Corps de l’article

Si la diversité des familles est souvent proclamée comme une caractéristique des familles québécoises d’aujourd’hui, force est de reconnaître qu’elle était déjà bien présente dès le début du XXe siècle (Baillargeon et Detellier, 2004). Elle s’actualisait sur le plan du milieu de vie, du taux de natalité et du fait de vivre au sein d’une famille nucléaire ou élargie. Si les séparations conjugales étaient rares, les familles pouvaient être composées d’un parent et d’un beau-parent, en raison de la faible espérance de vie de l’époque.

Aujourd’hui, la diversité des familles se matérialise, entre autres, par la forte prévalence des séparations parentales, par la présence de familles monoparentales, par le fait que les enfants peuvent vivre au sein de différents milieux familiaux simultanément ou de manière séquentielle et par la croissance des familles recomposées, une structure familiale qui fait couler beaucoup d’encre ces dernières années. L’étude de la situation des familles recomposées connaît en effet un essor important, particulièrement depuis une vingtaine d’années. La recension des écrits réalisée par Coleman, Ganong et Fine en 2000 sur le thème du remariage montrait que trois fois plus de travaux ont été publiés dans la décennie de 1990 que dans la précédente. Cette première vague de travaux a permis de décrire les caractéristiques de ces familles, mais a soulevé du même coup de nombreux questionnements, notamment sur les impacts de la recomposition et sur le fonctionnement de ces familles.

La décennie qui a suivi a donné lieu à la réalisation de très nombreuses études qui ont permis de raffiner notre compréhension de ce qui particularise la recomposition familiale sur le plan de l’exercice des rôles et des relations (Sweeney, 2010). Cette nouvelle vague d’études comporte aussi l’avantage de documenter la dynamique de ces familles alors qu’une certaine représentation commune de ce que signifie être une famille recomposée et un beau-parent semble apparaître. En outre, des améliorations méthodologiques ont été apportées. Tous ces arguments justifiaient la nécessité de faire le point sur les connaissances engendrées dans la dernière décennie.

Cet article présente une synthèse des connaissances produites depuis l’an 2000 sur la thématique des impacts de la recomposition familiale sur l’exercice de la parentalité. Les travaux sont analysés de manière à répondre aux questions suivantes : qu’est-ce qui particularise la situation des familles recomposées et à quels défis sont-elles confrontées? Quelles sont les conséquences associées au fait de vivre en famille recomposée sur le plan des relations et de l’exercice des rôles de parent et de beau-parent? Quelles méthodologies sont utilisées dans ces études et quelles en sont les limites? L’article se conclut sur la présentation de pistes de recherche et d’intervention qu’il apparaît pertinent de poursuivre.

Méthodologie de la recension

Considérant le volume de recherches qui se publient dans ce secteur, l’évolution du phénomène et les avancées importantes sur le plan théorique et méthodologique, les écrits publiés à partir de 2000 et comportant une collecte de données postérieure à 1993 sont ciblés. Les connaissances produites avant cette période ne sont pas nécessairement évacuées, car on peut postuler que les chercheurs les ont intégrées dans leur questionnement, leur manière de conceptualiser les problèmes ou d’y répondre. Par ailleurs, selon les sujets, quelques écrits publiés avant 2000 sont aussi considérés quand ils se révèlent être des textes incontournables ou abordant des aspects moins traités actuellement.

La méthodologie utilisée pour élaborer cette recension s’appuie sur plusieurs des principes de la construction d’une recension des écrits systématique sans toutefois les respecter tous (Cooper et Hedges, 2009). Le travail produit ici doit donc être considéré comme une recension des écrits qui tend à s’objectiver, mais qui comprend certaines limites. Les documents inclus dans cette recension ont été repérés par l’entremise des principales banques de données bibliographiques du domaine. Six banques ont été retenues sur la base de leur ampleur, de leur diversité disciplinaire et de l’indexation d’études de langues française et anglaise. Il s’agit de PsycINFO, Current contents, Sociological abstracts, Family and society worldwide studies, Famili@ et Cairn.

La même stratégie de recherche documentaire a été appliquée pour interroger les quatre banques anglophones. Cette stratégie consiste à utiliser dix mots clés concernant le domaine des familles recomposées. Elle a été appliquée en désignant tour à tour ces mots comme Index terms, Keywords et Abstract : stepfamil* or blended-famil* or remarri* or stepparent* or stepfather* or stepmother* or stepchild* or stepson* or stepdaughter* or stepsibling*. Pour la banque Famili@, seules les expressions famille recomposée et beau-parent ont été utilisées en tant que mots clés. Finalement, pour la banque Cairn, le mot famil* recomp* a été utilisé en tant que mot clé dans les disciplines Psychologie et Sociologie.

En appliquant ces mots clés et après avoir retiré les doublons, un nombre total de 1890 références, parues depuis 2000, ont été obtenues. Par la suite, des critères d’inclusion[2] et d’exclusion[3] ont été appliqués de manière à ne retenir que les études qui apportent une contribution significative aux questions examinées. Généralement, le résumé et la section méthodologique de l’article ont été utilisés afin de vérifier si le document correspondait à ces critères.

Deux cent quatre-vingts documents respectaient tous les critères d’inclusion et étaient accessibles, ce qui équivaut à un taux de rétention de 14,8 %. La sélection finale des études a été effectuée en prenant connaissance de l’ensemble de l’étude. Cette étape a laissé apparaître des écarts sur le plan de la robustesse de la méthodologie et des analyses parfois peu pertinentes ou peu approfondies eu égard aux objectifs de la présente recension. Aussi, un dernier travail de sélection a été effectué. Au final, en ne retenant que les titres traitant de la parentalité au sein des familles recomposées, on obtient la distribution suivante : 51 titres portant sur la dimension beau-parentale, 27 sur la dimension parentale ainsi que 16 traitant du parent non résident pour un total de 77 articles distincts (un même article pouvant couvrir plus d’un thème). Cinq de ces articles sont des recensions des écrits, les autres relatent des résultats originaux.

Les recensions des écrits peuvent prendre différentes formes. En utilisant les caractéristiques permettant de les classifier développées par Cooper et Hedges (2009), la présente recension peut être décrite ainsi : elle focalise son attention sur les résultats et sur les méthodologies mis de l’avant, elle a pour but d’identifier les thèmes centraux examinés par les chercheurs, d’intégrer les résultats des différentes recherches tout en faisant ressortir les contradictions qui pourront faire l’objet d’un examen attentif dans les recherches futures. La perspective adoptée se veut neutre au sens où aucune thèse particulière n’est mise à l’épreuve. Les résultats sont organisés par thème. À ce chapitre, considérant le peu d’études menées sur plusieurs questions de même que les limites méthodologiques observées dans ce champ, il nous est apparu moins pertinent d’organiser les résultats selon la nature des devis utilisés, des méthodes ou de la discipline d’origine des auteurs. Une grille d’analyse a été élaborée de manière à rendre compte des résultats obtenus par les chercheurs, mais aussi afin de décrire les différentes caractéristiques méthodologiques de ces recherches. Ce dernier élément est utilisé pour faire le point sur les limites des études actuelles et sur les pièges méthodologiques à éviter.

Sur le plan des limites de cette recension, notons qu’elle se restreint aux recherches indexées dans les bases de données bibliographiques. La littérature grise est peu prise en compte ici de même que les études qui n’auraient fait l’objet d’aucune publication. Cette façon de faire s’est imposée pour des questions de faisabilité. En effet, comme la recension porte sur un questionnement assez large, le nombre de recherches susceptibles d’apporter un élément de réponse était assez imposant. Une façon de sélectionner les études a consisté à utiliser un mécanisme de repérage qui priorise les recherches publiées dans des revues savantes et donc des travaux qui ont fait l’objet d’une évaluation par les pairs. Quelques monographies, indexées dans les banques de données bibliographiques, ont aussi été incluses. Toutefois, comme les recherches publiées ne sont pas exemptes de biais de sélection (St-Amand et Saint-Jacques, à paraître), le lecteur ne doit pas perdre de vue que les résultats présentés ici s’appuient sur une partie des connaissances produites sur la question de la parentalité au sein des familles recomposées et non sur leur entièreté.

Résultats

Recomposition familiale : spécificité, diversité et défis

Onze pour cent des familles québécoises comprenant des enfants sont recomposées. Elles sont formées dans près de la moitié (46 %) des cas d’une mère, de ses enfants et d’un beau-père. Plus rarement, ces familles sont réorganisées autour d’un père, de ses enfants et d’une belle-mère (11 %). Enfin, 43 % sont qualifiées de complexes, car elles comprennent des enfants issus des unions respectives des deux partenaires ou d’un seul partenaire ainsi que des enfants issus de l’union recomposée (Ministère de la Famille et des Aînés, 2011). Ces statistiques témoignent de la diversité des environnements familiaux des Québécois.

Les familles recomposées sont souvent présentées, dans le langage courant, comme un nouveau type de famille. Toutefois, ces familles ne sont spécifiques que parce qu’on utilise arbitrairement la famille biparentale intacte comme point de comparaison. Les familles recomposées ont les mêmes finalités et assument les mêmes rôles que les familles dites traditionnelles, elles ne sont donc pas fondamentalement différentes (Saint-Jacques, 2000). Par exemple, elles ont, elles aussi, à prendre soin des enfants, à décider du partage des tâches ménagères, à établir les frontières avec la famille d’origine, à administrer un budget, etc. (Parent et Beaudry, 2002). De plus, plusieurs des mécanismes qui facilitent ou complexifient leur fonctionnement sont similaires à ce que l’on observe chez les familles intactes, notamment les difficultés de communication (Parent et Beaudry, 2002). Toutefois, leurs caractéristiques structurelles et la séquence des événements familiaux teintent leur parcours et créent des défis considérables à relever.

En effet, la recension des écrits a fait ressortir que ces familles se distinguent à plusieurs égards des familles biparentales intactes, notamment par leur appartenance à des constellations familiales plus larges (Théry, 2002). L’ampleur de ces réseaux dépend évidemment des liens qui subsistent au-delà des séparations antérieures. On constate aussi que l’aire de circulation des enfants devient le marqueur des frontières familiales. Afin de permettre une circulation harmonieuse, la famille recomposée doit maintenir ses frontières plus perméables à l’extérieur qu’ont à le faire les familles intactes (Pryor, 2008).

Plusieurs références au deuil se retrouvent dans les écrits traitant de la spécificité de ces familles. La vie au sein d’une famille recomposée entraîne un changement parfois très important du mode de vie (la famille quittant un épisode monoparental ou même une famille intacte) qui peut provoquer beaucoup de détresse, car il n’est pas si facile de comprendre le changement ou de l’exprimer ouvertement (Boss, 1999; Golish et Powell, 2003, tous cités dans Afifi et Keith, 2004). Des études rapportent que plusieurs beaux-parents ont dû, du jour au lendemain, s’occuper des enfants et partager leurs ressources, ce qui tranchait fortement avec la vie de célibataire qu’ils avaient menée auparavant (Afifi et Keith, 2004). On constate aussi que l’arrivée d’un beau-parent peut briser un lien décrit dans la littérature comme le traumatic bonding, où l’enfant et son parent forment une alliance forte, durant l’épisode monoparental, pour passer à travers l’épreuve de la séparation (Afifi, 2003; Afifi et Keith, 2004; Coleman et al., 2001; Golish, 2003). On observe aussi, à l’inverse, que l’arrivée d’un beau-parent peut faciliter l’acceptation de certaines pertes (Afifi et Keith, 2004) en aidant les enfants à intégrer l’idée que leurs parents ne reviendront plus ensemble. Enfin, des belles-mères qui donnent naissance à un enfant au sein de l’union recomposée mentionnent que la présence du bel-enfant assombrit leur expérience de la maternité et parlent de leur deuil de la famille nucléaire (Gosselin et al., 2007).

La famille recomposée se distingue de la famille biparentale intacte ou monoparentale par le fait que les enfants ne sont pas tous unis par des liens de sang avec les figures parentales ou avec les autres membres de la fratrie. Elle impose ainsi une vision de la parentalité différente qui fait appel à la parenté sociale plutôt qu’exclusivement biologique. En théorie, ces familles font face à une situation de pluriparentalité (Le Gall, 1992). L’examen des différentes typologies visant à rendre compte de leur réalité montre qu’il existe une diversité au sein de ces familles, que ce soit sur le plan de son fonctionnement, des rôles et des relations, des représentations, des attentes et enfin des trajectoires conjugale et familiale qui ont conduit à l’établissement de cette famille (Bray et Kelly, 1998; Saint-Jacques, 2001; Saint-Jacques et al., 2009). Il est donc difficile de parler de la recomposition familiale comme d’une réalité homogène.

La faible reconnaissance du rôle de beau-parent dans la société nord-américaine constitue aussi un défi de taille en ce sens qu’elle place ces familles dans une situation parfois paradoxale. D’une part, ces personnes peuvent jouer un rôle important au sein de la famille, mais, d’autre part, ne se voir reconnaître aucun droit ou légitimité d’intervenir dans les lieux offrant des services aux familles tels l’école, les centres de santé, les services sociaux, les loisirs (Henry et McCue, 2009; Parent et Beaudry, 2002; Parent et Robitaille, 2011; Parent et al., 2007) puisque le statut juridique de la pluriparentalité, au Canada et au Québec, est encore très incomplet (Goubau, 2011).

Un autre défi rencontré par ces familles est la lutte contre les préjugés. De nombreuses études ont montré que les familles qui s’écartent du modèle traditionnel sont stigmatisées (Amato, 2000; Bernstein, 2003; Coltrane et Adams, 2003; Doyle et al., 2003; Robitaille et Saint-Jacques, 2009; Saint-Jacques et Chamberland, 2000). Elles font l’objet de représentations négatives et de préjugés qui finissent par infiltrer leur représentation d’elles-mêmes et entraîner des problèmes d’adaptation. Les travaux empiriques entrepris par Ganong, Coleman et Mapes (1990) et par Claxton-Oldfield (2008) ont fait ressortir l’image négative que l’on attribue particulièrement au rôle de beau-parent.

L’exercice de la parentalité est-il différent en famille recomposée?

D’entrée de jeu, mentionnons que les travaux de la dernière décennie ne permettent pas de réellement comprendre les conséquences de la recomposition sur la parentalité puisque nous ne disposons que de très peu d’études longitudinales ayant mesuré les changements intervenus à la suite de la formation de la nouvelle union. Les études recensées portent principalement sur des comparaisons entre des structures familiales afin d’éclairer ce qui les différencie et sur l’analyse des processus relationnels propres aux familles recomposées.

Sur le plan des pratiques disciplinaires, Thomson et ses collaborateurs (2001) observent que les mères ayant formé une nouvelle union élèvent moins la voix et ont moins recours aux punitions corporelles que les mères sans partenaire. Par contre, la vaste étude de Gibson-Davis (2008), réalisée uniquement auprès de parents de très jeunes enfants, n’a mis en lumière aucune différence sur le plan des pratiques disciplinaires des parents provenant de familles recomposées et de familles intactes. La formation d’une nouvelle union n’apparaît donc pas avoir d’impact négatif sur les pratiques disciplinaires des mères.

Par ailleurs, il semble que la recomposition parentale puisse affecter, à la baisse, le niveau de supervision exercée par la mère (Thomson et al., 2001; Fisher et al., 2003). Le stress engendré par la transition familiale et le temps consacré à la nouvelle relation amoureuse expliqueraient ce résultat.

Du côté de l’évaluation de la qualité des relations entre les parents et les enfants, des résultats contradictoires apparaissent. Ainsi, Dunn et al. (2000) concluent que la recomposition nuit à la qualité des interactions mère-enfant. Les mères et les pères ayant formé une nouvelle union ont plus d’interactions négatives et moins d’interactions positives avec leur enfant que ceux provenant de familles intactes (Dunn et al., 2000). Trois autres études ne confirment cependant pas cette association négative. Ainsi, l’étude de Thomson et ses collaborateurs (2001) indique que la relation avec la mère peut s’améliorer à la suite d’une recomposition. Les résultats obtenus dans deux autres études ne montrent, pour leur part, aucune différence entre les structures familiales (Gibson-Davis, 2008; Laursen, 2005).

Finalement, en ce qui concerne le temps passé en famille, il semble que les parents qui ont formé une nouvelle union passent moins de temps en présence de leurs enfants que ceux de familles intactes (Rapoport et Le Bourdais, 2001; Thomson et al., 2001), mais que les enfants passent plus de temps en famille! En effet, lorsque les enfants sont toujours en contact avec leur parent non résident, il se crée une accumulation de figures paternelles, en opposition à une substitution, et il en résulte qu’au total, ils passent probablement plus de temps en famille que les enfants de familles intactes (Rapoport et Le Bourdais, 2001). Le temps passé en famille est aussi modulé par la présence d’enfants en commun et par l’âge des enfants.

Les enjeux de l’exercice de la parentalité au sein des familles recomposées

Au-delà des différences qui peuvent, ou non, exister entre les familles recomposées et les autres structures familiales, on peut se demander comment se vivent les liens entre les enfants et leur parent résident ayant formé une nouvelle union. Mentionnons tout d’abord que les enfants se sentent très proches de leur parent biologique avec qui ils résident, et ce, plus que de toutes les autres figures parentales présentes dans leur famille (parent non résident, belle-mère ou beau-père; King, 2006, 2007). Le partage de la résidence combiné avec le lien biologique ferait de cette relation la plus proximale de la famille.

Des sources de tension entre les jeunes et leurs parents ont été mises en évidence dans les études visant à documenter les enjeux propres aux processus relationnels des familles recomposées. Des conflits de rôle et de loyauté semblent effectivement susceptibles de se produire puisque le parent peut se retrouver pris entre ses enfants biologiques et son nouveau conjoint (Arnaut et al., 2000). Plus il y a de nouveaux acteurs dans la famille recomposée et plus le partage du temps et des ressources peut devenir problématique. La recherche qualitative de Baxter, Braithwaite et Bryant (2006) met également en lumière le rôle d’intermédiaire que doit jouer le parent résident, ses enfants lui demandant d’assumer à la fois des fonctions de transmission, d’interprétation et de protection vis-à-vis de leur beau-parent, et ce, même lorsque la recomposition n’est pas récente.

Le partage du temps et des ressources est un des enjeux au coeur des conflits parent-enfant (Coleman et al., 2001; Gosselin et al., 2007; Leake, 2007) qui s’accentuerait au sein des familles recomposées complexes (Dunn et al., 2000). De fait, la présence de quasi-fratrie pourrait provoquer des sentiments de jalousie chez l’enfant qui voit sa mère s’occuper des autres enfants (Gosselin et al., 2007).

Le parent non résident et la famille recomposée

Il serait plus juste de parler des pères non résidents considérant le peu d’études menées sur la situation des mères qui n’ont pas la garde de leurs enfants.

Au Canada, 56 % des enfants de 0 à 11 ans auraient des contacts réguliers (au moins une fois par mois) avec leur père non résident alors que 19 % n’en auraient aucun (Juby et al., 2007). Une étude canadienne longitudinale indique qu’il y a une diminution des visites du père non résident après la recomposition matricentrique (Juby et al., 2007). Toutefois, une étude états-unienne montre une augmentation de la fréquence des contacts entre le jeune et son père ainsi qu’à une impression plus grande de soutien de la part de ce dernier lorsque c’est la mère qui forme une famille recomposée (Aquilino, 2006). Les différences sur le plan de l’âge des jeunes composant la population à l’étude pourraient expliquer cette contradiction.

La plupart des enfants qui vivent en famille recomposée matricentrique se retrouvent avec deux figures paternelles. En effet, ce ne sont que 20 à 30 % des enfants, dans cette situation, qui n’ont plus aucun contact avec leur père biologique (Dunn et al., 2004; Smith, 2003; White et Gilbreth, 2001). La question de la « compétition » entre ces deux figures paternelles a donc été soulevée. Deux des études recensées indiquent qu’il n’y a pas nécessairement de lien entre ces deux relations adulte-enfant (Dunn et al., 2004; White et Gilbreth, 2001); l’une ne se crée pas au détriment de l’autre. L’analyse des perceptions des enfants réalisée à partir de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ; Juby, Le Bourdais et Marcil-Gratton, 2004) montre aussi que le père biologique garde son statut de père, et ce, même en présence d’un beau-père. En fait, les jeunes peuvent se sentir proches de leurs deux « pères » ou proches d’aucun des deux (King, 2006). Dans la vaste étude de King (2006), la situation la plus fréquente (composée de 35 % de l’échantillon de plus de 1000 adolescents) était toutefois caractérisée par des adolescents qui se sentaient plus proches de leur beau-père que de leur père biologique; cette proximité s’expliquait notamment par la durée de la corésidence de la nouvelle figure paternelle avec le jeune. Cependant, les adolescents qui avaient maintenu des contacts fréquents avec leur père biologique et qui avaient résidé récemment avec lui étaient enclins à considérer que leur relation avec leur père était la plus proximale.

L’une des rares études concernant les mères non résidentes permet d’estimer qu’à peine 7 % des adolescents (N = 290) n’ont plus de contact avec cette dernière (King, 2007). La majorité des jeunes vivant en famille recomposée patricentrique se sentent très près de leur mère non résidente, et ce, tout en ayant une relation de bonne qualité avec leur belle-mère. Une deuxième étude compare cette fois les mères non résidentes aux pères non résidents et indique que les mères dans cette situation sont bien présentes, voire encore plus que leurs compères de sexe masculin (Gunnoe et Hetherington, 2004).

Les études montrent que la remise en couple du parent non résident pourrait avoir un impact négatif sur la relation entre ce parent et son enfant. Les pères non résidents vivant avec une nouvelle conjointe montrent significativement moins d’engagement positif envers leur enfant que les pères restés seuls (Gibson-Davis, 2008). Ces résultats sont corroborés par des adolescents qui rapportent que la nouvelle relation réduit le temps que leur parent a à leur accorder : ils préfèrent donc le visiter moins fréquemment, pour ne pas avoir le sentiment d’être mis de côté (Hutchinson, Afifi et Krause, 2007). Juby et ses collaborateurs (2007) soulignent qu’une union formée peu de temps après la séparation est associée négativement à la fréquence des contacts entre le père et ses enfants avec qui il ne réside pas. Un remariage plus tardif aurait par contre peu d’impacts sur cette relation. Une seule étude (Aquilino, 2006), réalisée auprès de jeunes adultes, propose des résultats qui vont exactement dans le sens contraire en affirmant que le nombre de contacts augmente avec la nouvelle union du parent. Encore une fois, ici, l’âge du groupe ciblé explique peut-être cette contradiction.

Finalement, à l’heure actuelle, il ne semble pas possible de se prononcer sur l’impact de la présence d’enfants, biologiques ou non, dans la famille recomposée sur la qualité des liens entre l’enfant et le parent non résident. Ainsi, l’étude de Manning, Stewart et Smock (2003) rapporte que la fréquence des visites et le soutien financier du parent non résident diminuent lors de l’arrivée d’enfants issus de l’union recomposée (et non lors de l’arrivée de beaux-enfants). Par ailleurs, deux autres études montrent, à l’opposé, que l’addition d’enfants, biologiques ou non, dans le nouveau ménage du parent non résident n’est pas corrélée à la fréquence des contacts avec les enfants de la première union (Aquilino, 2006; Juby et al., 2007). Enfin, Leake (2007) a observé, dans une étude corrélationnelle menée auprès d’un petit échantillon, que la présence d’une quasi-fratrie dans la famille recomposée matricentrique serait associée à une diminution de la fréquence des contacts avec le parent non résident. Les écrits scientifiques demeurent donc limités sur cette question.

Le beau-parent et la famille recomposée

De tous les thèmes traitant de la parentalité des familles recomposées, celui de la beau-parentalité est sans contredit le plus examiné. Il importe cependant de préciser que la majorité des travaux menés sur les beaux-parents portent en réalité sur les beaux-pères.

La diversité des rôles des beaux-pères

L’une des questions de fond dans les travaux portant sur la beau-parentalité consiste à comprendre ce qui caractérise la manière dont s’exerce ce rôle et comment se déploie la relation avec les enfants de l’autre. Pour ce faire, différents indicateurs sont examinés, dont la nature de ce rôle (est-il parental ou non?), le style parental adopté, le degré d’implication du beau-parent auprès des enfants et la qualité du lien qui les unit.

Les travaux des années 2000 cherchant à décrire la manière dont s’exerce le rôle de beau-parent sont venus confirmer des typologies esquissées antérieurement. Globalement, on constate qu’il n’y a pas qu’une façon d’exercer ce rôle et que différents facteurs peuvent venir l’influencer. On remarque d’abord que certains beaux-pères exercent des fonctions de père (Parent et al., 2008; Svare, Jay et Mason, 2004) ou s’apparentant à celles d’un père (Marsiglio, 2004). Ils peuvent, par exemple, intervenir directement auprès des enfants lorsque nécessaire, s’impliquer dans leur éducation et soutenir financièrement leurs beaux-enfants (Cadolle, 2009). Une seconde représentation du rôle de beau-parent le conçoit comme un parent additionnel, c’est-à-dire que ce dernier agit comme soutien à « l’équipe parentale » déjà présente (Parent et al., 2008; Parent et Robitaille, 2011; Svare, Jay et Mason, 2004). Selon cette représentation, les parents continueraient d’être les premiers responsables des enfants; cela n’exclut toutefois pas que le beau-père puisse jouer un rôle socioéducatif important auprès des enfants (Parent et Robitaille, 2011). Le rôle adopté par le beau-parent semble entre autres influencé par l’implication du parent non résident auprès de ses enfants. Lorsque ce parent est très présent et engagé, le beau-parent peut être davantage porté à jouer un rôle d’addition. Toutefois, si le parent non résident est peu présent, voire absent, le beau-parent tend à jouer un rôle de substitution, notamment si d’autres conditions sont réunies (selon l’âge des enfants, la durée de la recomposition, le désir de la mère, par exemple). Enfin, une minorité de beaux-parents ne s’engagent pas dans des rôles parentaux auprès de leurs beaux-enfants (Parent et al., 2008; Smith et al., 2001, cités dans Robertson, 2008).

Le rôle de beau-père dans les écrits a souvent été étudié par comparaison avec celui de père. On a ainsi décrit les beaux-pères comme moins impliqués auprès de leurs beaux-enfants, moins chaleureux et offrant moins de supervision que les pères biologiques (Claxton-Oldfield, Garber et Gillcrist, 2006; Hofferth et Anderson, 2003; Robertson, 2008). Cela semble corroboré par certains travaux qui montrent que le style beau-parental le plus fréquemment adopté est le style désengagé (38 %); une proportion relativement semblable de beaux-pères (35 %) a été classée comme étant démocratique. Les styles « soutenant » (15 %) et « autoritaire » (13 %) sont deux fois moins fréquents (Nicholson et al., 2002). Par contre, d’autres études arrivent à des résultats différents. Une recherche menée cette fois auprès d’adolescents québécois (Saint-Jacques et Lépine, 2009) révèle que le style parental du beau-père le plus fréquemment rapporté par les jeunes est le style autoritaire (38 %) suivi par le style démocratique (32 %). Les beaux-pères étaient considérés comme soutenants dans une proportion de 18 %. Seuls 13 % des beaux-pères étaient désengagés. Les auteures posent donc l’hypothèse d’une plus grande institutionnalisation des familles recomposées qui se manifeste par une légitimation et une valorisation accrues du rôle de beau-père. Les entrevues menées par Marsiglio (2004) auprès de beaux-pères montrent que très peu d’entre eux auraient renoncé à développer des affinités avec leurs beaux-enfants et se seraient désengagés de la relation. Sur cette thématique, il convient aussi de souligner que les instruments de mesure utilisés sont généralement conçus pour les parents et peuvent mal refléter le degré d’engagement du beau-parent.

Plusieurs études ont porté sur le niveau d’implication des beaux-pères. Elles font ressortir que ces hommes consacrent un temps substantiel à leurs beaux-enfants, sont chaleureux envers eux (Hofferth et Anderson, 2003) et ont tissé des liens importants avec leurs beaux-enfants (Marsiglio, 2004). Bien que les beaux-pères soient perçus comme étant moins chaleureux, moins compétents comme parents, plus indifférents et négligents et ayant moins d’autorité que les pères, des adolescents et de jeunes adultes ont mentionné se sentir aussi proches des pères que des beaux-pères (Claxton-Oldfield, Garber et Gillcrist, 2006) et ont une perception majoritairement positive des comportements et des attitudes de ces derniers (Saint-Jacques et Lépine, 2009). En résumé, les jeunes se sentent appréciés des beaux-pères, mais croient que ceux-ci sont moins préoccupés par ce qui leur arrive, si on les compare aux parents biologiques (Saint-Jacques et Lépine, 2009).

Certains éléments viendraient freiner l’engagement des beaux-pères : le fait de soutenir des enfants issus d’une précédente union et l’âge du bel-enfant, l’implication étant plus grande auprès des beaux-enfants moins âgés (Hofferth et Anderson, 2003). Par ailleurs, des jeunes ont identifié les avantages et les inconvénients d’avoir un beau-père qui révèlent le rôle que joue ce dernier au sein de la famille. Parmi les points positifs soulevés, plusieurs sont d’avis que le beau-père représente une aide importante pour la mère et la famille et qu’il est un modèle masculin positif. Les désavantages nommés sont principalement reliés à la discipline exercée par le beau-père, que plusieurs jeunes perçoivent négativement (Claxton-Oldfield, Garber et Gillcrist, 2006).

L’ensemble de ces résultats pourrait signifier que la relation avec le beau-père peut prendre diverses formes allant de l’amical au parental tout en étant également d’une grande importance pour le jeune. Bref, si certains beaux-pères jouent un rôle qui s’apparente à celui du père, de nombreux autres, notamment parce que le père des enfants est présent dans leur vie ou qu’ils ont eux-mêmes des enfants, ont un rôle bien à eux. Ces beaux-pères ne sont pas un calque du père. Aussi sera-t-il probablement plus intéressant de s’attarder, à l’avenir, à la spécificité de ce rôle et de délaisser l’approche comparative qui contribue à ériger les rôles parentaux traditionnels au rang de norme tout en entretenant le stéréotype à l’endroit des familles recomposées voulant que step is less.

Les belles-mères

La recherche tend à démontrer que les familles recomposées patricentriques font face à des défis particuliers. Entre autres, ce sont les belles-mères qui rencontreraient le plus de difficultés dans leur adaptation à la famille recomposée (Gosselin et David, 2005). Pour les femmes qui deviennent belles-mères, il peut être difficile de concilier les attentes reliées au genre féminin concernant la maternité et la distance qu’elles doivent s’imposer : prendre soin du bel-enfant comme une mère sans avoir les prérogatives d’une mère sur le plan de l’autorité (Coleman, Troilo et Jamison, 2008; Gosselin et David, 2005). Il est aussi intéressant de constater que l’étude de la situation des belles-mères ne porte pas tout à fait sur les mêmes thématiques que celles des beaux-pères. On s’interroge davantage, par exemple, sur les impacts de la naissance d’un enfant et sur le partage des ressources entre les enfants et les beaux-enfants.

Une étude menée auprès de 513 beaux-enfants montre que les familles incluant une belle-mère fonctionneraient et communiqueraient moins bien que celles recomposées autour de la mère biologique (Schrodt, 2008). Une relation difficile avec le bel-enfant affecterait la satisfaction conjugale des belles-mères (Knox et Zusman, 2001).

Pourtant, les relations entre les belles-mères et les beaux-enfants ne sont pas systématiquement négatives. Dans une recherche qualitative, Crohn (2005, 2006) s’est intéressée à ce qui caractérise les relations positives entre les belles-mères et leurs belles-filles. Cette recherche a mis en évidence le fait qu’il existe, tout comme chez les beaux-pères, une diversité de liens allant du parental à l’amical. Malgré des différences dans l’intensité des liens, ces relations positives ont une base commune : dans tous les cas, les belles-mères n’avaient pas tenté de prendre la place de la mère, ce qui permettait à la relation de s’installer et d’éviter qu’un conflit de loyauté ne prenne place.

Être mère et belle-mère à la fois

La dualité du rôle de mère et de belle-mère a également fait l’objet d’une recherche de Gosselin et al. (2007). Cette étude s’est penchée sur le vécu de 12 femmes à la fois mères et belles-mères. La moitié d’entre elles sont devenues mères lors d’une union précédente alors que les autres participantes ont eu un enfant au sein de l’union recomposée. Dans ces deux situations, la présence d’enfants biologiques entrave, à leur avis, leur investissement auprès du bel-enfant. Dans les familles recomposées fécondes, le lien développé avec le nouvel enfant contraste fortement avec ce qu’elles ressentent pour leur bel-enfant : les belles-mères perçoivent cette relation comme beaucoup plus fragile et contextuelle. Elles sont, par ailleurs, préoccupées par l’inégalité de cette implication affective. Néanmoins, certaines soulignent le développement d’une certaine complicité avec le bel-enfant après l’arrivée du bébé. De leur point de vue, le fait de devenir mère faciliterait leur engagement familial, leur apporterait une reconnaissance officielle et motiverait leur désir de maintenir et de réussir la recomposition. Les belles-mères vivant en famille recomposée complexe parlent, quant à elles, d’une symétrie dans l’investissement de chaque parent auprès de leurs enfants respectifs. Elles mentionnent vivre un dilemme entre l’uniformisation des deux familles et le maintien d’univers parallèles.

Les belles-mères à temps partiel

Comme les familles recomposées de la dernière décennie concernaient souvent des hommes qui n’avaient pas la garde de leur enfant à temps plein ou une garde partagée, de nombreuses belles-mères ont été en contact avec les enfants de leur partenaire à temps partiel. Certaines recherches se sont particulièrement intéressées à ces situations par le passé et ont conclu que ces dernières font face à de plus grands défis et que leur rôle est plus ambigu (Ambert, 1986; Fine, 1995; Weaver et Coleman, 2005, tous cités dans Coleman, Troilo et Jamison, 2008). La recherche de Doodson et Morley (2006) confirme les résultats d’études antérieures. Elle montre que la plupart de ces belles-mères parlent de façon négative de leur rôle auprès de leurs beaux-enfants. Parmi les huit participantes à l’étude, quatre n’incluent pas ces derniers dans la définition qu’elles donnent de leur famille et sept se sentent inconfortables dans leur rôle de belle-mère. Les résultats rapportés par Henry et McCue (2009) sont du même ordre. Les belles-mères à temps partiel interrogées (N = 10) mentionnent une absence de contrôle sur différents aspects affectant le bien-être de leur famille (modalités de garde du bel-enfant, règles de conduite à la maison, paiement de la pension alimentaire). L’aspect financier est également présent dans les travaux de Cadolle (2009), où les belles-mères semblent en majorité réticentes à soutenir leurs beaux-enfants. Sur le plan social, les belles-mères interrogées par Henry et McCue (2009) croient être peu reconnues par certaines institutions. De façon générale, les causes des stresseurs identifiés sont externes à la famille et les participantes rapportent avoir peu d’espoirs de regagner un contrôle sur leur vie. D’après leurs témoignages, cette situation affecte sérieusement leur bien-être psychologique et physique.

Toutefois, les recherches recensées ici sur les belles-mères à temps partiel comportent certaines limites méthodologiques : les échantillons sont restreints, peu diversifiés et composés de situations particulièrement problématiques. De plus, les modalités de garde du bel-enfant sont très variées; cela va de la garde partagée à la visite du bel-enfant une fois par mois. Pour Johnson et al. (2008), la dichotomie entre belle-mère à temps partiel et à temps complet est trop simpliste. Ces auteurs ont testé un modèle prédisant le stress et la satisfaction conjugale des belles-mères. Les données recueillies auprès de 177 belles-mères révèlent que les modalités de garde du bel-enfant étaient peu liées aux autres variables à l’étude. La variable la plus liée au stress des belles-mères était le manque de clarté de leur rôle. De plus, les belles-mères qui sont également mères rapportaient avoir un plus petit réseau social et de plus grandes responsabilités quant aux tâches ménagères et celles qu’implique leur rôle de belle-mère. Ces femmes étaient donc plus susceptibles de vivre du stress et de ne pas avoir les ressources nécessaires pour y faire face en raison de leur réseau de soutien moins grand.

Les limites des recherches dans le domaine de la parentalité et de la beau-parentalité

Si la dernière décennie a permis de faire avancer les connaissances sur le plan de l’exercice de la parentalité et de la beau-parentalité, elle a aussi fait ressortir différentes limites méthodologiques dans ce domaine. Comme le soulignent Petticrew et Roberts (2009 : 2) : « Systematic review [also] flag up areas where spurious certainty abunds. These are areas where we think we know more than we do, but where in reality there is little convincing evidence to support our beliefs. » La présente recension des écrits, même si elle ne s’appuie pas sur un travail de repérage systématique des études, a permis de faire ressortir qu’il est hasardeux de parler des conséquences de la recomposition familiale sur la parentalité en raison des limites méthodologiques des recherches. En effet, l’une des principales lacunes de ce domaine concerne le manque de devis adoptant une perspective longitudinale et documentant les variables d’intérêt avant la séparation et avant la recomposition des parents (tableau 1). La recomposition familiale, tout comme la séparation parentale, ne sont pas des événements, mais des processus qui s’activent bien avant la décohabitation ou la cohabitation et se poursuivent pendant plusieurs mois, voire des années. Aussi, pour bien en mesurer les impacts, faut-il pouvoir s’appuyer sur des devis qui tiennent compte de cette dimension temporelle. Dans le contexte actuel, il est presque impossible d’affirmer que les faits observés (par exemple, les comportements et attitudes des parents) au sein de la famille recomposée sont la résultante de la recomposition familiale. Cette lacune concerne toutes les thématiques. Par exemple, dans les études portant sur le beau-père, seulement 18 % adoptent une approche longitudinale.

Tableau 1

Caractéristiques méthodologiques des études recensées

Caractéristiques méthodologiques des études recensées
*

Cette variable permet de soupeser l’importance des études menées auprès d’échantillons canadiens. Elle ne permet pas de statuer sur la provenance générale des échantillons, puisque certains pays ont été privilégiés dès le départ en raison de leurs similitudes culturelles avec le Canada.

-> Voir la liste des tableaux

Une autre limite du domaine tient à la nature des échantillons utilisés; plusieurs échantillons, tant quantitatifs que qualitatifs, posent des problèmes de représentativité. On remarque cependant que plusieurs études qualitatives ont été menées, ce qui peut être considéré comme une amélioration étant donné le manque d’études de cette nature relevé antérieurement (Coleman, Ganong et Fine, 2000). D’autres difficultés sont notées sur le plan des populations étudiées. Ainsi, dans plusieurs recherches, on ne distingue pas bien les caractéristiques structurelles des familles. Par exemple, les études sur les secondes unions ne différencient pas nécessairement les couples qui ont des enfants nés d’une union antérieure de ceux qui n’ont pas d’enfants ou de ceux qui ont eu des enfants ensemble. Par ailleurs, de plus en plus d’acteurs par famille sont étudiés. En effet, dans 39 études sur 71 (54,9 %), des données ont été collectées auprès de plus d’une personne. Les travaux impliquent toutefois plus rarement le parent non résident. Les recherches portant sur le parent résident sont très centrées sur les familles recomposées matricentriques, donc sur les mères, tandis que les recherches menées sur les beaux-parents portent principalement sur la situation des beaux-pères. De plus, de très nombreuses études documentent la situation des familles recomposées comprenant des adolescents ou des adultes ayant été élevés dans des familles recomposées. Les recompositions familiales incluant de jeunes enfants sont sous-étudiées. Enfin, la plupart des populations examinées ne sont pas canadiennes, ce qui, dans certains cas, peut poser des problèmes de généralisation.

Les recherches portant sur le parent non résident ne statuent pas toujours clairement sur la structure familiale dans laquelle vit le parent résident (en famille monoparentale ou recomposée). Il est donc impossible de s’appuyer sur ces études, déjà peu nombreuses, pour documenter la situation des familles recomposées. Par ailleurs, un certain nombre de données ne sont pas recueillies directement auprès des personnes concernées. Par exemple, la relation du parent non résident avec son enfant peut être documentée en questionnant la mère, ce qui limite les connaissances sur ces réalités puisqu’elles sont extraites de la perception d’une tierce personne.

Il y a également un flou entourant la notion de « vivre en famille recomposée », qui peut englober des situations extrêmement diversifiées dont les caractéristiques ne sont pas nécessairement contrôlées. Si un jeune mentionne qu’il vit avec ses deux parents, c’est relativement clair. Mais si un jeune dit qu’il vit avec sa mère et un beau-père, cela ne nous renseigne pas sur le fait qu’il peut, ou non, avoir des contacts avec son autre parent, qu’il peut avoir vécu une longue période en famille monoparentale, qu’il est peut-être en famille recomposée depuis six mois, ou encore depuis sa naissance. Sur le plan méthodologique, ces caractéristiques propres aux recompositions familiales doivent être davantage contrôlées.

Enfin, on remarque que plusieurs études ne contrôlent pas le revenu familial (57,7 %), le niveau de scolarisation des parents (60,6 %) ou leur occupation (80,3 %). Pourtant, il s’agit de caractéristiques sociodémographiques qui peuvent interférer avec plusieurs des objets examinés ici, voire en expliquer une large part.

Prospectives

Pour bien cerner les conséquences de phénomènes comme la recomposition familiale, il faut, sur le plan méthodologique, développer une instrumentation qui permet de capturer leur nature dynamique. À cet égard, les études basées sur la perspective du life course pourraient être fort instructives (Elder, Johnson et Crosnoe, 2004). Elles permettraient de mieux comprendre les moments critiques, l’évolution des relations, l’adaptation, l’impact des transitions simultanées (familiales, résidentielles, professionnelles) ainsi que les caractéristiques des familles plus enclines à s’adapter positivement ou à réagir négativement à la recomposition familiale.

Il importe aussi de poursuivre les études qui adoptent une démarche intrafamille recomposée. Les modes de fonctionnement, l’exercice des rôles et la nature des relations au sein d’une famille recomposée peuvent, à plus d’un égard, être différents de ce qui se passe au sein des familles biparentales intactes tout en étant tout à fait fonctionnels. Nous pensons que sur plusieurs points, la spécificité de ces familles est bien documentée. Il serait maintenant utile d’approfondir notre compréhension de ce qui distingue les familles recomposées qui vont bien de celles qui vivent plus de difficultés.

Il serait également pertinent de poursuivre les études qui prennent en compte la perspective de plusieurs personnes au sein de la famille recomposée. Par exemple, il serait important de comparer le point de vue des parents à celui de l’enfant sur leur relation, que l’on parle du parent non résident ou du parent résident. Il faut aussi poursuivre les études qui approfondissent les représentations des acteurs en situation, car elles peuvent mettre en lumière des processus plus complexes qu’on ne l’aurait anticipé. Par exemple, la recherche d’Edwards (2002) a montré que la notion de stabilité, du point de vue des parents et des beaux-parents, pouvait renvoyer à l’idée du maintien des liens avec le parent non résident (conception attendue). Elle a toutefois aussi montré que pour d’autres répondants, cela correspondait à une implication plus grande du beau-parent et à la fin des relations avec le parent non résident lorsque ce dernier est peu engagé ou que sa parentalité s’exprime de manière chaotique.

Des recherches doivent être menées de manière à mieux comprendre certains aspects ou acteurs de la recomposition. On pensera ici aux mères et aux pères non résidents, mais aussi aux belles-mères qui sont de plus en plus nombreuses. Il serait intéressant de mieux connaître leur situation et de voir dans quelle mesure elles se ressemblent ou se distinguent.

Afin de mieux saisir l’évolution des rôles, des relations et de l’adaptation des personnes et de tenir compte de la diversité inhérente à ces processus, les prochaines études devraient procéder à l’identification des trajectoires évolutives, plutôt que transversales. Elles devront aussi s’engager dans la mise au jour de la diversité des trajectoires plutôt que dans l’élaboration d’une trajectoire unique qui masque les différences.

L’augmentation des recompositions familiales arrive à une période où la diversité des structures familiales est en pleine effervescence. Pour soutenir ces familles, il importe de valoriser cette diversité et de repenser la notion même de famille.

Des réflexions pour guider l’intervention

Les résultats présentés dans cet article laissent apparaître des zones plus sensibles de l’exercice de la parentalité au sein des familles recomposées. Si l’on se place du point de vue des intervenants qui soutiennent ces familles, quels aspects pourraient retenir davantage l’attention?

Tout d’abord, les familles recomposées vivent des tensions particulières dans les débuts de la recomposition, alors que se côtoient des sentiments de deuil et la nécessité de s’adapter à une nouvelle vie qui implique des changements parfois radicaux. Les statistiques portant sur les taux de séparation des familles recomposées viennent appuyer l’idée que les familles recomposées sont plus à risque de se séparer que les premières unions (Bumpass et Raley, 2007), particulièrement dans les premières années de la cohabitation (Desrosiers et al., 1994, 2000; Juby, Le Bourdais et Marcil-Gratton, 2004; Juby et Marcil-Gratton, 2002). Des interventions de nature préventive, de l’information, de la sensibilisation aux défis prévisibles des premiers moments pourraient faciliter l’adaptation des parents et des enfants.

Certaines recherches analysées ici montrent qu’il existe une grande diversité dans la manière dont les beaux-pères exercent leur rôle, sans que cette diversité soit nécessairement problématique. Cet état de fait commande donc une ouverture d’esprit chez les intervenants sociaux et judiciaires qui doivent pouvoir admettre que certains beaux-pères peuvent jouer un rôle de père et avoir besoin que ce fait soit reconnu, alors que d’autres pourront opter pour une parenté d’addition, notamment parce que les deux parents d’origine demeurent très présents auprès de leurs enfants.

La manière dont s’exerce la parentalité au sein des familles recomposées a fait ressortir un enjeu propre aux enfants dont le père a formé une famille recomposée. Ces derniers peuvent avoir le sentiment d’être mis de côté quand ils vont le visiter. Cela nous rappelle que les enfants de familles séparées et recomposées ont besoin d’être rassurés sur la place qu’ils occupent dans la vie de leurs parents au-delà des transitions familiales qui font varier leur environnement quotidien.

Le parent de famille recomposée occupe souvent une position centrale au sein du système. Pour faciliter l’adaptation de ses enfants et de son nouveau conjoint, il peut consentir beaucoup d’efforts pour satisfaire les besoins de chacun tout en ayant le sentiment de ne pas en faire suffisamment sur le plan conjugal ou parental. Les parents de familles recomposées ont besoin d’être soutenus afin de concilier les différentes attentes que l’on a à leur égard sans se perdre de vue. La participation à des groupes de soutien pour les familles recomposées pourrait permettre à ces parents de partager et de normaliser leur réalité et les émotions qu’elle fait naître en eux tout en identifiant, parfois collectivement, des pistes de solution.

Bien qu’ayant moins retenu l’attention des chercheurs, des enjeux particuliers liés à l’exercice du rôle de belle-mère ressortent assez clairement. Les aspects liés au fonctionnement et à la communication pourraient être travaillés puisqu’ils semblent plus problématiques que dans les familles recomposées matricentriques. On remarque aussi que les belles-mères ne sont pas à l’aise avec l’inégalité de leur implication affective auprès des enfants de leur conjoint. Ces femmes soulignent aussi avoir l’impression de ne pas contrôler leur vie puisque plusieurs dimensions, liées par exemple à la pension alimentaire ou aux modalités de garde, sont plus ou moins hors de leur contrôle. Ce type de difficultés indique que des interventions visant à aider les belles-mères à accepter la spécificité de la vie au sein des familles recomposées et à entretenir des attentes réalistes pourraient être une avenue intéressante. En outre, le développement d’habiletés de communication permettant au couple de discuter de ces enjeux délicats pourrait favoriser l’émergence de solutions satisfaisantes pour tous.

Enfin, il y a un travail social à faire sur un plan macrosystémique afin de limiter les préjugés à l’endroit des familles qui s’écartent de la norme de la famille biparentale intacte (Ganong et Coleman, 1997). Ce travail passe notamment par la sensibilisation de la population générale et des médias et par la formation des futurs acteurs sociaux appelés à intervenir auprès des enfants et des parents ou à participer au développement des programmes et des politiques censés soutenir l’ensemble des familles.

Conclusion

Cette synthèse des écrits s’appuie principalement sur les travaux publiés depuis 2000 sur la thématique de la parentalité et de la beau-parentalité. La construction de cette recension repose sur plusieurs principes de l’élaboration des recensions des écrits systématiques sans toutefois respecter tous les critères, notamment parce que les travaux indexés dans les principales bases de données bibliographiques ont été priorisés. L’analyse de près de 80 articles a fait ressortir que les familles recomposées ont à relever des défis qui s’apparentent souvent à ceux des familles biparentales intactes. Toutefois, leurs caractéristiques structurelles et la séquence des événements familiaux teintent leur parcours et créent des défis considérables à relever. De plus, on constate que la recomposition familiale n’est pas une réalité homogène. Il existe beaucoup de diversité sur le plan du fonctionnement de ces familles, sur la manière dont les adultes, particulièrement les beaux-parents et les parents non résidents, exercent leur rôle et sur la nature des relations qui unissent les membres de la famille entre eux et avec le réseau familial élargi. On constate aussi que les processus familiaux, bien plus que le fait de vivre dans une structure familiale particulière, sont des facteurs déterminants en ce qui concerne l’adaptation des membres de la famille recomposée. Sur le plan de la recherche, des avancées sont notées, mais plusieurs lacunes sont relevées. Elles portent, d’une part, sur les limites méthodologiques des recherches menées dans les dix dernières années et, d’autre part, sur les limites de nos connaissances, certaines thématiques étant sous-étudiées. Plusieurs pistes de recherche ont été proposées et suggèrent de délaisser les recherches qui tentent de comprendre les recompositions familiales en les comparant aux familles intactes pour porter plus d’attention à la diversité qui s’observe au sein de ces familles, aux formes émergentes de recomposition familiale et aux autres acteurs qui entourent ces familles.