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Introduction

Les finalités de l’éducation constituent, au Québec comme ailleurs dans le monde, l’objet de préoccupation constante « en tant que levier incontournable de développement socioéconomique, mais également d’insertion professionnelle et de promotion sociale des individus » (gouvernement du Québec, 2010, p. 5). L’éducation étant un bien collectif, il en résulte de nombreux débats autour de l’orientation à donner au système éducatif, par voie de conséquence à la formation initiale des enseignants. Considérant le chemin parcouru en cinquante ans par le système éducatif québécois, nous pouvons relever des réalisations intéressantes comme l’accès d’un plus grand nombre de jeunes aux études postsecondaires, le soutien gouvernemental aux études postsecondaires à l’aide des prêts et bourses. Toutefois, les orientations des années 2000 du système éducatif québécois contiennent une adaptation certaine aux exigences imposées par le néolibéralisme occidental. La version néolibérale en éducation se traduit en privilégiant, sinon en prescrivant, des politiques spécifiques sur le plan de l’évaluation du financement, des normes, de la formation des enseignants, du curriculum, de l’instruction et des examens. (Burbules et Torres, 2000). Pour exemple, l’imputabilité des enseignants au plan de la réussite scolaire, la lutte au décrochage scolaire sont honorables, mais ils peuvent au contraire constituer une modalité d’accès à l’objectif économique d’adaptation de la main d’oeuvre aux réalités du marché du travail. (Maubant, P., Lacourse, L., Lebrun, J., Lenoir, A. et Lenoir, Y., 2011)

Le Québec a vécu deux moments forts de développement de son système éducatif. Il est passé à la moitié des années 1960 à une démocratisation quantitative où l’accès à l’éducation pour tous a été érigé. Idéologie, selon Lenoir (à paraître), qui a permis de faire entrer la société québécoise dans la modernité de la société industrielle. Puis, dans les années 2000, l’État a montré une volonté de démocratisation qualitative, soit l’accès à la réussite scolaire du plus grand nombre selon le potentiel en identifiant une triple mission pour l’école québécoise : instruire dans un monde de savoir, socialiser dans un monde pluraliste et qualifier dans un monde en changement constant. (Gouvernement du Québec, 2004, p. 5) Mission introduite dans la Loi de l’instruction publique, c’est dire son importance. Ces trois finalités sollicitent particulièrement la formation initiale des enseignants dans le contexte social du XXIe siècle. En formation à l’enseignement, il importe donc de s’intéresser aux zones de tensions suscitées par ces finalités normatives. D’où l’importance de poser comme préalable à nos recherches la manière dont les différents acteurs, parties prenantes de l’éducation au Québec, lisent et interprètent ces trois finalités. Une analyse des prescriptions du Ministère de l’Éducation du Loisir et du Sport (MELS) (gouvernement du Québec, 2004) nous amène à observer que la mission centrale de l’école québécoise est l’instruction. Il s’agit bien de faire acquérir par les élèves des savoirs de base : lire, écrire et compter. Quant à la mission de socialisation, elle est définie par l’expression du « vivre ensemble » qui signifie la promotion des valeurs, de sa démocratie et la préparation des jeunes à devenir des citoyens responsables. La mission de qualification bien que peu précise semble un allant de soi vers la nécessité d’adapter la formation à l’emploi, tout en convoquant l’ambition d’une société du savoir, garante du développement économique et social. Une analyse plus en profondeur pour mettre en évidence les intentions implicites voire les attendus sous-jacents des concepteurs et des auteurs des programmes de cette dernière réforme nous montrent des enjeux en filigrane qu’il importe de débusquer et d’expliciter. (Maubant et al., 2011) Comme la mise en oeuvre de ces finalités passe par les futurs enseignants, force est de réfléchir à leurs perceptions sur les finalités de l’école et de ses défis. Nous présentons dans les lignes qui suivent des éléments de la problématique de la réforme éducative et ses enjeux avec nos objectifs, la méthodologie utilisée et quelques références conceptuelles. Des résultats partiels d’une enquête menée auprès de finissants du baccalauréat en enseignement au préscolaire et primaire (BEPP) puis en enseignement au secondaire (BES) sur leurs perceptions des défis de l’école québécoise et les défis des enseignants suivront. La conclusion ouvrira sur des questions à ne pas laisser au hasard.

1. Une problématique ancrée dans une réforme du système éducatif

1.1 Une réforme aux enjeux à clarifier

La réforme du système éducatif et l’implantation du Programme de formation de l’école québécoise (gouvernement du Québec, 2004) sont le fruit d’un long processus se voulant démocratique à partir de la moitié des années 1990. Ce processus a été amorcé avec les États généraux sur l’éducation interpellant tous les citoyens de la société québécoise à faire connaître leur représentation de l’éducation pour l’avenir du Québec (gouvernement du Québec, 1996). Ils ont été suivis du Rapport Inschauspé (gouvernement du Québec, 1997) qui a réaffirmé les savoirs scolaires à l’école et la place des préoccupations de l’État sur la triple mission de l’école québécoise. Cette réforme ou renouveau pédagogique a produit des incidences majeures sur les pratiques éducatives des enseignants du milieu scolaire, bien que des résistances ont existé lors de l’implantation et existent encore. Les formateurs en formation à l’enseignement dans les universités québécoises ont été interpellés durant cette période d’agitation, car le ministère de l’Éducation du Québec[1], en 2001, exprime sa volonté de valoriser la profession enseignante en reconnaissant la complexité de l’acte d’enseigner et l’autonomie professionnelle de l’enseignant. L’idée de la professionnalisation du métier est alors admise de manière significative. Cette visée signale le souci de soutenir le développement professionnel continu et la construction de compétences essentielles à l’exercice de la profession enseignante pour la protéger. Le Ministère prescrit donc, à la suite de diverses consultations auprès de responsables pédagogiques, de cadres et de formateurs universitaires, une formation fondée sur le modèle professionnel du praticien réflexif (Schön, 1994) et de l’approche par compétences. Il propose un référentiel[2] de formation unique pour toutes les formations à l’enseignement, composé de douze compétences scindées en quatre domaines :

  1. les fondements composés de deux compétences, celle de passeur culturel et celle de la communication adéquate dans la langue d’enseignement ;

  2. l’acte d’enseigner formés de quatre compétences relatives à la conception des situations d’enseignement-apprentissage, la planification d’une leçon, l’évaluation des apprentissages et la gestion de classe ;

  3. le contexte social et scolaire présente quatre compétences soit adapter ses interventions, intégrer les technologies d’information de et de communication (TIC), coopérer avec l’équipe-école, les parents, les partenaires sociaux et, travailler avec l’équipe pédagogique ;

  4. l’identité professionnelle concerne deux compétences : s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnelle et agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions.

gouvernement du Québec, 2001, p. 59

Conséquemment, les programmes actuels de formation à l’enseignement traduisent à travers leurs dispositifs de formation cette visée de professionnalisation et une adhésion à la mise en oeuvre des trois finalités de l’école québécoise. Au-delà de ces systèmes et dispositifs, l’enjeu de la triple mission du système scolaire conduit les futurs enseignants vers des tensions. Le problème relève de la manière dont les futurs enseignants peuvent intégrer à la fois une éducation citoyenne émancipatrice et une éducation opératoire des savoirs scolaires en vue d’une adaptation des élèves au marché du travail. Comment peuvent-ils agir les trois finalités ? Une est-elle préalable ou plus importante que les deux autres ? Un autre enjeu de taille concerne l’interprétation par les futurs enseignants de chacune de ces finalités. Quelles significations donnent-ils aux visées d’instruction, de socialisation et de qualification ? Quelles sont les perceptions des finissants des divers baccalauréats en enseignement ? Pour répondre à ces questions, examinons quelques objectifs de travail.

1.2 Trois objectifs de travail de l’équipe APECS[3]

Partant des questions soulevées auparavant et de la volonté de préciser la plateforme scientifique des trois axes scientifiques de l’équipe APECS, trois objectifs opérationnels ont été formulés pour guider la collecte d’informations sur la conception des finissants au baccalauréat en enseignement au secondaire (BES), en enseignement au préscolaire et primaire (BEPP) et en enseignement en adaptation scolaire et sociale (BASS). Toutefois, les finissants du BASS n’ont pu être consultés jusqu’à ce moment pour des raisons organisationnelles. À l’aide des trois objectifs, un questionnaire a été construit pour l’administrer aux cohortes des finissants mentionnés auparavant. Ces trois objectifs sont les suivants.

  1. Identifier des points d’intersection concordants avec les défis de l’école québécoise et les défis de l’enseignant en rapport avec les missions/finalités de l’école québécoise.

  2. Dégager des perceptions discordantes des finissants en relation avec les défis de l’école québécoise et les défis de l’enseignant proposés par les missions/finalités.

  3. Dégager selon les perceptions des finissants des résistances aux défis suscitées par les missions/finalités de l’école québécoise et les défis de l’enseignant.

À partir du questionnement et des objectifs, nous examinons dans la suite du texte, le cadre d’analyse ancrée dans les compétences professionnelles en formation en enseignement et la professionnalisation. Nous abordons ensuite des éléments méthodologiques, quelques résultats et la conclusion.

2. Objets du cadre d’analyse et éléments méthodologiques

2.1 Une entrée dans la profession par les compétences professionnelles

Le choix d’une entrée par les compétences professionnelles n’est pas ignorant ou neutre. En visant la professionnalisation, l’État comme les formateurs universitaires souhaitent impulser des modifications significatives aux pratiques d’enseignement à travers des processus de formation en alternance des enseignants. Ce choix comme nous l’avons mentionné reconnaît les enjeux de l’activité de travail et l’autonomie relativement importante des acteurs dans la définition de leurs tâches et des moyens pour y parvenir. (Champy, 2011 ; gouvernement du Québec, 2001 ; Maubant, 2007) Les fonctions de formation des formateurs universitaires des futurs enseignants sont de conduire ces apprenants vers la professionnalisation en soutenant leur développement de savoirs théoriques de haut niveau et les douze compétences du référentiel de formation, en particulier celle de l’éthique professionnelle. Pour exemple, en confrontant l’apprenant à des études de cas multiréférenciées qui demandent de recourir aux savoirs homologués et au savoir d’expérience pour une pratique prudentielle orientée vers le bien-être de l’élève. La pratique prudentielle dans le sens aristotélicien de prudence signifie pour nous d’opérer avec discernement des choix difficiles portant sur les fins de l’activité (Champy, 2011, p.146) pour une situation gagnant/gagnant et de patience à la différence. Une autre fonction de formation concerne le développement d’un parcours qui privilégie la pratique réflexive de l’apprenant en vue de soutenir son développement professionnel et identitaire. Le portfolio électronique de compétences professionnelles illustre cette visée. Dispositif qui permet à l’apprenant d’autoévaluer, à partir d’un cadre de référence, le niveau de compétence atteint et d’autoréguler sa formation continue pour lui et le faire connaître à autrui. Le mémoire professionnel favorise le développement de l’esprit critique à partir de divers cadre d’analyse de la pratique d’enseignement. Enfin, une autre fonction distincte de la formation est de considérer l’analyse des modifications de pratiques d’enseignement pour une adhésion critique au curriculum d’enseignement de l’école québécoise (gouvernement du Québec, 2004). À travers cette entrée par les compétences professionnelles, nous avons identifié plusieurs prescrits de l’État et des caractéristiques du métier de l’enseignement comme travail professionnel distinct. Les compétences retenues garantissent sous toute réserve un bon usage des pratiques et la responsabilité sociale de l’ensemble des acteurs. Ce regard réflexif sur les compétences professionnelles mérite d’être conjugué à d’autres prérogatives. Par exemple, comment considérer les interactions entre exigences scientifiques, exigences institutionnelles et exigences pratiques des équipes de formateurs pluricatégorielles vers l’intégration des visées de la triple mission de l’école québécoise ? Comment construire un réseau d’intelligibilités dans l’esprit des futurs enseignants ? Comment prendre en compte l’influence du contexte social des stages, de la formation théorique et de leur impact sur la transformation des perceptions des finissants ? Des questions qui orientent notre regard sur l’objet de cet article.

Il convient ici d’analyser les perceptions des finissants en regard de ces missions. Identifier ce qu’apporte la formation d’un point de vue professionnalisant, c’est faire l’hypothèse que les finissants disposent de savoirs et savoir agir de nature spécialisée (Bourdoncle, 1991). Partant de Brau-Antony et Jourdain (2007), nous avançons qu’à ce stade de leur formation, les finissants possèdent une identité développée autour du référentiel de compétences et qu’ils doivent les mobiliser, peu importe le contexte et les mutations sociales de plus en plus instantanées. Comme ces compétences s’ancrent dans des valeurs et des représentations des visées de l’école québécoise, elles participent à leur insertion professionnelle et à la mise en oeuvre de comportements bien identifiés. Même si l’État a prescrit le même référentiel pour tous les programmes de formation à l’enseignement, nous n’oblitérons pas l’existence de cultures professionnelles spécifiques, par exemple la spécialisation des enseignants au secondaire ou le rôle plus généraliste des enseignants au primaire. Les quatre domaines de compétences professionnelles sont dégagés dans le questionnaire, à partir, d’une part, du Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2008-2010 (gouvernement du Québec, 2010), du référentiel de formation (gouvernement du Québec, 2001) et, d’autre part, du Programme de formation de l’école québécoise (gouvernement du Québec 2004). Enfin, cette analyse ne déplie pas tous les enjeux de la formation ni à quelles pratiques confronter les apprenants, elle doit se poursuivre pour l’équipe APECS. Examinons maintenant certains éléments méthodologiques, dont le questionnaire.

2.2 Un élément méthodologique, le questionnaire

Dans le cadre de cette étude exploratoire qui a pour but de tracer un premier portrait de la perception de finissants en formation initiale, l’enquête par questionnaire nous a paru être l’outil le plus approprié, dans le temps imparti. Les finissants des deux programmes de formation à l’enseignement BEPP, BES ont été sollicités. Évidemment, d’autres méthodologies existent pour juger des perceptions et des représentations sociales des finissants en enseignement. Par exemple, si nous souhaitons comprendre plus en profondeur ces perceptions, des entrevues peuvent être menées, en considérant comme hypothèse que les comportements sont déterminés par les représentations sociales (Verges, 2001). Les représentations sociales se définissent « comme des principes organisateurs de prises de position par rapport à des repères communs. » (Doise, 1992, p. 7), une position plus collective. Quant à la perception, elle renvoie à la manière de percevoir une idée, elle concerne plus l’individu et nous retenons ce concept pour notre première collecte de données.

Nous sommes aussi conscients que les enquêtes par questionnaire présentent des limites bien analysées par les travaux sur la psychologie des situations d’enquête (Ghiglione et Matalon, 1991), qui plus est quand il s’agit de juger des effets d’une formation à visée professionnalisante. Nous avons tenté de minimiser certains biais en posant comme principe que la perception des finissants devait être systématiquement rapportée à des objectifs de formation qui s’articulent à des compétences professionnelles. L’accord interjuge a été utilisé pour valider l’ensemble des énoncés du questionnaire.

Le questionnaire se structure en quatre parties. La première partie concerne les renseignements généraux. La deuxième partie met en relation les trois finalités de l’école québécoise. Elle se scinde en trois domaines : 1) l’instruction, 2) la socialisation, 3) la qualification. La troisième partie également scindée met en relation les apprentissages scolaires les plus importants et leurs utilités. La quatrième partie, celle qui sera traitée dans la suite du texte a été scindée en deux parties pour aborder les défis de l’école et les défis de l’enseignant. Des questions se rapportent, entre autres, à l’augmentation des attentes scolaires, au nombre d’individus à qualifier, au décrochage scolaire ou encore, des énoncés sur l’harmonisation de ses propres valeurs avec celles de la société et l’évaluation de manière juste et équitable. Les finissants des deux programmes avaient à répondre à plusieurs énoncés selon une échelle de Likert pour situer leur perception par rapport à chacun des énoncés mentionnés. L’échelle allait de <pas du tout d’accord>, à <tout à fait d’accord>. La partie sur les défis de l’école comprenait 14 énoncés et celle sur les défis de l’enseignant 17 énoncés. Dans la partie qui suit, nous décrivons le processus d’administration du questionnaire et des résultats partiels de l’enquête.

2.3 L’administration du questionnaire pour la collecte de données

L’administration du questionnaire a été réalisée de deux manières et concerne les finissants de la faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Pour les finissants du BEPP, la passation du questionnaire sous format papier s’est déroulée lors d’un cours en présentiel. Les finissants sur une base volontaire ont répondu sur place, ce qui permet d’expliquer le taux élevé de retour de questionnaires. Le total des répondants est de 79, composé de 74 finissantes et 5 finissants, sur un potentiel de plus d’une centaine. Au regard des finissants du BES, le questionnaire a été administré en ligne par le biais du logiciel de sondage Survey Monkey et devait être complété en ligne sur une base volontaire. Ce qui explique, en partie, le faible taux de réponses. De plus, ces finissants étaient en stage de fin de formation au moment de notre sollicitation. Le total est de 24 répondants, composé de 21 finissantes et 3 finissants, sur un potentiel de 89 finissants. L’analyse descriptive simple du corpus de données a été réalisée à l’aide du logiciel SPSS. Elle permet d’identifier les perceptions sur les défis de l’école québécoise et les défis des enseignants de même que les résistances en regard des finalités de l’école québécoise en vue de répondre aux trois objectifs mentionnés antérieurement.

2.4 Profil d’études des répondants provenant des programmes BEPP et BES

Les finissants des deux programmes de formation doivent compléter sur quatre années un total de 120 crédits dans une formation en alternance, théorie pratique, dont 24 crédits de stage au BEPP et 21 crédits de stage au BES. À noter que pour le BES, 54 crédits sont spécifiques à une discipline scolaire au secondaire, selon le profil de l’apprenant : français, univers social, mathématiques ou sciences et technologie. Ils ont également 9 crédits de didactique de leur discipline. Les deux programmes mènent vers l’autorisation d’enseigner avec l’obtention d’un brevet d’enseignement permanent.

3. Quelques résultats partiels

3.1 Des caractéristiques des réponses des finissants du BEPP sur les défis de l’école

Le tableau 1 présente les énoncés relatifs aux défis de l’école et les perceptions des 79 finissants du BEPP. Nous observons que tous les énoncés sont en accord avec les finalités de l’école québécoise et traduite dans la réforme ou renouveau pédagogique implanté depuis 2005. L’énoncé ministériel ci-après présente les grandes orientations de la réforme en ciblant un objectif central : la réussite pour tous, sans abaissement des niveaux d’exigence.

Il [l’énoncé] préconise un programme de formation centré sur les apprentissages essentiels en ce début du XXIe siècle. En insistant sur l’importance de répondre aux besoins et aux intérêts particuliers de chacun, l’énoncé de politique souligne la nécessité de continuer, au premier cycle du secondaire, les interventions éducatives différenciées dans une formation commune. Il recommande également une organisation scolaire plus souple, respectueuse de l’autonomie des établissements d’enseignement aussi bien que de celle des professionnels qui y travaillent.

Gouvernement du Québec, 2004, p. 4

Cette politique constitue une réponse aux lacunes identifiées dans le système éducatif et entend répondre à différents problèmes socio-éducatifs tels que la persévérance scolaire et la réussite du plus grand nombre, l’équité, la justice sociale et l’efficacité de l’enseignement. (Lenoir, à paraître) Tous les énoncés du tableau 1 ont été dégagés, en relation avec cet énoncé, des contenus du programme de l’école québécoise.

Tableau 1

Perceptions des finissants du BEPP sur les défis de l’école

Perceptions des finissants du BEPP sur les défis de l’école

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Nous pouvons observer dans le tableau 1, entre autres, qu’à l’énoncé 5, la perception des finissants est assez en accord (33 %) et très en accord (37 %) avec la réduction du décrochage scolaire, soit 70 % des répondants. Une perception cohérente en partie avec les énoncés 1 et 2, où 46 % des finissants sont assez en accord avec « augmenter le nombre d’individus qualifiés ». Toutefois, 34,2 % des finissants se disent plus/ou moins d’accord avec l’énoncé 1 d’« augmenter le nombre d’individus qualifiés » et 53,9 % des finissants sont plus/ou moins d’accord avec « augmenter les attentes en termes de scolarisation ». Il semble exister une résistance dans les perceptions des finissants du BEPP quant à l’atteinte de cet objectif valorisé par l’État et la population québécoise.

Au regard des énoncés 3 et 4 relatifs à l’augmentation de la scolarité et les exigences des curriculums, nous observons également une résistance. Pour l’énoncé « rehausser le niveau de scolarité de la population », 38 % des répondants sont assez en accord et 13 % sont tout à fait en accord pour une tendance de la perception en accord de 51 % avec l’énoncé. Puis, avec l’énoncé 4, nous notons un 52 % de répondants plus/ou moins en accord avec « rehausser les exigences attendues dans les différents curriculums ». La perception des finissants sur la recherche de la qualification optimale chez les individus ne semble pas aussi solide que dans les visées ministérielles. Comment celle-ci sera-t-elle mise en oeuvre dans les pratiques éducatives des finissants ?

Pour les énoncés 6 à 11, la perception des finissants est plutôt positive en général, soit assez et tout à fait en accord. Ce sont des énoncés et des comportements auxquels les finissants ont été conscientisés tout au long de leurs études tant au secondaire, au collégial et en formation à l’enseignement. Il existe donc une concordance avec les défis et les finalités de l’école. L’énoncé 10 présente 30 % des répondants plus ou moins d’accord avec « améliorer le parc informatique et l’accès aux nouvelles technologies éducatives », ce qui entraîne une résistance du tiers des finissants sur cet élément alors qu’au moins 50 % sont assez et en accord.

L’énoncé 12 sur adapter l’organisation scolaire pour répondre aux contraintes religieuses entraîne une perception discordante importante avec 63,9 % des finissants qui ont répondu pas du tout en accord. Les valeurs de laïcité de la société québécoise actuelle sont-elles plus importantes pour les finissants du BEPP ? Est-ce une tâche trop difficile ? Les parents sont-ils ceux qui doivent être responsables ? Voilà le type de questions sur lesquelles il vaudrait la peine d’étudier en profondeur.

Les quatre derniers énoncés 13-14-15-16 sont perçus favorablement par les finissants du BEPP, 50 % et plus ont répondu assez d’accord. Nous constatons que l’adaptation des pratiques et des interventions éducatives est perçue positivement, en concordance avec les visées d’instruction et de qualifications de la mission de l’école québécoise. Dans l’ensemble, il existe chez les finissants du BEPP une perception assez en concordance avec les finalités poursuivies par l’école et ses défis, bien que des résistances se dévoilent et une discordance émerge sur l’énoncé relatif à l’organisation scolaire pour répondre aux contraintes religieuses.

3.2 Des caractéristiques des réponses des finissants du BES sur les défis de l’école

Le tableau 2 présente les énoncés relatifs aux défis de l’école et les perceptions des 24 finissants du BES. Nous allons analyser les principales caractéristiques des réponses.

Tableau 2

Perceptions des finissants du BES sur les défis de l’école

Perceptions des finissants du BES sur les défis de l’école

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Nous constatons dans le Tableau 2, pour les énoncés 1 et 5 une cohérence appréciable dans la perception positive des finissants du BES quant à l’augmentation du nombre d’individus qualifiés : 55,6 % ont répondu assez en accord avec la qualification et 50 % ont répondu assez en accord avec la réduction du décrochage scolaire. La tendance de la perception va définitivement dans la même direction. Elle est en concordance avec les défis de l’école québécoise et les défis de l’enseignant en rapport avec les finalités de l’école.

Au regard des énoncés 3-4 relatifs à l’augmentation de la scolarité et les exigences des curriculums, nous observons une tendance de la perception plus favorable que défavorable aux énoncés si nous considérons les réponses assez en accord (33,3 % et 22,2 %) et tout à fait en accord (44,4 % et 22,2 %). L’identité de spécialiste des enseignants au secondaire semble les disposer à hausser les exigences pour les performances des élèves, ce qui est en concordance avec les défis du système éducatif.

Pour les énoncés 6 à 11, la perception des finissants du BES varie. En observant l’énoncé 6, nous relevons que plus de 50 % des répondants sont tout à fait en accord et 44,4 % sont assez en accord avec « faire apprendre à apprendre », pour un total de 94,4 %. Une perception très positive, en concordance avec les orientations du programme de l’école québécoise et du référentiel des compétences de formation. Pour l’énoncé 7 relatif à « conscientiser au développement durable » et l’énoncé 8 sur « conscientiser à l’accueil des immigrants ». Les répondants sont très cohérents. Par ailleurs, ils présentent des perceptions partagées de manière quasi égale à 33 % entre plus/ou moins d’accord, assez d’accord et tout à fait d’accord. Ce qui surprend et montre une concordance par rapport aux tendances contemporaines et visées ministérielles. En regard de l’énoncé 8 sur « soutenir la visée de tous les apprenants », la perception des finissants est positive, 55,5 % assez en accord, ce qui est en cohérence avec leurs perceptions des énoncés 1 et 5 et en concordance avec les défis du système. Pour l’énoncé 11 relatif à « adapter l’organisation scolaire pour répondre aux différents rythmes d’apprentissage », la perception des répondants à 55, 5 % est tout à fait en accord. Des perceptions concordantes avec le programme de l’école québécoise et le référentiel de formation à l’enseignement.

L’énoncé 12 sur « adapter l’organisation scolaire pour répondre aux contraintes religieuses » entraîne une perception négative. Il existe une discordance évidente en regard des défis du système éducatif, avec 61,1 % pas du tout d’accord.

Parmi les quatre derniers énoncés, les trois énoncés 14-15-16 présentent des perceptions concordantes exprimées à plus de 44, 4 % tout à fait en accord. Le paradigme d’école orientante semble avoir un écho chez les finissants du BES. Leurs perceptions sont en accord avec le référentiel de formation en enseignement. L’énoncé 13 apporte une perception plus/ou moins en accord à 41,2 %. On peut se demander quelle est la compréhension de l’énoncé « répondre aux besoins de chacun dans tous les domaines », puisqu’il existe une résistance à ce défi.

3.3 Quelques constats généraux sur les défis de l’école

En général les perceptions des finissants des cohortes de finissants BEPP et BES présentent des points d’intersection concordants avec les finalités de l’école québécoise et du référentiel de compétences en formation à l’enseignement, en particulier pour les énoncés 1 et 5, les énoncés 7-8, 12-14-15-16. Les résistances des finissants du BEPP se situent au plan des énoncés 3-4 relatifs à l’augmentation de la scolarité et les exigences des curriculums. L’identité de spécialiste des enseignants au secondaire semble les disposer à hausser les exigences pour les performances de leurs élèves et des curriculums. Par rapport à l’énoncé 16 sur « accompagner les apprenants dans les différentes voies de réussite selon leur intérêt et leur potentiel », les finissants du secondaire sont plus en accord avec cet énoncé que leurs collègues du primaire. Les perceptions des deux cohortes (BEPP BES) se mâtinent en résistance à l’idée d’adapter l’organisation scolaire en vue de répondre aux contraintes religieuses. Comment les éléments de résistance seront-ils mis en oeuvre dans les interventions éducatives des finissants ? Une bonne concordance avec les finalités de l’école pour instruire, socialiser et qualifier ressort des perceptions des finissants des deux programmes.

3.4 Des caractéristiques des réponses des finissants du BEPP sur les défis des enseignants

Dans le tableau 3, nous observons des énoncés en relation avec plusieurs compétences du référentiel de formation, en particulier dans le domaine des fondements (Compétences 1-2) ; le domaine de l’acte d’enseigner (Compétences 3-4-5-6) ; le domaine du contexte social et scolaire (Compétences 7-8-9-10) ; le domaine de l’identité professionnelle (Compétence 11-12). Nous rappelons que 79 finissants du BEPP ont répondu au questionnaire.

Tableau 3

Perceptions des finissants du BEPP (79) sur les défis des enseignants

Perceptions des finissants du BEPP (79) sur les défis des enseignants

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Nous observons pour l’énoncé 1, une perception à 71 % assez et tout à fait en accord. Une concordance intéressante avec une compétence complexe dans sa mise en oeuvre.

Les énoncés 2 à 7 qui se situent dans le domaine des fondements présentent des perceptions en général en concordance avec le référentiel de formation sur la mission de socialisation, si nous considérons les réponses assez et tout à fait en accord, bien qu’un nombre non négligeable de finissants est plus/ou moins en accord avec lesdits énoncés. Valoriser ses propres valeurs et celles de la société semble une pratique éducative fragile pour certains finissants du BEPP.

Les énoncés 8 à 11 qui composent le domaine de l’acte d’enseigner dans le référentiel de formation révèlent des perceptions en concordance avec les visées de formation en enseignement et la finalité socio-éducative de l’efficacité des enseignants, ainsi qu’avec la mission d’instruire.

Les énoncés 12 à 15 situés dans le domaine du contexte social et scolaire montrent une perception positive des finissants qui sont assez et tout à fait en accord avec les énoncés. Il existe une concordance avec les visées de formation et la mission de socialiser pour conduire vers la réussite scolaire et l’adaptation au marché de l’emploi. Cependant, des finissants expriment une perception mitigée plus/ou moins en accord avec l’intégration des TIC dans son enseignement. Perception qui est en cohérence avec les réponses du tableau 1. Est-ce une résistance à leur utilisation par manque d’habileté ou un déni de ce besoin au plan scolaire ?

Les énoncés 16-17-18 situés dans le domaine de l’identité professionnelle présentent des perceptions assez et tout à fait en accord. Quelques répondants expriment des résistances qu’il ne faut pas négliger. La tendance des perceptions est définitivement en concordance avec la mission de socialisation et la visée de professionnalisation du métier d’enseignant.

3.5 Des caractéristiques des réponses des finissants BES sur les défis des enseignants

Dans le tableau 4, nous observons les réponses de 24 des finissants de la cohorte BES.

Tableau 4

Perceptions des finissants du BES sur les défis des enseignants

Perceptions des finissants du BES sur les défis des enseignants

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Nous observons pour l’énoncé 1, une perception à 83,3 % assez et tout à fait en accord. Une concordance avec les domaines de l’acte d’enseigner et du contexte social et scolaire.

Les énoncés 2 à 7 qui se situent dans le domaine des fondements présentent des perceptions en général assez en accord et en concordance avec le référentiel de formation, bien qu’un nombre non négligeable de finissants expriment un plus/ou moins en accord avec lesdits énoncés. Ce sont des perceptions qui sont à l’intersection de celles du BEPP.

Les énoncés 8 à 11 révèlent des perceptions résolument tout à fait en accord. Elles se situent en concordance avec la visée de professionnalisation et de la mission d’instruire. Elles rejoignent les perceptions des finissants du BEPP.

Les énoncés 12 à 15 du domaine du contexte social et scolaire montrent une perception positive des finissants qui sont assez et tout à fait en accord. Les finissants du BES montrent la même perception que ceux du BEPP quant à la concordance sur l’ouverture à l’adaptation des interventions éducatives et du travail professionnel en collaboration.

Les énoncés 16-17-18 situés dans le domaine de l’identité professionnelle présentent majoritairement des perceptions assez et tout à fait en accord, donc en concordance avec le référentiel de formation. Quelques répondants expriment des résistances qu’il ne faut pas négliger pour chacun des énoncés tout comme des finissants du BEPP.

3.6 Quelques constats généraux sur les défis des enseignants

Nous constatons que les perceptions des étudiants du BEPP et BES s’entrecroisent. En regard de la responsabilisation des élèves, la perception tout à fait en accord rejoint plus de 47 % des finissants du BEPP et BES, une valeur traduite dans la mission de socialisation qui semble bien intégrée et en concordance avec le référentiel de formation. Les perceptions des finissants en regard des défis des enseignants se trouvent en concordance avec le double cadre proposé en formation : le référentiel de formation qui traduit la triple mission du système éducatif québécois. Selon les perceptions observées chez les répondants des deux cohortes, les composantes des compétences paraissent intégrées, ce qui nous permet d’induire qu’une certaine appropriation existe après quatre années de formation universitaire et au moins 700 heures de stage.

Conclusion

Nous pouvons estimer avec ces résultats relatifs aux perceptions des finissants des programmes BEPP et BES que les finalités du système éducatif sont valorisées. Nous pouvons induire qu’il existe un fort potentiel que ces finissants tenteront d’installer des pratiques en concordance avec les finalités de l’école québécoise. Quelques résistances émergent chez des finissants en rapport avec l’augmentation des exigences des curriculums, ce qui peut être un frein à la volonté d’une éducation de qualité optimale. Chez les finissants des deux programmes, la perception est mitigée sur l’utilité d’augmenter et d’utiliser les TIC en éducation, mais en général les perceptions sont assez en accord avec les énoncés. Les tensions exprimées dans les perceptions semblent concerner plus la mission de socialisation de l’école. Toutefois, il faut se garder de généralisations hâtives compte tenu d’une population modeste chez les répondants du programme BES, en particulier. Faudrait-il reprendre l’administration du questionnaire auprès des étudiants du BES en mettant en place des conditions de présentiel ? Il faut aussi que l’équipe APECS interroge les finissants du programme BASS qui travaillent avec des élèves ayant des besoins particuliers.

Les observations dégagées et relatives aux défis de l’école québécoise et des défis de l’enseignant permettent de dire que nous avons atteint les trois objectifs visés pour cette première collecte de données. Nous avons dégagé, plusieurs points concordants et quelques points de résistances de finissants avec les finalités de l’école et les défis de l’enseignant. Il faut considérer ces résistances lors de la mise en oeuvre éventuelle des pratiques et leur impact sur la formation des élèves au moment du stage en quatrième année de formation et lors de l’insertion professionnelle au moment du premier contrat d’enseignement.

Cette enquête se situe dans une logique de compréhension des perceptions des futurs acteurs de la mise en oeuvre des missions socio-éducatives dans divers contextes scolaires et parascolaires. Il reste à vérifier s’il existe un discours uniforme entre les finissants en formation initiale en enseignement et les formateurs de terrain. Des recherches comme celle de Brau-Antony et Jourdain (2007) montrent bien que les stages constituent le dispositif de formation le plus saillant chez les étudiants en enseignement, dans la mesure où il correspond à la situation de travail authentique à laquelle tout enseignant est confronté. Est-ce une des raisons qui conduit les finissants de quatrième année à l’intégration concrète d’éléments du référentiel de formation et par voie de conséquence de l’actualisation de la triple mission de l’école québécoise ? D’un point de vue optimiste, nous pouvons conclure que les finissants des deux programmes ne démissionnent pas devant les défis de l’école québécoise et les défis des enseignants. Enfin, bien que les perceptions présentent des points d’intersection concordants, force est de questionner si les finissants sont conscients de l’agenda caché (rehausser les exigences des curriculums, préparer au marché de l’emploi, entre autres) sous les visées du système éducatif et du référentiel de formation ?