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L’ouvrage International Handbook on Civil Service Systems, dirigé par Andrew Massey, ambitionne de dresser une revue des fonctions publiques et des services publics dans le monde. Il rassemble des rédacteurs divers : chercheurs, fonctionnaires nationaux, ou auteurs cumulant les deux statuts. Ce guide couvre tous les continents. Il s’intéresse à des administrations connues de grands États industrialisés, mais aussi à des fonctions publiques plus récentes ou moins souvent décrites.

L’ouvrage s’articule en deux parties. La première série d’articles constitue l’arrière-plan théorique qui apporte un éclairage sur la seconde partie, la revue des pays.

Les textes théoriques s’attardent sur les bases de l’étude de la fonction publique, avec en premier lieu la théorie wébérienne. Les différentes formes de bureaucratie sont ensuite énumérées, de même que les fondements des mouvements de réforme récents.

Ainsi, la contribution de Peter Barberis définit l’idéal-type de la bureaucratie wébérienne, mais elle met aussi en avant les limites et même les risques inhérents au modèle. L’auteur examine dans quelle mesure la vague actuelle de réformes, y compris le célèbre « New Public Management » (npm), constitue – ou non – la fin de l’âge d’or de la bureaucratie wébérienne. Il conclut sur le sens de l’idéal-type et sur la pertinence encore actuelle de cet outil d’analyse.

Dans un autre article, Robert Pyper évoque le déclin de l’État, concurrencé par le haut (internationalisation), par le bas (dévolution, décentralisation, privatisation) et par la création d’agences et d’autres corps autonomes. Il examine les conséquences de ce mouvement sur la fonction publique. Conséquences positives, car cette évolution s’accompagne d’une reconnaissance de la complexité des tâches, permet les réajustements nécessaires et l’amélioration de la réponse aux besoins. Cependant, cela se fait au prix de la perte de certaines compétences acquises par des années de pratiques et non transmises, d’une fragmentation parfois trop importante des acteurs entraînant des difficultés nouvelles en matière de coordination. Pyper interroge le npm comme nouvelle orthodoxie et relativise l’homogénéité des réformes récentes, en soulignant des mouvements différents (réintégration de missions dévolues à des agences dans l’État central, réflexions sur des renationalisations…).

La seconde partie du manuel rassemble des contributions qui examinent la situation pays par pays.

Parmi ces contributions, celle d’Augustin E. Ferraro met l’accent sur le destin particulier de la fonction publique en Argentine. Historiquement, à la suite de la dictature militaire qui, dans sa période récente (1976-1983), s’est muée en bureaucratie autoritaire, les acteurs politiques manquaient totalement de confiance dans toutes les couches de la bureaucratie existante : la fonction publique, même rénovée, a donc été ignorée, voire contournée, par la création d’une bureaucratie parallèle. Dans le même mouvement, Ferraro souligne le déclin de la fonction publique professionnelle, remplacée par des emplois contractuels ou par d’autres formes d’embauches. Dans ce pays, le système des dépouilles a pris une importance majeure, avec les effets négatifs qui lui sont associés : du personnel en place sans expérience ni compétence particulière, des décideurs entourés de conseillers redevables, qui leur disent ce qu’ils veulent entendre, des échelons administratifs pléthoriques aux niveaux les plus hauts. Globalement, cet article illustre l’échec de la mise en place d’une fonction publique en Argentine.

Akira Nakamura et Masao Kikuchi s’intéressent au Japon, dans le contexte de l’arrivée au pouvoir du parti historique d’opposition et de la critique croissante de la bureaucratie et de ses dirigeants. Les auteurs expliquent comment les liens forts entre les groupes de pression, les politiques et les hauts fonctionnaires ont contribué à ce rejet. De la même manière, ils rappellent les erreurs majeures commises par l’administration centrale et les dossiers de corruption. Cependant, ils soulignent aussi la taille réduite de l’administration japonaise, en comparaison avec celle des autres pays de l’ocde, et le déclin du nombre de fonctionnaires ces dernières années. Enfin, les deux auteurs indiquent comment les modes de management traditionnels de l’administration ont contribué à sa mauvaise image dans la population et précisent les pistes de réformes en cours à la fin des années 2000. Tout en affirmant que les traditions anciennes sont si ancrées dans la bureaucratie japonaise qu’il faudra du temps avant de ressentir les effets d’une réforme.

Dans International Handbook on Civil Service Systems, le dosage entre apports théoriques et analyses des terrains nationaux est réussi. Le lecteur, qu’il soit étudiant, chercheur ou fonctionnaire en quête de clefs de compréhension de son environnement, trouvera ce qu’il cherche. La lecture intégrale de l’ouvrage offre une analyse comparée très riche des systèmes de la fonction publique dans le monde, en résonance avec des enjeux actuels.