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Au sein des études de sécurité, le 11 septembre 2001 apparaît souvent comme un moment charnière qui a révélé la vulnérabilité des États – même puissants – face aux menaces posées par des organisations terroristes transnationales. Douze ans plus tard, l’ouvrage collectif dirigé par Leuprecht, Hataley et Nossal constate l’état encore balbutiant de la recherche sur les questions de sécurité transnationale et transfrontalière ainsi que le manque de synergie entre le monde universitaire et les autorités. Pour les auteurs, ce constat apparaît particulièrement alarmant en ce qui concerne le Canada.

Il ne s’agit pas d’un livre ordinaire, car il se présente au lecteur sous forme bilingue, chaque article se déclinant en français et en anglais. Mais sa particularité tient surtout à son contexte de rédaction puisqu’il regroupe les notes d’analyse des chercheurs ayant participé au cidp/sshrc Workshop : Transnational Threats and Border Security, qui s’est tenu à Ottawa le 27 juin 2011. Cet atelier a été organisé par différents ministères et organismes fédéraux du Canada dans le but de lancer une réflexion canadienne sur l’identification des enjeux sécuritaires de la mondialisation pour le pays. En compilant les notes présentées par les chercheurs lors de cet atelier, les directeurs entendent réaliser l’état des lieux de la recherche canadienne sur ces questions, susciter de l’intérêt pour l’étude de la sécurité du Canada et établir des synergies mutuellement bénéfiques entre le monde universitaire canadien et les autorités publiques qui collectent les informations relatives aux menaces transnationales, mais manquent d’outils pour les analyser.

Le fil conducteur des treize contributions tient dans le constat de l’existence de la mondialisation. Dans l’histoire, les flux internationaux de marchandises, de capitaux, de personnes et d’information n’ont jamais été aussi intenses et rapides et n’ont jamais impliqué un aussi grand nombre d’acteurs. Une conséquence de cette situation récente est l’évolution des menaces auxquelles les États doivent faire face. Alors que des problèmes anciens se sont transformés et adaptés à l’évolution du contexte international (trafics illicites, immigration ou terrorisme), d’autres défis inédits ont émergé durant la dernière décennie (cybercriminalité, vieillissement des populations, pandémies ou réfugiés climatiques).

Pour les études de sécurité, cette évolution contextuelle a été appréhendée différemment selon les écoles. Dans l’approche traditionnelle à tendance réaliste, l’État et ses frontières demeurent les référents principaux pour l’analyse des menaces, tandis que, pour les globalistes, la mondialisation et l’essor des acteurs non étatiques ont considérablement réduit la pertinence d’une approche statocentrée et territoriale de la sécurité. La plupart des contributions à cet ouvrage collectif adoptent toutefois une position intermédiaire : l’État et les frontières gardent toute leur importance dans l’analyse de la menace, mais leurs fonctions ont évolué. En premier lieu, la limite entre sécurité interne et externe est devenue plus floue. La rapidité des échanges et la mobilité des personnes impliquent qu’il n’est pas possible de lutter contre les processus de radicalisation ou contre les réseaux criminels en adoptant une dichotomie entre les menaces internes et les menaces externes dans la mesure où cette distinction perd de plus en plus son sens. En second lieu, la réduction des entraves au commerce, à la circulation des capitaux et l’ouverture croissante des économies des pays du monde entier ont renforcé le poids des acteurs non étatiques, tels que les multinationales, les groupes de presse ou les organisations non gouvernementales, mais aussi celui des réseaux criminels et terroristes. La disparition des entraves à la mobilité permet à ces acteurs de se développer à l’échelle globale et en particulier sur Internet où ils prédominent, face aux États qui peinent à s’imposer dans le cyberespace. En dernier lieu, comme le souligne Julie-Anne Boudreau, alors que les acteurs non étatiques s’affranchissent de plus en plus des frontières nationales, ces dernières conservent leur influence en raison de la persistance de la territorialité comme caractéristique fondamentale des États dans la sphère de la sécurité, entravant la coopération militaire, policière ou entre services de renseignements.

En lien avec la transformation du contexte international, plusieurs contributeurs insistent sur deux réalités contemporaines. D’une part, à l’image du Patriot Act voté par le Congrès des États-Unis en octobre 2001, des menaces plus complexes et multiformes peuvent inciter les États à limiter la liberté de leurs citoyens pour des raisons de sécurité. D’autre part, en particulier pour les flux migratoires, il existe souvent un écart important entre la nature objective de la menace et la perception de celle-ci par les gouvernements et dans la population.

Cet ouvrage vise à éclairer le contexte sécuritaire canadien. C’est pourquoi chaque chapitre comprend une discussion de ces questions pour la situation spécifique du Canada, qui est celle d’un pays sûr sur le plan géopolitique, mais très ouvert sur le monde et avec une faible culture de la sécurité. Pour Leuprecht et Hataley, cela induit un manque de préparation et de prospective et donc une grande vulnérabilité de cet État face aux menaces transnationales et frontalières évoquées dans l’ouvrage.

Ce livre doit être pris pour ce qu’il est : une somme de notes succinctes qui dessinent les contours d’une thématique de recherche. De l’aveu des éditeurs, le souci d’un panorama complet a primé la profondeur des analyses. Cet ouvrage s’adresse donc plus à ceux qui désirent entrer dans ce thème de recherche qu’à ceux qui le sillonnent déjà. Finalement, ce livre-programme tient ses promesses en offrant au monde académique – canadien, mais pas uniquement – un agenda de recherche complet et ambitieux pour l’étude des menaces transnationales et de la sécurité frontalière.