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Les réflexions que l’on trouvera dans les pages du site Ce qui reste des images du futur sont le fruit d’un court voyage dans le temps et, plus précisément, dans le futur, dans le futur du passé. Elles supposent un certain goût des archives.

Fig. 1

Photogramme tiré de White Devil (Paul Garrin, 1992-1993). Publication électronique Ce qui reste des images du futur (Fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie). En ligne, www.fondation-langlois.org/flash/f/index.php?Url=CRD/futur.xml.

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Durant ma résidence de recherche au Centre de recherche et de documentation (CR+D) de la fondation Daniel Langlois pour l’art, la science et la technologie en 2004, j’ai exploré la collection documentaire Images du futur[1]. Cette collection au titre fort prometteur (et les ramifications que ma recherche a suscitées) retrace plus ou moins explicitement, plus ou moins consciemment, les aventures d’une idée, celle du futur.

Exposition – Images du futur est le nom d’une exposition internationale « d’art, nouvelles technologies et communication », selon la formule consacrée des catalogues, qui s’est tenue à Montréal entre 1986 et 1996. L’exposition qui a accueilli plus d’un million de visiteurs présentait des centaines d’artistes d’une vingtaine de pays. Elle s’inscrivait dans un engouement caractéristique des années 1980 pour un certain type de mise en scène du futur (à visiter aussi : « Des idées du futur[2] »).

Ce que je suggère de retenir d’entrée de jeu, c’est qu’en pleine ère de développement technologique, dans les années qui ont accompagné l’explosion de la vidéo et la diffusion des « nouvelles technologies », Images du futur reflétait un champ de nouveautés et une curiosité populaire qui étaient plus solidement ancrés, en vérité, dans le présent technologique des années 1980 que dans un hypothétique futur (ce qui marque une importante nouveauté dans la représentation du futur à ce moment-là). Oeuvres d’artistes, dispositifs visionnaires, propositions d’ordre commercial et animations numériques étaient tous conviés sans discrimination institutionnelle à Images du futur (à visiter aussi : « Exposer[3] »).

Archives – Si un phénomène récent semble parfois moins bien documenté qu’un événement ancien, c’est que toutes les données ne sont pas encore passées par la mémoire ordonnatrice et clarificatrice des archives. Aussi, les différents parcours que je propose dans le site Ce qui reste des images du futur ont-ils été élaborés à partir de la documentation sur les artefacts exposés à Images du futur dans la collection documentaire qui en conserve les traces, tout en prenant en considération également un ensemble de réflexions et de discours qui, durant les années 1980 et 1990, entre théorie et chronique factuelle, prennent en compte les nouvelles voies à la mode des arts et de la communication. Cette collection documentaire (d’où proviennent les images que l’on trouvera dans ce site) contient les matériaux accumulés par la direction de l’exposition durant ses dix ans d’existence, ses quelques années de préparation et sa période post-mortem: environ 400 vidéogrammes, 180 périodiques, 620 monographies, des projets d’artistes et de bricoleurs, des lettres, des portfolios, etc. J’ai voulu utiliser cette masse d’informations extrêmement disparates pour tisser des liens, dégager des sens, (re)construire des discours qui traversaient la collection et qui, surtout, avaient jadis traversé l’exposition Image du futur.

Discours – Tisser des liens, suivre des renvois, imaginer des contiguïtés et découper des discontinuités : ainsi, j’ai essayé de proposer, dans ce site, quelques parcours à partir de l’image du futur construite par l’exposition. J’ai remarqué d’abord un type de discours qui sert à accompagner la diffusion de l’exposition auprès du public, discours qui se retrouve dans les catalogues et dans le matériel publicitaire et duquel se dégage un message attirant : « [...] en achetant le billet de cette exposition vous aurez le privilège de voir et toucher, en primeur, votre futur technologique et ludique. »

J’ai discerné, par la suite, un autre type de discours dans les matériaux primaires et secondaires des oeuvres (portfolio de l’artiste, correspondance entre l’artiste et l’exposition qui décrit l’oeuvre proposée, « curriculum vitae » des oeuvres, etc.). Ce discours tendait généralement à valoriser le côté novelty d’un objet amusant ou le dispositif expérimental de chaque oeuvre.

Ces deux niveaux de discours, dont j’ai construit certaines trajectoires, baignaient dans le milieu fertile des discours sur les nouveaux médias qui commençaient à envahir les sciences humaines, en prenant la place de l’histoire et de la philosophie de la technique; des auteurs comme Couchot et Manovich faisaient dès lors figure d’autorité[4].

(VIII) pars pro toto – C’est à la lumière de tout ceci qu’Images du futur peut être considérée à juste titre comme tout à fait exemplaire de la période riche en expérimentations (les nouvelles technologies), en chevauchements entre institutions (issues de l’univers de la science, de la technologie, de l’industrie, des communications et de l’art), que constituent les dernières décennies du xxe siècle.

Dans chacune des sections du site Ce qui reste des images du futur, j’ai isolé certains traits fondamentaux d’Images du futur et des oeuvres exposées pour les mettre en relation avec d’autres manifestations et tendances de l’époque. Il s’agit de thèmes qui traversent l’exposition et la débordent, des axes de réflexion et de recherche qui permettent d’observer les premiers temps de notre modernité.

En filigrane – En filigrane de mon travail se trouve un constat : les périodes qui précèdent l’institutionnalisation des pratiques médiatiques sont similaires… En particulier la « révolution du numérique » (un flou discursif sur cette expression rend nécessaires les guillemets, d’autant plus que je ne compte pas dégager et résoudre la question dans les pages de ce site) me semble faire écho à un autre moment de révolution médiatique, d’un siècle plus ancien : celui de l’avènement du cinématographe. Au-delà des différences historiques et technologiques entre ces deux moments, les principales caractéristiques de cette ressemblance m’ont permis de pointer des aspects centraux de l’événement et de l’avènement que j’étudie ici (à visiter aussi : « Installations-attractions[5] » et « Résidus cinématographiques[6] »).

Deux fins de siècle (xixe et xxe), un nouveau régime de la vision qui s’instaure dans chacune, un nouveau mode de production d’images mouvantes, un changement dans les conditions de reproductibilité des images (par empreinte d’abord et par production de modèles ensuite) et de nouvelles conditions de réception qui s’imposent.

La concrétisation du dispositif cinématographique et celle de la production industrielle de l’imagerie numérique font suite à des recherches d’ordre scientifique aussi bien que commercial. Et dans les deux cas, le dispositif cinématographique et l’imagerie numérique sont développés en grande partie dans les arts du spectacle.

Le cinématographe s’impose à la croisée de plusieurs institutions (la photographie, les arts de la scène, le spectacle d’attractions foraines, l’exposition techno-scientifique) et l’imagerie numérique aussi (ce que nous verrons tout particulièrement dans notre échantillon d’Images du futur).

Un certain fétichisme de l’inventeur ou de l’invention et un goût notable pour la nouveauté, le prototype et le gadget opèrent dans les deux sphères. Cette comparaison a constitué l’arrière-plan hypothétique de mon étude d’Images du futur, pour devenir finalement un constat, qui est présent en filigrane dans les axes de réflexion et de recherche que je propose dans ce site.