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Cet ouvrage est l’une des rares études en anglais sur le Tyrol du Sud, territoire qui, dans l’Italie contemporaine, correspond à la province de Bolzano/Bozen dont la majorité est germanophone. Georg Grote retrace l’histoire politique de cette région qui est passée de l’Autriche à l’Italie après la Première Guerre mondiale et qui a par la suite défié, quelquefois violemment, les stratégies d’intégration de l’État italien. Il utilise à bon escient une gamme intéressante de sources primaires afin de documenter les positions variées et changeantes de la communauté germanophone du Tyrol du Sud ainsi que celles de l’Italie, de l’Allemagne et de l’Autriche à l’égard du statut politique de la région. L’auteur démontre une expertise incontestable du cas sud-tyrolien pour lequel il offre une analyse étoffée mettant l’accent sur les transformations du mouvement autonomiste et des politiques d’intégration de l’État italien.

Les premiers chapitres du livre portent sur la transition entre les périodes autrichienne et italienne du Tyrol du Sud. L’auteur explique que l’incorporation de ce territoire à l’Italie en 1920 laissait à sa population germanophone bien peu d’espoir que son identité soit respectée. De fait, la montée au pouvoir de Benito Mussolini a entraîné d’agressives politiques d’italianisation au Tyrol du Sud qui visaient à réduire, sinon à éliminer, la culture allemande de la région. Le chapitre 5 est particulièrement intéressant, car Grote y discute de la dynamique particulière de la relation entre l’Italie fasciste et le troisième Reich autour du Tyrol du Sud. L’auteur explique que, malgré ses objectifs d’unification de la nation allemande, Hitler a choisi d’accepter la souveraineté italienne sur le Tyrol du Sud afin de conserver son alliance avec Mussolini. Une option fut pourtant présentée aux Tyroliens du Sud, soit celle de quitter la région pour le Reich allemand. Ceux qui ne voulaient pas partir allaient devoir vivre avec les politiques d’italianisation de Mussolini.

Les chapitres suivants portent sur la période débutant avec la fin de la Seconde Guerre mondiale. Grote explique que les promesses non tenues d’autonomie pour le Tyrol du Sud, suivies d’un retour à des politiques d’italianisation, ont provoqué un mouvement d’opposition violent mené par le Südtiroler Volkspartei (svp) qui a tenté pendant les années 1960 de changer la situation politique de la région par des attentats. L’auteur avance un argument intéressant pour expliquer le déclin de la violence et la normalisation de la situation vers la fin des années 1960 et au début des années 1970. Selon lui, le procès de membres du svp soupçonnés d’attentats violents a eu comme double conséquence d’exposer une vulnérabilité de l’État italien et de propager à l’échelle nationale et européenne le sort de la communauté minoritaire germanophone. Les pressions issues de ces changements ont rendu possible la réforme de 1972 consacrant une autonomie politique pour la province de Bolzano/Bozen. Cette autonomie a été renforcée par un amendement constitutionnel en 2001.

Les derniers chapitres du livre discutent des récents développements politiques dans cette province, notamment le défi que représentent la normalisation et l’atteinte d’une autonomie confortable pour l’unité et l’hégémonie du svp, et ils offrent quelques réflexions sur la mémoire collective au Tyrol du Sud.

Ce livre pourrait être d’une grande utilité pour les chercheurs qui étudient les mouvements nationalistes et régionalistes, et ce, pour au moins deux raisons. Premièrement, le Tyrol du Sud représente un cas où la mobilisation s’est estompée après que certains accommodements eurent été mis en oeuvre. Cette situation laisse voir un fort contraste avec les cas européens plus connus (et, il faut le dire, plus clairement nationalistes), tels la Flandre, l’Écosse, le Pays basque et la Catalogne. Découvrir les raisons profondes de ce contraste pourrait ajouter aux connaissances sur les mouvements nationalistes et régionalistes. Deuxièmement, le Tyrol du Sud est aussi un cas où un mouvement devenu violent a été pacifié. Dans ce contexte, une comparaison avec le Pays basque et l’Irlande du Nord pourrait s’avérer fructueuse afin de comprendre comment peuvent s’opérer les processus de normalisation dans les États où des mouvements visant une forme d’autodétermination ont pris les armes.