Corps de l’article

Voici un titre prometteur et un ouvrage qui tente vaillamment d’être à la hauteur de son titre. Il ne déçoit pas, bien que la matière à traiter soit diverse et touffue. Les auteurs partent des faits suivants. Les mouvements sociaux protestataires ont aujourd’hui des occasions et des moyens accrus de se mobiliser indépendamment des frontières. Les bases du pouvoir reposent de plus en plus sur des valeurs globalement partagées et de moins en moins sur la coercition exercée par des États territoriaux. L’hégémonie des États-Unis, qui soutiennent le système capitaliste, est en déclin. Ce système est en crise et contesté par des mouvements transnationaux. Ceux-ci s’appuient largement sur une culture globale, sur les valeurs que celle-ci véhicule et sur des institutions telles que des Églises, des syndicats, des agences spécialisées de l’onu. Mais le système établi compte aussi sur des institutions, une culture et des valeurs. Ce sont parfois les mêmes institutions et la même culture qui peuvent fonder la légitimité du système établi et celle des mouvements le contestant.

Ce livre analyse la façon dont les mouvements antisystémiques gagnent en force et comment le système résiste. Il évalue aussi les chances qu’ont ces mouvements de l’emporter. Le déclin des États-Unis, la croissance de nouvelles puissances, les crises et contradictions du capitalisme, les protestations qui s’ensuivent sont la toile de fond à cette compétition. La période étudiée se situe après 1945, mais c’est surtout la période qui va de la fin de la guerre froide à aujourd’hui qui retient l’attention des auteurs. Suit une esquisse de leurs propos.

Les institutions internationales, les réseaux qu’elles favorisent, les objectifs et valeurs qu’elles véhiculent jouent un rôle déterminant dans la formation des mouvements sociaux transnationaux contestataires. Ceux-ci, en retour, renforcent le rôle de certaines de ces institutions et les transforment. Il en résulte une dénonciation de plus en plus forte du système capitaliste. Depuis la désintégration de l’urss, l’importance accrue des organisations regroupant les États d’une même région joue contre l’hégémonie des États-Unis. Les deux phénomènes sont bien différents, mais peuvent se combiner pour donner une voix à des intérêts qui étaient demeurés périphériques. Certaines institutions intergouvernementales ou de l’onu, et notamment les conférences organisées par des agences de l’onu au sujet des droits de la femme, de l’environnement, du désarmement ou de la paix, ont été des relais importants dans la mobilisation de la société civile mondiale. Ces conférences ont stimulé des mouvements transnationaux et ont déterminé leurs perspectives, elles ont standardisé ces perspectives et favorisé la formation d’alliances.

Ces mouvements de la société civile influencent et élargissent les débats des organisations intergouvernementales ou des Nations Unies qui ont pu, dans un premier temps, définir les enjeux pour lesquels se bat la société civile. Les ong qui doivent beaucoup aux initiatives de l’onu font désormais partie du forum de l’onu. Il y a une fécondation réciproque entre institutions internationales et mouvements sociaux transnationaux. Par exemple, les traités négociés et signés par les États sous la pression de l’opinion internationale deviennent des références par rapport auxquelles l’opinion juge les États et l’action des ong est relancée.

Les auteurs soulignent l’ambivalence de la culture globalement acceptée : elle peut légitimer le système capitaliste, mais peut également laisser apparaître les contradictions fondamentales entre ce système et les valeurs qu’elles proclament. Un premier travail des mouvements sociaux consiste à éduquer le public pour qu’il perçoive ces contradictions. Mais il ne suffit pas de lutter contre telle injustice ou telle autre, c’est le système lui-même qui est injuste. Chaque lutte particulière risque d’être une distraction par rapport à la lutte à mener contre le système dans sa totalité. Les organisations instituées pour défendre telle ou telle cause risquent donc de devenir des oeillères qui masquent le tableau général.

Les organisations internationales et notamment les grandes conférences de l’onu imposent des limites et des compromis aux mouvements sociaux qu’elles rassemblent pour les amener à travailler ensemble, à se conformer à des vues partagées et à être réalistes. Cela est particulièrement évident dans le cas des mouvements qui défendent les droits de la personne et l’environnement. La revendication en faveur des droits civils et politiques a pris plus d’importance que la revendication en faveur des droits économiques et sociaux, le développement durable a éclipsé la protection de l’environnement qui irait jusqu’à remettre en cause le développement. Cela ne signifie pas que les organisations internationales coupent les ailes des mouvements sociaux ; elles leur permettent aussi de forger des alliances, de se faire entendre et de gagner en légitimité. Par ailleurs, ces mouvements ont appris à se réunir indépendamment des organisations internationales, comme elles le font par exemple dans le Forum social international, pour conserver leur originalité et leur indépendance.

Cet ouvrage souffre de deux tra-vers que je considère comme mineurs. Il présente une revue de la littérature sur les mouvements sociaux et tente en même temps de donner un tableau d’ensemble de ceux-ci. Le premier but nuit à la cohérence de l’ensemble, car il entraîne le compte rendu de points de vue multiples. Deuxièmement, les auteurs prétendent parfois que se profilent des mouvements qui contestent de plus en plus l’ordre ou le désordre capitaliste. Cet optimisme est peut-être de bonne guerre, mais il me paraît exagéré. Nous ne sommes pas en guerre, nous sommes seulement en sociologie.