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Ce livre traite d’une question centrale et d’actualité, en reprenant des textes écrits à l’occasion d’une rencontre associant chercheurs et praticiens en octobre 2011. Pourtant, en mélangeant les registres militants, historiques et socio-économiques sur l’organisation de la banque, il ne remplit que partiellement son objectif et, paradoxalement, ne traite à mon sens la question que d’une façon partielle. Les textes des deux coordonnateurs introduisent l’ouvrage sur plus de 150 pages. S’ils proposent des intitulés complémentaires, l’un dans la critique de la dérive des organisations bancaires, l’autre dans l’état des lieux – historique et doctrinaire – du mutualisme, ils ne constituent pas une introduction structurée à des communications relativement hétérogènes. Néanmoins, au fil de la lecture, plusieurs textes esquissent des éléments intéressants.

Une communication de Philippe Guichandut propose un bilan de l’émergence de la microfinance en Europe, de son apparition en Europe de l’Est, dans « une mouvance néolibérale postcommuniste » (p. 160), à son extension et sa reconnaissance récente au sein de l’Union européenne. Les quelques données qu’il rappelle permettent de s’interroger sur l’homogénéité du secteur (support entrepreneurial à l’Est, plus inclusive et sociale à l’Ouest, p. 164). Il insiste sur le rôle à jouer par les pouvoirs publics dans le développement des organisations de microfinance (p. 169) et conclut sur la complémentarité avec les banques. Daniel Bachet s’interroge sur les critères de gestion des institutions financières et, dans le prolongement de l’idée présentée en introduction de « pôles financiers publics » (p. 16), sous le contrôle des parties prenantes locales (p. 183), il propose d’introduire un critère de valeur ajoutée, réhabilitant de ce fait les évaluations économiques de type coût-avantage au niveau territorial. Sandrine Ansart et Virginie Monvoisin rappellent que les institutions financières « alternatives », banques coopératives ou microfinance, connaissent de fait un fort mouvement de convergence vers la finance classique (p. 219). Victor Grange présente l’expérience de la NEF et s’interroge également, avec le projet de banque en cours de réalisation, sur la contradiction entre l’efficacité économique et le maintien du projet initial à l’origine de l’organisation [4] (« pour que l’argent relie les hommes »). Il montre que la stabilisation financière permet à l’organisation de s’investir dans de nouveaux projets innovants : foncière Terre de liens, projet Energies partagées, soutien aux associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap). André Rousseau et Yann Regnard s’interrogent, dans le prolongement d'André Gueslin, sur les difficultés à concilier « l’idéal et le quotidien » (p. 285) dans la gouvernance des banques coopératives, même s’ils prennent leurs distances avec l’inéluctabilité de l’isomorphisme institutionnel. Enfin, par le détour d’un regard sur l’Afrique de l’Ouest, Anaïs Périlleux esquisse trois volets pour l’intervention publique et l’aide au développement (p. 305) : renforcement de la gouvernance des réseaux mutualistes pour mieux gérer leur processus de croissance rapide, appui au contrôle interne ainsi qu’à la surveillance des autorités monétaires.

Avec l’hétérogénéité de ces différentes contributions, il apparaît difficile de revenir sur la question initiale. Mais les termes de la question (gagner la course de l’efficacité ou faire émerger un modèle différent) semblent, dans un environnement inchangé, par eux-mêmes trop restrictifs. La banque capitaliste est, faute de contrôle, sortie de son modèle depuis longtemps et, comme le rappelle Paul Krugman (Alternatives économiques, n° 309, janvier 2012), les risques pris par ses nouveaux développements (shadow banking) menacent désormais l’ensemble du système. Les alternatives ne pourront donc s’inscrire que dans un cadre politique à refonder, dépendant étroitement de la capacité des pouvoirs publics et visant à imposer, au-delà du contrôle local, de nouvelles régulations au secteur bancaire et financier. Mais, comme nous y invitent Robert Boyer ou André Orléan [5], cela suppose de remettre en cause de nombreux dogmes qui règnent toujours en maîtres, dans l’organisation de la finance et son articulation avec l’économie.