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Economie sociale et développement durable : un couple qui va de soi

Dans la série des séminaires organisés par l’Association pour le développement de la documentation sur l’économie sociale (Addes) concernant les problématiques émergentes, une table ronde s’est déroulée le 23 octobre 2012, sous la présidence d’Henry Noguès, professeur d’économie émérite, pour débattre du thème « Economie sociale et développement durable ». Chercheurs et acteurs [1] des secteurs coopératif, mutualiste et associatif ont apporté leurs témoignages et élaboré des hypothèses de recherche dans la perspective d’un colloque plus ambitieux.

Mort de la « corporate governance »

Comme l’a rappelé Henry Noguès, la corporate governance des années 80 adossée aux thèses de Milton Friedman et pierre d’angle de la politique thatchérienne a fait long feu. Exit l’idée que la seule responsabilité sociale d’une entreprise est de faire des profits et de rémunérer le capital dont elle est chargée par les activités qu’elle développe. De l’affaire Enron (2001) au krach boursier de 2008, la déréglementation bancaire et la rémunération scandaleuse des dirigeants d’entreprise, notamment par le biais des stock-options, ont cristallisé l’indignation, de telle sorte que les disciples de Friedman (prix Nobel d’économie en 1976) ne peuvent plus guère affirmer de façon décomplexée que, en s’occupant des intérêts de leurs actionnaires, les sociétés capitalistes contribuent automatiquement à l’utilité sociale.

Le modèle du « gouvernement d’entreprise » a en fait été disqualifié dès 1987 par le rapport Brundtland pour les Nations unies, qui a défini le développement durable comme une réponse aux besoins du présent « sans compromettre la situation des générations futures ». Les trois dimensions essentielles du développement durable sont la qualité de l’environnement, l’équité sociale par l’accessibilité de tous aux biens permettant de mener une vie heureuse et la performance économique, nécessaire pour réaliser les objectifs sociaux. La mise en oeuvre de ces paramètres passe par une revitalisation de la démocratie, qui doit devenir participative, délibérative. Autant d’exigences étrangères au fonctionnement et aux objectifs de la corporate governance proposée par Milton Friedman, tandis qu’elles constituent les finalités mêmes de l’économie sociale. Cette dernière était ainsi prédisposée à prendre en compte le développement durable.

Pour une réciprocité élargie

Martin O’Connor (Centre d’économie et d’éthique pour l’environnement et le développement, université de Versailles, Saint-Quentin-en-Yvelines) plaide pour la construction de pratiques de « réciprocité élargie », allant au-delà du sens qui lui a été donné par Marcel Mauss : l’obligation de donner, l’obligation de recevoir et l’obligation de redonner. Selon lui, « le développement durable consiste à vouloir socialement, publiquement, politiquement et économiquement poser cette question : suis-je prêt à discuter et à chercher un compromis pour vivre ensemble plutôt qu’à sortir mon fusil pour tirer le plus vite ? C’est un questionnement, un défi sur le plan moral et éthique ». S’appuyant sur l’exemple de la démolition de l’économie de la pêche, il rappelle que les entreprises qui adoptent un comportement « sauvage » et ne cherchent pas à générer une richesse durable sombrent très vite dans la misère.

Philippe Kaminski (http://prospective-sociale.org) remarque qu’il n’existe pas de statistiques sur le développement durable. Par contre, de par ses activités principales, l’entreprise d’économie sociale et solidaire (ESS) porte un certain regard sur la façon de construire, de produire et de distribuer manifestement compatible – ou du moins qui cherche à l’être – avec des objectifs de développement durable. L’exemple du logement est particulièrement éloquent pour illustrer en quoi les entreprises d’économie sociale peuvent se distinguer des autres. Certes, le logement n’est pas au centre des éco-activités, mais sa construction peut être guidée par le souci de sa durabilité et de l’économie énergétique (Isabelle Roudil, Fédération nationale des sociétés coopératives d’HLM, et Anne-Marie Becker, Fédération française des artisans constructeurs du bâtiment). Ces analyses confirment ce qu’avance Amartya Sen, à savoir que l’économie est aussi une science morale.

Recyclerie, logement, agriculture… durablement ESS

Les acteurs présents à cette table ronde ont pu appuyer leurs démonstrations sur d’autres cas pratiques. Ainsi, l’agriculture écologiquement intensive (AEI), concept développé par une association du même nom créée en 2009, s’inscrit dans la logique du développement durable. Pour Claire Gomez, l’AEI qualifie une agriculture utilisant intensivement les propriétés écologiques des écosystèmes et fait appel à quatre objectifs indissociables : produire plus, pour répondre aux besoins alimentaires d’une démographie croissante à l’échelle mondiale ; produire mieux, en respectant les qualités sanitaires des produits alimentaires ; intensifier les processus écologiques à partir des mécanismes naturels des écosystèmes ; enfin, dégager des revenus suffisants pour assurer la durabilité des exploitations agricoles. A l’initiative du groupe coopératif Terrena – leader dans ce domaine dans le Grand Ouest –, représenté par Gérard Guilbaud, une chaire d’entreprise a été créée autour du concept d’agriculture écologiquement intensive.

Les écocycleries, entreprises d’insertion développées dans les zones rurales du Grand Ouest au milieu des années 90, ont pour objectif d’optimiser la gestion des déchets. Il s’agit de recycler, afin de les revendre, des produits susceptibles d’être proposés sur un marché secondaire, notamment les boutiques solidaires, à des prix correspondant à la solvabilité des ménages qui n’ont pas les moyens d’acheter ailleurs. Il convient cependant de nuancer la réussite de cette activité, qui dépend de la capacité à réagir aux appels d’offres, soit à titre individuel, soit à titre collectif dans le cadre de l’Union des écocycleries. Ainsi, expose l’économiste Pascal Glémain (Essca), la plupart de ces associations-entreprises d’insertion sont passées d’un accompagnement militant à une gestion intégrant le coût de leurs activités.

La chambre régionale de l’économie sociale (Cres) Bretagne anime depuis 2007 un inter-réseau, appellé Eco3 pour « Eco-construction, Economie sociale et solidaire, Eco-habitat ». Cette initiative interrégionale (Pays de la Loire, Basse-Normandie, Loire-Atlantique), présentée par Bernard Mérand, vise à soutenir la structure d’un secteur d’ESS pour le développement dans l’éco-construction. Associations d’insertion, coopératives de construction et sociétés coopératives et participatives (Scop) se retrouvent autour de ce projet qui revendique une démarche de développement durable.

Dans le même esprit, le groupe Macif et d’autres assureurs mutualistes ont entrepris diverses innovations servicielles pour améliorer l’éco-mobilité, en développant les partenariats et en impliquant les sociétaires.

Logiques ascendantes, RSE et ESS

Alexandre Wrong, de la Fondation agir contre l’exclusion (Face) qui, depuis 1993, lutte contre l’exclusion, plaide pour la responsabilité sociale des entreprises (RSE) par le bas, afin que les approches occidentales de la responsabilité sociale des entreprises portées par les organisations internationales intègrent également les pratiques territoriales. Cette approche de la RSE « par le bas » serait utile pour les entreprises s’installant à l’étranger, ce qui devrait être prochainement le cas de Face.

Selon Edith Archambault (économiste à Paris-I et vice-présidente de l’Addes), cette opposition entre démarches par le haut et par le bas de responsabilité sociale d’entreprise est à méditer. Si l’ESS est spontanément plus encline à développer les initiatives venues d’en bas, elle n’en doit pas moins les conjuguer avec des impératifs venant du haut, qui sont des impératifs gouvernementaux. Dans tous les cas, il ressort que l’ESS continue à jouer son rôle historique d’incubateur des innovations sociales, aussi garant de sa pérennité. L’attention portée au développement durable doit être présentée non comme une charge, mais comme une autre façon d’entreprendre autant qu’un avantage concurrentiel. Tout cela relève de l’ordre de l’utopie obligatoirement réalisable, car, comme le dit Martin O’Connor : « C’est dommage, je suis tombé dans une vision utopique. Pourquoi ? Parce que sinon, je sombre dans le cauchemar ! » Une utopie impérative donc, qui mériterait sans doute de réhabiliter le beau mot d’écologie en lieu et place d’un « développement durable » fourre-tout.

Patricia Toucas-Truyen

La mutuelle santé slovène Vzajemna

La république fédérative socialiste de Yougoslavie avait mis en place un système de santé de type bismarckien. Lorsque la Slovénie a proclamé son indépendance, en 1991, la nouvelle république a dû bâtir en hâte un dispositif de protection élémentaire obligatoire, complété ensuite par des assurances volontaires, comme l’organisation mutualiste Vzajemna. Si la greffe mutualiste a pris en Slovénie, c’est probablement que les pratiques autogestionnaires de l’ex-Yougoslavie ont pu ouvrir la voie à l’émergence de l’économie sociale, plus sûrement en tout cas qu’un système étatisé comme celui de l’Union soviétique. Dans ce petit pays membre de l’Union européenne depuis 2004, le statut de la mutuelle européenne est considéré par les responsables de Vzajemna comme un outil de développement attendu.

Patricia Toucas-Truyen

Une vingtaine de compagnies d’assurances et de réassurances, nationales et étrangères, fonctionnent en Slovénie, petit pays de 2 millions d’habitants. Lorsque la Slovénie acquiert son indépendance, en 1991, elle fait le choix d’un système d’assurance maladie de type bismarckien, ce qui conduit à la création de l’Institut d’assurance de la Slovénie (HIIS). Celui-ci rassemble à la fois des fonds publics obligatoires et des fonds privés complémentaires. Ce modèle mixte souffre rapidement d’un manque de clarté concernant la répartition des fonds destinés à l’assurance santé obligatoire et complémentaire.

En 1998, suite à un amendement à la loi sur la santé et l’assurance maladie, HIIS est contraint de séparer totalement ces deux régimes. La compagnie d’assurance mutuelle Vzajemna est créée pour la gestion de la part complémentaire, et elle devient immédiatement le plus grand pourvoyeur d’assurance santé volontaire en Slovénie, avec environ 1,2 million de membres. Le principe de mutualité définit et fonde les relations à Vzajemna. Il apparaît d’ailleurs dans le nom même de la compagnie, puisque vzajemna signifie « mutualité ».

La mutualité face à la concurrence des assureurs capitalistes

En 2004-2005, les assureurs privés commerciaux investissent le champ de l’assurance santé complémentaire. Leur irruption crée sur ce marché une situation d’inégalité, dans la mesure où ils engagent des campagnes de sélection pour vendre des polices uniquement aux individus jeunes et en bonne santé, en leur offrant des tarifs plus avantageux.

Si Vzajemna rassemble le plus grand nombre d’individus assurés, sa structure de risque est alors la moins favorable. Pour éviter les pratiques sélectionnistes et égaliser les variations et la structure de risque entre les compagnies privées d’assurance maladie, un régime de compensation des risques est introduit en 2005. Ce système doit garantir l’égalité des primes pour tous les assurés, quel que soit leur âge.

Alors qu’il est envisagé de restructurer Vzajemna en société par actions, le ministre de la Santé soumet un projet de loi sur la réorganisation du statut de cette mutuelle, adopté par le Parlement en avril 2007. Le but de cette proposition est de préserver la seule mutuelle santé existante, afin de garantir la solidarité dans le système d’assurance maladie complémentaire. C’est sur la base de cette proposition que Vzajemna a pu conserver, jusqu’à présent, son caractère mutualiste.

Crise de gouvernance

En 2008-2009, Vzajemna doit faire face à une sérieuse crise de gouvernance, suite à l’adoption par l’instance régulatrice – l’Agence de contrôle de l’assurance (ISA) – d’un amendement à la loi sur l’assurance stipulant que l’assemblée générale d’une compagnie qui s’occupe d’assurance maladie ou d’assurance-vie doit refléter la composition démographique de son sociétariat. L’assemblée générale de Vzajemna est aujourd’hui composée de quarante-cinq membres répartis en cinq groupes correspondant aux tranches d’âge de ses assurés. Le nouvel amendement a également introduit quelques changements, comme l’organisation d’élections tous les six ans ou la cooptation tous les deux ans.

Actuellement, Vzajemna est toujours le plus grand pourvoyeur d’assurance santé dans le pays, bien qu’elle ait perdu des parts de marché. Son sociétariat a sensiblement baissé, de 1,2 million de membres en 1991 à 850 000 en 2012. Elle détenait, en 2011, 12 % des parts de marché de l’assurance (ce qui la plaçait au quatrième rang national des compagnies d’assurances) et 60 % du marché de l’assurance santé complémentaire et volontaire. Le nombre de ses adhérents équivaut à près de 44 % de la population slovène, elle compte trois cents employés et son réseau se compose de quarante-sept points de vente.

Vzajemna continue d’étendre ses activités sociales pour la prise en charge de la santé de ses assurés. Elle soutient les hôpitaux et approuve les programmes médicaux pour être en mesure de rendre accessibles à tous des soins médicaux de qualité. Elle s’occupe activement des personnes âgées, qui représentent une large part de son sociétariat assisté.

Parmi les nombreux défis qu’elle doit relever, le plus important est de parvenir à créer une valeur ajoutée identifiable par tous les membres, dans un contexte de concurrence féroce avec les compagnies d’assurances. Pour cela, elle peut compter sur des produits spécifiques d’assurance santé, des produits de soins à long terme, en relation avec les hôpitaux, le développement de services d’assistance, etc.

Elle fait face à ces défis avec une vision claire de son futur développement, pour lequel elle a l’intention de bâtir une histoire de succès.

Irena Tiselj-Kaluza
Directrice du développement et des opérations d’assurance, Vzajemna

L’agriculture reparle de coopération de production

Mardi 4 décembre, plus de 180 personnes représentant près de 80 organismes ont participé au colloque sur la « coopération agricole de production » organisé par la Fédération nationale des coopératives d’utilisation de matériel agricole (FNCuma). La coopération agricole de production, c’est-à-dire la mutualisation par les agriculteurs de tout ou partie de leurs stratégies de production, rencontre aujourd’hui un contexte qui lui est à l’évidence favorable : nécessité de faire face à la volatilité des prix agricoles, nécessité d’innover en mutualisant les risques, volonté de mieux organiser le temps de travail, – recherche de flexibilité, notamment –, nécessité de changer les pratiques agro-environnementales…

Penser les exploitations agricoles en réseau

Quand on observe aujourd’hui l’organisation des exploitations agricoles, on constate qu’un agriculteur participe à deux, trois, voire quatre collectifs de travail différents : une Cuma, un groupe « assolement en commun », un groupement d’employeurs, une SARL ou un groupement d’intérêt économique (GIE) pour commercialiser, un groupement d’achat… De nouvelles formes d’exploitation agricole apparaissent subrepticement, dans lesquelles quatre, huit ou dix agriculteurs conduisent ensemble une partie de leurs activités.

Les agriculteurs en Cuma sont souvent impliqués dans ces systèmes de coopération à géométrie variable assez élaborés, mais adoptent vite d’autres statuts plus adaptés, en cherchant autant que possible à préserver un fonctionnement coopératif (engagement, entraide…). Ainsi, de nouvelles organisations collectives émergent, où des pans entiers de l’activité de production des exploitations d’un territoire s’interpénètrent sans forcément fusionner.

Ces formes d’organisation complexe se retrouvent notamment dans les filières courtes. Ces collectifs constituent autant de lieux d’innovation pour la coopération agricole : ils s’appuient en effet sur une délicate articulation entre mise en place d’un outil, construction d’un collectif, préservation des stratégies individuelles et inscription dans un projet de territoire [2]. Ce phénomène est-il marginal ou annonciateur de nouveaux modèles de développement agricole ? En tout état de cause, il réinterroge la façon de concevoir l’exploitation agricole et ses relations avec les autres exploitations.

Evidemment, l’idée de coopération agricole de production n’est pas nouvelle. A différents moments de l’histoire coopérative ou agricole est déjà apparu le terme « coopération agricole de production » (ou des termes synonymes). On en trouve ainsi des expressions dès l’après-guerre, avec les travaux de René Colson et l’Union des ententes et communautés rurales, et plus tard avec la création – avortée – des sociétés coopératives agricoles d’exploitation en commun (Scaec) et celle – réussie – des groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec). De même, nous enseigne Serge Cordellier, cette idée de coopération agricole de production se retrouve dans l’histoire du mouvement Cuma, de façon plus ou moins marquée selon les époques et les régions. Néanmoins, (re)nommer aujourd’hui la coopération agricole de production, c’est sans doute nommer une réalité devenue invisible : il y a là une dimension performative. Nommer permet de fixer l’intuition sur une réalité connaissable, donc gérable au moins dans une certaine mesure.

Une première définition

La coopération agricole de production regroupe l’ensemble des pratiques de coopération ayant pour objet la production agricole. Une première définition est avancée par la FNCuma. La coopération agricole de production se définit comme la mutualisation par des agriculteurs d’un même territoire de tout ou partie de leurs activités de production (au travers du matériel, du travail, du foncier, des intrants, des bâtiments…). En dépassant les stratégies individuelles de production, elle permet de gagner en autonomie tout en améliorant la performance économique, sociale et environnementale des exploitations. Prolongement des exploitations agricoles, cette coopération de proximité se concentre sur l’activité agricole (au sens du Code rural) et peut donc aller jusqu’à la mutualisation d’ateliers, y compris de transformation. Elle combine généralement des formes juridiques variées. Elle cherche à respecter et à garantir des pratiques coopératives et solidaires locales, notamment avec les acteurs du territoire.

Une pratique coopérative propre

La coopération agricole de production se concentre sur l’acte de production agricole, par distinction avec les coopératives agricoles d’approvisionnement, de collecte-vente ou de transformation. A l’évidence, une coopérative polyvalente interrégionale, une cave coopérative, un groupe coopératif international ou une Cuma renvoient à des réalités et à des pratiques coopératives forcément différentes. Or, penser la diversité de la coopération agricole devient de plus en plus nécessaire pour ne pas en réduire la nature.

Parler de coopération agricole de production fait également écho à la coopération de production qui s’est développée dans d’autres secteurs d’activité, comme le bâtiment ou l’imprimerie, autour du statut Scop (société coopérative et participative) : cette coopération met au centre celui qui produit et réinterroge la question de la propriété privée des moyens de production. Avec le colloque du 4 décembre 2012, les travaux sur la coopération agricole de production ne font que commencer. Trois défis restent à relever [3].

Mieux connaître la coopération agricole de production

Elle reste mal appréhendée : les éléments de la définition restent à partager, les travaux de recherche sur cette question sont peu nombreux, les statistiques et les illustrations mériteraient d’être rassemblées.

Un accompagnement à inventer

A l’évidence, la question de l’accompagnement des agriculteurs est à repenser lorsque l’activité de l’exploitation agricole (qui doit conserver sa cohérence) se distribue sur différentes organisations (qui ont chacune leur propre cohérence économique, juridique, sociale…). En effet, si la coopération agricole de production se définit comme la combinaison d’activités entre exploitations, elle se traduit également par la combinaison de conseils et de compétences distincts dont la cohérence est rarement naturellement assurée.

Construire un cadre réglementaire et fiscal favorable

L’histoire agricole et plus récemment l’essor des formes sociétaires en agriculture témoignent du lien fort entre la forme de l’organisation collective et les politiques publiques qui la soutiennent. Si la pertinence de la coopération agricole de production est partagée, il convient donc aujourd’hui de permettre l’émergence de politiques publiques qui l’encouragent.

Franck Thomas
FNCuma

Le mouvement mutualiste français se restructure au gré des règlements européens

Si l’Union européenne a longtemps ignoré les atouts spécifiques des entreprises de l’économie sociale, elle semble manifester un intérêt inédit – bien qu’encore timide – pour ce modèle à la robustesse éprouvée et appréciée en temps de crise. Après la publication en avril d’une « Etude sur la situation actuelle et les perspectives des mutuelles en Europe [4] », les I res Assises de la coopération et du mutualisme se sont tenues à Bruxelles le 7 décembre 2012. Il s’agissait de défendre les caractéristiques du secteur, tandis que se profilent à l’horizon des mutuelles deux réformes réglementaires majeures : la mise en oeuvre de Solvabilité II et le statut de mutuelle européenne. Rappelons que le projet de Solvabilité II vise à homogénéiser les directives européennes sur les assurances et à obliger celles-ci à consolider leurs réserves financières pour sécuriser les cotisations des adhérents. La directive-cadre, approuvée par le Parlement et le Conseil européens en 2009, sera prochainement mise en oeuvre, ce qui suscite l’inquiétude des responsables des petites structures. Les milieux mutualistes sont en revanche quasi unanimes sur les avantages que présenterait l’adoption d’un statut de mutuelle européenne. Ce projet a déjà reçu un avis favorable de la commission de l’Emploi et des Affaires sociales du Parlement européen ; la commission des Affaires juridiques se prononcera à la fin du mois de février 2013.

Concentration interprofessionnelle

Les contraintes réglementaires européennes sont à l’origine des bouleversements structurels du mouvement mutualiste à l’oeuvre en France depuis une dizaine d’années : fusions, constitution de grands groupes… Mais l’établissement d’une ligne consensuelle entre des mutuelles naturellement jalouses de leurs prérogatives ne va pas toujours de soi. Ainsi, la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH, www.mnh.fr) a récemment fait valoir son droit de retrait du groupe Istya sur le plan financier, tout en réaffirmant « son investissement plein et entier dans l’union politique aux côtés des autres mutuelles du groupe », c’est-à-dire la MGEN, la MGET, la Mutuelle nationale territoriale (MNT) et la MAEE.

Ce début d’année voit la naissance d’Harmonie mutuelle, issue du regroupement de Prévadiès, Harmonie Mutualité, Mutuelle Existence, Santévie et Spheria Val-de-France. Harmonie mutuelle sera la première complémentaire santé de France, détrônant la MGEN. C’est ainsi que, pour la troisième fois de son histoire, le mouvement mutualiste français change de physionomie. Après avoir été majoritairement territoriale pendant près d’un siècle, entre 1852 et 1945, la mutualité s’est ancrée sur les lieux de travail durant les Trente Glorieuses. Mutuelles de fonctionnaires et mutuelles d’entreprise ont tenu le haut du pavé jusqu’au début du III e millénaire. Cette hiérarchie est aujourd’hui bousculée avec l’arrivée des groupements interprofessionnels.

Généraliser l’accès à la santé : rupture du front unitaire

Les nouveaux équilibres qui se dessinent au sein du mouvement pourraient avoir des incidences sur les orientations prises par la Fédération nationale de la Mutualité française (FNMF) sur certains sujets sensibles, comme les contrats collectifs, dont bénéficient les adhérents des mutuelles d’entreprise, mais non les mutualistes fonctionnaires. L’Etat ne finance en effet qu’à 5 % la protection sociale complémentaire de ses agents, alors que la participation patronale est de l’ordre de 60 % dans les contrats collectifs obligatoires, qui font par ailleurs l’objet de déductions fiscales. Il découle de cette situation, source d’inégalités entre salariés, que la protection sociale complémentaire via l’adhésion mutualiste devient progressivement un aspect non négligeable du contrat de travail dans le secteur privé.

Or, c’est justement sur le thème de l’égalité d’accès aux soins que le 40 e congrès de la FNMF a réuni plus de 2 500 militants à Nice, en octobre dernier. Cette manifestation, qui a lieu tous les trois ans depuis 1883, constitue un temps fort de la vie mutualiste, où les militants peuvent échanger points de vue et expériences sur un sujet brûlant de l’actualité de la protection sociale. La généralisation de l’accès aux soins passe forcément par la maîtrise des dépenses médicales. Pour y parvenir, la FNMF préconise, entre autres mesures, une meilleure promotion des médicaments génériques et la lutte contre les déserts médicaux, ce qui l’amène à soutenir le plan présenté par Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé. La consolidation d’une médecine de proximité et l’instauration d’un mode de rémunération forfaitaire pour des équipes de soins travaillant en coordination sont en effet des pratiques huilées depuis des décennies dans les centres de santé mutualistes. Concernant la maîtrise des dépassements d’honoraires, la signature le 25 octobre 2012 de l’avenant 8 à la convention médicale entre la Caisse nationale d’assurance maladie, les syndicats médicaux libéraux et l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire (Unocam), à laquelle appartient la FNMF, a suscité des critiques de la part de la Confédération générale du travail [5], ainsi que des associations d’usagers, comme le Collectif interassociatif pour la santé et la Fnath-Association des accidentés de la vie [6]. Ceux-ci trouvent la position de la Mutualité française bien tiède à l’égard d’une pratique qu’il conviendrait, selon eux, de supprimer purement et simplement, tandis que la FNMF reprend les arguments développés au congrès de Nice par le président de la République, selon lequel cet accord contribuera « à la diminution progressive mais réelle du reste à charge pour les patients ». C’est la première brèche dans le front unitaire qui s’était constitué depuis plusieurs mois entre mutuelles et syndicats sur la dénonciation des dépassements d’honoraires médicaux.

Réseaux de soins et mutuelles étudiantes

En revanche, l’adoption par l’Assemblée nationale, le 28 novembre, d’une proposition de loi modifiant le Code de la mutualité afin de sécuriser les réseaux de soins mutualistes en optique, en audioprothèse et en dentaire irrite certains professionnels de santé, qui y voient une atteinte à la liberté de choix du patient. Il ne s’agit pourtant que de rétablir une situation antérieure à mars 2010, date à laquelle une décision de la Cour de cassation avait contesté la légitimité de meilleurs remboursements pour les adhérents fréquentant un réseau de soins conventionné, au motif qu’il ne peut y avoir de traitement différencié entre deux adhérents d’une même mutuelle. La modification du Code de la mutualité en ce sens pourrait donc permettre de rétablir ce dispositif propre à contrôler l’inflation du coût des soins. D’ores et déjà, les adhérents du groupe MGEN ont à leur disposition quatre réseaux (dentaire, hospitalisation, optique, audioprothèse), dont au moins deux (optique et audioprothèse) sont accessibles aux adhérents du groupe Istya. Harmonie mutuelle propose l’accès à un réseau d’optique et à un réseau d’audioprothèse, auxquels viendra s’ajouter dans les prochains mois un réseau de soins dentaires.

Depuis plus d’un siècle, chaque avancée mutualiste pour démocratiser l’accès aux soins est traditionnellement suivie d’une croisade des professionnels de la santé libéraux. La coutume aura donc été respectée cette fois encore : le projet de rétablissement des réseaux de soins conventionnés a provoqué le tollé d’une partie des médecins et des opticiens, dénonçant dans une grande incohérence la menace d’une privatisation de la santé (!) et une remise en cause du libre choix du médecin. Ces protestations ont été accompagnées de propos diffamatoires à l’encontre de la Mutualité française, qui a décidé de porter plainte.

Pour faire bonne mesure, signalons encore le rapport sénatorial très sévère sur le fonctionnement des mutuelles étudiantes, publié le 18 décembre [7]. Pointant les retards de remboursement et les frais de gestion abusivement élevés, les auteurs préconisent de mettre fin à la guerre fratricide que se livrent les mutuelles (LMDE et les onze mutuelles régionales du réseau EmeVia) sur les campus à chaque rentrée universitaire. Ils suggèrent ainsi de conserver le régime délégué, mais de « ne confier sa gestion qu’à un seul organisme. Cette solution préserverait l’esprit fondateur tout en diminuant frais de gestion, notamment grâce à la disparition de la concurrence dans le recrutement des assurés. Elle permettrait également à la nouvelle structure d’atteindre une taille critique plus satisfaisante, même si cette structure devrait certainement être adossée à une mutuelle de fonctionnaires pour respecter les ratios prudentiels de solvabilité et répondre correctement aux défis de la Sécurité sociale pour les années à venir, notamment en ce qui concerne la couverture complémentaire ». Le rapport propose sinon, plus radicalement, de « supprimer le régime délégué, en maintenant l’affiliation d’un étudiant au régime de ses parents, tout en l’affiliant de manière indépendante ».

On ne le dira jamais assez : pour être crédibles dans leur résistance proclamée contre le néolibéralisme, les entreprises de l’économie sociale n’ont d’autre solution que de s’unir sur une ligne vertueuse, ce qui implique l’abandon des compétitions internes mortifères.

Patricia Toucas-Truyen

Le Crédit mutuel et la « Recma » soutiennent la recherche universitaire

Stimuler la recherche en économie sociale en récompensant les travaux de master portant sur les entreprises coopératives constitue depuis 2009 l’objectif du prix de la Recherche coopérative, organisé par le Crédit mutuel en partenariat avec la Recma. Etienne Pflimlin, président d’honneur du Crédit mutuel, a remis les trois prix de cette quatrième édition le 20 décembre.

Un contexte politique porteur

L’année 2012, proclamée Année internationale des coopératives par l’ONU, a été l’occasion de souligner la place des coopératives dans l’économie mondiale – elles représentent un million d’entreprises, cent millions d’emplois et plus d’un milliard de membres. De par le monde, les coopératives témoignent de leur capacité de résistance face à la crise, grâce à leur gouvernance démocratique et à une répartition des résultats qui privilégient le long terme.

Dans un contexte social, économique et écologique incertain, les entreprises coopératives ont des atouts à faire valoir : propriété collective et gouvernance participative selon le principe « Une personne égale une voix », solidarité et responsabilité envers la communauté, ancrage dans les territoires et l’économie réelle, stabilité économique. Ces atouts ont été bien perçus par les gouvernements et notamment par le gouvernement français, qui a décidé d’inscrire à son agenda politique l’adoption d’un cadre législatif pour favoriser le développement des coopératives.

Diversité coopérative, diversité disciplinaire

Les douze membres du jury, composé d’universitaires et de professionnels du secteur, majoritairement membres du comité de rédaction de la Recma, devaient récompenser – sous forme d’une dotation de 1 500 à 2 000 euros – trois étudiants parmi neuf candidatures (huit françaises et une belge) d’un excellent niveau. Ces travaux relevaient d’une grande diversité disciplinaire (économie, sociologie, agriculture, droit, gestion, sciences politiques, management) et dans les sujets étudiés (banque, droit et utopies coopératives, finances solidaires, développement local, comptabilité coopérative, éducation, responsabilité sociale de l’entreprise, normes juridiques, résilience des entreprises coopératives, économie culturelle sous forme coopérative…).

Si tous les travaux présentés témoignent combien les principes qui guident les pratiques coopératives peuvent rejoindre les attentes des citoyens, c’est l’approche juridique du droit coopératif qui a principalement été distinguée cette année (les mémoires sont consultables sur www.recma.org/base_doc).

La pratique coopérative comme fabrique du droit et des droits

Le 1 er prix de la Recherche coopérative a ainsi été remis à Loïc Seeberger pour son « Essai sur le droit coopératif français de ses origines à la v e République : entre pratique et normes juridiques ». Soutenu à l’université Montpellier-I (faculté de droit et de science politique), ce master II d’histoire du droit analyse et documente très précisément comment le droit a intégré des principes de fonctionnement coopératif a priori étranger au droit des sociétés, en mettant en lumière l’interaction entre les pratiques et le droit ainsi que le lent passage de l’association coopérative à la société coopérative. « Fondamentalement, la pratique a réussi là où le droit avait échoué : faire évoluer la façon de penser le droit » (p. 142).

Le 2 e prix de la Recherche coopérative a été décerné à Pierre Francoual pour son master en droit du travail et de l’emploi, soutenu à l’université de Toulouse I-Capitole : « Le travailleur dans la société coopérative ouvrière de production ». Sur un sujet a priori connu, ce travail juridique, dogmatique et analytique témoigne d’une rare compréhension des finesses coopératives et apporte un éclairage nouveau de la législation et de la jurisprudence. L’auteur montre ainsi que les « principes de la Scop, bien que celle-ci soit un sujet de droit des sociétés, prennent réellement comme base la relation de travail, à laquelle se greffent l’apport en capital et la fonction entrepreneuriale » (p. 51), et rappelle donc utilement que « le droit des sociétés peut, lui aussi, s’imposer comme vecteur d’une question sociale » (p. 94).

Enfin, « Les finances solidaires comme biens communs durables : étude de cas de la banque communautaire de développement Palmas (Brésil) » a reçu le 3 e prix de la Recherche coopérative. Dans ce master de l’université libre de Bruxelles (faculté des sciences sociales et politiques), Camille Meyer applique les outils d’analyse du prix Nobel d’économie Elinor Ostrom sur la gouvernance des biens communs au cas d’une « banque communautaire de développement » mixant microcrédit et monnaie sociale au Brésil. Ce faisant, l’auteur ouvre des perspectives analytiques, en nous invitant à concevoir la monnaie et le crédit comme « la constitution d’un bien commun se traduisant par un renforcement du bien-être social collectif “bien commun social” » (p. 94).

En remerciant chaleureusement l’ensemble des candidats pour la qualité de leurs travaux, le jury et Etienne Pflimlin ont souhaité à ces trois étudiants de poursuivre aussi brillamment leur parcours universitaire, autant que faire se peut en continuant à exercer leurs talents au profit de la coopération.

Jordane Legleye

La « Recma » référencée par l’Aeres

La Recma, revue internationale de l’économie sociale, est désormais référencée par l’Agence française d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), dans la liste « Economie gestion ». A l’heure où le Parlement européen et les ministères de l’ESS et de l’Education nationale font de la recherche-formation à l’économie sociale et solidaire une priorité (voir « En bref » dans ce numéro), il s’agit d’une excellente nouvelle pour nos auteurs. Le taux de « produisants » constitue en effet un indicateur clef demandé aux unités de recherche lors de leur évaluation. Un enseignant-chercheur sera considéré comme produisant s’il a réalisé en cinq ans trois produits de recherche dont au moins deux articles dans des revues appartenant aux listes de revues de l’Aeres. Un chercheur devra, lui, avoir réalisé en cinq ans cinq produits de recherche dont au moins trois articles dans des revues appartenant aux listes de revues de l’Aeres. Pour qualifier un produisant, toute revue référencée dans la liste classée ou non classée est considérée. La période de cinq ans considérée pour la vague D va du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011, sachant qu’un article accepté avant cette date pour une publication ultérieure peut être validé.

La Recma est par ailleurs classée par le centre de recherche de l’Essec Business School et référencée par Econlit. L’année qui s’ouvre devrait également voir la reconnaissance pleine et entière de la revue par le CNRS (elle est actuellement référencée par la bibliothèque numérique scientifique Inist-CNRS, base Francis). Enfin, une procédure est en cours pour un référencement par l’ISI-Social Science Citation Index.

La rédaction