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Le livre de Sylvie LeBlanc est le résultat de plus d’une décennie de recherche archéologique que l’auteure a réalisée sur les Dorsétiens à Terre-Neuve et dans l’archipel Saint-Pierre-et-Miquelon. Son étude explore la variabilité culturelle durant le Dorsétien moyen afin de mettre en évidence l’existence de traditions régionales distinctes à l’aide de l’étude de huit sites archéologiques.

Le livre est essentiellement sa thèse de doctorat (University of Alberta, 2008) qui porte le même titre. L’ouvrage est bien organisé, clairement écrit et bien illustré alors que les données sont essentiellement présentées sous forme de tableaux ou en annexe. Elles sont ainsi concises et le texte ne traîne pas en longueur. Bien subdivisé, il est possible d’aller chercher rapidement de l’information sur un élément ou un autre de sa recherche. Les illustrations sont pertinentes et nous permettent de visualiser la plupart des arguments défendus dans le texte. Par contre, des dessins lithiques auraient été préférables aux photos qui sont parfois un peu floues ou sombres et ne permettent pas toujours de distinguer certains détails, en particulier sur les pointes façonnées.

Son premier chapitre est un passage en revue de la littérature portant sur le problème de la variabilité des assemblages paléoesquimaux. Elle se limite à quelques références majeures avant d’insister sur le concept du Dorsétien de Terre-Neuve. L’auteure y définit trois tendances dans l’explication de la variabilité: l’histoire culturelle, le paradigme fonctionnaliste de Binford et l’approche culturelle écologique qu’elle lie au concept de «core area». Il est étonnant qu’elle ne trouve à citer qu’un seul exemple sur les recherches concernant le paradigme fonctionnaliste qu’elle critique avec justesse. Ces études sont pourtant nombreuses, du fait de l’influence de l’héritage des recherches de Moreau Maxwell. Le tout est un peu simplifié et il aurait probablement fallu porter une plus grande attention à la diversité des études existantes. Enfin, elle propose la practice theory comme solution pour aborder la variabilité. Il est cependant difficile de comprendre comment cette approche s’articule avec sa méthodologie.

Le deuxième chapitre est le plus intéressant du livre avec une bonne description du contexte géologique et des matières premières lithiques utilisées dans chacun des sites étudiés. Son analyse pétrographique consiste en une description essentiellement qualitative des matières, qui permet de faire de bonnes distinctions et de postuler de façon convaincante sur l’origine des matières. Les annexes 2 et 3 contiennent des descriptions détaillées et des photos des lames minces utilisées pour la pétrographie.

Malgré quelques éléments sur l’approche technologique dans le premier chapitre, l’analyse des pièces lithiques dans le chapitre 3 se borne à l’étude de deux catégories d’outils: les pointes façonnées et abrasées ainsi que les grattoirs. L’analyse inclut des attributs morphologiques, dimensionnels et technologiques. Les microlames, qui sont considérées pour l’analyse des matières premières, ne font pas l’objet de l’étude stylistique puisqu’il serait pratiquement impossible de les caractériser. Cependant, LeBlanc note différents types de retouches sur les microlames incluant le fait qu’elles ont servi de support à la production de grattoirs, ce qui est quelque peu contradictoire avec son affirmation de départ. Ne s’agit-il pas justement de caractéristiques stylistiques permettant des comparaisons?

Dans les deux derniers chapitres, l’auteure associe des types particuliers de pointes façonnées et abrasées à leur région d’origine. Combiné à l’étude des matières premières, cela lui permet de déterminer une chose très intéressante: lorsque dans un site une pointe est dans une matière exotique provenant d’une autre région, la variation typologique est aussi originaire de cette même région. Autrement dit, la variante régionale d’un type de pointe n’est habituellement pas produite dans une matière exotique. LeBlanc ajoute que la faible quantité de matières premières exotiques présente dans chacune des régions pour les types étudiés démontrerait que relativement peu d’échanges avaient lieu entre les régions. Les territoires de chacun des groupes dorsétiens moyens étaient donc restreints.

Malgré le fait que les données archéologiques et les datations radiocarbones sont présentées dans la première annexe, un élément qu’on aurait aimé retrouver dans son travail est certainement une discussion sur le contexte archéologique de ces sites. Jusqu’à quel point ces huit sites sont-ils véritablement contemporains? Quelles matières ont été utilisées pour les échantillons datés? Certains de ces sites ont des dates réparties sur plus de 500 ans. L’idée qu’il puisse exister une évolution dans le temps semble être écartée de l’étude sans véritable explication.

Au final, le livre de LeBlanc compte parmi les meilleures études réalisées sur le Dorsétien dans cette région. Qu’on soit d’accord ou non avec ses conclusions, c’est un ouvrage incontournable où les chercheurs pourront trouver de nombreuses données, en particulier sur les matières premières.