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Est-il possible de dire Dieu au sein de notre époque postmoderne ? Carlos Mendoza-Álvarez propose une interprétation originale face aux apories des deux principaux courants de théologie fondamentale postmoderne, à savoir : le nihilisme postmoderne et le retour au fondement. Ce livre est « un balbutiement pour dire Dieu au milieu des décombres de la modernité ». Tâche difficile pour certains, tâche impossible pour d’autres. Tâche téméraire pour la plupart des théologiens. L’ouvrage est divisé en cinq chapitres. L’A. cherche à comprendre la pertinence de la foi chrétienne, à partir de l’expérience vécue par les êtres humains qui vivent « sous l’emprise du désenchantement du monde, de l’effondrement des grandes histoires et de la crise de crédibilité des grandes institutions (famille, Université, État, Église) ».

Le premier chapitre montre comment la prophétie contestée de Malraux est accomplie : le xxie siècle est là et il est religieux. Après « la chute des totalitarismes de la raison, de la technique et du capital, l’humanité est confrontée pour la première fois, à une échelle globale, au risque de l’anéantissement ». La quête du spirituel, voire du religieux, prend différentes formes : primat de l’émotionnel, quête des fondements, conscience du néant. Au sein de ces expériences limites, de manière persistante, une autre expérience surgit : celle de la religion comme lien social. Il existe, de plus en plus, des témoins extraordinaires de la présence du divin dans le monde au coeur de l’humain humilié, du témoin qui vit comme pure gratuité, totale donation.

Le deuxième et le troisième chapitre décrivent le nouveau contexte théologique, issu de la crise de la modernité. Ce climat s’exprime par la polarité du nihilisme postmoderne et le retour à l’orthodoxie. L’A. ne cherche pas à élaborer une analyse exhaustive de chacune de ces deux tendances opposées, mais exprime plutôt certains enjeux majeurs qui viennent se greffer autour de ces deux oppositions : « […] rôle de la métaphysique, de la subjectivité renversée et des puissances de l’expérience propre au sujet postmoderne ».

Le quatrième et le cinquième chapitre, enfin, présentent une heuristique de la pensée théologique fondamentale à l’ère de la postmodernité. Comment dire Dieu au coeur des décombres de la modernité ? Comment voir et percevoir Dieu au sein de la subjectivité renversée ? Comment annoncer le Dieu révélé en ces temps de vulnérabilité extrême ? L’A. risque une réponse. C’est en écoutant « les balbutiements des sujets faibles, avant tout jugement sur l’objectivité de la Révélation ou de la doctrine catholique », que Dieu se dit. Il passe par les petits de l’histoire. Les grands savants de la postmodernité parlent aisément d’un certain épuisement de l’humanité. Et ils ont raison. Mais le Christ des Évangiles parle des nepioi, ceux qu’il nous appelle à reconnaître comme les privilégiés de Dieu, parce qu’ils n’ont pas ou peu d’attachement à ce monde.

La Bonne Nouvelle consiste en ceci : « […] il n’est plus nécessaire de sacrifier l’autre et, pour sortir de ce cercle vicieux, il faut choisir de se sacrifier soi-même, sans volonté de vengeance, pour ainsi briser le mur de la haine qui sépare l’humanité et recevoir le don de la vie éternelle dans l’ordre de la gratuité ». En imitant son Père qui crée le monde et se retire le septième jour, Jésus, le Crucifié-Vivant ne fait aucun reproche. Il est la victime qui pardonne. Il habite le monde avec une force nouvelle à partir d’une véritable puissance de non-puissance qui procède de la gratuité, du mimétisme épuré de sa rivalité. Le chrétien est celui qui imite l’Autre qui n’est que donation perpétuelle.

Ce livre n’a qu’un but : aider le lecteur à éveiller dans son intimité une puissance de vie, de compréhension, de compassion venue d’ailleurs. Il présente Celui qui a traversé l’ombre du ressentiment et de la rivalité, « en tuant dans son propre corps la haine » (Ep 2,16). Bref, il confesse un Dieu, caché sous la forme de la gratuité, qui libère.