès à des formations techniques et managériales, surtout pour les ouvriers qualifiés. Sans le soutien du SPL, les PME n’auraient pas mené des actions de cette envergure en termes de coûts et d’effectifs, ni une réflexion sur les compétences. Le retour sur investissement de la formation est affirmé. Les dirigeants sont conscients des effets : renforcement des liens entre salariés du réseau (« les salariés se connaissant mieux grâce aux formations collectives Ils peuvent s’entraider lors de problème technique »), maîtrise de l’évolution de la technologie de production et développement de compétences techniques et managériales, implication des salariés (la formation, facteur de motivation, peut modifier favorablement les comportements au travail), performance de l’entreprise (par exemple, évolution du carnet de commandes), développement ou diversification de l’activité par la formation à de nouveaux métiers. Les quatre niveaux d’évaluation retenus (Kirkpatrick, 1987), réactions, apprentissage, comportement et résultats, ont été identifiés à partir des discours de dirigeants. En outre, la formation a facilité l’émergence du capital social par le développement de représentations, de connaissances communes, de nombreux échanges d’informations et de savoirs tacites entre dirigeants, mais aussi entre salariés. Selon un dirigeant : « les salariés se connaissent mieux grâce aux formations, ce qui leur permet, par exemple, de s’appeler régulièrement et de s’entraider quand ils ont un problème technique ».

Le Programme « PG1 » (2003-2005). Programme structurel complémentaire à l’EDDF, est déterminant dans le développement de compétences collectives et de la culture de l’apprentissage. PG1 représente 2,5 millions d’euros d’investissements, relève d’une démarche globale abordant l’ensemble des besoins de développement et de diversification des entreprises, par des actions commerciales et humaines (démarche, compétence). Ce programme comprend aussi le développement de l’apprentissage avec l’implantation de deux plateformes d’apprentissage, destinées aux salariés du SPL et apprentis des lycées locaux, dans deux entreprises : dans le métier stratégique de la soudure et dans l’usinage grande vitesse (UGV), technologie nouvelle sur le territoire et indispensable pour de nouveaux marchés (automobile ou aéronautique). Ces plateformes d’apprentissage concrétisent l’ouverture du réseau sur son territoire.

2.2. Enjeux sociaux et structuration du réseau autour de problématiques de GRH : stratégie et territoire entremêlés ?

Après avoir présenté les actions collectives qui ont été menées au sein du SPL, nous aborderons leurs incidences sur les salariés des entreprises du réseau en analysant ses retombées sociales (2.2.1). Cette analyse montre que les dimensions stratégique et territoriale de la GRH viennent structurer la GRH de réseau (2.2.2).

2.2.1. Les enjeux sociaux du réseau : des « résultats » visibles

Les étapes de la création du réseau, une analyse stratégique et des actions collectives d’envergure favorisent l’émergence du capital social et révèlent l’importance des ressources humaines et de la GRH :

  • Effets favorables à l’emploi et à l’employabilité. Les entrepreneurs sont unanimes : depuis la création du réseau, aucune entreprise n’a fermé, très peu d’activités ont été externalisées et de nombreux emplois ont été créés ou maintenus, grâce à l’activité croissante et à la mobilité sociale interne jugée très forte. Pour tous les dirigeants, le SPL a permis de sauver des entreprises et leurs emplois. Même si les effets du regroupement sur l’emploi sont difficiles à évaluer précisément, les engagements sont parlants et la gestion de l’emploi prévaut pour les dirigeants qui ont « le souci permanent de l’emploi ». Le SPL permet d’agréger des problèmes de recrutement qui seraient restés isolés : pénurie de postes d’ouvrier, notamment de soudeurs, et problèmes des postes qualifiés, liés à l’attractivité du territoire. La création de la plateforme d’apprentissage en soudure est une réponse collective favorisant l’accessibilité au capital humain (lycéens). Le réseau sensibilise aussi les dirigeants aux enjeux de l’employabilité et à la prévention sociale au regard des salariés menacés, l’EDDF étant un révélateur.

  • Mutations continues et nouvelles formes d’emploi. Certaines entreprises du SPL ont amorcé une mobilité sociale interne liée à la reconnaissance de l’effort de formation des salariés. À l’issue de l’EDDF, 33 salariés ont changé de qualification et quatre, de fonction. Cette mobilité se traduit, par exemple, par le passage du statut d’OQ à celui de cadre, et l’émergence d’un encadrement intermédiaire et de niveaux hiérarchiques vient structurer les entreprises concernées. Les stratégies de diversification ont induit une mutation des emplois avec le développement d’activités tertiaires connexes, basé sur la polyvalence des salariés situés au coeur du process, en lien avec l’amont et l’aval. De nouveaux métiers ont aussi été développés (découpe laser, thermolaquage, ingénierie et bureaux d’études).

  • Émergence de compétences collectives et de nouvelles capacités d’apprentissage. Dans le cadre des projets que nous avons qualifiés de structurants par rapport au capital social, la compétence collective, capacité à agir et à réagir collectivement (Michaud, 2005), s’est progressivement construite au-delà de l’addition de compétences individuelles. Ces projets ont en effet favorisé des échanges interindividuels et des capacités collectives d’apprentissage au sens d’Aubret, Gilbert et Pigeyre (2005). Par exemple, pour les plus petites entreprises, une mise à niveau initiale leur a conféré une compétence stratégique pour devancer les entreprises de leur secteur et de même taille : « Par rapport à des sociétés comme la mienne qui ne sont pas dans CAMDIB, elles ne sont même pas structurées et ont pris beaucoup de retard et elles n’y arrivent pas […] Nous, nous avons défini toutes nos activités, mis une gestion de production en place, la formation […] » CAMDIB se déploie progressivement pour former une organisation apprenante. La coproduction d’actions à travers des projets transverses amène les entrepreneurs à acquérir des capacités individuelles et collectives nouvelles, et à l’exemple des plateformes créées autour de savoir-faire stratégiques, les échanges de savoirs tacites, renforçant les dynamiques d’apprentissage, sont nombreux. Selon un chef d’entreprise, « de nombreuses compétences se trouvent dans ma société et proviennent des membres du réseau ».

Certains dirigeants veulent aller plus loin et développer la mutualisation des RH. Il s’agit de passer d’une relation d’emploi à une relation d’emploi collaborative (Defélix, Colle et Rapiau, 2007).

2.2.2. Les dimensions stratégique et territoriale de la GRH comme éléments structurants de la GRH de réseau : prolongements

La création du SPL s’est heurtée à trois difficultés :

  • l’absence d’une tradition de coopération territoriale ;

  • une constellation de PME peu liées entre elles, voire concurrentes ;

  • peu de PME ayant une structure suffisamment développée pour dépasser le niveau administratif de la GRH (Mahé de Boislandelle, 1998, p. 28-39).

Conscients de ces difficultés, les pouvoirs publics ont soutenu le développement de pratiques de GRH au sein des PME du réseau. Ces incitations ont contribué largement, à notre sens, à structurer le SPL autour de problématiques de GRH intégrant les dimensions stratégique et territoriale, comme le montre le tableau 1.

Suivant le modèle du mix social (Mahé de Boislandelle, 1998, p. 143), deux types de politiques de GRH ont surtout été concernés par la mise en réseau : les politiques de valorisation et d’emploi. Dépassant largement le niveau administratif, ces politiques favorisent le positionnement de la GRH sur un plan stratégique, l’enjeu étant le développement de ressources relationnelles et de compétences stratégiques pour accéder à de nouveaux marchés.

La mobilisation de pratiques de formation, de développement des compétences et d’emploi s’appuie sur des supports d’une GRH que l’on peut qualifier de réseaux et caractérisés par leur dimension collective et innovante. Basées sur une politique de formation commune et mutualisée, les actions collectives ont conduit les PME de CAMDIB à mieux formaliser leurs activités de GRH : « J’ai fait toutes les fiches de poste là […] J’ai défini les tâches de chacun […] Je connais ça par coeur, savoirs, transmission des savoirs, savoir-faire […] » L’analyse des compétences liées à l’EDDF a initié une réflexion sur le système de GRH. Les actions collectives ont favorisé l’émergence d’une GRH de réseau, mais aussi l’élaboration de politiques de gestion des flux de personnel : recrutement, évaluation des performances et de la formation.

Tableau 1

La structuration du réseau autour de problématiques de GRH

La structuration du réseau autour de problématiques de GRH

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Les enjeux ici sont forts, ayant trait à la fois à l’émergence et au développement du capital social, qui renforce le rôle structurant des pratiques de GRH, et à l’ancrage territorial du SPL.

La problématique des RH dans une approche territoriale et sectorielle, notamment les difficultés de recrutement, a amené CAMDIB à se rapprocher des organismes de formation locaux (lycées, IUT, CFA, AFPA, GRETA). La création de plateformes d’apprentissage, relevant d’un management territorial des compétences, en est un élément clé pour une offre de compétences plus large. Le capital social, renforcé par les actions collectives et collaboratives, favorise les capacités d’acquisition d’une compétence territoriale.

L’émergence d’une GRH de réseau se caractérise aussi par des effets indirects des politiques de GRH (Mahé de Boislandelle, 1988, p. 143) sur le climat social (les dirigeants et la DRH interrogés notent l’« ouverture d’esprit », le « changement de comportement » des salariés et des dirigeants suscités par la formation) et sur les performances technico-économiques (la professionnalisation des salariés produit de meilleurs résultats économiques).

On ne peut parler d’une véritable harmonisation des pratiques RH, même si certaines s’en approchent comme la création de référentiels métiers communs, car elles sont ponctuelles et dispersées. Au-delà, deux questions principales sont posées par les dirigeants et les acteurs externes au SPL, notamment la DRTEFP, sur le renforcement du dialogue social et l’ancrage territorial du réseau, facteurs d’enrichissement et de consolidation d’une GRH de réseau.

Si l’intérêt du dialogue social de réseau et plus largement territorial semble évident, sa mise en oeuvre se heurte à des difficultés : un dialogue social dans les PE souvent inorganisé, déséquilibré en faveur de l’employeur avec un faible taux de syndicalisation, ce qui explique la faiblesse de la négociation collective ; l’absence de modalités concrètes d’instauration d’un dialogue social propice à un travail collaboratif ; l’absence de culture de réseau ou territoriale du monde syndical : « Les délégués ne savent qu’aborder les problèmes de leur entreprise. Ils n’ont pas de formation pour une vision territoriale… » (un responsable syndical).

2.3. Discussion

Dans la littérature sur le développement des réseaux, le socle de la création du réseau est principalement constitué par des relations entre membres fondateurs et leur réputation, inspirant confiance aux nouveaux membres. Ainsi, l’analyse des systèmes industriels locaux s’est surtout focalisée sur les capacités de développement endogène et spontané d’espaces géographiques spécialisés dans une activité industrielle (Raveyre, 2006). Dans leurs phases de constitution et de développement, les réseaux semblent en effet fonctionner en autonomie, avec un ordre collectif qui émergerait peu à peu des interactions individuelles non programmées, le mécanisme de coordination étant l’ajustement mutuel (Assens, 2003). Pourtant, McEvily et Zaheer (2004) proposent un modèle de développement des réseaux montrant que les réseaux interentreprises peuvent être créés grâce à un soutien institutionnel.

Même si les arguments théoriques plaident en faveur de l’émergence spontanée des réseaux, nous constatons que celle-ci n’opère pas dans le cas du SPL étudié ; celui-ci a été créé de toutes pièces, sans aucune forme de préclusterisation. Même si le cas soulève, de fait, la question des effets d’aubaine, l’émergence d’une GRH de réseau, avec une inscription territoriale marquée, ne repose pas seulement sur les aides financières. Notre cas met en exergue l’importance de l’animateur, véritable entrepreneur institutionnel, des institutions et des pouvoirs publics locaux et de la concrétisation d’actions collectives oeuvrant pour la constitution d’un acteur collectif progressivement sensibilisé à la GRH dans un environnement territorial exempt de tradition coopérative.

Toutefois, les cadres administratifs et les pressions des financeurs impliquent de s’inscrire rapidement dans une approche globale, intégrant la GRH : constitution d’un réseau relationnel, capital social et questions de GRH y sont conjointement traités. Dans notre cas, bien que les conditions d’un développement du capital social ne soient pas complètement réunies et malgré un environnement territorial a priori peu propice, les actions portant sur la GRH de réseau des principales parties prenantes et de l’animateur permettent de pallier l’absence de culture de coopération.

L’absence de tradition de coopération territoriale et de préclusterisation aurait pu obliger les acteurs du SPL à donner la priorité à la construction du capital social, sur les questions d’emploi, de compétence et de formation. Tel est le cas des pôles de compétitivité étudiés par Bourgain et Tixier (2010) qui précisent toutefois que ces pôles sont des pôles mondiaux ou ayant une relation faible ou distante avec la région. Notre cas, bien particulier, nuance quelque peu cette analyse ; il montre notamment que la construction du capital social, enjeu prioritaire du réseau, s’appuie principalement sur des projets et des actions collectives focalisées sur la GRH. Il s’agit finalement plus d’une approche globale et intégrative que d’une approche fragmentée ; même si la création du réseau favorise dès le départ le déploiement de la dimension structurelle du capital social, ce sont surtout les actions collectives liant stratégie et GRH territorialisée qui agissent sur ses deux autres composantes relationnelle et cognitive. Dans notre cas, le développement du capital social et d’une GRH partenariale sont des éléments constitutifs d’une GRH de réseau, agissent conjointement et se renforcent.

Ainsi, si le capital social est un élément essentiel de la GRH de réseau, les conditions de son émergence et de sa mobilisation méritent d’être soulignées.

La configuration initiale, celle d’une constellation de PME très peu liées entre elles, peu sensibles à la GRH, se percevant comme concurrentes et, a priori, peu ouvertes à la coopération, n’était pas favorable à la création de CAMDIB. Les interventions des pouvoirs publics et de l’animateur ont facilité la conduite d’actions collectives basées sur un intérêt commun progressivement identifié, ouvertes aux stratégies de diversification et qui sensibilisent les dirigeants à la GRH et au partage de ses valeurs.

Finalement, les étapes de la création du réseau favorisent la production, puis la mobilisation du capital social, structuré par les actions collectives et portées par l’animateur.

  • En identifiant et en précisant les compétences des membres du SPL (actions de mises à niveau) préalablement à la mise en évidence d’intérêts communs (Géniaux et Mira-Bonnardel, 2003).

  • Puis, en développant des projets communs autour des questions de formation, d’emploi et de compétence (notamment EDDF et PG1) fondés sur la mise en évidence d’intérêts partagés, ce qui renforce la dimension cognitive du capital social, les actions favorisant les échanges de points de vue, ajustements, partage de représentations et instauration de mécanismes de compréhension réciproques.

  • Ces échanges supposant de nombreuses interactions, la dimension relationnelle du capital social est aussi renforcée tant au niveau des dirigeants que des salariés, avec notamment la création progressive de relations de confiance.

  • Enfin, en tenant compte de l’environnement territorial du SPL et en intégrant la variable territoriale dans la réflexion stratégique et le développement de projets collectifs (par exemple, ouverture territoriale du SPL grâce aux plateformes d’apprentissage).

Plus largement, pour développer une GRH de réseau, il semble donc impératif d’accompagner le réseau et ses membres. Suivant les travaux de Bories-Azeau, Fabre, Faillenet et Loubès (2008) et de Soto Maciel (2007), le rôle de l’animateur est déterminant en interne pour produire et mobiliser le capital social par des actions collectives favorisant échanges et mutualisation et en externe pour renforcer l’ancrage territorial du réseau, identifier et solliciter les différentes parties prenantes. Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Serres (2006), l’animateur réseau apparaît avant tout comme un « homo pontifex » (homme-pont) : sa capacité à instaurer et développer des relations au sein du réseau et avec les acteurs extérieurs peut en faire un rouage clé de la gouvernance des structures complexes que sont les réseaux d’entreprises territorialisés comme les SPL. Dans ce contexte, sa capacité de « traduction » (Callon, 1986), face à l’hétérogénéité des intérêts et des projets des membres du SPL et à l’hyperspécialisation des interlocuteurs extérieurs, mériterait une analyse plus poussée, de même que sa capacité de « vision » et d’impulsion de projets.

En référence aux travaux de McEvily et Zaheer (2004) sur les structures facilitatrices et ceux de Soto Maciel (2007) sur les principaux déterminants du réseau, nous montrons que des actions d’institutions locales de soutien viennent formaliser et structurer le réseau. L’évolution de la GRH est largement influencée par les politiques publiques nationales et européennes qui orientent les financements et par les associations nationales, comme France Clusters, ou par les services publics de l’emploi, qui sensibilisent aux problématiques de GRH. Elles agissent toutefois surtout en amont en exprimant leurs attentes lors de la création du réseau et contribuent à faire émerger la dimension structurelle du capital social, mais elles ont rapidement besoin d’un d’intermédiaire pour animer la mise en relation en lui donnant du sens. Le rôle de l’animateur, révélé par notre cas, peut s’apparenter à celui d’un entrepreneur institutionnel capable de faire émerger de nouvelles formes d’organisations. Nous rejoignons ici DiMaggio (1988) qui souligne l’importance d’entrepreneurs institutionnels pour expliquer l’émergence de nouvelles institutions. Certains acteurs peuvent en effet impulser une dynamique collaborative à l’intérieur d’un territoire. Ils compensent ainsi le poids de la nouveauté en construisant la légitimité de la nouvelle institution. Ils sont capables de développer des relations de coopération au sein de leur groupe, mais aussi avec d’autres groupes (Messeghem et Paradas, 2009). Acteur central de l’institutionnalisation du réseau, en favorisant l’émergence et le développement du capital social, il contribue à élever les pratiques d’une GRH de réseau aux dimensions stratégique et territoriale.

Aux côtés d’une GRH encore très peu formalisée et instrumentalisée, la plupart des entreprises se sont positionnées sur un plan stratégique grâce aux actions collectives : la mise en réseau favorise l’émergence de problématiques propices à l’ancrage de la GRH dans la stratégie et au développement du cercle vertueux compétitivité-emploi (Naro, 2004). Le réseau et le capital social produit ont un rôle structurant permettant à la fois la modernisation de la GRH des entreprises du SPL et l’émergence d’une GRH de réseau.

Cette dimension stratégique de la GRH de réseau s’inscrit dans la dimension relationnelle de la théorie des ressources (Dyer et Singh, 1998). La GRH de réseau peut dépasser les seuls enjeux liés au capital humain et considérer le capital social comme une réelle ressource. Des échanges de connaissances sur les pratiques et la GRH se sont développés, soutenant l’émergence d’une GRH de réseau, facteur potentiel d’innovation sociale (plateformes d’apprentissage, plan quadriennal de formation mutualisé, etc.).

Si le réseau facilite l’échange de ressources matérielles avec la mutualisation de la technologie UGV, par exemple, il favorise aussi, de façon plus étendue, mais difficilement mesurable, l’échange de ressources complexes et difficiles à préciser comme le soutien social et la solidarité, le soutien affectif et surtout la connaissance (Adler et Kwon, 2002). Le capital social, positionné au niveau des dirigeants puis des salariés et grâce à des actions de GRH opérantes, permet de combiner, d’échanger, de transférer et d’exploiter des ressources qui peuvent se régénérer collectivement, et de renforcer la compétitivité des entreprises du SPL.

Au-delà du cadre formel des relations entre les agents (dimensions structurelles), les dimensions cognitives et relationnelles favorisent considérablement l’émergence d’une GRH de réseau qui modernise celle des entreprises partenaires. Ainsi, de nouveaux enjeux, signes de dynamisme et favorables à la GRH de réseau, apparaissent au niveau de ce SPL : volonté de renforcer le dialogue social à l’échelle du réseau et du territoire, instauration de nouvelles relations d’emploi permettant une mutualisation des ressources humaines, renforcement de l’accessibilité au capital humain (accès des lycéens aux plateformes d’apprentissage) et extension territoriale de la GRH du SPL. Les plateformes d’apprentissage, éléments clés de la mise en relation avec les institutions locales de formation, illustrent les enjeux de cette extension.

Alors que la tendance est à une individualisation de la GRH (Pichault et Nizet, 2000) et à un accès encore limité des PME à la GRH (d’Amboise et Garand, 1995), le succès du SPL en termes de formation, de sauvegarde des emplois et d’amélioration des compétences offre une compréhension nouvelle, à l’échelle territoriale des enjeux humains et sociaux du réseau et pose la question d’un nouveau mode de régulation sociale. Ainsi, il nous semble opportun de développer des recherches sur la contribution des réseaux interfirmes à l’émergence d’une GRH territoriale, le territoire pouvant être considéré comme un lieu pertinent de régulation sociale. Les résultats des recherches sur les restructurations montrent en effet qu’il importe de considérer le territoire comme un lieu possible, voire pertinent, de construction de dispositifs de régulation des restructurations (Beaujolin-Bellet, 2008). Plus largement, et en dehors des situations de restructuration, le territoire devient un enjeu stratégique, nouvel espace de régulation économique et sociale. « L’espace est rarement considéré comme une variable d’action pertinente pour un problème de gestion ; pourtant, l’action sur la dimension territoriale peut entrer dans les choix stratégiques des acteurs » (Raulet-Croset, 2008, p. 137).

Il reste donc à investiguer et à définir cette nouvelle forme de régulation sociale qui implique, entre autres, une réflexion sur le dialogue social territorial. À ce sujet, il convient d’approfondir notre connaissance des dispositifs relevant de la gouvernance territoriale, caractérisés par une multiplicité d’acteurs et de champs plus larges que ceux de la négociation : emploi, formation professionnelle (gestion et sécurisation des parcours professionnels), développement économique… L’action élargie au territoire mérite donc d’être menée en intégrant le contexte et les particularismes locaux. Parce qu’ils donnent sens aux actions (logique défensive) et qu’ils s’appuient sur une véritable « rencontre productive » (Colletis et Pecqueur, 1993), les réseaux de PME peuvent contribuer à faire émerger ces nouvelles formes de régulation sociales et partenariales amenant des réponses adaptées aux questions relatives à la GRH dans les PME.

Les apports de notre recherche soulignent également les freins à cette évolution de la GRH : en l’absence de dynamiques territoriales des unions syndicales locales, le dialogue social du réseau a du mal à s’instaurer. Les unions locales peinent à s’instituer comme un acteur local pertinent malgré des enjeux notables en termes de participation réglementée des salariés au sein des PME. Les difficultés soulignées suscitent des questionnements sur l’émergence d’un dialogue social spécifique, basé sur le travail collaboratif. On ne parle pas de négociation institutionnalisée territoriale ; pourtant, « le dialogue social territorial peut être un processus innovant en construisant lui-même l’espace territorial » (Jobert, 2011)[13].

Plus largement, la question de l’évolution des dispositifs juridiques d’une GRH territoriale est posée et ouvre des voies de recherche. En effet, le droit social, fondamentalement celui de l’entreprise, semble actuellement difficilement transposable à une GRH plus « collective », laissant les questions liées au contrat de travail en suspens (Culié et al., 2006).

Conclusion

Nous avons posé la question de l’émergence d’une GRH de réseau, spécifique, qui reste à inventer (Culié et al., 2006) et dont le socle peut être le capital social. La problématique centrale de cette nouvelle GRH est de combiner localement des ressources (Culié et al., 2006), de les mutualiser, mais aussi de favoriser l’émergence, la mobilisation et le maintien du capital social. Les facteurs que nous avons relevés (environnement territorial facilitant, existence d’un entrepreneur institutionnel et déploiement d’actions collectives) y participent largement. Le cas présenté met en évidence l’existence d’une GRH propre aux réseaux de PME basée davantage sur des processus collectifs de mise en relation, d’échanges et de développement de capacités spécifiques que sur des dispositifs de GRH formalisés. Il s’agit de placer la relation et le développement du capital social au coeur des actions engagées et d’élever les pratiques de GRH tant au plan stratégique que territorial. Même si le SPL ne règle pas tous les problèmes rencontrés par les PME qui le constituent (par exemple, dialogue social encore difficile), le réseau apporte une nouvelle conception de la GRH : centrée sur la relation et les partenariats, incluant les niveaux stratégiques et territoriaux. Pour devenir un vecteur d’innovation sociale (Culié et al., 2006), le réseau doit être capable de faire émerger des intérêts communs parmi ses membres, puis de favoriser les échanges propres à développer des ressources collectives. Outre la gouvernance du réseau, la dynamique insufflée par l’animateur, le soutien des pouvoirs publics locaux, l’ancrage territorial du réseau et le dialogue social y contribuent.